Améliorer l'employabilité des personnes souffrant de handicap représente un défi considérable. Mais selon un nouveau rapport global du BIT sur les discriminations dans le monde du travail (Note 1), il apparaît de plus en plus clairement que les personnes handicapées sont non seulement plus productives que les personnes valides mais parfois même plus qualifiées pour certains emplois. Démonstration en est faite dans le secteur de gestion des liquidités d'une des plus grandes banques du Sri Lanka où des millions de roupies sont comptées et triées chaque jour par des personnes qui ne peuvent ni parler ni entendre.

ATHURUGIRIYA, Sri Lanka (BIT en ligne) – Mme Jamayali Fernando est une pionnière. Cette jeune femme de 41 ans, originaire de la ville d'Athurugiriya, est l'une des meilleures employées du Département liquidités au siège de la banque Sampath à Colombo.

Mme Fernando ne peut ni parler ni entendre. Elle figure parmi les sept premiers employés sourds et muets embauchés par la banque Sampath dans le cadre d'un partenariat unique entre la banque, l'organisation patronale du pays et l'OIT.

Selon le rapport global du BIT L'égalité au travail: relever les défis, quelque 650 millions de personnes, une personne sur dix sur la planète, vit avec un handicap, physique ou mental. Le nouveau rapport, qui doit être publié le 10 mai et discuté lors de la Conférence internationale du Travail 2007 qui débutera fin mai, dresse un panorama mondial de l'état de la lutte contre les diverses formes de discrimination au cours des quatre dernières années.

«Dans un pays en développement comme le Sri Lanka, le sous-développement économique et le chômage de masse font que les emplois sont rares et le risque de discrimination important. Bien qu'il existe un vaste corpus de droit du travail et de garde-fous juridiques pour prévenir les abus dans le secteur privé au Sri Lanka, les handicapés sont particulièrement vulnérables», déclare Manuela Tomei, spécialiste des questions de discrimination au BIT.

Un réseau d'employeurs pour le handicap a été créé avec le soutien de l'OIT pour offrir aux personnes handicapées une chance de devenir des travailleurs productifs. L'inspirateur du réseau est la Fédération des employeurs de Ceylan (EFC), la principale organisation patronale du Sri Lanka. Fondée en 1929, l'EFC représente 500 employeurs dans des secteurs qui couvrent l'industrie, les services, les banques, les sociétés d'import-export et les entreprises de commerce et de marketing.

Dès 1999, avec l'aide de l'OIT, l'EFC a lancé ce réseau qui met en relation des organisations d'aide aux handicapés avec le monde des affaires en développant les opportunités d'emploi et en permettant aux handicapés d'avoir accès à la formation professionnelle.

Meghamali Aluvihare de l'EFC précise qu'ils ont commencé avec un programme de sensibilisation du public pour contribuer à dissiper les préjugés sur les travailleurs handicapés. L'EFC a également créé une base de données mettant en relation les travailleurs handicapés avec les entreprises qui ont besoin d'eux. Avec le concours de l'OIT, l'EFC a organisé une bourse aux emplois réunissant personnes handicapées et employeurs locaux, dont la banque Sampath, l'une des entreprises leaders du secteur bancaire sri-lankais.

«La banque Sampath s'est fortement engagée dans le développement de son personnel et a beaucoup investi dans la formation et les ressources humaines», ajoute Mme Aluvihare de l'EFC, faisant de Sampath l'entreprise idéale pour embaucher des handicapés.

La banque a embauché sept personnes sourdes et muettes qui avaient participé à la bourse aux emplois organisée par l'EFC. Les dirigeants de la banque pensaient disposer d'offres adéquates pour les travailleurs handicapés.

Le service central de la caisse au siège de la banque à Colombo est le lieu où toutes les liquidités de la banque sont collectées et classées. Chaque jour, des millions de roupies sont triées et conditionnées, la fausse monnaie détectée et écartée. Ce travail implique très peu d'interaction avec le reste des opérations bancaires mais exige un haut degré d'honnêteté, d'intégrité et de minutie.

Pour tout banquier, la gestion des liquidités est une compétence essentielle, et les sept employés sourds et muets embauchés par la banque ont dû être formés pour accomplir leur tâche. Les formateurs ont dû apprendre la langue des signes pour communiquer avec les nouveaux employés et même le responsable du service a reçu une formation spéciale pour s'adresser à cette nouvelle équipe d'employés handicapés.

Les résultats ont largement dépassé les espérances, en particulier les attentes de ceux qui pensaient que cela ne marcherait jamais. Tous les sept employés se sont tellement bien intégrés dans le service qu'ils ne sont même plus considérés comme handicapés.

Selon le directeur du service, le niveau de productivité et d'efficacité des travailleurs handicapés a été évalué à trois fois plus élevé que celui des autres employés du même service. Qui plus est, le directeur précise que ces employés sont non seulement ponctuels mais qu'aucun d'entre eux n'a jamais pris aucun jour de congé maladie et, plus important encore pour l'activité du service de la caisse, il n'y a jamais eu la moindre plainte de conduite malhonnête ou suspecte tout au long de cette expérience.

L'une des plus grandes surprises, selon le directeur du service, fut la révélation d'un talent particulier et inattendu chez ces employés handicapés: en raison de leur grande malvoyance et de leur sens du toucher très développé, ils se sont montrés particulièrement doués pour détecter les faux billets.

Au cours des dernières années, l'EFC a pris d'autres initiatives pour intégrer davantage de ces travailleurs dans des emplois productifs. Au fil des ans, l'EFC a organisé cinq bourses aux emplois au cours desquelles plus de 250 personnes handicapées ont obtenu des emplois dans le secteur privé. L'EFC est en train d'en transcrire les enseignements, notamment avec le lancement d'un «Code pour gérer les questions de handicap au travail» à destination des employeurs.

Embaucher des personnes handicapées, c'est aussi avoir le sens des affaires

«La banque Sampath n'est pas un cas isolé. Les personnes handicapées ne comptent pas seulement parmi les travailleurs les plus productifs, mais les embaucher c'est aussi avoir le sens des affaires», déclare la spécialiste du BIT, Manuela Tomei.

Le nouveau rapport global cite des recherches qui révèlent des résultats détonants.

Deux tiers des employeurs australiens interrogés qui avaient embauché des handicapés ont déclaré que le coût des aménagements des lieux de travail était indolore dans la mesure où seuls 4 pour cent des handicapés en âge de travailler nécessitent des ajustements supplémentaires du lieu de travail. De nombreuses sociétés ont effectivement réduit leurs coûts en embauchant des personnes handicapées. L'enquête australienne a montré que le coût moyen de recrutement d'un employé handicapé est de 13 pour cent inférieur au coût de recrutement d'un employé valide.

Le rapport global du BIT cite aussi des études à long terme conduites par DuPont, montrant que les travailleurs handicapés sont aussi, voire plus, performants comparés à leurs collègues valides.

Pour Jayamali Fernando, son handicap n'est plus un problème au travail. Elle n'est plus une «sourde et muette» mais simplement un membre à part entière, productif, de l'équipe de la caisse centrale de la banque Sampath. Comme tout autre employé, Mme Fernando tire bénéfice de la solide culture de la banque en matière d'apprentissage, profitant des possibilités de formation et développant ses compétences dans un métier qu'elle aime et dans lequel elle excelle.

Note 1 - L'égalité au travail: relever les défis, Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, Conférence internationale du Travail, 96e session 2007, Bureau international du Travail, Genève. ISBN 978-92-2-218130-8, ISSN 0251-3218.