L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
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85
e session 1997


L'action normative de l'OIT
à l'heure de la mondialisation

Rapport du Directeur général

Résumé


Bureau international du Travail    Genève


TABLE DES MATIÈRES

Introduction

I. Une plus grande universalité dans la promotion des conditions essentielles
    et de la dynamique du progrès social

II. Des normes mieux ciblées pour un meilleur impact

Conclusions générales

Postface

Annexe


INTRODUCTION

Depuis le dernier rapport du Directeur général du BIT consacré à l'action normative de l'OIT, voici treize ans, l'environnement économique, politique et social de cette action a subi une mutation telle que notre Organisation n'en avait sans doute jamais connu. Avec le mur de Berlin s'est effondré le monde d'affrontement idéologique bipolaire qui avait vu naître l'Organisation internationale du Travail et qui, pour certains cyniques, était sa principale raison d'être, tandis que la disparition du système d'économie dirigée a précipité l'avènement d'un marché global dont les lois, les promesses et les risques s'étendent désormais à l'univers tout entier.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer certains aspects de l'impact de ces transformations sur l'action et la fonction normatives de l'OIT dans le rapport intitulé Des valeurs à défendre, des changements à entreprendre, présenté à la Conférence à l'occasion du 75e anniversaire de l'OIT. Le moment me paraît cependant venu de reprendre l'examen de la question de manière plus systématique avec quelques années de recul. Trois considérations principales m'ont conforté dans cette conviction. D'abord, en 1994, la Conférence, dans la résolution concernant le 75e anniversaire de l'OIT et son orientation future, avait émis le souhait d'être tenue informée du résultat de l'examen des propositions du Directeur général en vue de revitaliser l'OIT et d'adapter ses moyens d'action compte tenu de l'évolution de la situation mondiale. Le progrès des réflexions intervenu depuis justifie pleinement de répondre maintenant à ce souhait. Ensuite, les incidents qui ont marqué la discussion de la convention sur le travail à domicile l'an dernier ont confirmé l'existence d'une fêlure dans le large consensus dont cette activité a depuis toujours fait l'objet au sein de l'OIT et dont elle ne saurait se passer. Enfin, et dans le même temps, les multiples et flatteuses références qui ont été faites à l'action normative de l'OIT dernièrement, de Copenhague à Singapour en passant par le Sommet du G7 sur l'emploi à Lille et par l'OCDE, ont fait apparaître en pleine lumière les attentes et l'intérêt renouvelés qu'elle suscite de tous côtés et, par voie de conséquence, la responsabilité historique qui nous échoit d'agir sans tarder pour ne pas les décevoir.

Si le présent rapport s'inscrit dans le droit fil de celui du 75e anniversaire de l'OIT, mon propos n'est pas de passer en revue l'ensemble des développements intervenus depuis, sauf pour rappeler brièvement les deux chantiers d'importance fondamentale ouverts en 1994. Le premier est consacré à la dimension sociale de la libéralisation des échanges, dont je parlerai dans la première partie. Sur le plan normatif, ce chantier a permis de focaliser l'attention sur la signification particulière des droits fondamentaux des travailleurs dans le contexte de la libéralisation des échanges et de la mondialisation de l'économie. Sous l'impulsion du groupe de travail créé par le Conseil d'administration pour débattre de cette question ainsi que de la Commission des questions juridiques et des normes internationales du travail du Conseil, diverses formules concrètes ont été mises à l'étude pour renforcer l'application universelle de ces principes. Le second chantier concerne la révision et la mise à jour du corpus normatif dont l'OIT peut légitimement être fière; des progrès considérables ont été réalisés, dont l'un des premiers aboutissements se trouve déjà devant la Conférence cette année sous la forme d'une proposition d'amendement constitutionnel visant à habiliter la Conférence à abroger les conventions qu'elle jugerait obsolètes.

L'objet des réflexions qui vont suivre est essentiellement de poursuivre l'examen systématique des défis mais aussi des chances sans précédent dont les transformations de l'environnement international sont porteuses pour l'avenir de l'action normative de l'OIT, et de manière plus spécifique pour la production de nouvelles normes.

Comme je l'ai déjà rappelé en 1994, les normes de l'OIT ne sont en effet pas une fin en soi; elles sont l'un des moyens - incontestablement le plus important - dont l'Organisation dispose pour atteindre ses objectifs et concrétiser les valeurs énoncées dans sa Constitution et dans la Déclaration de Philadelphie. Ces valeurs sont celles de la dignité de la personne humaine, et en particulier l'affirmation de cette dignité au travail et par le travail, à travers notamment l'affirmation solennelle du principe selon lequel le travail n'est pas une marchandise. On ne peut dès lors prétendre renouveler et raffermir le consensus au sujet de l'activité normative de l'OIT sans considérer l'impact du nouvel environnement international à la fois sur les acteurs du progrès social qui sont les destinataires des nouvelles normes et sur les valeurs dont elles sont les instruments. Il me paraît utile de préciser brièvement quelle est la nature de ce double impact.

Les acteurs d'abord: l'action normative est censée s'exercer par le relais obligé sinon exclusif des Etats Membres. Mais alors que le phénomène complexe d'interdépendance économique résultant des échanges de marchandises et de services et des flux de capitaux, que par commodité on résume sous le vocable de mondialisation, semblerait appeler une action globale et universelle, ce même phénomène affecte, sous la pression d'une concurrence internationale accrue, la capacité des Etats à servir ainsi de relais comme ils sont censés le faire conformément à la Constitution de l'OIT.

Ainsi que le confirme le dépouillement des réponses au questionnaire d'évaluation de l'incidence de la mondialisation et de la libéralisation des échanges sur la réalisation des objectifs sociaux de l'OIT distribué à la demande du groupe de travail du Conseil d'administration, la mondialisation a poussé bon nombre d'Etats à entreprendre un certain nombre de réformes législatives pour être à même de faire face à la concurrence internationale dans de meilleures conditions. Même si cela ne ressort pas aussi nettement des réponses, il paraît vraisemblable que la décrue relative des ratifications de conventions peut, au moins dans certains cas, s'expliquer dans cette perspective par une certaine réticence à souscrire des engagements internationaux à long terme.

La mondialisation peut inhiber de manière plus indirecte l'aptitude des Etats à assumer leur rôle de relais dans la mesure où elle pousse à la constitution, à l'élargissement ou au renforcement de blocs économiques dotés d'une certaine autonomie de compétence. Lorsqu'ils atteignent un certain degré d'intégration, de tels blocs se trouvent pratiquement dans une situation analogue à celle des Etats fédéraux en ce qui concerne au moins les perspectives de ratification des nouvelles conventions.

La mondialisation pousse enfin sur la scène des acteurs nouveaux issus de la société civile, autres que les partenaires non gouvernementaux de l'OIT, qui viennent poser en toute indépendance leurs propres exigences normatives à côté de celles des Etats, et d'une certaine manière en concurrence avec elles.

Globalement, l'interpénétration des économies semble en tout cas rendre plus pressante la nécessité d'opérer des choix et des arbitrages difficiles, et donc plus attrayante la tentation de la non-intervention, voire de la déréglementation. Et, par ricochet, l'OIT risque de se trouver elle-même de plus en plus confrontée à la nécessité de faire des choix, et peut-être même de s'interroger sur la priorité à donner à des objectifs entre lesquels les textes fondamentaux n'établissent pas de hiérarchie. Pour ne prendre qu'un exemple, la Déclaration de Philadelphie proclame dans son point III a) l'obligation pour l'Organisation de seconder la mise en uvre de programmes propres à réaliser la «plénitude de l'emploi et l'élévation des niveaux de vie», tout en préconisant l'extension des mesures de sécurité sociale. Devant le débat qui se développe au sujet des liens entre le chômage, la création d'emplois et les garanties de stabilité d'emploi reconnues aux travailleurs, l'action normative de l'OIT peut difficilement, si elle veut conserver sa crédibilité et sa pertinence, se borner à tenir simplement pour acquis que tous ces objectifs peuvent être poursuivis de front. Elle doit, faits à l'appui, en apporter la démonstration ou, le cas échéant, proposer un ordre de priorité.

Les valeurs ensuite. Certes l'expression des valeurs de l'OIT n'est pas fixée de manière intangible. Il est dans la nature des choses, de l'évolution des contraintes technologiques ou des mentalités, de conduire parfois à les réinterpréter. La mondialisation et la porosité des structures étatiques posent cependant un problème d'une tout autre ampleur qui touche à la notion même de justice sociale ou, en tout cas, à certaines de ses expressions essentielles telles que le principe à «travail égal, salaire égal» que le Préambule de la Constitution énonce en termes absolus. De manière implicite, mais en cela la Constitution ne dit pas autre chose que la plupart des philosophes qui s'efforcent de renouveler le concept et de le rendre opérationnel, le cadre dans lequel la justice sociale est censée s'accomplir est celui de chaque Etat, supposé démocratique. La mondialisation fait éclater ce cadre de référence d'abord en favorisant les comparaisons entre travailleurs d'un même groupe industriel ou d'un même métier dans le monde, et non plus seulement à l'intérieur d'un même pays. A travers les inégalités qui se creusent dans les pays développés, il se pourrait qu'elle fasse apparaître ce principe bien davantage comme une menace que comme une promesse. Certes, rien ne prouve que la mondialisation soit directement la cause de ces inégalités - et je me bornerai à renvoyer sur ce point au dernier rapport sur L'emploi dans le monde(1) . Au-delà des divergences d'interprétation qui séparent les spécialistes, le phénomène risque pourtant de continuer à être largement perçu dans l'opinion comme exprimant la tendance inévitable au nivellement par le bas de la rémunération du travail pour des travaux de (faible) qualification identique sur un marché où les marchandises et les capitaux peuvent circuler librement.

Si la mondialisation oblige à revenir sur les concepts et valeurs fondamentales de l'action normative et à en préciser le sens ou la pertinence, elle instille aussi de manière insidieuse et plus radicale le doute sur la prééminence de ces valeurs. La fin de la bipolarisation idéologique, sociale et politique combinée à la mondialisation charrie une nouvelle Weltanschauung qui fait de ce mouvement sa propre justification et sa propre fin. Par une curieuse ironie de l'histoire, les lendemains qui chantent ne seraient plus ceux de la fin de la lutte des classes, qui aurait enfin trouvé son accomplissement dans le dépérissement de l'Etat: ils seraient à attendre du dessaisissement de l'Etat de ses prérogatives économiques et sociales au profit d'une société civile globale soumise aux seules lois de la rationalité économique, elle-même seule garante d'une prospérité future dont les promesses devraient suffire à faire oublier la dureté du présent. Ce nouvel avatar de l'idéologie du progrès qui, comme tous ceux qui l'ont précédé, s'obstine à affirmer la prééminence de l'humanité en marche sur les hommes de chair et de sang pourrait bien, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, déboucher sur les mêmes désillusions.

La communauté internationale saura-t-elle faire l'économie de ces nouvelles désillusions? Saura-t-elle comprendre que, si la mondialisation est un facteur probablement sans équivalent de progrès et de paix, elle ne peut être laissée à elle-même? Cela dépend largement de nous. Je suis convaincu en effet que les défis que je viens de décrire offrent en même temps une chance nouvelle et exceptionnelle à l'action normative de l'OIT en la plaçant au cur des inquiétudes qui seront celles du XXIe siècle. L'emballement de la mondialisation, l'obsession de la compétitivité et l'évacuation des valeurs commencent à susciter des réactions et des interrogations salutaires, y compris parmi les agents de la mondialisation eux-mêmes. Ainsi, parmi d'innombrables témoignages, celui d'un des «gourous» des marchés financiers(2) a davantage qu'une simple valeur anecdotique. Dénonçant la conception très répandue selon laquelle la mondialisation serait irréversible en raison de la puissance des marchés financiers, il soulignait récemment le danger de graves contrecoups du fait du caractère trop rapide et trop généralisé d'un phénomène qui «n'a pas de bases suffisamment solides, de valeurs assez fortes pour durer», en insistant sur la nécessité de limiter une compétition débridée qui ne mène pas automatiquement à une meilleure répartition des ressources et de «lutter pour certaines valeurs fondamentales, à commencer par la justice sociale, impossible à sauvegarder dans le cadre d'une compétition effrénée». Ce propos rejoint bien sûr la conviction première sur laquelle repose l'existence de l'OIT: le travail n'est pas une marchandise. Même s'il était démontré que l'exploitation du travail des enfants puisse présenter un avantage économique pour ceux qui la pratiquent, elle doit continuer de révulser une conscience saine.

La même préoccupation s'affirme parmi les responsables des organisations économiques et financières internationales. Le nouveau Secrétaire général de l'OCDE insistait ainsi tout récemment sur la nécessité de prendre garde aux tensions sociales liées à la mondialisation et en particulier aux écarts de revenu qui ont tendance à se creuser beaucoup trop et risquent de remettre en cause la stabilité sociale. Cette mise en garde semble faire écho à l'avertissement que, dans une analyse alarmiste et controversée mais qui, sur ce point au moins, ne prête sans doute pas à discussion, lançait il y a peu un observateur américain(3) : la meilleure chose qui puisse être léguée à la prochaine génération est la paix sociale.

Or telle est bien la vocation fondamentale et permanente de l'OIT. S'il ne s'agit plus tellement pour elle d'être, à travers la justice sociale, la garante de la «paix universelle» (entendue comme l'absence de conflits interétatiques) comme le dit le Préambule de sa Constitution, elle conserve plus que jamais sa raison d'être en tant que garante d'une paix sociale sans laquelle ni le système commercial multilatéral, ni le système financier et, par voie de conséquence, l'économie mondialisée ne sauraient se développer ni même survivre. Il n'est certainement pas fortuit à cet égard que, contrairement à une idée très répandue, les marchés financiers aient plutôt tendance à bouder les paradis de l'ultra-libéralisme et à préférer les pays dont les structures réglementaires permettent d'assurer une croissance économique durable et suffisante pour éviter les troubles sociaux majeurs et des crises politiques aiguës.

Pour relever ce défi et répondre à ces attentes, l'OIT doit cependant se montrer capable de faire elle-même le tri entre les fins et les moyens et faire accomplir une sorte de saut qualitatif à son action normative: d'une part pour lui permettre de dépasser les limites inhérentes au fait qu'elle est tributaire de l'action des Etats alors que s'affirment les réalités transfrontières de la mondialisation, et d'autre part pour offrir en même temps à chaque Etat pris individuellement des orientations utiles et concrètes qui l'aident à progresser de manière effective dans le sens de ses objectifs. Ce saut qualitatif devrait être opéré dans deux directions complémentaires et interdépendantes:

I. UNE PLUS GRANDE UNIVERSALITE DANS LA PROMOTION
   
  DES CONDITIONS ESSENTIELLES ET DE LA DYNAMIQUE
   
  DU PROGRÈS SOCIAL

Au-delà des polémiques inévitables, du caractère parfois répétitif des arguments et de ce qui a pu apparaître momentanément comme une impasse, le Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international institué par le Conseil d'administration à la suite de la Conférence en 1994 a apporté une contribution irremplaçable en rassemblant les éléments qui aident à définir l'enjeu de la libéralisation des échanges, tel qu'il se pose pour l'OIT, et par là même à ouvrir la voie de solutions utiles et réalistes.

Sans reprendre ces débats, il me paraît utile d'indiquer la conclusion essentielle qui semble se dégager à cet égard, celle de l'interdépendance entre la libéralisation des échanges et les objectifs de l'OIT. La levée des obstacles au commerce international fournit en effet la matière première du progrès social, comme l'OIT l'a toujours implicitement admis, même au plus fort des années de dépression. Mais, en même temps, cette libéralisation peut représenter un risque dont nous avertit le Préambule de la Constitution de l'OIT, celui que la concurrence internationale, en inhibant la volonté de progrès de certains Membres, fasse «obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays».

Pour sa part, l'OIT est indispensable à la consolidation du système commercial multilatéral, non point, comme d'aucuns ont pu le penser, parce qu'elle devrait pallier les distorsions de concurrence qui, selon certains, résulteraient de la différence de niveau de protection, mais tout simplement pour que les promesses et les espoirs que ce système suscite dans l'opinion ne se transforment pas en des désillusions au point de le remettre en cause. Quelles que soient les divergences de vues quant aux incidences de la mondialisation sur le plan social, une constatation s'impose. La montée des contraintes et des inégalités qui accompagne le processus crée des tensions ou des craquements dont on trouve presque quotidiennement l'écho dans la presse des pays développés mais qui sont de plus en plus perceptibles également dans les pays en développement(4) . Le brutal mouvement social qui a affecté la République de Corée, dont les progrès économiques au cours des vingt dernières années avaient été des plus spectaculaires, confirme en tout cas que ces difficultés ne sont pas limitées aux vieux pays industrialisés. Nombre d'observateurs n'ont du reste pas manqué de relever le parallélisme entre ce mouvement - y compris l'écho qu'il a rencontré dans l'opinion - et celui qui avait secoué la France une année plus tôt.

Devant de tels phénomènes, on ne peut exclure que le mouvement de mondialisation ne se trouve remis en cause et ne crée la tentation d'un repli protectionniste. Il pourrait en particulier engendrer la tentation d'un tel repli autour de groupements économiques régionaux suffisamment autonomes sur le plan économique et homogènes sur le plan social.

L'enjeu étant ainsi circonscrit, l'objectif concret à atteindre se présente en termes plus réalistes et les moyens d'y parvenir deviennent relativement plus simples à définir.

Il ne s'agit pas en effet pour l'Organisation internationale du Travail de réaliser une quelconque uniformisation du niveau de protection sociale pour les besoins de la concurrence internationale. Il s'agit simplement d'assurer un certain parallélisme entre le progrès social et le progrès économique attendu de la libéralisation des échanges et de la mondialisation. A la lumière des débats, deux conditions essentielles et indissociables devraient permettre d'y parvenir:

A. LA RECONNAISSANCE DES DROITS FONDAMENTAUX DES
     TRAVAILLEURS EN TANT QUE CONDITION DU PROGRÈS SOCIAL

Les discussions sur la dimension sociale de la libéralisation des échanges, engagées à la suite de mon rapport en 1994, sont loin d'être achevées et, je l'ai dit, mon propos n'est pas d'en faire ici le bilan. Il est cependant important de permettre à la Conférence, qui, de manière très naturelle et légitime, a souhaité être tenue informée des résultats, de se rendre compte des progrès réalisés au moins sur le plan de la compréhension mutuelle et de l'émergence d'un début de consensus au sujet d'un principe tout à fait essentiel dont l'écho s'est fait entendre jusqu'à Singapour.

En 1994, le «débat» sur l'opportunité d'un lien éventuel entre la libéralisation des échanges et la protection des droits des travailleurs prenait la forme, entre partisans et adversaires de ce lien, d'accusations réciproques de dumping social et de protectionnisme. Dans mon rapport à la Conférence et dans le document qui a ensuite été présenté au Conseil d'administration en novembre de la même année(5) , je me suis efforcé de montrer qu'il s'agissait là d'un faux débat, reposant sur la prémisse plus ou moins implicite - mais qui n'était en tout cas ni très réaliste ni conforme aux principes de l'OIT - de la subordination de la libéralisation des échanges à un certain degré d'uniformisation du niveau de protection sociale. La différence des conditions et niveaux de protection est dans une certaine mesure liée à la différence des niveaux de développement. On ne peut refuser aux pays en développement les avantages (relatifs et transitoires) qui en découlent sous peine de leur refuser de participer aux bénéfices de la mondialisation et, par voie de conséquence, à la possibilité d'un développement social ultérieur. La Déclaration de Singapour, sur laquelle je reviendrai, montre que l'acceptation universelle de ces principes a fait son chemin.

Pour être légitime, ce raisonnement suppose cependant une condition fondamentale: le respect de certaines règles du jeu communes. Il suppose que certains droits fondamentaux, sans lesquels les travailleurs ne peuvent être assurés d'obtenir leur juste part des fruits du progrès économique généré par la libéralisation des échanges, soient garantis par l'ensemble des partenaires du système commercial multilatéral. La liste de ces droits ne semble plus guère prêter à contestation: liberté syndicale et négociation collective, interdiction du travail forcé, y compris celui des enfants, non-discrimination (sous la forme notamment du principe «à travail égal, salaire égal» proclamé dans la Constitution).

C'est pourquoi j'ai insisté depuis 1994 sur la signification particulière que revêt, dans le contexte de la libéralisation des échanges, la garantie des droits fondamentaux qui doivent permettre aux partenaires sociaux de revendiquer librement leur juste part du progrès économique engendré par la libéralisation des échanges.

Cette insistance a trouvé un premier écho, hors de l'OIT, lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague. Ayant souscrit l'engagement de favoriser le plein emploi en en faisant une priorité de base de leurs politiques économiques et sociales et de donner à tous, hommes et femmes, la possibilité de s'assurer des moyens de subsistance sûrs et durables grâce à un travail librement choisi et productif(6) , les participants au Sommet se sont accordés sur la nécessité, à cette fin, de promouvoir librement le respect des conventions pertinentes de l'OIT, notamment celles ayant trait à l'abolition du travail forcé et du travail des enfants, à la liberté syndicale, au droit d'organisation et de négociation collective et au principe de non-discrimination. C'est en application de cet engagement que j'ai demandé à tous les gouvernements qui ne l'avaient pas encore fait d'indiquer les mesures qu'ils comptaient prendre pour ratifier - et appliquer - les instruments pertinents.

Cette insistance a plus récemment reçu le renfort d'une étude de l'OCDE(7) qui analyse l'impact des normes fondamentales sur la position des pays concernés face au commerce international. Après avoir établi notamment sur le plan théorique que la mise en uvre de certains droits fondamentaux est de nature à renforcer le développement et à assurer une répartition des ressources de travail conforme aux exigences d'un marché libre, l'étude montre, à partir d'un examen plus empirique fondé sur l'impact de deux de ces normes, que les craintes selon lesquelles leur respect serait de nature à affecter la position concurrentielle des pays intéressés dans le contexte de la libéralisation sont dépourvues de fondement; on peut au contraire soutenir qu'il serait de nature à renforcer à long terme la performance économique de tous les pays.

La reconnaissance de la signification particulière des droits fondamentaux dans le contexte de la libéralisation des échanges a trouvé une dernière consécration importante dans la Déclaration ministérielle de Singapour où les ministres du commerce, tout en affirmant la légitimité de l'avantage comparatif des pays en développement à bas salaires, ont expressément renouvelé «[leur] engagement d'observer les normes fondamentales du travail internationalement reconnues» et précisé que l'OIT «est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper»(8) . La question est dès lors de savoir si (et de quelle manière) l'OIT peut assurer le respect de ces droits fondamentaux par l'ensemble des partenaires du système commercial multilatéral comme ils en ont exprimé la volonté à Singapour.

Ma réponse est un oui sans équivoque.

Il suffirait après tout pour que ces droits soient universellement assurés que le petit nombre de partenaires du système commercial multilatéral qui ne l'ont pas encore fait ratifient les conventions internationales du travail y relatives. Le succès assez encourageant de la campagne de ratifications que j'ai engagée depuis 1995 montre que l'objectif n'est peut-être pas hors de portée.

L'utilisation plus systématique - et peut-être plus inventive - des moyens dont l'OIT est pourvue, et en particulier de l'article 19.5 e) de la Constitution, pourrait apporter à ces efforts personnels un renfort appréciable.

Cette disposition offre en effet un levier qui est sans équivalent parmi les organisations internationales. Tout en respectant la prérogative que conserve chaque Etat de ratifier ou non les conventions de l'OIT, elle les assujettit tout de même à l'obligation de faire rapport sur leur législation et leur pratique dans la matière couverte par la convention. Le Conseil d'administration a toute discrétion pour décider de la fréquence des rapports qu'il peut demander à ce titre. Il va de soi que, dans le cas de conventions donnant effet à des droits considérés comme fondamentaux, le Conseil a toutes raisons de demander ces rapports à des intervalles plus fréquents: c'est effectivement ce qu'il a déjà décidé de faire à la suggestion du Bureau en prévoyant que des rapports seraient demandés tous les quatre ans pour chacun de ces droits.

Mais rien n'empêcherait d'aller encore plus loin. Les rapports en question (ou leur absence) peuvent servir non seulement à encourager les Etats qui ne l'ont pas encore fait à ratifier; ils pourraient permettre de discuter sur une base régulière, approfondie et tripartite (en tenant compte des commentaires fournis par les organisations d'employeurs et de travailleurs) de la situation des pays en cause au regard de ces droits fondamentaux. Pour avoir l'impact voulu, une telle réorientation appellerait sans doute certains aménagements à la procédure actuellement appliquée à l'ensemble des rapports au titre de l'article 19(9) . Elle pourrait peut-être, en particulier, accroître le rôle du Conseil, mais elle resterait parfaitement fidèle à la lettre et à l'objet de cette disposition.

Si cette utilisation renforcée de l'article 19 doit permettre de mettre en lumière la situation dans les pays qui n'ont pas ratifié les conventions fondamentales, et contribuer ainsi à les convaincre qu'il serait peut-être préférable pour eux de les ratifier, elle ne saurait pour autant leur imposer des obligations de fond. Pour parvenir à une application universelle de ces droits, une autre démarche possible et au reste parfaitement complémentaire consiste à se demander si, même en l'absence de ratification des conventions pertinentes, l'ensemble des Etats Membres ne se trouvent pas, du fait même de leur adhésion à la Constitution, aux objectifs et aux principes de l'OIT, soumis à un minimum d'obligations en matière de droits fondamentaux.

Il existe déjà un précédent en matière de liberté syndicale, l'OIT ayant déjà réussi à faire reconnaître la valeur universelle des principes de liberté syndicale et la nécessité pour l'ensemble de ses Etats Membres de les respecter.

En se fondant notamment sur l'affirmation de la liberté syndicale dans sa Constitution, elle a mis sur pied une procédure spéciale complétant les mécanismes généraux de contrôle de l'application des normes internationales du travail qui permet, tant aux gouvernements qu'aux organisations de travailleurs et d'employeurs, de déposer des plaintes pour violation des droits syndicaux contre les Etats, que ceux-ci aient ou non ratifié les conventions sur la liberté syndicale. Ces plaintes sont examinées par le Comité de la liberté syndicale, organe tripartite du Conseil d'administration présidé par une personnalité indépendante. Le comité procède à un examen préliminaire des plaintes en tenant compte des observations présentées par les gouvernements. Il peut être amené à recommander au Conseil d'administration, selon les circonstances, de ne pas poursuivre l'examen du cas, d'appeler l'attention du gouvernement sur les anomalies constatées en l'invitant à y remédier, ou encore d'essayer d'obtenir l'assentiment du gouvernement concerné pour en saisir la Commission d'investigation et de conciliation, procédure plus lourde et utilisée avec une plus grande parcimonie.

Depuis sa création en 1951, le comité a examiné plus de 1 900 cas, ce qui lui a permis d'élaborer, sur la base des dispositions de la Constitution de l'OIT et des conventions, recommandations et résolutions sur le sujet, un corps très complet de principes régissant la liberté syndicale et la négociation collective(10) , et d'agir, de l'avis même d'observateurs extérieurs, avec une efficacité raisonnable(11) .

On est donc amené à se demander si ce genre de solution pourrait également s'appliquer aux autres droits considérés comme fondamentaux dans ce contexte. Tel a été le principal objet du débat en cours au Conseil d'administration. Il tourne essentiellement autour de la question de savoir si la Constitution et la Déclaration de Philadelphie sont assez explicites pour permettre de considérer que le respect de ces droits fondamentaux est inhérent à la qualité de Membre de l'OIT, même si ce Membre n'a pas souscrit aux obligations plus détaillées qui résulteraient de la ratification des conventions correspondantes. Pour certains, cela exigerait de compléter et de préciser les textes existants par une éventuelle «déclaration» qui viendrait en quelque sorte expliciter la Constitution et la Déclaration de Philadelphie. D'autres n'en voient pas vraiment la nécessité, même s'ils n'y font pas nécessairement obstacle.

Sans préjuger de l'issue de ce débat, il me paraît utile pour la Conférence elle-même - que ledit débat intéresse au premier chef (puisque le moment venu il lui incombera d'en concrétiser et finaliser le résultat) - de préciser un certain nombre de points quant à la portée juridique et constitutionnelle d'une telle éventualité au regard du précédent de la liberté syndicale. Pour le succès de l'entreprise, il me paraît en effet important de souligner que, si le précédent de la liberté syndicale est effectivement pertinent pour des raisons que le Bureau a exposées avec un certain détail au mois de novembre 1996, le fait d'avoir établi sa pertinence constitutionnelle ne saurait suffire à le transposer de manière plus ou moins automatique au profit des autres droits fondamentaux considérés.

En premier lieu, la démonstration de la validité d'un précédent fournit simplement une base constitutionnelle pour agir; elle laisse entière la nécessité de prendre une décision politique pour transformer cette potentialité en action. Cette nécessité est d'autant plus évidente que la compétence de l'Organisation pour agir - qui découle de l'existence d'une base constitutionnelle - ne l'oblige pas à agir de la même manière au sujet de chacun des principes fondamentaux considérés (et l'on sait que certaines réticences se sont manifestées au sujet de l'opportunité d'agir dans le domaine fondamental mais immense et protéiforme de la discrimination). Il faut donc une décision et cette décision, quelle que soit sa dénomination ou sa forme, devra refléter une volonté aussi large que possible de l'ensemble de nos mandants. Au lieu de poursuivre le débat juridique sur la pertinence du précédent de la liberté syndicale, il me semble donc que le moment est venu de s'attacher à définir les grandes lignes d'une action relative à la promotion des autres droits fondamentaux de telle manière qu'elle recueille la large adhésion qui seule devrait permettre d'assurer la crédibilité et l'élan nécessaires à une entreprise aussi fondamentale pour l'avenir de l'Organisation.

En second lieu, une telle décision est indispensable pour fixer le contour des droits à protéger, en tenant compte des particularités de chacun d'eux. Il me semble utile d'insister en particulier sur le fait que, si le Conseil et la Conférence ont fondé la procédure relative à la protection de la liberté syndicale sur les conventions nos 87 et 98 en même temps que sur le Préambule de la Constitution de l'OIT, c'est parce que cela était parfaitement naturel et logique dans le contexte. D'une part, en effet, ce choix se justifiait tout à fait dans l'optique initiale d'où est issue la procédure actuelle, celle de la Commission d'investigation et de conciliation, qui supposait de toute manière le consentement des Etats. D'autre part, ces conventions venaient d'être adoptées et ne comprenaient que des principes simples qui semblaient expliciter de manière relativement succincte l'énoncé des principes constitutionnels.

Les mêmes considérations ne s'appliquent pas nécessairement pour les autres droits fondamentaux. Contrairement à la convention sur la liberté syndicale qui énonce les principes ou les règles applicables en des termes que l'on peut qualifier d'intemporels, ces conventions peuvent, comme c'est le cas pour le travail forcé, être assez fortement marquées par un contexte particulier ou, comme c'est le cas pour le travail des enfants, contenir un dispositif complexe visant à atteindre l'objectif énoncé - c'est-à-dire l'âge prescrit pour l'admission à l'emploi - par paliers. Cela étant, la formule d'une déclaration ou de tout autre texte solennel pourrait permettre de délimiter à partir des conventions l'essence, universellement reconnue, du droit fondamental sans courir le risque de paraître revenir sur la convention correspondante ou de l'affaiblir.

En troisième lieu, le fait de ne pas suivre à la lettre le précédent de la liberté syndicale ne saurait en aucune manière être perçu comme une régression. Il devrait être bien entendu à cet égard que toute extension éventuelle ne saurait en aucun cas revenir sur ce qui a été réalisé en matière de liberté syndicale. Il s'agirait de compléter les mécanismes existants et non point de les remplacer. Il va de soi à cet égard qu'une telle question ne saurait être présentée à la Conférence que lorsque la volonté politique se sera cristallisée au Conseil sur une décision au contour déjà suffisamment élaboré.

La base et l'objet des obligations inhérentes à la qualité de Membres étant ainsi définis, il resterait enfin à préciser le mécanisme de suivi et de mise en uvre. A nouveau, rien n'oblige à copier les mécanismes qui ont été adoptés en matière de liberté syndicale, même s'ils fournissent une référence et une expérience utiles et intéressantes. En fait, il appartiendra au Conseil et par la suite à la Conférence de définir la procédure la mieux adaptée à la protection des droits fondamentaux considérés - une fois défini leur contour - en exploitant dans toute la mesure possible les mécanismes établis et en tenant compte de toutes les contingences logistiques et financières pertinentes. Le mécanisme de suivi pourrait le cas échéant être incorporé à la décision, quel qu'en soit le nom ou la forme, visant à établir le principe et les modalités générales de la protection de ces droits et obligations fondamentaux, comme cela a, d'une certaine façon, été fait en matière de liberté syndicale.

B. LA STIMULATION INSTITUTIONNELLE DE LA DYNAMIQUE
     DU PROGRÈS SOCIAL

L'accent qui vient d'être mis sur la signification particulière des droits fondamentaux dans le contexte de la mondialisation ne doit prêter à aucune équivoque. Si la garantie de ces droits représente une condition sine qua non de la possibilité d'un progrès social «auto-entretenu», elle ne saurait être considérée comme suffisante. Les Etats ne sauraient se contenter de s'entendre sur les règles du jeu; ils sont censés participer à ce «jeu» de manière active en accompagnant le progrès de la libéralisation sur le plan social à travers, notamment, la mise en uvre des autres normes de l'OIT. Il existe bien d'autres droits qui, sans pouvoir se qualifier de «fondamentaux» (au sens où leur mise en uvre serait considérée comme prioritaire), n'en revêtent pas moins une importance fondamentale, et l'on pourrait même dire vitale, pour les travailleurs; il suffit à cet égard de songer à certaines mesures de sécurité et de santé au travail dont l'absence peut coûter de lourdes pertes humaines. Les progrès et les transferts technologiques qui accompagnent la libéralisation des échanges à travers les délocalisations devraient donc impérativement être accompagnés et encadrés sur le plan de la législation nationale en matière de sécurité pour éviter que l'on n'assiste à un phénomène de «transfert des risques», auquel il a été fait référence en particulier lors de l'élaboration de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale.

De manière plus générale, il me semble important de souligner à nouveau que la libéralisation des échanges et le progrès social ne sauraient aller l'une sans l'autre. Pour assurer la solidité même du système commercial multilatéral, dont le maintien est certainement la condition du progrès social à travers les richesses qu'il permet de produire, il faut prouver que ses promesses ne sont pas vaines, illusoires ou distribuées de manière par trop inéquitable. Le problème n'est pas, je n'ai cessé de le répéter depuis le début de ce débat, d'imposer de l'extérieur une réglementation uniforme. Il est que chaque Membre s'efforce d'agir selon ses possibilités en consultation avec les partenaires sociaux et que la réalité de ces efforts puisse être objectivement constatée sur le plan international.

On se dira sans doute que le système constitutionnel de l'OIT est déjà censé répondre à cet objectif. D'une part en effet la Constitution oblige chaque Membre à soumettre dans un délai de douze à dix-huit mois après son adoption toute nouvelle convention et recommandation à l'autorité compétente, c'est-à-dire en général au parlement; d'autre part, les instruments doivent être conçus de manière à tenir compte des possibilités de chaque pays. Ainsi, chaque Membre, s'il entend s'acquitter de bonne foi de ses obligations, doit être à même de mettre en uvre progressivement les normes de l'OIT, en fonction de ses possibilités.

Il est vrai en effet que ce système a longtemps paru assurer de manière indirecte l'accompagnement social du développement économique et des échanges commerciaux. Si, dans la période d'avant guerre, les déceptions rencontrées en ce qui concerne la ratification des conventions les plus sensibles sur le plan de la concurrence internationale firent parfois douter de sa valeur, les circonstances de l'après-guerre ont, dans le sillage de la réforme constitutionnelle de 1946, éclipsé ce débat en installant pendant plus de trente ans une sorte de «cercle vertueux» du progrès social. La croissance économique permettait aux pays industrialisés, solidement campés sur leur avance technologique, de se montrer généreux; la compétition idéologique entretenait une certaine émulation entre les pays des deux camps à faire preuve de leur supériorité sociale, y compris à travers les ratifications; et il n'est pas jusqu'à la décolonisation qui n'ait contribué à ce phénomène à travers la reconnaissance par les pays successeurs des ratifications souscrites par les ex-puissances coloniales (en multipliant d'autant le nombre de ces ratifications).

Cette conjonction exceptionnelle de circonstances est cependant loin derrière nous, et le changement du contexte politique et économique a montré les limites de ce système; une concurrence plus âpre s'est installée qui, à travers notamment les délocalisations, a pu donner l'impression que le niveau de protection sociale élevé pouvait devenir un désavantage compétitif. D'autres phénomènes, que j'ai évoqués en introduction, sont venus s'y greffer pour donner l'impression d'un piétinement du progrès, au moins sous la forme relativement tangible de la ratification de nouvelles conventions. En fait, si l'on ne peut manquer de constater que la libéralisation des échanges et la mondialisation ont apporté une amélioration visible de la situation matérielle d'un grand nombre de travailleurs à travers le monde, il n'est pas certain que ces progrès, souvent spontanés, profitent de manière raisonnablement équitable à tous. Face à cette situation, le rôle de l'OIT est certainement d'abord d'améliorer la connaissance des réalités et, à travers elle, de renforcer la prise de conscience naissante que le progrès et la justice sociale peuvent - outre leurs mérites intrinsèques - constituer un bon investissement pour la stabilité et pour la compétitivité à long terme de l'économie. Des études par pays et divers projets de recherche en cours devraient y contribuer.

Sur le plan institutionnel et normatif qui nous intéresse ici, la question est de savoir de manière plus spécifique si, sans s'écarter de sa démarche volontariste et incitative, l'OIT dispose des moyens institutionnels nécessaires pour encourager et mesurer de manière plus directe et plus systématique les efforts déployés par les Etats pour traduire concrètement les bénéfices de la mondialisation en termes d'avancées sociales - qu'elles prennent ou non la forme de la ratification de conventions - et par là même permettre à l'opinion publique d'apprécier de manière objective les retombées positives de la mondialisation sur le plan social. Je suis convaincu pour ma part que, sous réserve de quelques aménagements, les potentialités du système constitutionnel de l'OIT tel qu'il existe sont loin d'être épuisées.

Deux directions doivent être explorées à cet égard: l'une viserait à stimuler directement les efforts des Etats par un système d'accompagnement et d'encouragement mutuel de ces efforts. La deuxième serait de les encourager indirectement à travers la mobilisation des acteurs non gouvernementaux.

1. Par un système d'émulation entre les Etats

Le système constitutionnel de l'OIT est un système que l'on peut qualifier de «vertical» en ce sens qu'il s'efforce d'encourager les efforts de chacun de ses Membres séparément en direction de ses objectifs. Comme je m'efforcerai de le montrer dans la deuxième partie, les possibilités très remarquables qu'il offre à cet égard n'ont pas encore été toutes systématiquement exploitées. A travers un meilleur suivi des recommandations, il devrait aussi être possible de mieux apprécier les progrès accomplis dans chaque Etat autrement que sous la forme de ratifications de conventions. La vision que ces diverses procédures permettent de dégager semble cependant vouée à rester relativement fragmentaire; elle n'offre pas de panorama d'ensemble «horizontal» des efforts de progrès réalisés tenant compte des possibilités (ou handicaps) accrus résultant de la mondialisation au cours d'une période donnée. La question qui se pose est donc de savoir s'il ne serait pas possible de guider, d'encadrer, et même d'évaluer de manière plus directe et globale ces efforts individuels par un système d'accompagnement et d'encouragement mutuel en fonction de leurs possibilités spécifiques. Trois aspects doivent être examinés pour y répondre: quels pourraient être les principes d'un tel encadrement; dans quelle mesure l'OIT dispose du mandat approprié pour en assurer le suivi; quel pourrait en être la forme ou l'instrument juridique.

a) Autour de quels principes?

La première question est de savoir si, au-delà du principe sans doute difficilement contestable selon lequel les Membres de l'OIT doivent dans toute la mesure de leurs moyens promouvoir le progrès social, l'Organisation peut leur offrir des principes ou des méthodes utiles pour parvenir au résultat recherché, sans se substituer à des choix ou à des arbitrages qui, au-delà de la garantie des droits fondamentaux, doivent continuer de relever de chacun d'eux. Il semble que le progrès des discussions à l'OIT et dans d'autres enceintes devrait permettre de dégager un certain nombre de principes communs relativement simples.

Le premier, qui a été réaffirmé par les ministres du commerce à Singapour, est que l'avantage comparatif lié à un certain niveau de salaire ou de protection sociale est légitime, en particulier dans la mesure où il est facteur de croissance économique et, par voie de conséquence, de progrès social: ce principe appelle cependant à mes yeux un corollaire selon lequel l'avantage comparatif ne devrait pas être maintenu de manière artificielle au détriment du progrès social comme un simple outil de conquête des marchés, faute de quoi il perdrait toute légitimité.

Le deuxième est que, si le choix des domaines et des priorités sociales auxquels devront être affectés les fruits de la croissance et de la prospérité engendrés par la mondialisation est affaire de préférences nationales, il existe cependant un «programme minimum» que chacun devrait s'efforcer de réaliser. A diverses reprises lors des discussions récentes au Conseil d'administration, on s'est à cet égard référé à l'ex-article 41 de la Constitution (article 427 du Traité de Versailles) connu sous le nom de «clauses ouvrières». A côté de l'affirmation de certains droits fondamentaux, ces clauses énumèrent un nombre d'objectifs essentiels (en matière de salaires, de durée de travail, de repos hebdomadaire) qui, sans être «complets ou définitifs», seraient de nature, «s'ils sont adoptés par les communautés industrielles [...] et [...] maintenus intacts dans la pratique par un corps approprié d'inspecteurs», [...] à répandre «des bienfaits permanents sur les salariés du monde»(12) . Alors que l'énoncé des droits fondamentaux contenu dans cette disposition a été éclipsé par la Déclaration de Philadelphie et l'évolution ultérieure, ces objectifs essentiels de progrès demeurent largement valables. Dans la mesure où cette disposition a été retirée de la Constitution sans être formellement abrogée(13) , elle pourrait donc facilement être «réactivée» par la Conférence.

Le troisième est que, au-delà de ce «programme minimum», l'ensemble des travailleurs d'un pays, et pas seulement ceux qui travaillent pour le marché mondial, devraient pouvoir profiter de manière équitable des fruits de la mondialisation. Il ne s'agit là nullement d'un principe irréaliste ou hors d'atteinte. La méthode pour y parvenir découlerait tout naturellement et de manière très opérationnelle de la logique tripartite de l'OIT. Si la détermination des priorités et du contenu spécifiques du progrès social doit continuer de relever des préférences nationales, elle devrait logiquement se concrétiser par des consultations entre les partenaires sociaux quant à l'utilisation des fruits de la mondialisation et à la répartition de ses coûts dans le prolongement de la recommandation (no 113) sur la consultation aux échelons industriel et national, 1960, ainsi que de la convention (no 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail et de la recommandation (no 152) sur les consultations tripartites relatives aux activités de l'Organisation internationale du Travail, 1976.

Une deuxième considération devrait sans doute être ajoutée à ce dispositif pour en renforcer l'efficacité. L'expérience montre que les principes les mieux établis dans une organisation sont parfois oubliés dans les autres. Il ne serait donc certainement pas superflu de compléter l'énoncé des principes et moyens qui viennent d'être évoqués en rappelant aux Membres de l'OIT qu'ils restent liés au sein des autres instances internationales auxquelles ils participent, et en particulier des instances économiques et financières, par les obligations auxquelles ils ont souscrit en adhérant à l'OIT.

b) En vertu de quel mandat?

Pour que ces principes et méthodes puissent de manière effective réactiver l'émulation au progrès social et pour que l'opinion publique internationale puisse se rendre compte objectivement que les promesses de la libéralisation et de la mondialisation de l'économie ne sont pas un leurre, il faudrait évidemment qu'ils puissent faire l'objet d'un certain suivi; la deuxième question qui se pose est alors de savoir si un tel suivi entrerait bien dans le mandat de l'OIT, dans la mesure en particulier où ses Membres devraient accepter le principe d'un examen global et réciproque de leurs efforts au regard des bénéfices qu'ils ont pu tirer de la mondialisation.

A nouveau, la réponse est clairement positive. On peut observer d'abord que la Déclaration de Philadelphie ne contient pas seulement un mandat très large qui autorise l'OIT à apprécier les mesures prises dans le domaine économique et financier aux niveaux national et international à l'aune de ses propres objectifs, mais lui fait obligation de seconder la mise en uvre, parmi l'ensemble de ses Membres, de programmes propres à réaliser «la possibilité pour tous d'une participation équitable aux fruits du progrès en matière de salaires et de gains, de durée du travail et autres conditions de travail». On peut observer par ailleurs que les Membres de l'OIT, en acceptant l'engagement de travailler à la réalisation de ses objectifs de bonne foi, ont reconnu la nécessaire interdépendance de leurs efforts et, par voie de conséquence, un certain droit de regard réciproque. L'attendu fameux du Préambule de la Constitution selon lequel «la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays» doit être lu dans cette perspective. S'il suppose l'existence d'une économie mondiale ouverte, cette ouverture exige également que tous les partenaires jouent correctement le jeu du progrès social. Si, dans cette perspective, l'introduction d'une conditionnalité sociale est un non-sens car l'ouverture des marchés est dans une large mesure une sorte de préalable au progrès social, il serait tout aussi contradictoire de revendiquer un accès au marché de l'ensemble des partenaires au nom du progrès social tout en prétendant n'avoir aucun compte à rendre à cet égard.

c) Sur la base de quel instrument?

La troisième question est celle du choix de l'instrument de la mise en uvre de ces principes. Compte tenu du mandat très large de l'Organisation tel qu'il vient d'être indiqué, cet instrument pourrait prendre la forme d'une déclaration ou d'une charte solennelle adoptée par la Conférence, comme la possibilité en a déjà été évoquée à propos des droits fondamentaux, mais il serait tout à fait concevable de lui donner aussi la forme d'un instrument normatif «classique» totalement distinct. La convention (no 117) sur la politique sociale (objectifs et normes de base), 1962, offre à cet égard sinon un modèle(14) du moins un précédent. Son objet ne serait pas sans parenté avec celui du texte qui est envisagé ici puisqu'il visait, au moment de l'accession à l'indépendance d'un grand nombre de pays anciennement colonisés, à fixer des lignes directrices et des priorités d'action dans le domaine spécifique de la politique sociale. La forme conventionnelle que l'on a cru bon de lui donner à l'époque ne serait en revanche pas la plus indiquée dans le contexte qui nous intéresse ici.

Une recommandation assortie du dispositif de suivi dont il sera question dans la deuxième partie pourrait en revanche fort bien se prêter à l'objectif promotionnel visé ici. Rien n'empêcherait de préciser dans l'instrument lui-même le mécanisme de supervision qui lui serait appliqué. Ce suivi pourrait prendre par exemple la forme d'un rapport périodique du Directeur général sur «le progrès social dans le monde» dont la discussion pourrait, le cas échéant, être assurée par une commission ad hoc de la Conférence.

2. Par la mobilisation des acteurs non gouvernementaux

Dans mon rapport de 1994, j'avais souligné que l'une des deux limites de l'action normative de l'OIT dans le contexte de la mondialisation était qu'elle a pour interlocuteurs des Etats dont la volonté et la capacité de suivre ses orientations se trouvent affectées par la concurrence internationale étant donné, comme on a pu le relever, que les capitaux sont devenus mobiles alors que tel n'est pas le cas des travailleurs, et encore moins celui de ces Etats. Si les analyses et les suggestions qui précèdent devraient contribuer à ranimer la volonté des Etats par un système d'incitation, il reste vrai que le progrès social n'est plus seulement l'affaire des Etats; il sera de plus en plus l'affaire d'autres acteurs, et en particulier des entreprises de production et de distribution et des consommateurs. Ce mouvement s'exprime à travers deux phénomènes, dont le premier est étroitement lié au second; il s'agit, d'une part, de la prise de conscience par de grandes ou de moins grandes entreprises des répercussions sociales ou environnementales de leur action et, d'autre part, de la prise de conscience parmi les consommateurs et leurs organisations (en particulier dans les pays développés) des responsabilités qui leur reviennent à travers leurs choix en matière de protection de l'environnement et des droits de l'homme. Ce double mouvement convergent peut prendre selon le cas la forme de chartes ou de codes de pratiques pour les producteurs et de «labels» garantissant les conditions de fabrication des articles à l'intention des consommateurs.

A condition de ne pas se transformer en barrières techniques aux échanges, ces dispositifs volontaires semblent échapper aux critiques ou à la censure dont les clauses sociales, en raison de leurs connotations protectionnistes, ont pu faire l'objet sur le plan des disciplines du commerce multilatéral, puisqu'il s'agit simplement d'assurer l'information des consommateurs sans se substituer à leurs choix(15) . Sur le plan des principes, le fait que les consommateurs soient prêts à payer pour leurs préférences environnementales ou sociales n'a en effet rien de commun avec la situation où, à travers une conditionnalité qui aurait pour résultat d'augmenter le prix des produits, une préférence sociale leur serait imposée. Pour les multinationales, de telles solutions volontaires peuvent parer à la tentation que pourraient un jour avoir les législations nationales de soumettre leurs filiales au respect de certaines règles d'ordre public en matière sociale en invoquant les conséquences que la violation de celles-ci pourrait avoir sur leur territoire.

Ces labels suscitent cependant quelques perplexités dans les pays en développement, et parfois même la crainte que ce genre de solution décentralisée ne soit utilisée de manière discriminatoire dans un but protectionniste ou politique. C'est pourquoi, semble-t-il, certains se sont déjà inquiétés du fait que le Bureau ait commencé à rassembler des éléments d'information sur le sujet. Ces inquiétudes appellent une mise au point précise.

Il est vrai en effet que si, dans leur principe, les objectifs de ce mouvement et ceux de l'OIT sont les mêmes, les labels peuvent comporter selon leur origine ou les moyens auxquels ils font appel des risques d'arbitraire, de sélectivité ou de manipulations:

Ces dangers doivent-ils cependant conduire l'OIT à se détourner du phénomène ou à l'ignorer? Ma conviction est tout à l'opposé, pour trois raisons.

D'abord, ce n'est évidemment pas parce que l'OIT en détournera le regard que le mouvement cessera d'exister. Il y a tout lieu de penser au contraire qu'il risque de se poursuivre par toutes sortes d'initiatives visant tour à tour les pratiques choquantes dont les médias se seront fait l'écho pour remuer la conscience ou la sensibilité du public et, à travers lui, celle des consommateurs. Aux risques que je viens d'énumérer pourrait alors s'ajouter celui d'une confusion grandissante, le consommateur étant censé pouvoir s'orienter dans un maquis de labels de toutes origines, natures et objets.

Ensuite, parce qu'à travers ses risques de sélectivité et ses possibles effets pervers il met en question, qu'on le veuille ou non, la fonction normative de l'OIT - y compris potentiellement la définition des droits fondamentaux - et la valeur de ses instruments d'action. L'attribution d'un label social revient à créer un magistère parallèle qui s'attribue la responsabilité de dire, d'une part, ce qui est socialement souhaitable et, d'autre part, de quelle manière (limitée mais extrême) y parvenir en s'attaquant à la cause par la mise hors circuit des produits.

Enfin, et de manière plus positive, parce que, malgré les risques qu'il comporte, ce mouvement offre un relais et un renfort à l'action normative de l'OIT au-delà des destinataires habituels. Le fait qu'il s'efforce de réaliser certains objectifs humanitaires en faisant appel à l'intérêt bien compris des partenaires du commerce international est à cet égard tout à fait conforme à la philosophie et à la méthode de l'OIT.

La question est cependant de savoir si, et comment, il serait possible techniquement et politiquement de concilier ces deux formes d'action, compte tenu de leurs caractéristiques et de leurs préoccupations très différentes.

Cette question mérite certainement une réflexion approfondie dans laquelle les services compétents commencent à peine à s'engager. Sans préjuger de son issue, il me paraît utile d'avancer quelques brèves considérations préliminaires pour tenter d'évaluer si, et en quoi, ce processus pourrait naturellement renforcer l'action normative de l'OIT.

La différence essentielle entre la démarche de l'OIT et celle de ces mouvements spontanés se définit par le refus de la sélectivité. Il est évident en effet que l'OIT ne saurait se désintéresser des travailleurs dont le travail ne peut être identifié dans le produit exporté, ni de ceux qui produisent uniquement pour le marché intérieur. Il n'y a pas de raison non plus de privilégier un seul droit fondamental, fût-il chargé du plus fort contenu émotionnel, au détriment des autres. Pour l'OIT, le label devrait donc viser plutôt à promouvoir une législation et une pratique conformes aux exigences de normes fondamentales (de manière à profiter aussi aux travailleurs dont les produits ne sont pas identifiables ou pas exportés). Autrement dit, l'idéal serait que le label vienne encourager et récompenser les pays dont la législation se conforme à un ensemble prédéterminé de principes ou de droits fondamentaux. Mais, pour être vraiment crédibles, de tels labels devraient cependant garantir, au-delà de la conformité des législations, celle de la pratique. Or ni les initiatives spontanées, ni les procédures établies de l'OIT ne peuvent offrir une telle garantie faute de possibilités d'inspection internationale sur place fiable et légalement autonome. Il serait parfaitement concevable cependant de prévoir un tel système d'inspection dans le cadre volontaire d'une convention internationale du travail qui permettrait à chaque Etat de décider librement de faire bénéficier l'ensemble des produits fabriqués sur son territoire d'un label social global, à condition d'en accepter les obligations et de se soumettre à des exigences de vérification sur place. Un tel système ne devrait pas poser de problèmes de compatibilité avec les disciplines du commerce multilatéral au moins pour trois raisons. D'abord parce que, s'il est vrai que la convention énoncerait l'obligation de promouvoir le label, ce label resterait volontaire en ce sens que l'adhésion à cette convention comme à toute autre serait libre; deuxièmement, l'octroi du label n'impliquerait aucune discrimination commerciale à l'encontre des produits non labellisés; troisièmement, du point de vue plus général du droit international, les membres de l'OMC qui ne souhaiteraient pas adhérer à une telle convention pourraient difficilement en critiquer le principe dans la mesure où elle viserait à promouvoir les objectifs de l'OIT par lesquels ils se trouvent également liés.

Une telle démarche laisserait encore place à des chartes ou codes de conduite pour les entreprises de production ou de distribution soucieuses d'épargner à leurs produits l'opprobre de provenir de pays ne se qualifiant pas pour le label social ou qui, même lorsque ces pays se qualifient, souhaitent aller au-delà de la législation nationale. Dans de tels cas, il y aurait avantage à harmoniser les priorités autour desquelles les engagements devraient de préférence s'articuler (questions de sécurité et d'hygiène, pratique de la concertation et de la négociation collective, etc.) et surtout à définir les conditions dans lesquelles la sincérité des engagements et la conformité des pratiques pourraient être certifiées de manière impartiale et objective. Il se peut à cet égard que l'OIT soit à même d'offrir un cadre utile de réflexion et d'action qui viendrait ainsi prolonger ou compléter le dispositif qu'elle a mis sur pied depuis maintenant près de vingt ans avec la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale.

* * *

Les réflexions qui précèdent démontrent que la mondialisa-tion, si elle peut inhiber la capacité et la volonté des Etats de donner suite aux normes de l'OIT, offre en même temps des possibilités de renouvellement tout à fait exceptionnelles à son action normative:

Ces perspectives d'action nouvelle devraient aider la Conférence à envisager avec davantage de sérénité de faire également prévaloir des conceptions plus qualitatives dans la production de nouvelles normes, comme je vais m'efforcer de l'en convaincre maintenant.


II. DES NORMES MIEUX CIBLEES POUR UN MEILLEUR IMPACT

Dans mon rapport pour le 75e anniversaire de l'OIT, j'avais exprimé l'opinion que la perspective d'un éventuel épuisement de l'action normative relevait de la même illusion que les prophéties de la fin de l'histoire. Ma conviction n'a pas faibli. Contrairement à ce que voudraient sans doute certains sectateurs de la déréglementation, il est dans la nature même du programme exposé dans le Préambule de la Constitution de l'OIT de ne pouvoir jamais parvenir à son achèvement. Non point parce que le progrès piétine, mais plutôt parce que l'horizon se dérobe au fur et à mesure que l'on progresse. L'accélération de la technologie crée de nouveaux risques dont seule l'expérience permet de se rendre compte qu'ils appellent de nouveaux types de réglementations. Et de son côté l'imagination humaine conçoit parfois de nouvelles formes ou formules d'exploitation plus rapidement que le législateur n'y porte remède. Il suffit du reste d'examiner l'ordre du jour des sessions récentes de la Conférence internationale du Travail pour se rendre compte que les mutations du travail liées à la technologie ou à d'autres facteurs sollicitent la fonction normative de l'OIT en même temps qu'elles fournissent un aliment à son action. Cela est vrai même pour le travail à domicile qui a suscité tant de controverses, car si certains ont contesté la forme et le contenu de l'instrument il est en revanche difficile de nier qu'il intéresse, à travers le monde, un nombre considérable de travailleurs, dont les conditions de vie et de travail sont parmi les plus précaires.

En réalité, si la mondialisation affecte bien la volonté d'agir des Etats à travers une concurrence plus âpre, elle n'affecte pas nécessairement, sauf en de rares domaines, leur capacité d'action dans les matières qui forment l'essentiel de la production normative. Dans bien des cas, elle appelle davantage de coopération entre les Etats et davantage de concomitance dans leurs actions; on peut même soutenir sans paradoxe que la mondialisation pourrait fournir de nouveaux sujets d'action normative dont j'ai évoqué certains dans la première partie.

Il est tout à fait vrai en revanche que la capacité d'absorption des Etats, comme la capacité de gestion de l'OIT, a des limites. Il faut se souvenir que les normes de l'OIT ne représentent qu'une fraction de la production internationale normative à laquelle ses Membres doivent faire face. Au-delà d'un certain seuil, la production de nouvelles normes est vouée à la loi des rendements décroissants, comme le montre du reste, à de très rares exceptions près (conventions nos 159 et 160), le piétinement des ratifications pour les conventions récentes(16) . D'un point de vue plus politique, le consensus entretenu par la guerre froide donne, par ailleurs, des signes de faiblesse; pour la première fois dans l'histoire de l'Organisation, un groupe a ainsi refusé lors de la dernière session de participer à la discussion d'un projet de convention sur une question dont l'inscription à l'ordre du jour de la Conférence avait pourtant fait l'objet d'un accord global tripartite au Conseil d'administration. Même si, en l'espèce, la position de ce groupe semble avoir été dictée surtout par la forme de l'instrument proposé, il semble bien que de manière plus générale la cadence de production des normes, telle qu'elle résulte du compromis atteint en 1992 sur la rationalisation du fonctionnement de la Conférence(17) , ne laisse pas les possibilités d'ajustements voulues, selon l'intérêt des sujets disponibles.

Pour concilier ces considérations contradictoires, le remède n'est pas de faire une pause normative, comme on l'a parfois suggéré; il est de faire en sorte que la production de nouvelles normes soit plus sélective pour être assurée d'une plus grande pertinence et d'un meilleur impact. L'idée n'est certainement pas très originale et risque même de faire figure d'intention pieuse. Pour écarter ce risque, il est indispensable d'examiner concrètement de quelle manière cette plus grande pertinence pourrait être assurée aux différents stades de la production normative, celui du choix du sujet, celui de la forme de l'instrument et celui de son contenu. Mais il faut, de manière plus globale, procéder à une évaluation systématique ex post des instruments adoptés pour corriger les dérives qui peuvent se développer à tous les stades.

A. UN CHOIX DE SUJETS MIEUX CIBLE

La Constitution de l'OIT a sagement prévu à son article 14.2 que le Conseil d'administration doit faire le nécessaire pour assurer une sérieuse préparation technique et une consultation appropriée des Membres principalement intéressés, par une conférence préparatoire technique ou par tout autre moyen, avant l'adoption d'une convention ou d'une recommandation par la Conférence.

Cette disposition visait à faire en sorte que les normes futures correspondent à des besoins réellement ressentis pour exercer un impact vérifiable. Avec une organisation de composition aussi large et diverse que l'est aujourd'hui l'OIT, la tâche reste tout aussi indispensable mais devient infiniment plus difficile à remplir. L'expérience récente montre que les difficultés du sujet ou ses aléas n'avaient pas toujours été mesurés avant que l'on fût engagé de manière irréversible dans l'élaboration des instruments. Pour tenter de remédier à ces difficultés et répondre à l'objectif de la Constitution, trois axes de réflexion complémentaires semblent devoir être examinés: l'élargissement de l'éventail du choix; l'application plus rigoureuse de critères de sélection pour mieux apprécier la valeur normative ajoutée potentielle du sujet; une procédure plus rationnelle.

1. Un éventail de choix plus large

L'étude des questions qu'il est proposé de soumettre aux discussions de la Conférence en vue de la conclusion d'instruments internationaux(18) est, en vertu de l'article 10 de la Constitution, confiée au Bureau. Il y est précisé que cette étude, qui doit permettre au Conseil d'administration de prendre une décision quant au choix des sujets, doit être fondée sur une information la plus large possible concernant les législations et les pratiques nationales. Cette information devrait inclure les dispositions adoptées par les institutions régionales (ALENA, MERCOSUR, UE, etc.) dans les domaines considérés, pour autant qu'elles influent sur les législations ou les pratiques de leurs membres.

Actuellement, les études sont réalisées sur la base des informations dont disposent les services du siège. Dans certains cas, elles peuvent donner lieu à des réunions d'experts convoquées à cet effet. Ainsi, la décision d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence la question de la protection des créances des travailleurs en cas d'insolvabilité de leur employeur fut précédée d'une réunion d'experts dont le rapport a permis au Conseil de prendre une décision en pleine connaissance de cause. Pour le travail des enfants, les informations contenues dans le document soumis au Conseil d'administration provenaient d'études et de recherches menées par le service technique compétent ou des rapports envoyés par les gouvernements en application d'instruments des Nations Unies.

De manière générale cependant, la procédure de choix des sujets normatifs est à la fois centralisée et assez peu systématique. Il serait certainement souhaitable à cet égard de pouvoir mobiliser davantage l'ensemble des mandants et obtenir des informations plus étendues au sujet des besoins effectivement ressentis. Si la solution institutionnelle est censée exister, elle est largement théorique(19) . Une solution peut-être plus viable serait de faire appel de manière beaucoup plus active aux structures décentralisées du Bureau et aux contacts directs avec les mandants tripartites.

Les bureaux extérieurs et les équipes multidisciplinaires devraient ainsi s'efforcer de recueillir l'avis de leurs interlocuteurs habituels sur les questions qui pourraient être incluses dans le portefeuille de normes futures, qu'elles soient ou non proposées par les services techniques (y compris en ce qui concerne la révision d'instruments anciens). Les bureaux régionaux pourraient aussi, le cas échéant, soulever la question dans les instances régionales appropriées (réunions des ministres du travail, réunions régionales, congrès d'organisations d'employeurs et de travailleurs, etc.) et faire part des réactions et des propositions faites. Toutes ces informations pourraient contribuer à alimenter les réflexions du Conseil et l'aider à se faire une idée plus juste de l'impact d'un instrument éventuel dans le domaine considéré, ou des perspectives de ratification d'une éventuelle convention.

Bon nombre de ces idées ont déjà été soumises à l'examen de la Commission des questions juridiques et des normes internatio-nales du travail du Conseil d'administration, dans le cadre d'une proposition tendant à établir un portefeuille de propositions régulièrement mis à jour, afin que le Conseil dispose d'un panorama plus global des possibilités d'action lorsqu'il est appelé à déterminer l'ordre du jour normatif de la Conférence et puisse ainsi effectuer ses choix de manière stratégique au lieu d'être réduit à opter pour un sujet qui n'est pas mûr, ou ne satisfait personne, et s'avérera au moment de sa discussion à la Conférence source de conflits ou de frustrations et plus tard, au stade des ratifications, source de déceptions.

2. Des critères de choix plus rigoureux: la recherche
     de la meilleure valeur ajoutée normative

On s'est déjà demandé dans le passé s'il ne serait pas souhaitable de procéder de manière plus systématique et de fonder le choix des domaines sur un certain nombre de critères objectifs. C'est ainsi que, lors de la première étude en profondeur sur les normes, il avait été suggéré de recourir à plusieurs critères, parmi lesquels le nombre de travailleurs affectés, l'intérêt pour les travailleurs des catégories économiques les plus défavorisées et la gravité du problème(20) . Ces critères sont évidemment utiles et le Bureau suggère d'y revenir pour constituer le portefeuille dont il est question ci-dessus; mais ils ont également leurs limites, et certains instruments utiles n'auraient peut-être pas vu le jour s'ils avaient été mécaniquement appliqués. Ils nécessitent donc une pondération qui risque de leur faire perdre une partie de leur apparente simplicité d'utilisation.

Il existe en réalité un critère plus général et d'application plus universelle. Il consisterait à se demander, pour chaque sujet envisagé, quelle valeur un nouvel instrument pourrait ajouter durablement aux instruments existants à l'intérieur de l'Organisation, mais aussi à l'extérieur et surtout dans quelle mesure le sujet se prête vraiment à des normes dignes de ce nom. Pour illustrer cette problématique, j'évoquerai trois options fondamentales auxquelles la production de nouvelles normes devrait être confrontée: l'aptitude d'un sujet à faire l'objet d'obligations ou de simples orientations de nature politique ou morale; la valeur ajoutée que représente la superposition ou la succession d'instruments dans le même domaine par rapport à un regroupement de ces instruments; la valeur ajoutée résultant de l'accumulation de dispositions de protection comparées à des dispositions faisant appel à des principes généraux de responsabilité.

a) Aptitude intrinsèque du sujet à faire l'objet de normes

L'action normative étant à juste titre considérée comme le fleuron de l'OIT, la tentation est grande de donner une forme normative à des sujets qui, à un moment donné, apparaissent appeler une action de sa part. Tout problème de travail, dès lors qu'il est susceptible de revêtir quelque importance internationale, devrait dans cette optique faire l'objet de normes pour que cette importance soit reconnue comme telle. On a ainsi tendance à confondre le droit et les préceptes de bonne conduite. Cette attitude est d'autant plus paradoxale que, par ailleurs, l'idée de compléter l'action normative classique par le recours à une sorte de soft law s'est heurtée à de fortes résistances. Or ce n'est pas en incorporant dans des instruments classiques des dispositions qui ne sont en réalité que l'énoncé de principes généreux et difficilement contestables que l'on réussira à leur conférer la valeur de véritables normes juridiques, c'est-à-dire de prescriptions précises dont le respect se prête à une vérification pratique. De telles dispositions ne peuvent, en effet, se traduire par des dispositions législatives ou réglementaires spécifiques mais dans des politiques ou de simples déclarations. Par voie de conséquence, leur impact est difficile à apprécier. Ce phénomène s'affirme évidemment surtout dans les conventions qui touchent à la politique économique et sociale(21) , mais il peut gagner des domaines d'action plus classiques, tels que les conditions de vie et de travail. Devant la diversité des situations et des solutions existantes, grande est la tentation de se borner à prescrire l'adoption de politiques nationales censées mettre en uvre des objectifs définis en termes si généraux qu'ils laissent toute latitude - à moins que ce ne soit toute leur perplexité - aux destinataires. Cela ne veut évidemment pas dire que les instruments de l'OIT doivent s'abstenir de donner des orientations de politique générale, mais simplement que de telles orientations, surtout lorsqu'elles sont appelées à figurer dans des conventions, doivent être conçues en termes suffisamment spécifiques pour engendrer des droits et obligations dignes de ce nom. Si tel n'est pas le cas, elles devraient plutôt trouver place dans des recommandations - assorties du suivi dont il sera question ci-après - sinon dans d'autres instruments non contraignants.

Dans une optique voisine, l'évolution de plus en plus rapide du monde du travail et l'apparition de phénomènes atypiques confrontent l'action normative à la question de savoir à quel moment de tels phénomènes cessent d'être atypiques pour appeler, avec des chances raisonnables d'effectivité, une réglementation. La recherche du point d'équilibre stratégique doit tenir compte à cet égard de la dialectique inévitable entre la réglementation et l'inventivité des acteurs sociaux pour s'en évader. L'action normative ne doit donc pas s'épuiser vainement à la poursuite de phénomènes plus ou moins éphémères; elle doit s'obliger à n'intervenir que lorsque la multiplication de leurs formes et de leurs manifestations lui donne une chance raisonnable de les appréhender de manière suffisamment globale, durable et efficace. Ici aussi, la sagesse voudrait sans doute que, vis-à-vis de tels phénomènes, l'action normative s'exerce d'abord par le biais de recommandations.

b) Superposition ou regroupement des instruments?

La lecture du sommaire du recueil des conventions et recommandations ne peut manquer de donner au lecteur peu averti l'impression d'une démultiplication des sujets ou de nombreuses variations sur les mêmes thèmes. Le même sujet peut être traité sur un plan sectoriel et sur un plan général. Cette situation découle de la nature même du système de production des normes et de circonstances historiques qui ont conduit tantôt à faire face à un problème spécifique lorsqu'il se présentait avant d'élaborer un instrument de portée plus générale, tantôt à tenter de contourner les obstacles rencontrés par un instrument général au moyen d'instruments sectoriels, tantôt à compléter un instrument général par des normes plus spécifiques. Si l'on prend le domaine de la sécurité et de la santé au travail, par exemple, on se rend compte que depuis le début des années soixante on a adopté des normes concernant des risques particuliers (radiations en 1960, benzène en 1971, cancer professionnel en 1974), un instrument général sur le milieu de travail (pollution de l'air, bruit et vibrations en 1977) et un instrument de portée encore beaucoup plus générale sur la sécurité et la santé des travailleurs en 1981, pour revenir ensuite à des sujets particuliers (amiante en 1986, construction en 1988, substances chimiques en 1990 et mines en 1995). Tous ces instruments répondent à des besoins spécifiques et appellent un dispositif également spécifique. Il est clair cependant qu'ils relèvent d'une philosophie commune et comportent un grand nombre de dispositions similaires sinon identiques.

Outre que cet éparpillement se traduit par le faible niveau des ratifications de chacun de ces instruments (alors que cumulativement le secteur de la sécurité et de la santé au travail fait l'objet d'un flux relativement régulier de ratifications), une telle superposition comporte un double risque, celui de susciter des différences, sinon des contradictions, plus ou moins accidentelles, et celui d'affaiblir l'impact du dispositif commun. Des problèmes analogues se posent dans le cas d'instruments consacrés à des catégories particulières de travailleurs qui ne sont pas couvertes par des instruments juridiques ou le sont de manière imparfaite. Dans le souci louable d'offrir à ces catégories une protection d'ensemble, lorsqu'elles ne sont pas déjà protégées par des instruments généraux, on est conduit à reformuler les dispositions au risque de réduire ou de contredire ce à quoi elles ont déjà droit. Bien que la tâche du Bureau soit d'appeler l'attention aux divers stades de la préparation d'un texte sur les relations avec les autres instruments, la cohérence du résultat final n'est malheureusement pas garantie.

Il n'est évidemment pas facile de remédier à cet état de choses. Lorsqu'il existe déjà un instrument de portée générale, comme c'est le cas en matière de sécurité et de santé, on peut bien sûr se demander si l'on ne devrait pas, de préférence à des conventions complètement nouvelles, adopter un protocole qui renverrait aux dispositions pertinentes de la convention principale et serait ouvert à ratification même pour les pays qui n'ont pas ratifié celle-ci. Il conviendrait aussi d'élaborer des formules types pour définir les relations entre les instruments spécifiques et les instruments généraux qui couvrent le même secteur ou les mêmes travailleurs. J'y reviendrai en annexe dans mes propositions relatives à l'élaboration d'un code de bonnes pratiques rédactionnelles. Ces améliorations ne résoudront cependant pas le problème résultant de la superposition des instruments qui existent déjà; le regroupement des instruments existants relève d'une entreprise très complexe qui a été évoquée dans le cadre des réflexions du Groupe de travail sur la politique de révision des normes(22) , et qui déborde largement le propos de ce rapport.

Etant donné la difficulté de toute entreprise de regroupement formel et le temps nécessaire pour qu'elle puisse aboutir, une solution moins ambitieuse, mais tout de même très utile, et de réalisation beaucoup plus rapide serait peut-être de reprendre de manière différente et plus synthétique l'effort de codification officieuse que le Bureau avait entrepris sous sa seule responsabilité à la veille de la deuxième guerre mondiale et qui a trouvé sa consécration en 1951 avec le Code international du travail. Sans toucher en quoi que ce soit aux instruments existants ou aux obligations qui en découlent, un tel code pourrait en donner une vision plus cohérente et synthétique, en distinguant les principes généraux applicables à l'ensemble des travailleurs ou des secteurs des normes vraiment spécifiques auxdits secteurs ou catégories de travailleurs. Une telle entreprise exigerait sans doute la mobilisation d'importantes ressources, mais elle pourrait permettre à l'OIT et à son uvre normative de marquer avec éclat leur entrée dans le troisième millénaire. Et, selon la qualité du résultat, rien n'empêcherait la Conférence de le consacrer de manière plus officielle en le promulguant comme une sorte de recommandation de portée générale.

c) Accumulation des dispositifs protecteurs ou renvoi à des règles de responsabilité?

L'opposition entre superposition et regroupement des normes trouve un prolongement dans le choix qui s'offre entre l'accumulation des dispositifs protecteurs et le renvoi à des règles de responsabilité. Pour faire face aux risques nouveaux pouvant résulter en particulier de la technologie, on a en effet tendance, surtout en matière de sécurité et de santé au travail, à accumuler les réglementations détaillées portant notamment sur les dispositifs de prévention ou la sûreté des outils. Mais on en est ainsi réduit, d'une part, à une course permanente pour tenter de rattraper des risques nouveaux et, d'autre part, à se limiter souvent à des prescriptions de caractère très général: avoir des outils ou des équipements bien conçus; remplacer les substances dangereuses par des substances qui le sont moins; faire en sorte que les échelles (lorsqu'elles sont nécessaires, si le travail ne peut être effectué depuis le sol, comme tient à le préciser la convention (no 167) sur la sécurité et la santé dans la construction, 1988) soient convenablement assurées contre des mouvements accidentels, etc. On peut se demander si, pour garantir l'objectif poursuivi, il ne serait pas plus efficace, au lieu d'accumuler les détails dont la valeur opératoire reste malgré tout souvent limitée, de fixer des règles générales de responsabilité dont la mise en uvre serait appréciée par référence à des normes de précaution ou à des règles de l'art ou autres pratiques professionnelles, qui pourraient faire l'objet de codes de pratiques auxquels pourraient se référer le législateur, les conventions collectives ou les tribunaux. Cette question complexe mériterait certainement mieux que les réflexions très superficielles auxquelles l'objet et le cadre de ce rapport me limitent.

Une variante plus classique à explorer pour l'avenir serait de formuler ces règles plus détaillées sous la forme d'une annexe à l'instrument, dont la révision et la mise à jour pourraient être soumises à des conditions différentes et simplifiées par rapport à celles qui s'appliquent à la convention elle-même. Dans certains cas, on peut en effet se demander si, la réglementation proposée étant par nature relativement transitoire (parce que liée par exemple à un stade de la technologie ou des connaissances), il ne serait pas préférable pour assurer une plus grande souplesse d'adaptation de limiter les instruments aux objectifs et de réserver les modalités à des annexes. Comme le relevait déjà le rapport du Directeur général en 1964, certaines conventions contiennent des dispositions de caractère technique nécessaires à leur application correcte, qui ne mettent pas en jeu des principes de politique générale comme le font les obligations fondamentales découlant de la convention, et pour lesquelles, plus que pour des mesures générales, des modifications périodiques peuvent être nécessaires dans l'intérêt de leur adaptation à des circonstances et des besoins nouveaux. [...] Pourtant, lesdites dispositions sont parties intégrantes de la convention et elles ne peuvent, au contraire de ce qui se passe pour les règlements d'application concernant une loi sur le plan de la législation et de la pratique nationales, donner lieu, en l'état actuel des choses, à des modifications en l'absence de révision de la convention elle-même(23) . Et de suggérer que de telles dispositions puissent faire l'objet d'annexes, tableaux et autres dispositions de caractère technique dont la modification pourrait être effectuée par une procédure simplifiée spécifiée par la Conférence (c'est-à-dire n'impliquant pas nécessairement la ratification) sans porter atteinte au principe selon lequel les obligations incombant aux Etats ne peuvent être élargies sans leur consentement(24) .

3. Une procédure de choix moins irréversible?

Les réflexions qui précèdent n'offrent nullement une panacée pour choisir dans chaque cas la question normative la plus appropriée. Elles suggèrent plutôt que l'inscription définitive d'une question à l'ordre du jour en vue d'une action normative devrait être l'aboutissement d'un processus au cours duquel seraient éliminées les questions qui n'apparaissent pas mûres pour une action normative ou dont l'apport au corpus existant risquerait d'être incertain, marginal ou par trop éphémère. Or la procédure actuelle de choix au Conseil d'administration entre rarement dans la discussion du contenu éventuel de l'instrument. Le résultat reflète bien souvent un compromis global qui porte en même temps sur l'ordre du jour non normatif. Le choix des sujets normatifs se fait ainsi souvent sur la base du plus petit dénominateur commun, en quelque sorte faute de mieux.

Pour favoriser une méthode de choix plus rationnelle, il faudrait d'abord envisager sérieusement de séparer les questions censées conduire à une action normative de l'ordre du jour non normatif d'une session donnée. Ainsi, les questions inscrites pour discussion générale sans intention normative devraient être placées aussi tardivement que possible à l'ordre du jour pour mieux répondre à l'actualité.

Il faudrait ensuite et surtout avoir, au moment de l'inscription définitive, une vision plus nette du contenu éventuel de l'instrument envisagé par rapport aux instruments existants, y compris ceux qui peuvent exister hors de l'Organisation. Or, selon la procédure actuelle, le Conseil décide sur la base d'une analyse comparative et d'indications très générales quant aux objectifs éventuels mais sans entrer dans la matière de chaque sujet. A nouveau, la constitution d'un portefeuille pourrait aider à améliorer la situation en permettant de préciser au fil des examens successifs le contour de l'instrument sur le sujet envisagé.

Lorsque les sujets considérés soulèvent des questions techniques ou politiques complexes pour lesquelles le Bureau ne dispose pas d'éléments suffisants et le Conseil lui-même n'est pas en mesure de fournir des orientations précises, on pourrait envisager d'aller plus loin et recourir de manière plus systématique à une solution dont les potentialités n'ont peut-être pas été suffisamment exploitées: celle d'une discussion préliminaire à la Conférence internationale du Travail visant à vérifier la viabilité normative du sujet et à donner des orientations concrètes pour la rédaction du questionnaire. Ce n'est qu'au terme de cette discussion préliminaire que la Conférence confirmerait l'inscription définitive de la question à l'ordre du jour pour une action normative. Dans le contexte actuel, une telle solution semblerait être plus économique et plus universelle que celle des réunions d'experts ou des conférences techniques préparatoires. J'y reviendrai un peu plus en détail dans les développements que je consacre au questionnaire en annexe.

B. LE CHOIX DE LA FORME DES INSTRUMENTS:
     UN PLUS GRAND RECOURS AUX RECOMMANDATIONS

Parmi toutes les questions abordées dans les rapports successifs du Directeur général, il s'agit sans doute de celle qui apparaît comme la plus lancinante; et elle revêt, en effet, un caractère tout à fait fondamental. Je me bornerai à cet égard à renvoyer aux observations très explicites du rapport de 1964 selon lesquelles il importe de se rendre compte qu'une convention n'est pas, par essence, supérieure à une recommandation [...]. Si une convention crée des obligations, il est toutefois possible en certains domaines qu'une norme susceptible d'être largement acceptée comme telle soit beaucoup plus efficace, en pratique, que des obligations dont il est probable qu'elles ne pourront être assumées aussi largement. Et de conclure que la recommandation ne doit plus être considérée comme la parente pauvre de la convention(25) .

Le thème est repris dans le rapport de 1984 (auquel j'avais déjà fait écho en 1994) où le Directeur général n'hésitait pas à écrire que l'une des questions essentielles pour l'avenir est donc de savoir s'il ne faudrait pas faire de nouveau plus grand usage des instruments non obligatoires et réserver les conventions à des questions importantes et propres à une définition et une action précises(26) .

Malheureusement, ces diagnostics concordants comme ces exhortations successives n'ont, une fois de plus, guère été suivis d'effets. Sur les 17 recommandations adoptées par la Conférence entre 1985 et 1996, aucune n'est un instrument autonome sans liens avec une convention. Ce résultat consacre le déclin des recommandations autonomes qui représentaient 55 pour cent des recommandations adoptées pour la période comprise entre 1951 et 1970, et 7 pour cent pour la période allant de 1971 à 1983. Cela semble d'autant plus regrettable que le ralentissement des ratifications dû à la congestion des parlements - et aux limitations propres aux Etats fédéraux, auxquels s'ajoutent maintenant d'une certaine manière les Etats de l'Union européenne (dont l'élargissement risque de contribuer au tarissement progressif de la source européenne des ratifications traditionnellement réputée pour son abondance) - devrait pousser l'OIT à mieux utiliser la gamme des instruments dont elle dispose. Plutôt que de répéter les mêmes objurgations, il me paraît dès lors important d'essayer de comprendre le pourquoi de cette situation pour tenter d'y porter utilement remède. Deux facteurs, du reste étroitement liés, paraissent déterminants à cet égard: l'attitude des gouvernements et celle des travailleurs.

La facilité avec laquelle la Conférence opte pour la forme conventionnelle tient d'abord au fait que bon nombre de gouvernements acceptent de voter pour une convention sans envisager sérieusement d'appuyer sa ratification devant l'autorité compétente. Cette façon de se comporter est, il faut le souligner, tout à fait étrangère aux intentions initiales des fondateurs de notre Organisation. Si, par souci de réalisme, ils durent renoncer au projet révolutionnaire de donner à la Conférence internationale du Travail un pouvoir législatif directement obligatoire (en particulier pour que les progrès de la législation ne se trouvent pas prisonniers d'une minorité rétrograde), il restait clair dans leur esprit qu'un gouvernement, en votant en faveur de l'adoption d'une convention, prenait l'engagement moral de faire aboutir sa ratification(27) . On ne comprendrait pas sans cela la présence - qui paraît aujourd'hui si incongrue - de dispositions spéciales visant certains pays nommément désignés dans quelques-unes des premières conventions(28) . C'est dans cette perspective qu'on peut également mieux s'expliquer la conviction, si largement partagée avant guerre, selon laquelle la législation internationale du travail devait contribuer efficacement à l'égalisation des conditions de concurrence (et a contrario les critiques formulées par les employeurs britanniques au début des années trente à l'endroit du BIT pour ne pas avoir suffisamment réussi à faire progresser les ratifications plus de dix ans après la création de l'Organisation)(29) . On peut certes admettre qu'un gouvernement puisse, en toute bonne foi et en pleine conscience de ses responsabilités, voter pour un texte qu'il se sait dans l'incapacité momentanée de ratifier, dans la mesure où il considère que ce texte peut aider à faire progresser la législation internationale du travail et où il envisage bien de le ratifier à plus long terme. Le raisonnement ne peut cependant être poussé trop loin sauf à engendrer la situation - hélas trop fréquente aujourd'hui - où la convention est devenue obsolète avant d'avoir reçu un nombre significatif de ratifications - et même parfois d'être entrée en vigueur! Il convient du reste de relever à cet égard un changement d'attitude observable à la Conférence, où un certain nombre d'Etats qui se sont abstenus ou ont voté contre un texte ont expliqué leur vote par le souci de ne pas créer d'équivoque au sujet de leurs intentions.

L'une des manières de remédier à cette inconséquence a, dans un contexte différent, fait l'objet d'un examen par les groupes de travail successifs consacrés à la révision des normes. Il s'agit de l'augmentation du nombre des ratifications nécessaires pour l'entrée en vigueur des conventions. Mais, à supposer que les propositions y relatives soient acceptées et que le nombre de ratifications augmente ainsi, elles remédieraient aux conséquences plutôt qu'aux causes. Or il ne paraît pas si difficile de remonter aux causes elles-mêmes, simplement en utilisant de manière plus cohérente et plus systématique le dispositif constitutionnel dont l'Organisation est dotée pour confronter certains gouvernements à leurs inconséquences. Ce dispositif leur impose d'abord l'obligation de soumettre la convention à l'autorité compétente en vertu de l'article 19.5 b)(30) de la Constitution et, ensuite, celle de s'expliquer sur les suites qu'ils ont données à ladite convention dans le cadre des rapports demandés par le Conseil au titre de l'article 19.5 c). Dans la mesure où l'intention des dispositions constitutionnelles ne prête à aucune équivoque, il serait parfaitement logique que les gouvernements ayant voté en faveur de la convention soient invités à s'expliquer soit (dans le premier cas) sur la recommandation faite à l'autorité compétente, soit (dans le second) sur les raisons pour lesquelles la ratification n'a toujours pas abouti. Cette formule très modérée ne devrait pas décourager les Etats de voter pour un texte qu'ils considèrent comme une bonne base de législation, même s'ils ne sont pas en mesure de le ratifier tout de suite; elle devrait simplement les inciter à se montrer plus conséquents avec eux-mêmes, tant dans leur recommandation à l'autorité compétente que par la suite.

Les travailleurs ont, avec beaucoup de constance, privilégié pour leur part l'adoption de conventions nonobstant leur faible taux de ratifications; ils insistent à cet égard en particulier, sans être contredits par les employeurs, sur le fait que les conventions, même non ratifiées, peuvent avoir une influence sur la législation et la pratique nationales. En soi, l'affirmation ne prête guère à contestation, comme le reconnaissait déjà (avec regret) le rapport du Directeur à la 27e session (1945!) de la Conférence: il se peut [que l'] on ait attaché à la formule de la convention une importance symbolique injustifiée, en sorte qu'on en vint à l'utiliser dans des cas où une recommandation eût été préférable(31) . Mais elle procède d'une illusion d'optique et entraîne des conséquences dommageables pour l'efficacité et la crédibilité d'ensemble de l'action normative. Pour reprendre à nouveau une analyse vieille de plus de cinquante ans, pareille conception [...] tend à discréditer la technique de la convention du fait que de nombreux Etats négligeront de les ratifier. De même, elle tend à discréditer aussi la recommandation en laissant gratuitement entendre que celle-ci, n'étant pas un instrument créateur d'obligations, est inefficace en tant qu'instrument propre à influencer, par la définition qu'elle donne d'une norme internationale, la politique et la législation(32) . Il me semble important d'en expliquer brièvement le pourquoi.

Le but des conventions, comme celui des recommandations, est de faire en sorte que la législation et la pratique des Etats Membres de l'OIT se conforment aux prescriptions que les normes contiennent. Les conventions ont bien entendu sur les recommandations la supériorité de faire du progrès recherché une véritable obligation juridique, avec deux conséquences:

Il est donc clair que l'argument de l'influence qu'une convention peut exercer sur la pratique des Etats même en l'absence de ratification est sans pertinence car, par définition, une recommandation a précisément vocation à exercer une telle influence. Par ailleurs, en l'absence de ratification, une convention ne permet ni d'obtenir l'effet de cliquet, ni de contribuer à l'égalisation des conditions de concurrence. Il faut reconnaître en même temps que l'illusion d'optique relative à l'influence et au prestige des conventions trouve en partie son origine et son excuse dans les dérives d'une pratique qui, en négligeant le suivi dont les recommandations devraient faire l'objet, a fait perdre de vue leur statut d'instrument à part entière. Comme les conventions, les recommandations sont en effet censées faire l'objet d'un suivi pour en vérifier l'impact, et d'une mise à jour pour en maintenir la pertinence. Le vrai problème est là: si l'on veut que les recommandations retrouvent leur place véritable, il est essentiel d'abord qu'elles puissent retrouver leur autonomie par rapport aux conventions; il faut ensuite et surtout qu'elles fassent l'objet du suivi régulier prévu par la Constitution pour en vérifier l'application en même temps que la pertinence et ne conserver que celles qui soient vraiment d'actualité. Je reprendrai ces deux points ci-après.

1. Le rétablissement du statut autonome des recommandations

Il est certain que le prestige des recommandations ne sort pas très à son avantage de l'examen, même superficiel, du recueil. Ainsi qu'on l'a déjà relevé, la plupart ne sont pas autonomes. Les recommandations sont censées compléter les conventions sans que soit précisée la nature de ce complément. En outre, la recommandation se borne souvent à répéter certaines dispositions de la convention, en y ajoutant des précisions qui ne peuvent pas figurer dans une convention ou qui ont été rejetées par la commission technique lors de la discussion du projet de convention. Certaines de leurs dispositions s'apparentent parfois davantage à celles des résolutions qu'à des textes devant servir de guide et de modèle pour l'action future des mandants de l'OIT.

Les rares recommandations autonomes sont bien souvent obsolètes ou tombées dans l'oubli. Pourtant, elles engagent de la même manière le crédit juridique et moral de l'OIT. On peut même soutenir sans paradoxe que leur obsolescence risque d'affecter davantage la crédibilité de l'Organisation que ce n'est le cas pour les conventions (dont la mise à l'écart se fait indirectement à travers l'absence d'entrée en vigueur ou, selon le cas, leur dénonciation). Fort heureusement, les réflexions et les propositions de réforme réalisées par le Groupe de travail sur la politique de révision des normes et approuvées par le Conseil d'administration permettront d'apporter sur ce point un remède très concret. Il a été reconnu au terme de ces réflexions que, si l'abrogation des conventions internationales du travail exigeait l'amendement constitutionnel dont cette Conférence se trouve précisément saisie, rien ne s'opposait en revanche à ce que la Conférence puisse retirer toute recommandation reconnue comme obsolète, par un acte contraire pris selon les mêmes formes et à la même majorité que ladite recommandation(34) . Un nouveau champ d'action s'offre ainsi sans qu'il soit besoin d'attendre l'entrée en vigueur de l'amendement constitutionnel susvisé.

2. Le rétablissement d'une procédure de suivi régulier des recommandations

La deuxième condition du rétablissement du statut des recommandations concerne leur impact et leur suivi. Elle est facile à remplir, au moins en théorie, puisqu'elle ne suppose que la mise en uvre plus effective des dispositions de l'article 19.6 d) de la Constitution qui soumet l'ensemble des Membres à l'obligation de faire rapport au Directeur général du Bureau international du Travail, à des périodes appropriées, selon ce que décidera le Conseil d'administration, sur l'état de leur législation et sur leur pratique concernant la question qui fait l'objet de la recommandation, en précisant dans quelle mesure l'on a donné suite ou l'on se propose de donner suite à toutes dispositions de la recommandation et en indiquant les modifications de ces dispositions qui semblent ou pourront sembler nécessaires pour leur permettre de l'adopter ou de l'appliquer.

Il convient de relever à cet égard que cette disposition, comme la disposition parallèle de l'article 19.5 e) relative aux conventions non ratifiées, fut introduite après guerre sur une proposition faite par la Délégation pour les questions constitutionnelles au terme d'une discussion qui revint une fois de plus sur l'opportunité ou la faisabilité de doter l'Organisation du pouvoir de prendre des décisions obligatoires à l'égard des Membres(35) . En 1919, une proposition en ce sens, à défaut d'être acceptée, avait déjà permis d'introduire dans l'article 19 l'obligation pour tous les Etats Membres, qu'ils aient ou non voté un instrument, de le soumettre à leur autorité législative dans les douze ou dix-huit mois de son adoption, en vue de le transformer en loi ou de prendre des mesures d'un autre ordre(36) . La même revendication en 1946 permit donc d'y ajouter l'obligation de suivi pour l'ensemble des instruments.

Il est tout à fait clair qu'avec cette réforme les recommandations n'auraient pas dû être considérées comme les parentes pauvres des conventions dans la mesure où, même sans - évidemment - devenir obligatoires, elles devaient tout de même obligatoirement faire l'objet d'un rapport à la demande du Conseil; et elles devenaient de la sorte capables d'exercer à l'avenir une influence plus large encore que dans le passé sur la politique et la législation de caractère social, comme le disait encore le rapport de la Délégation pour les questions constitutionnelles(37) . La difficulté est que cette intention n'est pas ou n'est plus vraiment mise en uvre en pratique. La modification de l'optique des rapports au titre de l'article 19 (les études d'ensemble de la commission d'experts) a abouti à priver les recommandations de suivi autonome et, par voie de conséquence, à entretenir la distorsion du système en faveur des conventions. Depuis 1975, le Conseil d'administration n'a pas retenu de recommandation autonome pour faire l'objet de rapports des gouvernements au titre de l'article 19, paragraphes 6 d) et 7 b) v), de la Constitution, bien que l'examen de tels instruments ait été proposé. Les études d'ensemble de la commission d'experts portant sur des conventions et sur les recommandations qui les complètent font rarement référence aux dispositions des recommandations (elles ne créent pas d'obligations juridiques de fond) ou à leur mise en uvre par les gouvernements (qui y font rarement référence dans leurs rapports). Ces rares références concernent des interprétations de dispositions de la convention faisant l'objet de l'étude à la lumière de celles de la recommandation, ce qui enfonce encore plus celle-ci dans un rôle secondaire. Le retour à une pratique conforme à la Constitution en ce qui concerne le suivi des recommandations est donc lié à un réexamen de la mise en uvre de l'article 19.5 c) de la Constitution.

C. LE CONTENU DES NORMES

Comme cela a été relevé dès le rapport de 1964, une convention doit traiter les points essentiels; il ne faut pas y insérer des exigences trop strictes dans des domaines où il est normal que la pratique nationale varie considérablement; elle ne doit pas contenir de détails superflus de caractère administratif(38) .

Le même rapport dénonce la surenchère perfectionniste qui se manifeste dans le processus de soumission des amendements aux textes proposés en adjurant la Conférence de considérer qu'une convention ne doit pas être considérée comme l'occasion d'une victoire pour l'équipe gagnante, mais une contribution au droit commun qui régit le monde et dont la valeur est fonction de l'approbation qu'elle recueille(39) .

Le rapport de 1984 souligne l'incidence du processus d'amendement sur cet état de choses. La Conférence est obligée de discuter trop d'amendements en trop peu de temps. Cette difficulté nuit inévitablement à la qualité des instruments adoptés [...] On peut certes éliminer les difficultés résultant d'amendements adoptés en première discussion, mais cela n'est pas possible pour ceux adoptés en seconde discussion. Le rapport souligne encore le manque de concordance des textes dû à la pression sur les traducteurs, la tâche impossible qui est celle des comités de rédaction surchargés d'amendements, sollicités de régler des problèmes qui sont en réalité des problèmes de fond et obligés de siéger en moyenne six à sept heures, à un moment de la Conférence où la fatigue de deux semaines de travaux commence à se faire sentir, sans que le calendrier permette le moindre retard(40) .

Aucun de ces divers constats n'a malheureusement perdu de sa validité. La compression extrême du programme de travail de la Conférence n'a fait au contraire qu'accroître les difficultés, y compris en ce qui concerne la moyenne de temps nécessaire pour les comités de rédaction, qui devrait être révisée à la hausse. Les divers conseils ou suggestions, dont certains à première vue assez judicieux, comme par exemple celui tendant à obtenir les amendements à l'avance, n'ont été suivis que de très peu d'effets (alors que la réduction du temps disponible pour le travail des commissions en renforcerait l'utilité). Il semble donc que, si l'on veut vraiment améliorer le processus d'élaboration, il conviendrait de prendre le problème à bras-le-corps, c'est-à-dire sur un plan institutionnel et réglementaire. Il m'a paru utile à cet égard d'évoquer de manière relativement détaillée en annexe certains aspects de la procédure d'élaboration des normes qui intéressent directement la Conférence et son fonctionnement et dont le réexamen ou la réforme pourraient à mon avis contribuer de manière ponctuelle mais très efficace à améliorer la qualité du contenu et de la formulation des normes. Il s'agit d'abord de revoir le mécanisme d'élaboration du questionnaire qui sert de base à la préparation des instruments et en fige parfois à un stade trop précoce - alors que le Bureau ne dispose pas de suffisamment d'éléments - la structure sinon le contenu. Il s'agit ensuite de la procédure d'amendement en commission technique qui ne favorise pas la recherche des solutions susceptibles de réunir l'accord le plus large. Il s'agit enfin de la difficulté de maintenir l'uniformité et la cohérence voulues dans les techniques et principes de rédaction à travers les commissions techniques et les instruments, et de la nécessité de clarifier et faciliter le rôle des comités de rédaction à cet égard.

Au-delà des diverses réflexions ou réformes qui viennent d'être proposées pour améliorer le choix des instruments, leur forme et leur contenu, il est indispensable à mes yeux de disposer de manière plus globale d'un mécanisme autocorrecteur de la production normative, de telle sorte qu'elle puisse répondre de manière toujours plus efficace aux objectifs qu'elle se fixe. Il s'agit en d'autres termes de mettre sur pied un système efficace d'évaluation des normes par les organes mêmes qui les ont produites afin d'en vérifier à la fois l'impact et la pertinence et d'en tirer les enseignements pour l'avenir.

D. LA NECESSITE D'UNE EVALUATION D'ENSEMBLE EX POST

L'évaluation objective et systématique du produit est une nécessité inhérente à tout système moderne de production. La production normative ne fait pas exception.

On peut certes considérer que l'Organisation s'est déjà d'une certaine manière engagée dans une telle opération d'évaluation avec les groupes de travail successifs sur la révision dont le dernier en date, créé par le Conseil d'administration à la suite du débat à la Conférence en 1994, a accompli un travail considérable auquel j'ai déjà fait allusion. Il existe cependant une grande différence entre une opération globale de nettoyage qui serait effectuée tous les quarts de siècle ou davantage et qui conduit, longtemps après, à constater l'obsolescence irrémédiable d'un instrument, et une opération d'évaluation qui doit permettre à l'organe même qui en est l'auteur de le réexaminer dans un délai relativement bref, afin d'en tirer les conséquences non seulement pour l'instrument considéré, mais de manière plus générale pour le choix des sujets et du contenu de la future action normative.

Cette nécessité me paraît d'autant plus essentielle aujourd'hui qu'elle offre probablement la seule possibilité de vider de manière efficace et crédible la fausse querelle de la flexibilité. Dans mon esprit, en effet, l'évaluation dont il est ici question devrait être une évaluation d'ensemble de l'impact des instruments sur le plan juridique comme sur le plan économique et social, par laquelle on s'efforcerait non seulement d'apprécier le progrès réalisé en direction de l'objectif spécifique visé par la convention ou la recommandation, mais de relever d'éventuels effets indirects ou pervers par rapport aux autres objectifs de l'OIT, par exemple celui de l'emploi. Il s'agit là d'une véritable tâche multidisciplinaire qui demande une grille d'analyse adaptée, ainsi qu'un organe et une procédure d'examen appropriés.

Cette base existe dans la Constitution elle-même et ne demande - à nouveau - qu'à être utilisée avec les aménagements pratiques indispensables. Il s'agit des dispositions de l'article 19.5 e), relatives aux obligations des Membres en ce qui concerne le suivi des conventions qu'ils n'ont pas ratifiées, et de celles de l'article 19.6 d) relatives au suivi des recommandations dont il a été question plus haut. Comme il résulte des travaux préparatoires de la Délégation de la Conférence pour les questions constitutionnelles et de leurs termes exprès, ces dispositions visent un double objet complémentaire: d'une part, l'impact de ces instruments sur la législation et la pratique et, d'autre part, l'appréciation des imperfections des instruments susceptibles d'expliquer pourquoi ils n'ont pas permis d'atteindre leur objet (faibles ratifications dans le cas des conventions; faible impact sur la législation, les pratiques ou les politiques dans le cas des recommandations). Il convient à cet égard de souligner que, dans les débuts de l'OIT, une telle appréciation critique, même si elle ne s'effectuait pas selon ce mécanisme, était une opération dépourvue de tout caractère sacrilège. Il suffit pour s'en rendre compte de constater avec quelle rapidité la Conférence a corrigé les défauts de ses premiers instruments: conventions sur le travail de nuit des femmes, adoptée en 1919 et révisée en 1934; sur la réparation des accidents professionnels, adoptée en 1925 et révisée en 1934; sur la protection des travailleurs des docks, adoptée en 1929 et révisée en 1932; sur les heures de travail dans les mines, adoptée en 1931 et révisée (sans plus de succès) en 1935, etc.

Pour différentes raisons, et en particulier pour des raisons pratiques (le volume de travail croissant résultant de la supervision d'un nombre croissant d'instruments), la mise en uvre de cet article a pris une orientation différente. Elle a été confiée à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, qui n'a pas accepté ce fardeau supplémentaire sans réticences. On peut fort bien se l'expliquer. Après tout, en effet, la commission d'experts remplit une fonction quasi judiciaire d'évaluation de la manière dont les Etats Membres s'acquittent de leurs obligations; son rôle n'est pas vraiment de se prononcer sur les imperfections ou les insuffisances du travail législatif de l'Organisation elle-même. Quoi qu'il en soit, elle s'est acquittée du mandat qui lui était ainsi confié sous la forme des études d'ensemble qui existaient déjà auparavant. Comme leur nom l'indique bien, ces études sont essentiellement des études comparatives, toujours du plus haut intérêt, mais qui ne visent pas à établir l'impact juridique, politique et économique des normes ni, le cas échéant, les imperfections ou défauts qui peuvent expliquer leur faible impact(41) . Il est clair qu'une évaluation d'impact telle que proposée exigerait des ressources plus substantielles que celles qui sont actuellement consacrées aux études d'ensemble; elle supposerait aussi l'association étroite des équipes décentralisées et une participation plus active et plus substantielle des organisations d'employeurs et de travailleurs. L'enjeu semblerait maintenant pleinement justifier de tels efforts.

A supposer qu'on puisse se mettre d'accord sur cet élargissement des rapports et de l'optique des études d'ensemble, il faudra aussi envisager l'organe et la procédure appropriés pour procéder à l'examen critique et multidisciplinaire du résultat. A l'heure actuelle, les études d'ensemble sont soumises à l'examen de la Commission de l'application des normes de la Conférence, le passage par le Conseil d'administration n'étant qu'une simple formalité. Or la commission, si elle parvient à consacrer quelques séances aux études d'ensemble, est beaucoup trop occupée par l'accomplissement de son mandat de contrôle de l'application pour pouvoir consacrer le temps qui serait nécessaire à l'examen critique des instruments et de leur impact. Par ailleurs, le mandat dont elle est investie est un mandat spécifique délimité par le Règlement de la Conférence et donc assez éloigné de l'optique multidisciplinaire envisagée ici. A nouveau, ce constat n'a rien de neuf. Il fut établi dans une optique voisine, bien que plus étroite, depuis les années soixante au moins. Ainsi, le rapport du Directeur général de 1964 soulignait déjà qu'un défaut du système actuel réside dans le fait que ni la Conférence ni le Conseil d'administration ne disposent d'une commission permanente de révision dont la tâche consisterait à réviser systématiquement et en permanence, pendant un certain nombre d'années, les instruments existants en application d'une politique dont le principe aurait été dûment admis. Si la Commission du Règlement et de l'application des conventions et recommandations du Conseil d'administration et la Commission de la Conférence pour l'application des conventions et recommandations sont tout à fait qualifiées pour signaler les cas dans lesquels une révision semble souhaitable, les discussions relatives à la forme précise que doit prendre une telle révision débordent quelque peu leur compétence(42) .

Ces idées ont, à l'époque, suscité de l'intérêt et même un début de mise en uvre. Si elles n'ont pas débouché sur une réforme durable et en profondeur, cela tient peut-être à ce qu'elles n'ont pas posé le problème dans la perspective plus large d'une évaluation effective des normes adoptées. Pour se développer institutionnellement, l'évaluation systématique de ces normes doit revenir d'abord aux objectifs des enquêtes prévues à l'article 19 de la Constitution. Elle devrait ensuite choisir la méthode la plus appropriée en regroupant éventuellement les instruments portant sur la même matière de façon à en tirer des enseignements d'une portée plus large. Elle devrait enfin s'appuyer sur un organe disposant d'une certaine continuité de vision et d'action pour la mettre en uvre de manière cohérente et systématique. Cet organe devrait être en première instance le Conseil d'administration lui-même dans la mesure où, en tant qu'organe de fixation de l'ordre du jour, il devrait être amené à mesurer le résultat de ses propres choix. Mais il pourrait aussi être constitué par une commission permanente de la Conférence. Ce n'est sans doute pas le lieu d'entrer dans un examen détaillé des modalités éventuelles de mise en uvre de ces principes. Selon l'appui qu'ils pourraient susciter, j'y reviendrai avec des propositions plus concrètes au Conseil.

CONCLUSIONS GENERALES

Trois sortes de conclusions paraissent se dégager clairement de l'ensemble des réflexions qui précèdent.

La première concerne le champ nouveau qui s'offre à l'action normative dans le contexte de l'économie mondialisée. Si la première partie de ce rapport a permis de faire apparaître que la mondialisation offre de nouveaux sujets d'action normative de très grande actualité, la deuxième confirme que le souci de sélectivité n'est nullement synonyme d'anorexie normative mais d'impact renforcé, à travers le développement d'activités nouvelles et essentielles de suivi pour les recommandations, et d'une véritable fonction d'évaluation de l'action normative telle qu'elle a été évoquée dans la dernière partie.

La deuxième conclusion concerne les moyens d'action. Il résulte en effet de tout ce qui précède que l'OIT n'a pas besoin de sortir de son cadre institutionnel ni de le modifier pour faire face aux nouvelles tâches normatives qui pourraient être les siennes à l'heure de la mondialisation. Il lui suffit simplement d'utiliser plus judicieusement - et d'une manière plus conforme à leur objet initial - les moyens d'action très originaux dont elle est dotée. On notera en particulier que les conclusions de la deuxième partie relatives au renforcement - en vérité au rétablissement - du suivi des recommandations pourraient trouver un terrain d'application nouveau et fécond dans la réactivation et l'encadrement des efforts d'accompagnement de la mondialisation sur le plan social. Une recommandation qui ferait l'objet d'un suivi approprié à intervalles suffisamment rapprochés pourrait offrir - au moins dans un premier temps - un cadre adéquat pour permettre à l'Organisation d'affirmer de manière globale et synthétique sa doctrine et ses responsabilités en la matière.

La dernière conclusion découle des précédentes: si le champ d'action normatif est considérable et si l'Organisation n'a pas besoin de réformes constitutionnelles complexes pour s'y engager, agir est simplement affaire de volonté politique. Trois considérations me font espérer que cette volonté sera au rendez-vous:

POSTFACE

Ce rapport a pour l'essentiel été achevé avant la dernière session du Conseil d'administration. Après réflexion, il m'a paru préférable de le publier tel quel plutôt que de tenter de le compléter pour tenir compte des discussions tenues lors de cette session à la Commission des questions juridiques et des normes internationales du travail (LILS) ainsi qu'au Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international.

D'une part, les résultats très encourageants de ces débats ne m'ont pas paru affecter la validité des analyses qu'il contient, tout au contraire.

D'autre part, il serait difficile de pousser beaucoup plus loin à ce stade les idées ou suggestions qui y sont présentées.

Cela est vrai d'abord pour ce qui est de la teneur d'une éventuelle déclaration relative aux droits fondamentaux dont il a été question à la commission LILS. Pour le moment, en effet, je ne dispose que d'orientations relativement limitées et pas toujours concordantes. Or, pour atteindre son objectif, une telle déclaration devra refléter un consensus aussi large que possible et son élaboration exigera un travail particulièrement méthodique et méticuleux. Il m'a donc semblé préférable, avant de m'engager plus loin dans un tel exercice, de bénéficier des vues de l'ensemble de nos mandants à la Conférence.

En ce qui concerne la question du réexamen des moyens d'action de l'OIT à l'heure de la mondialisation, évoquée au Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international, le rapport signale déjà un assez grand nombre de pistes jusqu'ici négligées ou insuffisamment exploitées: le problème n'est donc sans doute pas tant d'imaginer de nouveaux moyens d'action que de trouver la volonté politique d'exploiter ceux dont l'Organisation est déjà fort bien dotée.

En publiant ce rapport tel qu'il est, mon espoir est donc de stimuler dès à présent et de manière aussi ouverte que possible les réflexions afin qu'elles puissent parvenir à maturation d'ici à la Conférence et nous fournir alors la base du large consensus qu'exige le renouvellement de l'action normative de l'OIT.

Ainsi que la Délégation de la Conférence pour les questions constitutionnelles le disait déjà à cet égard en 1946, Nulle constitution ne saurait être appliquée avec succès en l'absence d'un accord général sur ses dispositions fondamentales(43) . L'observation demeure valable même s'il ne s'agit pas aujourd'hui pour l'OIT de réécrire une nouvelle charte constitutive mais simplement de redécouvrir, face au défi de la mondialisation, la pertinence des objectifs et l'efficacité des moyens d'action de sa Constitution.


ANNEXE

LE PROBLÈME DU QUESTIONNAIRE

Selon le Règlement et la pratique en vigueur, le Conseil d'administration décide au mois de mars de l'ordre du jour de la session de la Conférence qui se tiendra en juin de la deuxième année qui suit. Le Conseil fixe son choix sur la base d'un document qui contient un exposé du droit et de la pratique censé donner un aperçu des problèmes que les éventuels instruments relatifs aux sujets examinés pourraient aborder (c'est-à-dire, en réalité, du contenu possible de ces instruments). Cet exposé est cependant très général, et dans la très vaste majorité des cas le Conseil se décide sans discuter ni donner d'orientations précises au sujet du contenu des instruments sur lesquels sont censés déboucher les sujets choisis. C'est ainsi que le Bureau, conformément à l'article 39 du Règlement de la Conférence, se trouve souvent livré à lui-même pour préparer un rapport et un questionnaire qui dessinent de manière déjà très précise la structure et le contour de l'instrument. Il est naturellement tout à fait dans les fonctions constitutionnelles du Bureau d'assumer une telle responsabilité. Il est cependant regrettable qu'il ne puisse pas bénéficier d'orientations préalables au sujet des questions jugées essentielles. La formule du portefeuille de propositions à laquelle j'ai déjà fait référence devrait permettre au Conseil d'administration, lors du deuxième examen en mars, de fournir des orientations plus spécifiques au sujet d'un nombre plus limité de questions. Lorsque le sujet est essentiellement de nature technique, déjà bien préparé par le travail du Bureau, cette situation devrait donc être gérable. Lorsqu'il comporte des aspects sensibles, comme cela s'est trouvé être le cas pour le travail à domicile, cela risque cependant de ne pas suffire.

Il convient de souligner que la méthode de discussion fondée sur un questionnaire détermine déjà très largement la structure d'un texte. Les destinataires, censés répondre séparément à chacune des questions, peuvent en effet difficilement proposer une autre séquence(44) . Et la tentative de réaliser à partir de ce cadre un compromis acceptable par des cascades d'amendements peut aboutir à l'incohérence également dénoncée dans le rapport de 1984, car on a tendance à n'examiner les amendements que dans le cadre de la disposition qu'ils visent, sans avoir le temps d'en considérer l'effet sur l'ensemble de l'instrument(45) (et encore moins, pourrait-on ajouter, sur l'ensemble du corpus normatif).

Si ces contraintes sont dans une certaine mesure inhérentes à tout processus législatif dans un cadre parlementaire, il faut bien admettre que le système du questionnaire ne fait que les aggraver. Plusieurs possibilités peuvent être envisagées pour y remédier, tout en sauvegardant la cohérence et la viabilité d'ensemble du produit dont le Bureau a la responsabilité.

La première possibilité serait de faire en sorte que le questionnaire ne soit mis au point qu'à la suite d'une discussion préliminaire spécifiquement conçue pour donner des orientations en ce sens. Cela pourrait être le cas en traitant préalablement la question dans le cadre d'une conférence technique préparatoire ou d'une discussion générale préparatoire, au terme de laquelle la Conférence confirmerait l'inscription de ladite question à l'ordre du jour en vue de l'adoption de nouveaux instruments. Cette discussion générale permettrait de recueillir les orientations nécessaires à la rédaction du questionnaire à partir d'une esquisse figurant dans le rapport (mais sans entrer dans une discussion point par point avec amendements). Il conviendrait peut-être aussi de réfléchir à la possibilité d'associer le Conseil à la préparation de ce questionnaire. Dans tous les cas, l'objectif serait de chercher à mieux appréhender les besoins des mandants en testant la viabilité du sujet et de permettre, ensuite, d'atteindre une bien meilleure qualité des textes. L'inconvénient de telles formules serait évidemment d'allonger le processus de production, mais elles pourraient être réservées aux cas les plus difficiles ou douteux (du type travail à domicile ou travail en sous-traitance, par exemple) pour lesquels les discussions au Conseil d'administration ne font pas apparaître d'orientations suffisamment claires ou communes aux trois groupes.

Une variante de cette formule consisterait à aménager le Règlement de telle sorte que le schéma ou la structure ne soit pas fixé avant la première discussion, mais mis au point immédiatement après. Cette solution reviendrait en fait à traiter la deuxième discussion comme une simple discussion (la Conférence ayant toujours la possibilité, comme dans le cas précédent, de ne pas confirmer l'inscription si cette discussion préliminaire n'aboutissait pas à un résultat concluant quant à la viabilité de l'instrument ou des instruments envisagés en la matière). La difficulté est que cette solution ne laisserait pas suffisamment de temps (du moins si la question devait être traitée à deux sessions consécutives comme c'est normalement le cas): il faudrait appliquer une procédure accélérée telle que celle qui est prévue à l'article 38.4 du Règlement de la Conférence et établir directement sur la base de la première discussion un rapport définitif contenant un projet de convention ou de recommandation. Le problème du questionnaire se trouverait alors résolu par son élimination - solution qui pourra paraître par trop radicale à certains.

C'est pourquoi une dernière solution consisterait à revoir la formule du questionnaire elle-même. Cela impliquerait une transformation du questionnaire et l'adoption d'une procédure plus proche de celle qui est utilisée pour la négociation d'accords internationaux dans d'autres enceintes. La genèse d'autres instruments internationaux s'amorce souvent à partir d'un schéma de leur contenu possible, complété en cours de négociation par des propositions de texte. A l'OIT, les propositions sont toujours présentées sous forme de questions, ce qui ne permet pas de bien visualiser le futur dispositif. Rien n'empêcherait d'engager l'exercice en provoquant des réactions à des propositions de texte plutôt qu'en posant des questions qui doivent être converties en un projet de texte. Cela donnerait aux mandants une première idée des textes qui pourraient en résulter tout en leur offrant la possibilité de proposer d'autres formulations avant la tenue des débats à la Conférence, sans préjudice des amendements qu'ils pourraient souhaiter présenter en cours de session. Cela éliminerait entre autres les confusions fréquentes dues à l'utilisation du conditionnel dans les propositions initiales. Le questionnaire pourrait aussi être produit sous une forme qui permettrait d'accélérer l'analyse des réponses, par exemple avec deux cases destinées à indiquer l'acceptation ou la non-acceptation des propositions soumises et suffisamment d'espace pour formuler d'autres propositions. Les conclusions élaborées par le Bureau pourraient prendre en compte les suggestions des mandants qui trouveraient leur place dans la logique de l'instrument proposé, tout en continuant d'indiquer dans le rapport l'ensemble des suggestions. Une telle approche pourrait contribuer à améliorer sensiblement la qualité des instruments de l'OIT.

LA PROCEDURE D'AMENDEMENT

La procédure d'amendement découle essentiellement de l'article 63 du Règlement de la Conférence. Elle s'est enrichie d'une longue jurisprudence souvent inspirée des pratiques parlementaires nationales, avec les adaptations nécessaires pour tenir compte des contraintes spécifiques sous lesquelles la Conférence doit accomplir sa tâche, c'est-à-dire en particulier le temps extrêmement limité dont dispose la commission et le volume généralement très important des amendements. Cette procédure accentue l'autorité du président de la commission, dont les décisions ne peuvent être sujettes à contestation. Elle fait appel au vote comme méthode normale de prise des décisions. Toujours dans un souci de rapidité, le tri entre les amendements portant sur la même disposition se fait selon le système le plus expéditif, qui consiste à voter d'abord sur l'amendement le plus éloigné du texte proposé; cette façon de faire a pour résultat que, tendanciellement, la solution retenue est celle qui aboutit le plus rapidement à une majorité, même si cette majorité est la plus étroite, alors qu'il serait concevable par une méthode plus empirique et plus incrémentale, mais qui demanderait davantage de temps, de dégager une solution plus largement acceptable.

Ces considérations quelque peu techniques aideront à apprécier correctement le cadre dans lequel a pu naître et se développer le sentiment de frustration, dont la décision prise par un groupe de ne pas participer à la discussion dans la Commission du travail à domicile en 1996 offre une illustration particulièrement frappante. En l'espèce, on peut cependant regretter que la contestation ait pris pour cible un texte particulier dont la Conférence se trouvait régulièrement saisie au lieu de s'interroger sur ses causes. Il est difficile en effet de remédier à la situation et aux frustrations qu'elle engendre sans desserrer les contraintes qui en sont à l'origine. A mon avis, la solution la plus viable serait celle de la discussion générale préparatoire à laquelle j'ai déjà fait référence et qui permettrait d'apprécier l'étendue d'un accord préalable à partir du contour éventuel de l'instrument. On relèvera à cet égard que, selon l'article 16.3 de la Constitution, la décision de confirmer l'inscription de la question à l'ordre du jour de la session suivante ou d'une session ultérieure de la Conférence exige la majorité des deux tiers, ce qui offre déjà une certaine garantie que la question ne sera pas inscrite s'il existe une forte opposition; il serait du reste concevable de renforcer encore cette garantie dans le cadre du Règlement.

UN CODE DE BONNES PRATIQUES REDACTIONNELLES

L'adoption par le Conseil d'administration d'un code de bonnes pratiques rédactionnelles (concernant par exemple la rédaction des préambules, la manière de se référer à d'autres instruments, la manière d'éviter les redites entre une convention et la recommandation qui la complète ou entre différents instruments, le statut des clauses finales, etc.) contribuerait sans doute à éviter l'adoption par la Conférence de dispositions dont les possibilités d'application pratique ou la rigueur juridique sont discutables ou dont les écarts de forme compromettent l'homogénéité rédactionnelle du corpus normatif de l'Organisation et dont l'inclusion provoque des débats longs et stériles au comité de rédaction.

Bien que le rôle et la composition des comités de rédaction soient définis aux articles 6 et 59 du Règlement de la Conférence, il existe parfois une certaine confusion, sinon une méfiance, parmi les délégués quant à leurs fonctions et à leur mandat. La préoccupation légitime des délégués est de maintenir intactes les solutions de compromis obtenues lors des débats des commissions. Toutefois, ces solutions doivent être examinées par les comités de rédaction dans le contexte plus large du corpus normatif élaboré au fil du temps conformément à un certain nombre de règles de rédaction destinées à préserver la cohérence des instruments dans leur ensemble.

Il incombe donc au comité de rédaction de conserver dans leur substance les résultats des travaux des commissions tout en les examinant du point de vue de la clarté et de la forme. Si une formulation s'avère peu claire, elle devrait pouvoir être renvoyée à la commission technique pour une discussion plus approfondie. En ce qui concerne la forme, l'adoption et l'application d'un code de bonnes pratiques rédactionnelles exposeraient dès le départ les règles de rédaction développées à l'égard des instruments par le Bureau, de sorte que les commissions techniques de la Conférence et leurs membres au comité de rédaction seraient au courant de ces règles de base avant le début de leurs travaux. Ils auraient alors plus de temps pour se consacrer à leur mandat proprement dit, tel qu'il est défini par le Règlement.

Le fait de disposer à l'avance de toutes ces informations dans un code faisant autorité du fait de son approbation par le Conseil d'administration permettrait de mettre à profit le temps ainsi libéré pour le concentrer sur le travail de fond difficile auquel font face les délégués à la Conférence.

1 L'emploi dans le monde 1996/97: Les politiques nationales à l'heure de la mondialisation, p. 7: «Dans les pays industriels, l'impact sur l'emploi du commerce avec les pays à bas salaires a fait l'objet de débats animés entre experts. Globalement, les données disponibles semblent indiquer que la montée du chômage et la baisse des salaires des travailleurs non qualifiés dans les pays industriels ne s'expliquent que pour une faible part par l'expansion des échanges avec les pays en développement et par les délocalisations»; p. 75: «La plupart des auteurs s'accordent en fait à penser que les échanges internationaux ont contribué dans une certaine mesure à l'accroissement de l'inégalité des revenus mais qu'ils n'ont pas joué un rôle essentiel dans la baisse des salaires relatifs des travailleurs peu qualifiés.»

2 G. Soros: Le défi de l'argent (Paris, Plon, 1995), pp. 35 et 38.

3 Traduit de E. B. Kapstein, «Workers and the World Economy», Foreign Affairs (New York), mai-juin 1996, p. 32.

4 Un certain nombre de ministres du commerce ont à cet égard relevé à Singapour que les avantages attendus de la libéralisation des échanges tardaient parfois à se manifester.

5 Document GB.261/WP/SDL/1.

6 Nations Unies: Rapport du Sommet mondial pour le développement social (document A/CONF.166/9, 19 avril 1995), Engagement 3, pp. 15 et suiv.

7 Organisation de coopération et de développement économiques: Le commerce, l'emploi et les normes du travail, Une étude sur les droits fondamentaux des travailleurs et l'échange international (Paris, OCDE, 1996).

8 Organisation mondiale du commerce: Déclaration ministérielle de Singapour (document WT/MIN(96)DEC, 18 déc. 1996), paragr. 4.

9 Voir les propositions en ce sens énoncées plus loin, dans la section D du chapitre II «La nécessité d'une évaluation d'ensemble ex post» (pp. 63 et suiv.), ainsi que les discussions tenues au début des années trente au sujet des rapports sur les conventions non ratifiées, alors même que l'article 19 (art. 408 du Traité de Versailles) ne prévoyait à l'époque aucune obligation de faire rapport au sujet des raisons de la non-ratification (Procès-verbaux de la 48e session du Conseil d'administration du Bureau international du Travail, Paris, avril 1930, pp. 398-401).

10 Voir BIT: La liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, quatrième édition (Genève, 1996).

11 OCDE, op. cit., p. 170.

12 Pour le texte intégral de l'article 41, voir BIT: Compte rendu des travaux, Conférence internationale du Travail, 29e session, Montréal, 1946, pp. 604-607.

13 BIT: Questions constitutionnelles, Partie I: Rapports de la délégation de la Conférence pour les questions constitutionnelles, 29e session de la Conférence internationale du Travail, Montréal, 1946, paragr. 23.

14 Elle contient en effet un certain nombre d'illustrations des travers qu'il importe d'éviter et sur lesquels on reviendra dans la deuxième partie -- par exemple lorsqu'elle prescrit de prévenir et d'éliminer la congestion des villes.

15 Voir l'interview de Bagwati: «Counsel from a trade Guru», Business Times, 8 déc. 1996.

16 Piétinement parfois occulté par l'effet des ratifications des pays issus de l'éclatement de l'URSS, de la République fédérale socialiste de Yougoslavie ou de la Tchécoslovaquie. Ainsi, parmi les quelque 750 ratifications enregistrées entre 1992 et 1996, plus de 500 correspondent à des confirmations par les nouveaux Etats des conventions applicables sur leurs territoires avant qu'ils deviennent Membres de l'Organisation.

17 Document GB.254/16/19.

18 L'article 10 se réfère uniquement aux conventions internationales.

19 La Conférence, en tant qu'organe universel, a la haute main sur l'ordre du jour normatif et peut exprimer un avis à son sujet (ou, en tout cas, son désaccord en supprimant une question de l'ordre du jour). Il faut bien admettre cependant que le calendrier actuel de fixation de l'ordre du jour, qui se déroule entre le mois de novembre et le mois de mars, ne facilite pas une intervention utile de sa part; on voit mal du reste comment il serait possible d'organiser une discussion cohérente à ce sujet, si ce n'est dans le cadre d'une discussion préalable sur une proposition particulière (voir ci-après.)

20 BIT: Rapport du Directeur général, Partie I: Normes internationales du travail, Conférence internationale du Travail, 70e session, 1984, p. 18.

21 A titre d'exemple, voir le paragraphe 26 de la recommandation (no 115) sur le logement des travailleurs, 1961, ou la partie V de la recommandation (no 21) sur l'utilisation des loisirs, 1924. Le phénomène en question concerne même une convention à juste titre jugée prioritaire comme la convention no 122 (dont le texte demande pour l'essentiel aux Etats qui l'ont ratifiée de formuler et d'appliquer une politique active visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi). Compte tenu de la diversité des diagnostics et des écoles quant aux causes du chômage, le contenu de cette obligation ne peut que rester largement indéterminé sur le plan juridique. Comment mesurer dans ces conditions l'impact qu'elle peut avoir à l'égard de la réalisation de l'objectif poursuivi, la disparition du chômage? Il suffit à cet égard de considérer la diversité des résultats obtenus en matière de chômage par les pays qui ont ratifié cette convention pour se rendre compte que ses directives ne sont certainement pas un facteur d'explication suffisant. Une telle convention pourrait gagner en utilité pratique si, dans la logique de la Déclaration de Philadelphie, elle imposait aux Etats qui la ratifient d'adopter une attitude cohérente dans les instances internationales qui déterminent les conditions dans lesquelles une politique active de l'emploi pourrait trouver une possibilité d'application.

22 La création du Groupe de travail sur la politique de révision des normes au sein de la Commission des questions juridiques et des normes internationales du travail a été décidée par le Conseil d'administration à sa 262e session (mars-avril 1995) à la suite des débats de la Conférence en 1994 sur les normes internationales du travail. Il a tenu à ce jour quatre réunions lors des 264e (novembre 1995), 265e (mars 1996), 267e (novembre 1996), et 268e (mars 1997) sessions du Conseil d'administration.

23 BIT: Rapport du Directeur général -- Programme et structure de l'OIT, Conférence internationale du Travail, 48e session, 1964, p. 176.

24 BIT, ibid., p. 177.

25 BIT, ibid., p. 191.

26 Rapport du Directeur général, 1984, op. cit., p. 16.

27 Tel est le sens a contrario d'une intervention d'Albert Thomas à la 3e session de la Conférence internationale du Travail en 1921. Voir BIT: Compte rendu des travaux, vol. I, p. 217.

28 Voir, par exemple, les conventions nos 1, 4, 5 et 6.

29 BIT: Compte rendu des travaux, 15e session de la Conférence internationale du Travail, Genève, 1931, vol. II, pp. 3-5.

30 Par ce mécanisme, un lien institutionnel est établi entre la Conférence, organe investi de la fonction normative, et les parlements nationaux, à la décision desquels est subordonné l'effet obligatoire de ces textes pour les pays intéressés. Le but de la soumission aux autorités compétentes est à l'évidence de mettre les parlements en mesure de se prononcer en connaissance de cause sur la suite à donner aux instruments adoptés par l'OIT et d'aboutir à une décision, quelle qu'en soit la nature. Le contrôle de l'obligation de soumission est devenu au fil des ans un exercice formel à de rares exceptions près. Cette obligation constitutionnelle doit retrouver le caractère qui était le

sien à l'origine: inciter les Etats à ratifier ou à mettre en uvre les instruments qu'ils ont adoptés; apporter une assistance aux parlements; assurer une plus grande diffusion des déclarations ou propositions accompagnant la soumission, etc. Ce mécanisme ne fonctionne pas pour les conventions anciennes. C'est une des raisons pour lesquelles, à la suite du Sommet social de Copenhague, j'ai demandé aux Etats qui ne l'avaient pas encore fait d'indiquer leurs intentions quant à la ratification des sept conventions fondamentales. Cependant, je ne crois pas que cette solution soit à étendre à d'autres instruments. Elle doit rester exceptionnelle, réservée aux conventions fondamentales, sous peine de perdre toute efficacité.

31 BIT: Rapport du Directeur, Conférence internationale du Travail, 27e session, Paris, 1945, p. 176.

32 Loc. cit.

33 C'est pourquoi la Délégation de la Conférence pour les questions constitutionnelles s'était efforcée en 1946 (avec peu de succès) de remédier à l'avantage concurrentiel indu des pays fédéraux.

34 Voir le document GB.267/LILS/WP/PRS/1 ainsi que le projet d'article 45 bis à insérer dans le Règlement de la Conférence dont la Conférence est saisie cette année dans le cadre de la proposition d'amendement constitutionnel.

35 BIT: Questions constitutionnelles, Partie 1: Rapports de la Délégation de la Conférence pour les questions constitutionnelles, 29e session de la Conférence internationale du Travail, Montréal, 1946, paragr. 43 et 58.

36 Ce mécanisme qui n'a pas d'équivalent dans d'autres organisations internationales a permis d'informer ceux qui sont en mesure de prendre des décisions des suites à donner aux instruments adoptés par la Conférence. Il est possible que, avec le temps ou dans la perspective d'une modification des fonctions des parlements, qui sont les autorités compétentes naturelles, l'obligation de soumission ait été considérée comme une obligation formelle. Or les paragraphes 5 c) et 6 c) de l'article 19 prévoient que le Bureau sera informé des décisions prises. Il serait utile de réfléchir aux moyens de revitaliser la soumission dans la ligne du mémorandum adopté par le Conseil d'administration afin de redonner pleinement son sens à cette obligation.

37 BIT, Questions constitutionnelles, op. cit., paragr. 74.

38 Rapport du Directeur général, 1964, op. cit., p. 190.

39 Ibid., p. 191.

40 Rapport du Directeur général, 1984, op. cit., p. 20.

41 BIT: Rapport de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, Conférence internationale du Travail, 33e session, Genève, 1950, rapport III (partie 4), pp. 2 et 3, et idem, 53e session, 1969, rapport III (partie 4), p. 188.

42 Rapport du Directeur général, 1964, op. cit., p. 177.

43 BIT, Questions constitutionnelles, op. cit., paragr. 12.

44 Le cas s'est cependant produit il y a plusieurs années lorsque, dès l'ouverture des travaux, une délégation a proposé de discuter sur la base d'un texte alternatif. Il s'agissait de discussions sur la révision de la convention concernant les travailleurs migrants lors de la 32e session de la Conférence internationale du Travail en 1949. Voir Compte rendu des travaux, pp. 565 et suiv.

45 Rapport du Directeur général, 1984, op. cit., p. 20.


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