Handicapés en Ethiopie: Rendre les services accessibles aux pauvres

La majorité des trois millions d'habitants de l'Ethiopie vivent dans des taudis et des zones d'habitations improvisées. En juin 2005, le Président du pays a inauguré les premières de trente nouvelles installations de douches et toilettes publics administrées par une coopérative de personnes handicapées d'Addis-Abeba, avec le soutien de l'OIT. Ce projet original de la Fédération éthiopienne des personnes handicapées, qui consiste à rénover les installations sanitaires existantes en permettant aux personnes handicapées de réaliser leur potentiel économique a été lauréat du concours du Marché du développement de la Banque mondiale en 2003.

ADDIS-ABEBA - Abaynesh Geneyehu Damtew, 20 ans, est handicapée. Originaire du nord de l'Ethiopie, elle a quitté sa ville natale d'Alamata il y a huit ans pour se faire soigner dans la capitale et elle n'a pas revu sa famille depuis.

"Ma famille n'avait pas besoin de moi parce que je suis handicapée. Là où je suis née, il n'y a pas d'organisation de handicapés. Les gens ne sont pas sensibilisés à ce problème. Il n'y a ni aide ni services pour nous", explique-t-elle.

Une fois son traitement médical terminé, Abaynesh a adhéré à l'Association nationale des handicapés physiques. Elle porte une prothèse sous le genou droit à cause de son infirmité, due à la polio. Malgré ses difficultés de déplacement, elle fréquente les cours du soir à l'école secondaire Basilios.

"Je dois m'instruire aujourd'hui pour changer ma vie demain", dit-elle. "Et plutôt que de rester assise à ne rien faire, travailler donne un sens à ma vie." Avant d'aller à l'école, elle suit quatre jours par semaine, de 8 heures à 12 h30, un cours de formation professionnelle pour devenir tailleur et elle travaille comme femme de ménage, de 13 heures à 20 heures, dans l'un des trente établissements sanitaires publics que gère la coopérative Yenegew Sew Sanitary Service.

Cette coopérative a été constituée grâce au prix remporté en 2003 par le projet de la Fédération éthiopienne des personnes handicapées (EFPD) dans le cadre du concours de la Banque mondiale, dénommé Marché du développement. Ce projet, qui consiste à rénover des installations sanitaires en créant des emplois pour des chômeurs handicapés, a été l'un des 186 qui ont été retenus sur plus de 2700.

Lorsqu'il a été conçu, l'Agence communale pour l'assainissement et l'amélioration de l'environnement urbain envisageait de construire plus de 200 nouveaux sanitaires publics et de sous-traiter la gestion des installations existantes à des organisations privées et à des associations disposées à garantir des prix abordables aux usagers. La commune et l'OIT ont alors aidé l'EFPD à présenter à la Banque mondiale son projet de rénovation et de gestion de trente installations.

Le but du concours mondial du Marché du développement est de financer les idées de développement les plus créatives repérées dans le monde entier. L'édition 2003 avait pour thème: "Rendre les services accessibles aux pauvres". Dans une ville où 24 pour cent des logements n'ont pas de toilettes du tout et 45 pour cent partagent des latrines communes, l'idée de la Fédération a grandement contribué à l'amélioration de la santé et de l'hygiène publiques.

Des emplois pour les handicapés

L'EFPD a donné le coup d'envoi du projet dénommé "Egalité des chances pour les personnes handicapées" en janvier 2004.

"Les toilettes publiques existantes étaient mal conçues et inégalement réparties dans la ville. Elles étaient souvent vandalisées. Lorsque le projet a débuté, seulement 28 des 72 installations existantes étaient en état de fonctionner", explique Fisiha Belay, Directeur général de la Fédération.

L'EFPD a rénové 30 toilettes et construit deux nouveaux blocs comprenant 72 douches et une laverie expérimentale. En outre, elle a créé une coopérative qui a donné des emplois à 250 chômeurs malvoyants, malentendants ou handicapés moteurs ainsi qu'à d'anciens lépreux et à des mères souffrant d'un retard mental.

La coopérative fait payer 0,25 birr (soit 0,03 dollar) l'accès aux toilettes et 1 birr (0,12 dollar) l'accès à la douche. "Les habitants d'Addis-Abeba ne sont pas habitués à payer pour utiliser les toilettes publiques mais ils ont assez bien réagi et cela devrait aller de mieux en mieux", affirme M. Belay.

"Notre seul problème est que le camion de vidange de la commune met du temps à venir et que nous devons suspendre le service lorsque les fosses septiques sont pleines… C'est pourquoi, avec l'EFPD, la coopérative des personnes handicapées a préparé un projet pour l'achat d'un camion de vidange", poursuit-il.

Les dirigeants de la coopérative ont suivi un cours de gestion et ont participé à un voyage d'études en Tanzanie pour apprendre à administrer des installations sanitaires collectives dans le cadre d'un projet d'assainissement urbain de l'OIT à Dar Es-Salaam. Les membres de la coopérative ont appris à gérer un service clientèle et ont suivi des cours de marketing, de maintenance et de plomberie. L'OIT et l'agence de coopération au développement du gouvernement irlandais (DCI) ont dispensé cette formation par le biais d'un projet commun visant à développer l'entrepreneuriat chez les femmes handicapées, qui existait déjà à Addis-Abeba et dans les régions d'Amhara et du Tigré.

L'OIT promeut l'égalité des chances dans l'emploi

L'OIT promeut l'égalité des chances dans l'emploi des personnes handicapées par le biais de ses activités de recherche, d'information et d'assistance technique. Les principaux instruments qu'elle a adoptés pour ce faire sont la convention n°159 sur la réadaptation professionnelle et l'emploi des personnes handicapées (1983) et le Recueil de directives pratiques du BIT sur la gestion du handicap sur le lieu de travail (2001).

Elle aide les décideurs, les partenaires sociaux et les organisations de personnes handicapées à concevoir et exécuter des programmes de formation professionnelle et de réadaptation ainsi qu'à élaborer et appliquer des mesures et des lois garantissant l'égalité de chances et de traitement des personnes handicapées dans la formation et l'emploi. Les projets de coopération technique sont un bon moyen de montrer comment mettre ces principes en pratique.

"Les personnes handicapées étant souvent bloquées dans le cercle vicieux de la marginalisation, de la pauvreté et de l'exclusion sociale, une action volontariste est nécessaire pour les aider à briser ce cercle", explique Barbara Murray, spécialiste principale au BIT. "Le projet de toilettes et douches publiques d'Addis-Abeba permet non seulement de franchir les barrières qui empêchent les handicapés d'obtenir un emploi et de tenir leur place dans la société mais aussi de mettre des services publics à la disposition des autres pauvres."

The importance of vocational training for disabled workers:

"Les handicapés veulent ce que nous voulons tous: la possibilité d'avoir accès à l'école, de trouver un travail rémunérateur, de mener une vie qui en vaut la peine et d'être un membre estimé de la communauté et du monde en général."

James Wolfensohn et Amartya Sen, 2004

Plus de la moitié des 610 millions de personnes handicapées de la planète sont en âge de travailler et veulent travailler. Mais la discrimination les en empêche bien souvent même s'ils ont des qualifications et des compétences. En outre, le niveau et la qualité de la formation professionnelle des handicapés posent encore des problèmes dans de nombreux pays.

Pour les 400 millions de personnes handicapées des pays en développement, ces problèmes sont aggravés par le fait que la majorité vivent dans des zones rurales, souvent très loin des programmes de formation en internat qui sont organisés dans les villes. De ce simple fait, beaucoup de handicapés ne peuvent participer à ces programmes car ils dépendent de l'aide de leur famille.

La convention n°159 sur la réadaptation professionnelle et l'emploi des handicapés, adoptée par l'OIT en 1983, fait obligation aux Etats Membres de formuler une politique nationale concernant les handicapés, qui doit être fondée sur le principe de l'égalité des chances, de l'égalité de traitement et de la non-discrimination dans la formation et dans l'emploi entre les personnes handicapées et le reste de la population. Pour faciliter la formation professionnelle et l'emploi des personnes handicapées, l'OIT collabore avec les gouvernements et les organisations de travailleurs et d'employeurs ainsi qu'avec le mouvement associatif et le secteur privé.

Au sortir de leur formation, les personnes handicapées des pays en développement n'ont généralement d'autre choix que de se lancer dans une forme ou une autre d'emploi indépendant. Le projet éthiopien décrit dans cet article illustre la manière dont l'OIT collabore avec des organisations de personnes handicapées afin de créer des débouchés durables, tout en formant ces organisations pour qu'elles soient en mesure de prendre le relais une fois le projet terminé.

Lectures recommandées:

La gestion du handicap sur le lieu de travail. Recueil de directives pratiques du BIT. ISBN 92-2-211639-9.

Placement of job-seekers with disabilities: Elements of an effective service. ISBN 92-2-115114-X.

Assisting disabled persons in finding employment: A practical guide. ISBN 92-2-115116-6.

Job and work analysis: Guidelines on identifying jobs for persons with disabilities. ISBN 92-2-117864-1.

Trade unions and workers with disabilities: Promoting decent work, combating discrimination. Education ouvrière, vol. 2004/4, numéro 137, ISSN 0378-5467.

Pour tout renseignement, consulter le site www.ilo.org/publns ou écrire à l'adresse: pubvente@ilo.org.