La participation des femmes au marché du travail progresse au niveau mondial mais la ségrégation professionnelle reste courante

Malgré la rapide augmentation dans le monde entier du niveau d'instruction des femmes et de leur taux de participation au marché du travail, la plupart d'entre elles continuent d'être victimes de ségrégation professionnelle sur leur lieu de travail et ne parviennent que rarement à briser le fameux «plafond de verre» qui les empêche d'accéder à des postes de directeurs et de spécialistes de haut niveau. Telles sont les conclusions du nouveau rapport du BIT intitulé La promotion des femmes aux postes de direction.

Communiqué de presse | 11 décembre 1997

GENÈVE (Nouvelles du BIT) ­ Malgré la rapide augmentation dans le monde entier du niveau d'instruction des femmes et de leur taux de participation au marché du travail, la plupart d'entre elles continuent d'être victimes de ségrégation professionnelle sur leur lieu de travail et ne parviennent que rarement à briser le fameux «plafond de verre» qui les empêche d'accéder à des postes de directeurs et de spécialistes de haut niveau. Telles sont les conclusions du nouveau rapport du BIT intitulé La promotion des femmes aux postes de direction (Note 1) .

«Plafond de verre» est un terme inventé dans les années soixante-dix aux Etats-Unis pour décrire les barrières invisibles artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d'accéder aux plus hautes responsabilités.

Bien qu'elles aient considérablement progressé en ce qui concerne la réduction des disparités entre les sexes dans les professions intellectuelles et les fonctions de direction, indique le rapport, la plupart des femmes directrices au niveau mondial ne peuvent toujours pas accéder aux postes les plus élevés de la hiérarchie, que ce soit dans le secteur privé ou public ou encore dans la politique. Elles ne détiennent que 2 à 3 pour cent des postes de haute direction dans les grandes entreprises et, même lorsqu'elles parviennent à grimper au sommet, les femmes cadres gagnent presque toujours moins que les hommes.

Malgré l'avancement général des femmes aux échelons des cadres moyens, l'auteur du rapport et spécialiste du BIT en questions du travail, M me Linda Wirth, conclut que, «d'une façon presque universelle, les femmes, quelles que soient leurs capacités, n'ont pas réussi à atteindre les postes de pouvoir dans les grandes entreprises et les sociétés du secteur privé.»

Le rapport cite une recherche du BIT, qui a fait ressortir qu'environ la moitié des effectifs des travailleurs mondiaux occupent des emplois correspondant à des stéréotypes sexistes, où un sexe est à tel point prédominant (c'est-à-dire représentant au moins 80 pour cent des effectifs) que ces emplois pourraient être considérés comme «masculins» ou «féminins». Et le fait de diriger est généralement considéré comme une fonction incombant aux hommes.

Aux Etats-Unis, par exemple, où les femmes actives ont des qualifications égales à celles des hommes, elles constituent actuellement 46 pour cent du personnel dirigeant. Au Canada, 42 pour cent de tous les postes de direction sont occupés par des femmes. Pourtant, une enquête effectuée en 1996 auprès des 500 plus grandes entreprises (les Fortune 500) a montré que les femmes n'occupaient que 2,4 pour cent des postes de haute direction et ne représentaient qu'un maigre 1,9 pour cent des cadres

supérieurs et administrateurs les mieux payés. La médiane des gains hebdomadaires des femmes occupant des postes de direction aux Etats-Unis en 1995 ne représentait que 68 pour cent de celle de leurs homologues masculins.

Au Japon, la proportion de femmes directrices d'entreprise (y compris les PME) est passée de 9 à 13 pour cent depuis 1970. Selon une étude gouvernementale, la part des femmes dans les professions intellectuelles et techniques a augmenté de presque 31 pour cent en 1950 à 42 pour cent en 1990. Cependant, le pourcentage de femmes occupant des postes supérieurs de direction dans les plus grandes entreprises est passé de 1 à seulement 2 pour cent au cours de cette période.

Au Brésil, une enquête effectuée en 1991 a révélé que 3 pour cent seulement des membres du personnel de direction au plus haut niveau étaient des femmes et dans les 40 premières entreprises publiques ce taux n'atteignait même pas 1 pour cent. Une autre étude brésilienne a montré que les femmes occupant un poste de direction gagnaient souvent la moitié seulement du salaire de leurs homologues masculins.

En Europe, on retrouve pratiquement le même schéma. Au Royaume-Uni, une enquête menée en 1996 auprès de 300 entreprises a révélé que 3 pour cent des membres des conseils d'administration étaient des femmes. Par ailleurs, une autre étude indiquait que, dans les 100 entreprises du Financial Times Stock Exchange (FTSE), les femmes ne représentaient que 4 pour cent des directeurs et occupaient 2 pour cent des postes d'administrateurs opérationnels. Le niveau de salaires hebdomadaires des femmes occupant des postes de direction ne dépassait pas 71 pour cent de celui des hommes exerçant les mêmes fonctions. En revanche, les femmes des professions intellectuelles au Royaume-Uni constituaient le groupe de travailleuses le moins désavantagé en termes d'écarts salariaux, le niveau de leurs gains hebdomadaires atteignant 83 pour cent de celui des hommes.

En Allemagne, en 1995, une enquête réalisée auprès des 70 000 plus grandes entreprises a montré que la proportion de femmes cadres au plus haut niveau et membres du conseil d'administration se situait entre 1 et 3 pour cent, tandis que leur part des emplois de cadres supérieurs et moyens était de 6 et 12 pour cent, respectivement.

En France, si la proportion de femmes chefs de grandes entreprises est relativement élevée, elle est en fait tombée de 15 pour cent en 1982 à 13 pour cent en 1990. Des baisses similaires se sont produites dans la représentation féminine aux postes de dirigeants de petites et moyennes entreprises. La seule amélioration constatée concernait la part qu'occupaient les femmes dans les postes de cadres supérieurs des services financiers, administratifs et commerciaux des grandes entreprises, qui est passée de 4 à 6 pour cent.

Dans certains pays, on a observé au cours des dernières années une progression des femmes exerçant des professions intellectuelles de haut niveau. Aux Pays-Bas, par exemple, les femmes ont accru leur part des postes de cadres supérieurs, qui est passée de 10 pour cent dans les années soixante-dix à 18 pour cent en 1990. Au Canada, leur présence aux niveaux supérieurs de la hiérarchie a augmenté de façon spectaculaire en passant au cours de la même période de seulement 4 pour cent à environ 21 pour cent. En Australie et en Finlande, la part des femmes dans les postes de direction supérieurs se situe autour de 11 pour cent et est en augmentation.

Au Mexique, la part des femmes dans les postes de direction, aussi bien dans la fonction publique que dans le secteur privé, est passée du taux relativement élevé de 16 pour cent en 1980 à 19 pour cent en 1990. En Hongrie, la proportion de femmes directrices d'entreprises et d'institutions a augmenté de 16 à 25 pour cent entre 1980 et 1990.

Cela étant, la proportion de femmes occupant des emplois de spécialistes et des fonctions de direction est plus importante dans certains pays en développement, par exemple en Colombie, aux Philippines, en Uruguay et au Venezuela, que dans de nombreux pays industrialisés, indique le rapport.

En Thaïlande, la proportion de postes de direction occupés par des femmes en 1990 était de 19 pour cent, contre 8 pour cent en 1974. A Singapour, cette proportion est passée de 22 pour cent en 1992 à 27 pour cent en 1996. En Colombie, elle est passée de 14 pour cent en 1980 à 27 pour cent en 1990, puis 37 pour cent en 1996. Au Chili, elle s'est accrue de 20 pour cent en 1980 à 27 pour cent en 1995, tandis que 8 pour cent des administrateurs et cadres dirigeants de haut niveau de ce pays sont des femmes.

Bien que la part des femmes dans les emplois de direction ait doublé ou même triplé dans certains pays en développement, elle reste généralement faible. En 1970, par exemple, les femmes représentaient 3 pour cent des cadres dirigeants d'entreprise en Tunisie, taux qui est passé à 9 pour cent en 1990. Au Niger, le pourcentage de femmes directrices et cadres administratifs supérieurs est passé de 3 pour cent en 1986 à 8 pour cent en 1991. De même, en Turquie, les femmes occupaient 10 pour cent de ces postes en 1995, contre 5 pour cent en 1988; en Malaisie, la proportion était de 10 pour cent en 1995, contre 3 pour cent en 1986.

Dans certains pays, la part des femmes dans les fonctions d'encadrement n'a que peu changé. A Bahreïn, elles occupaient 5 pour cent des postes de dirigeants d'entreprise et de cadres supérieurs en 1987, et ce pourcentage n'avait augmenté que d'un point en 1994. Pour ces mêmes fonctions, au Pakistan, la proportion de femmes n'est passée que de 3 à 4 pour cent entre 1989 et 1994. En Argentine, 5 pour cent seulement des postes de direction dans les entreprises industrielles et 6 pour cent dans les services et la construction étaient occupés par des femmes en 1995.

Ségrégation professionnelle en fonction du sexe

Linda Wirth signale que, même là où elles ont le plus progressé, «c'est généralement dans les secteurs employant un grand nombre de femmes, tels que les services sanitaires et services fournis à la collectivité, l'hôtellerie et la restauration, que la situation des femmes est la meilleure.» Elle affirme que «les inégalités entre hommes et femmes que l'on observe au sommet de la pyramide organisationnelle constituent simplement l'exemple le plus flagrant de ségrégation professionnelle en fonction du sexe que l'on retrouve dans tout l'éventail des emplois offerts sur le marché du travail.»

Les femmes directrices tendent à s'agglutiner dans certaines activités, à tel point que certaines fonctions des entreprises sont presque féminisées. Aux Etats-Unis, l'augmentation de la part des femmes a été plus élevée dans la gestion du personnel et les relations professionnelles que dans d'autres secteurs, passant de 21 pour cent en 1970 à 58 pour cent en 1991. En France, le pourcentage de femmes directrices du personnel a augmenté de 25 pour cent en 1982 à 38 pour cent en 1990. En Finlande, la proportion de femmes parmi les chefs du personnel a augmenté de façon spectaculaire, passant de 17 pour cent en 1970 à 70 pour cent en 1990.

Dans les structures organisationnelles des grandes entreprises, les possibilités d'accéder directement au sommet sont moins importantes pour le cadre poursuivant une carrière dans la direction et la gestion des ressources humaines que pour celui qui évolue dans des secteurs stratégiques comme le développement de produits ou les finances d'entreprise.

L'étude du BIT montre que l'inégalité entre les sexes dans l'accès à l'éducation et à la formation, renforcée par les attitudes sociales, contribue à cette ségrégation professionnelle en répartissant les hommes et les femmes dès leur plus jeune âge dans des secteurs d'activité, des professions et des emplois différents. Elle permet également de constater que les professions non agricoles à prédominance masculine sont plus de sept fois plus nombreuses que les professions de la même catégorie à prédominance féminine.

La ségrégation est tellement importante dans certains emplois que, par exemple, à la fois au Japon et aux Etats-Unis, en 1991, près de la moitié des femmes travaillant dans la catégorie des professions intellectuelles et techniques se retrouvaient dans deux types d'emplois seulement: personnel infirmier et enseignants. En Inde et à Hong kong, la proportion dépasse 80 pour cent.

Au Canada, où la proportion de femmes actives a presque doublé au cours des dernières décennies, atteignant 60 pour cent en 1991, les femmes sont restées concentrées dans une gamme d'emplois étroite. Vers le milieu des années 80, par exemple, presque un tiers de la population active féminine occupait des emplois de bureau, alors que le taux de concentration des hommes ne dépassait pas 12 pour cent dans aucune grande catégorie professionnelle.

En République de Corée, en 1992, une étude menée au sein des 27 catégories professionnelles a révélé que les femmes représentaient 70 pour cent de la population active dans quatre catégories: l'agriculture de subsistance, les services de santé, le travail administratif de bureau et l'élaboration des aliments. En revanche, elles représentaient moins de 5 pour cent des effectifs dans d'autres catégories, y compris les membres de l'exécutif et des corps législatifs (aucune femme), les directeurs de sociétés (2 pour cent) et les mathématiciens et ingénieurs (4 pour cent).

Même dans les pays où l'égalité entre hommes et femmes jouit d'un soutien important au sein du gouvernement, le schéma de la ségrégation professionnelle prédomine. En Finlande, par exemple, seuls 20 pour cent des femmes occupent des emplois caractérisés par ce qui est considéré comme un ratio hommes/femmes équilibré (c'est-à-dire où 40 à 60 pour cent des employés sont du même sexe), et ces emplois ne représentent que 7 pour cent de l'ensemble du marché du travail.

Les grandes entreprises risquent de perdre les compétences féminines

Les stratégies de gestion des ressources humaines visant un équilibre entre hommes et femmes, que les entreprises ont développées pendant les dernières décennies, offrent les meilleurs moyens pour briser le plafond de verre, indique le rapport. Ces stratégies incluent la création de réseaux, le suivi de carrière, la relation de tandem avec un mentor et une planification des successions qui tienne particulièrement compte de la situation des femmes. Le recours à des méthodes de recrutement et de promotion objectives et équitables est décisif pour attirer et retenir des femmes de professions intellectuelles qualifiées. M me Wirth affirme que, compte tenu du niveau croissant de compétences des femmes par rapport à l'ensemble de la population active, ces stratégies sont nécessaires: «Les femmes constituent de plus en plus une ressource clé dans la course pour créer de nouveaux produits et services et elles sont également des créatrices d'entreprises. Les entreprises compétitives ne peuvent pas se permettre d'être perdantes sur le plan des compétences des femmes.»

Les obstacles auxquels font face les femmes qui aspirent à des postes de direction peuvent être si importants qu'elles abandonnent parfois leurs efforts pour parvenir au sommet de la hiérarchie des grandes sociétés, constate le rapport. Ces femmes-là préfèrent souvent investir leur énergie et leur savoir-faire dans des entreprises de plus petite taille et plus flexibles, lorsqu'elles ne créent pas leur propre affaire. Aux Etats-Unis, un tiers des petites et moyennes entreprises sont maintenant dirigées par des femmes. Un tiers des chefs d'entreprise finlandais sont également des femmes.

Si les sociétés dirigées par des femmes sont généralement de petite taille et n'emploient pas plus de cinq personnes, leur importance au sein de l'ensemble de l'économie est croissante. Deux études nationales ont fait apparaître que les femmes dirigeaient environ un quart des petites entreprises au Brésil. Cependant, on pense qu'elles dirigent, en fait, plus de 50 pour cent des microentreprises et des petites entreprises de ce pays.

De nombreuses femmes dans les pays en développement semblent avoir un bon niveau d'instruction et être prêtes à exercer des professions intellectuelles, et leurs compétences sont recherchées, signale M me Wirth. Il faut aussi noter qu'il leur est plus facile de se faire assister dans les soins aux enfants et les tâches ménagères, grâce au système de la famille élargie et à la possibilité de trouver de l'aide domestique bon marché.

S'il est un fait que de plus en plus de femmes travaillent, la valeur attribuée à leurs emplois en termes de qualifications requises et de rémunération est souvent inférieure. Bien que, grâce à leur éducation, leur formation et leur expérience de travail, les femmes offrent de plus en plus souvent les qualifications et les qualités nécessaires pour aspirer et être sélectionnées à des postes de direction, d'importantes différences subsistent entre hommes et femmes quant à la nature et la qualité de l'instruction et de la formation, explique M me Wirth. Celles-ci peuvent représenter des obstacles réels pour de nombreuses femmes, à la fois au stade du recrutement et, plus tard, dans leur carrière.

L'amélioration de la qualité de l'éducation des femmes dépend d'abord du soutien apporté par les familles et les communautés qui doivent encourager les filles et leur offrir les mêmes possibilités d'instruction et de formation qu'aux garçons, notamment dans les domaines de la science et de la technologie, précise le rapport.

Le BIT organisera du 15 au 19 décembre à Genève une Réunion tripartite rassemblant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de 20 pays du monde entier, afin de discuter autour des conclusions du rapport et d'examiner la situation des femmes occupant des postes de direction. Les participants à cette réunion s'efforceront de mettre au point des stratégies d'action visant à offrir aux femmes des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité, notamment dans les fonctions de direction et de hautes responsabilités.

Pays
Directeurs et cadres
administratifs
supérieurs
(%)
Ensemble
de la
population active
(%)
Australie **

Autriche

Chili

Costa Rica

Egypte

Equateur

Etats-Unis

Finlande

Israël

Japon

Malaisie

Mexique

Norvège

Paraguay

Philippines

Royaume-Uni **

Sri Lanka

Suisse

Turquie

Uruguay

Venezuela

43
22
20
23
12
28
43
25
19
9
19
20
32
23
33
33
17
28
10
28
23
42
43
32
30
20
38
46
47
42
41
34
32
46
41
37
45
48
40
30
41
33

* Les directeurs et cadres administratifs supérieurs représentent le grand groupe 2 de la Classification internationale type des professions (CITP-68). Sont inclus les membres des corps législatifs et cadres supérieurs de l'administration publique ainsi que les directeurs et cadres dirigeants.

** 1993.

Source: Annuaire des statistiques du travail, 1996.

Note 1:
La promotion des femmes aux postes de direction. Rapport soumis aux fins de discussion à la Réunion tripartite sur la promotion des femmes aux postes de direction. Bureau international du Travail. Genève, 1997. ISBN 92-2-210642-3.