La crise a ouvert un nouvel espace pour les discriminations au travail

Les périodes de difficultés économiques sont un terrain propice à l’éclosion de discriminations au travail et dans l’ensemble de la société. Le nouveau Rapport global du BIT intitulé L’égalité au travail: un objectif qui reste à atteindre cite les organismes de promotion de l’égalité qui reçoivent un nombre croissant de plaintes, témoignant que les discriminations au travail se sont diversifiées et que la discrimination à motifs multiples devient la règle plutôt que l’exception.

Le rapport Rapport I(B) - L’égalité au travail: un objectif qui reste à atteindre - Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail tire la sonnette d’alarme sur une tendance qui veut qu’en période de ralentissement économique les politiques antidiscriminatoires et les droits des travailleurs passent, dans la pratique, au second plan. «On le constate avec la montée des solutions populistes», affirme le Directeur général du BIT, Juan Somavia, ajoutant que «cela met en péril les acquis difficilement obtenus en plusieurs décennies».

Selon le rapport, les mesures d’austérité, la compression des budgets des services de l’administration et de l’inspection du travail et la réduction des fonds mis à la disposition des organismes chargés des questions de discrimination et d’égalité, peuvent sérieusement compromettre l’aptitude des institutions existantes à prévenir le regain de discriminations et d’inégalités engendré par la crise économique.

Dans ce contexte, les données fiables manquent et il devient dès lors difficile d’évaluer l’impact exact de ces mesures, remarque le rapport. Il invite donc les gouvernements à mettre en place des ressources humaines, techniques et financières afin d’améliorer le recueil des données sur la discrimination au niveau national.

Le rapport relève aussi que de nouvelles formes de discrimination se font jour au travail alors que les anciens problèmes ne sont, au mieux, que partiellement résolus.

La réponse de l’OIT

Le Rapport global recommande une série de mesures pour combattre les discriminations. Elles concernent quatre domaines d’action prioritaires: promotion de la ratification et de l’application universelles des deux conventions fondamentales de l’OIT sur l’égalité et la non-discrimination; production et partage de connaissances sur l’élimination de la discrimination dans l’emploi et la profession; renforcement de la capacité institutionnelle des mandants de l’OIT afin qu’ils appliquent efficacement le droit fondamental à la non-discrimination au travail; et consolidation des partenariats internationaux avec de grands défenseurs de l’égalité.

Les ratifications des deux conventions fondamentales de l’OIT dans ce domaine – la convention (n° 100) sur l’égalité de rémunération, 1951, et la convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 – sont au nombre, respectivement, de 168 et169 sur un total de 183 Etats Membres de l’OIT. Le rapport précise que lorsque le niveau de ratification dépasse les 90 pour cent, l’objectif de ratification universelle est en bonne voie.

«La discrimination met en péril les acquis difficilement obtenus en plusieurs décennies»

«Le droit fondamental de toutes les femmes et de tous les hommes à la non-discrimination dans l’emploi et la profession fait partie intégrante des politiques de travail décent visant à créer une croissance économique plus équilibrée et durable et des sociétés plus justes», déclare M. Somavia. «Ce qu’il faut, c’est combiner une politique de croissance économique avec une politique en faveur de l’emploi, de la protection sociale et des droits au travail, permettant aux gouvernements, aux partenaires sociaux et à la société civile de travailler ensemble, notamment en changeant les comportements grâce à l’éducation.»

Le rapport fait partie d’une série d’études publiées chaque année sur les principales normes du travail de l’OIT; il a été préparé en vertu du suivi de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1998. La Déclaration est axée sur quatre principes – liberté d’association, abolition du travail des enfants, élimination du travail forcé et élimination des discriminations.

Voici les principaux enseignements du rapport:

  • Des progrès notoires ont été accomplis ces dernières décennies pour faire progresser l’égalité entre les sexes dans le monde du travail. Cependant, l’écart de rémunération persiste, les salaires des femmes ne représentant que 70 à 90 pour cent de ceux des hommes en moyenne. Si des règles plus souples d’aménagement du temps de travail sont progressivement introduites dans le cadre de politiques plus favorables à la famille, la discrimination liée à la grossesse et à la maternité est encore fréquente.
  • Le harcèlement sexuel est un grave problème sur les lieux de travail. Les femmes jeunes, financièrement dépendantes, célibataires ou divorcées, et les femmes immigrées, sont les plus vulnérables, alors que les hommes qui subissent le harcèlement ont tendance à être jeunes, homosexuels, ou à appartenir à des minorités raciales ou ethniques.
  • Combattre le racisme est plus que jamais à l’ordre du jour. Les barrières qui entravent le libre accès au marché du travail doivent être démantelées, surtout pour les populations d’origine africaine ou asiatique, les peuples autochtones et les minorités ethniques et, par-dessus tout, les femmes appartenant à ces divers groupes.
  • Les travailleurs migrants sont confrontés à des discriminations fréquentes à l’embauche et beaucoup connaissent encore des discriminations dans l’emploi, y compris pour accéder aux programmes d’assurance sociale.
  • Un nombre croissant d’hommes et de femmes subissent des discriminations pour des motifs religieux, alors que les discriminations d’ordre politique sont plus fréquentes dans le secteur public, où la loyauté à l’égard des politiques menées par le pouvoir en place peut être un facteur d’accès à l’emploi.
  • Les discriminations liées au travail perdurent pour une grande partie des 650 millions de personnes handicapées dans le monde, comme en témoigne leur faible taux d’emploi.
  • Les personnes vivant avec le VIH/sida peuvent souffrir de discrimination par le biais des politiques de dépistage obligatoire ou dans le cadre d’un dépistage qui n’est pas authentiquement volontaire ni confidentiel.
  • Dans l’Union européenne, un total de 64 pour cent des personnes interrogées s’attendaient à ce que la crise économique débouche sur davantage de discriminations liées à l’âge sur le marché du travail.
  • Dans un petit nombre de pays industrialisés, la discrimination liée au style de vie est devenue une question d’actualité, surtout pour ce qui concerne le tabagisme et l’obésité.

Interdiction de fumer? Les lieux de travail sans fumée enflamment les discussions sur les droits des fumeurs

Dans un monde où un quart des plus de 15 ans sont fumeurs, la plupart d’entre eux étant en âge de travailler, rien d’étonnant à ce que l’usage du tabac sur les lieux de travail soit devenu un enjeu de taille en quelques années. Créer un environnement de travail sûr et sain pour tous les employés relève d’une responsabilité que les entreprises et les organisations ne peuvent pas prendre à la légère. Reportage de Tara S. Kerpelman, journaliste en poste à Genève.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le tabagisme tue chaque année près de six millions de personnes; c’est plus d’une fois et demie la population de la Nouvelle-Zélande. Bien que 83 pour cent de ces décès concernent des fumeurs ou d’anciens fumeurs, plus de 600 000 frappent des non-fumeurs pour avoir été exposés au tabagisme passif. «Après l’hypertension, l’usage du tabac est le plus grand facteur de maladies non contagieuses», affirme l’OMS.

Des discussions passionnées ont surgi après l’adoption de nouvelles politiques concernant les espaces non-fumeurs sur les lieux de travail, de l’interdiction de fumer sauf dans des zones réservées, à la classification de zones publiques en plein air tels que les parcs «non-fumeurs», à l’élimination totale du tabac sur le lieu de travail en passant au crible les postulants à un emploi pour déterminer s’ils sont fumeurs ou non.

Certains affirment que c’est une discrimination absolue d’exclure les fumeurs de l’emploi. D’autres disent que fumer est un choix individuel et que, par conséquent, ce type d’examen est une atteinte aux droits de l’homme. D’autres encore pensent que les employés non-fumeurs ont le droit de travailler dans un environnement préservé.

«Fumer est une addiction, mais c’est aussi un choix personnel», déclare Andrew Bean, recruteur dans une agence de consultants en ressources humaines à Genève, en Suisse. Son opinion est que refuser à un fumeur le droit de travailler revient au même que de refuser à quelqu’un de travailler en raison de sa religion, de son style de vie ou de ses opinions politiques.

«Toutes les décisions relatives à l’emploi doivent se fonder sur la capacité de la personne à occuper un poste»

L’OIT définit la discrimination à l’emploi comme «toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession».

«L’un des principaux aspects du principe de non-discrimination et d’égalité au travail est que toutes les décisions relatives à l’emploi doivent se fonder sur la capacité de la personne à occuper un poste», déclare Lisa Wong, spécialiste principale de la Déclaration au Programme de promotion de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail du BIT.

«S’il est prouvé que fumer, y compris en dehors des horaires de travail et hors des locaux, affecte la réalisation des tâches professionnelles, il n’y aucun problème à ne pas recruter un fumeur», dit-elle. «De la même manière, fumer pourrait être un motif valable de renvoi si cela nuisait aux collègues ou à d’autres personnes avec lesquelles le fumeur est en contact quotidien au cours de son travail.»

Sandra Volken, qui travaille à Zurich, en Suisse, s’est trouvée dans cette situation. Après avoir eu un entretien avec une candidate à l’embauche, elle a déclaré: «Nous ne l’avons pas embauchée parce qu’elle sentait comme quelqu’un qui fume vraiment beaucoup. [Cela] nous a tous incommodés.»

Promouvoir un environnement de travail sain

La volonté d’instaurer un environnement sain qui protège le bien-être des employés est l’une des raisons primordiales pour lesquelles les sociétés s’orientent vers l’adoption de règles prohibant le tabac. En 2005, l’OMS a mis en place une politique visant à écarter les candidatures des fumeurs pour les offres d’emplois au sein de l’Organisation, en application de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (FCTC –Framework Convention on Tobacco Control).

Sur le formulaire de candidature, les postulants se voient demander s’ils sont fumeurs et, dans l’affirmative, ils doivent préciser s’ils sont désireux de renoncer si on leur proposait un poste dans l’organisation. «Si les fumeurs/usagers du tabac n’indiquent pas qu’ils souhaitent essayer d’arrêter de fumer, leur candidature cesse d’être examinée», a déclaré David Nolan, coordinateur pour le recrutement, la gestion de carrière et la conception organisationnelle au Département de gestion des ressources humaines à l’OMS.

Selon M. Nolan, l’OMS considère que cette politique n’est ni une atteinte à la vie privée ni une violation des droits de l’homme. «L’OMS est en première ligne de la campagne mondiale pour inverser l’épidémie de tabagisme. L’Organisation a la responsabilité de s’assurer que cela se reflète dans toutes ses activités, y compris en matière de recrutement», ajoute-t-il. «La politique qui consiste à ne pas recruter de fumeurs ou autres usagers du tabac est la démonstration concrète de l’engagement de l’Organisation pour “débanaliser” l’usage du tabac et promouvoir le contrôle mondial du tabac.»

En 2002, Caroline Fichtenberg et Stanton Glantz ont mené une revue systématique en enquêtant sur l’effet des espaces non-fumeurs sur le comportement tabagique: «Les espaces sans fumée ne protègent pas seulement les non-fumeurs des dangers du tabagisme passif, ils encouragent aussi les fumeurs à cesser de fumer ou à réduire leur consommation; ils ont fait baisser la consommation totale de cigarettes par employé de 29 pour cent», déclarent-ils.

«Si tous les lieux de travail qui ne sont pas encore non-fumeurs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni devaient devenir non-fumeurs, la consommation [de cigarettes] par tête (pour l’ensemble de la population adulte) chuterait respectivement de 4,5 pour cent et 7,6 pour cent dans les deux pays», affirme le rapport.

Les législations antitabac se multiplient

Ces dernières années, de nombreux pays ont mis en œuvre des lois interdisant de fumer dans les lieux publics, en vue de protéger les non-fumeurs du tabagisme passif. Le secteur hôtelier en a subi les conséquences économiques: il a souffert quand la clientèle fumeuse n’a plus été en mesure d’allumer une cigarette où bon lui semblait.

La Bagatelle, l’un des plus anciens restaurants de Genève, a vu sa clientèle diminuer. «Probablement 30 pour cent de nos clients du matin étaient des étudiants qui venaient boire un café en fumant une cigarette. Ils sont tous partis maintenant», confie David Wailliez, cogérant. «Le pire, c’est que parfois le restaurant est tout simplement désert.»

Alors que les discussions sur l’aménagement de nouveaux espaces non-fumeurs se poursuivent, les gouvernements, les employeurs et les travailleurs doivent être sensibilisés à ces questions afin qu’ils collaborent à la recherche des meilleurs moyens de créer un environnement de travail sain et sûr. «Refuser un emploi ou licencier quelqu’un de qualifié parce qu’il fume en dehors de ses heures de travail représenterait une discrimination et constituerait une intrusion indue dans sa vie privée», explique Lisa Wong. Dans ce cas, où sont les limites? Peut-être qu’à l’avenir, nous parviendrons à des accords entre toutes les parties et que les normes internationales sur les droits des fumeurs et des non-fumeurs pourront être appliquées.