Etrangers dans un pays inconnu - Les dangers cachés des migrations: Intensification de la traite des enfants

Dans de nombreuses régions du monde, les migrations confèrent une dimension nouvelle au problème du travail des enfants en exposant ceux-ci au risque de tomber entre les mains de trafiquants. L'article qui suit explique comment les migrants sont pris au piège de la traite et décrit l'action menée par le BIT pour mettre fin à l'une des pires formes de travail des enfants.

BANGKOK - Dans la musique assourdissante qui s'échappe d'un rendez-vous nocturne de Bangkok, un jeune garçon vend du chewing-gum à un groupe de touristes assis à l'extérieur. Il ne doit pas avoir plus de huit ou neuf ans. Quand l'un de ses clients lui demande d'où il vient, il répond "de Thaïlande". "D'où en Thaïlande?" Il hausse les épaules mais quelques questions plus tard, finit par avouer qu'il vient en réalité du Cambodge voisin.

Un surveillant est sans doute dans les parages. Ce garçon fait certainement partie d'une "équipe" d'enfants exploités qui mendient, cirent les chaussures, vendent des fleurs et parfois, ce qui est le plus triste, se vendent eux-mêmes.

Cet enfant malingre, débraillé et pieds nus est très probablement une victime de la traite des êtres humains. Il aura été soit vendu par sa famille ou ses tuteurs, soit emmené par un intermédiaire pour "trouver du travail" en ville. Bien souvent l'intermédiaire en question n'est autre qu'un parent ou un ami de la famille qui revend ensuite l'enfant à quelqu'un d'autre. Certains enfants ne revoient jamais leurs proches.

Cette forme d'exploitation est couramment pratiquée dans de nombreuses régions du monde et notamment en Asie du Sud-Est. Le fait est que l'offre et la demande existent et que c'est-là le principal obstacle à l'élimination des pires formes de travail des enfants, tâche confiée à l'OIT en vertu de plusieurs conventions internationales dont la convention n°182 sur l'élimination des pires formes de travail des enfants, que les Etats Membres ont adoptée à l'unanimité en 1989.

L'intensification des migrations complexifie le problème de la traite des enfants. Une enquête ( Note 1) récemment conduite par le gouvernement de la République démocratique lao avec l'appui du BIT confirme les craintes : au moins dans le cas du Laos, les migrations internationales aggravent le risque de traite des êtres humains. Beaucoup de migrants ne sont pas conscients des dangers qu'ils courent en voyageant sans préparation et sans information ni des difficultés qui les attendent à leur arrivée dans un pays étranger. Les trafiquants profitent de leur fragilité, leurs cibles de prédilection étant les enfants - surtout les petites filles - et les jeunes femmes.

Fait extrêmement inquiétant, l'enquête lao, menée dans trois provinces, révèle que plus de 50% des migrants de moins de 18 ans n'ont jamais donné signe de vie depuis leur départ, en général au cours de ces trois dernières années.

Sept pour cent des 6000 ménages interrogés ont des parents à l'étranger, dont un sur cinq a moins de 18 ans. Les deux-tiers sont des filles.

Ces résultats sont troublants et pourtant le Laos n'est que l'un de plusieurs pays d'Asie du Sud-Est où l'impréparation des migrants, la pauvreté, l'enracinement de l'inégalité entre les hommes et les femmes et le manque d'information sont autant de facteurs qui facilitent la tâche des trafiquants.

Pratiquement aucune région du monde n'est épargnée. Les victimes sont généralement "choisies" dans un pays et envoyées dans un autre en transitant parfois par un troisième.

Mais la traite des êtres humains n'est pas seulement un phénomène international. En Chine, le formidable essor économique des zones urbaines de la côte a provoqué l'afflux d'une véritable marée humaine dans les villes. Dans la seule province du Henan, jusqu'à 28% des 96 millions d'habitants se seraient déplacés.

Cette énorme migration interne contribue au développement économique vertigineux de la Chine et, à n'en pas douter, la plupart des migrants n'ont qu'à se féliciter du changement. Néanmoins, la ruée vers les villes offre aux trafiquants une occasion inespérée de se livrer à leur activité. Les filles et les jeunes femmes sont des proies faciles, vendues à l'industrie du "spectacle" ou mariées de force.

Voici l'histoire de Mei, 23 ans.

Elle et deux de ses camarades de classe ont été enlevées après avoir accepté une promenade en plein jour avec deux hommes qu'elles venaient de rencontrer. Elles s'aperçurent très vite qu'elles avaient été flouées et que les hommes allaient les vendre en vue d'un mariage forcé. Mei réussit à s'échapper et alla prévenir la police qui sauva les deux autres fillettes.

Malheureusement, toutes les histoires ne se terminent pas aussi bien. Chaque jour, des enfants sont condamnés à la prostitution ou à la mendicité, à une condition proche de l'esclavage, souvent comme domestiques, et à d'autres formes d'exploitation et de travail forcé.

La traite des êtres humains semble être un commerce en plein essor mais les mesures prises pour faire sortir de l'ombre cette exploitation de la misère et trouver des moyens inédits de la combattre donnent des raisons d'espérer.

Dans le cadre d'un projet de son Programme international pour l'élimination du travail des enfants (IPEC), le BIT attire l'attention des enfants, de leurs parents et des autorités locales sur les dangers de l'impréparation et du manque d'information en cas de migration.

Ce projet de lutte contre la traite des enfants et des femmes dans la sous-région du Mekong, est actuellement mis en œuvre dans cinq pays: le Cambodge, la province chinoise du Yunnan, la République démocratique populaire du Laos, la Thaïlande et le Viet Nam.

Les premiers résultats sont encourageants. A la suite d'une activité de sensibilisation réalisée dans un village du nord de la Thaïlande avec des fonds du BIT, cinq cas jusque-là non signalés de traite et d'exploitation d'enfants ont été révélés. Quatre sont aujourd'hui résolus. Des activités similaires menées dans des villages ciblés de la province chinoise du Yunnan ont permis de réduire de 50% les départs non préparés. Et au Cambodge, l'une des activités de micro-financement mises en place par le projet consiste à mettre des vaches à la disposition des villageois, de telle sorte que disposant d'un revenu supplémentaire, ceux-ci puissent laisser leurs enfants à l'école. Le système fonctionne de la façon suivante: les habitants d'un village "empruntent" une vache pendant la saison du vêlage et peuvent garder le premier et le troisième veau tandis que la mère et son deuxième veau vont continuer le cycle dans d'autres villages.

Venir à bout de la traite des êtres humains prendra du temps. Mais, de plus en plus, le BIT œuvre aux côtés des gouvernements et des partenaires sociaux de l'Asie du Sud-Est et du monde entier, pour s'attaquer aux causes structurelles de ce fléau - en créant des emplois décents et en mettant en place des circuits légaux qui permettent aux migrants de se rendre là où ils trouveront du travail.

Grâce à l'action du BIT et d'autres acteurs, les gouvernements, les autorités et les familles riches et pauvres comprennent désormais que la traite des êtres humains et l'exploitation des enfants compromettent l'avenir et la productivité de leur nation et les privent d'une société dans laquelle les parents subviennent aux besoins de la famille en ayant un travail décent et les enfants s'instruisent, préparant ainsi un avenir meilleur pour tous.


Note 1: Enquête sur les migrations de travailleurs à Khammuane, Savannakhet et Champasak (2003).