Entretiens France-BIT

Nouveaux modes de production au niveau mondial : quelles opportunités et quels enjeux pour l'emploi et le travail ?

Le but de cet entretien est d’engager une discussion sur le travail décent dans les chaînes d'approvisionnement mondiales à la lumière des évolutions des modes de production au niveau mondial au cours des dernières décennies.

Le but de cette conférence est d’engager une discussion de haut niveau entre experts, partenaires sociaux et décideurs politiques sur la dimension "travail" des chaînes d'approvisionnement mondiales et de réfléchir à la contribution de ce sujet dans le débat lancé dans la perspective du centenaire de l’OIT en 2019 sur "l'avenir du travail". Au travers de ce débat, l’OIT souhaite examiner les développements et les défis majeurs qui se posent pour le travail dans le monde et qui l’interroge sur son rôle au XXIe siècle.

Des évolutions considérables dans les modes de production des biens et des services au niveau mondial ont été observées durant les dernières décennies. Une grande partie des échanges font dorénavant intervenir des entreprises connectées entre elles et coordonnées par des groupes multinationaux qui n’en sont pas nécessairement les propriétaires. Ce développement de réseaux de production mondiale (RPM) (Barrientos et al. 2011) a pour but de faciliter au-delà des frontières l’intégration de toutes les séquences d’activité, de la conception à la distribution du produit, c’est-à-dire la constitution de la chaîne de valeur.

Lors du Sommet du G20 de Los Cabos en juin 2012, les chefs d’Etat ont rappelé "l’importance des chaînes régionales et mondiales de valeur, en reconnaissant leur rôle dans la promotion de la croissance économique, de l'emploi et du développement; et en mettant l'accent sur le besoin de renforcer la participation des pays en développement dans ces chaînes". Les pays du G20 ont souhaité qu’une attention accrue soit portée sur "l’analyse du fonctionnement des chaînes de valeur mondiales et de leur relation avec le commerce et les flux d’investissements, le développement et l'emploi". En septembre 2014, les ministres du Travail du G20 ont déclaré que l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail était une priorité urgente et se sont engagés à prendre des mesures afin de "promouvoir des pratiques responsables dans les chaînes d'approvisionnement afin d’améliorer la sécurité et la santé au travail".

De même pour l'Organisation Internationale du Travail (OIT), il s'agit d'un sujet d'actualité puisque la question du travail décent dans les chaînes d’approvisionnement est inscrite à l'ordre du jour de la Conférence Internationale du Travail (CIT) de 2016. L'objectif global de cette discussion sera l'identification des bonnes pratiques en matière d'emploi productif et de travail décent dans ces chaînes. Dans le cadre de son suivi, plusieurs sujets de discussion ont été sélectionnés. Le premier se rapporte aux principaux changements structurels, aux tendances et aux facteurs, y compris leur contribution au développement économique (national et local). Un deuxième élément s’intéresse à leurs implications sur la création d'emplois, les compétences et les conditions de travail, y compris les salaires, le temps de travail, ainsi que la santé et sécurité au travail. Enfin, plusieurs questions de gouvernance seront abordées, allant du rôle des normes internationales du travail, des rôles et des responsabilités des acteurs étatiques et non-étatiques et du dialogue social.

L’impact des réseaux de production mondiale sur la quantité et la qualité des emplois

En 2007, le BIT a été à l’initiative du réseau de chercheurs "Capturing the gains: Economic and social upgrading in production networks" qui a pour but d’analyser les liens entre les échanges, la production et l’emploi créés par les RPM. Des résultats de ces recherches ont été publiés en 2011 dans la Revue internationale du travail (1). Ils montrent qu’une part très significative des travailleurs au niveau mondial sont actuellement engagés dans une activité en lien avec les RPM.

Le développement de ces derniers a permis à un grand nombre de personnes d’accéder à un emploi et ainsi d’assurer une nouvelle source de revenu pour leur famille. Néanmoins, la création d’emploi varie entre secteurs et entre économies développées et émergentes.

On peut s’interroger sur l’impact de la diffusion de ces réseaux sur la qualité du travail, comme les conditions de travail (salaire, heures de travail, santé et sécurité), la relation d’emploi mais aussi l’informalité. De même, la question des effets de ces réseaux sur l’égalité entre les genres et la liberté syndicale peut également être posée.

Ces travaux ont ainsi montré que le développement de ces nouveaux modes de production pouvait avoir selon les secteurs et les pays des effets économiques et sociaux ambivalents du fait d’une double pression subie par les entreprises : d’un côté ces dernières sont soumises à des normes de qualité qui incitent au perfectionnement de la main d’œuvre et au renforcement des compétences, de l’autre, le renforcement de la concurrence peut induire une pression à la baisse sur les coûts et donc un risque de précarisation, voire de renforcement de l’informalité.

D’un point de vue macroéconomique, il est aussi intéressant de s’interroger sur l’impact pour l’emploi d’une interconnexion plus importante des économies par l’intermédiaire des RPM. Cette analyse doit tenir en compte les conditions qui prévaudraient en absence des RPM. Ce sujet est d’autant plus pertinent que les RPM au niveau mondial ne se résument plus à des échanges entre le Nord et le Sud mais impliquent de plus en plus souvent des pays du Sud entre eux.

Les nouveaux modes de gouvernance liées au développement des réseaux de production mondiale

Cette discussion pourrait permettre d’évaluer les options normatives et institutionnelles afin d’assurer une relation positive entre l’amélioration économique et l’amélioration sociale. Les RPM sont en effet régis par un cadre normatif complexe dans lequel se superposent des législations nationales, des accords régionaux de libre-échange et d’investissement, des initiatives de responsabilité sociale des entreprises privées et des normes internationales comme celles de l’OIT. Les rôles des acteurs tendent eux aussi à se complexifier. On peut par exemple citer l’implication toujours plus grande des syndicats, des organisations des employeurs, et de la société civile dans la négociation et la surveillance des codes de conduite.

La prolifération des RPM a renforcé le rôle d’un nombre de grands acheteurs mondiaux par rapport aux Etats dans la gouvernance des normes du travail. Il en découle de nombreuses initiatives de responsabilité sociale des entreprises qui peuvent impliquer à différents degrés une multitude d’acteurs : des entreprises, des associations sectorielles, des fédérations syndicales globales et autres organisations non-gouvernementales, l’état et des organisations inter-gouvernementales. Cette conférence apportera un éclairage à l’effectivité et l’efficacité de ces différentes initiatives.

Enfin, une telle discussion permettrait de dessiner des nouvelles réponses aux changements rapides dans les chaînes d'approvisionnement mondiales.

1. Dossier « Travail décent et réseaux de production mondiaux », Revue Internationale du Travail, 2011 3-4, volume 150.