Une reprise insuffisante du marché du travail en Amérique latine et Caraïbes

Environ 70 % des emplois créés ces derniers mois en Amérique latine le sont dans des conditions informelles. Pendant ce temps, le chômage et la baisse du taux d’activité persistent. L'Organisation internationale du travail (OIT) appelle à agir pour faire face à l'impact inégal de la crise du COVID-19 par la création d’emplois de meilleure qualité.

Actualité | 8 septembre 2021
Lima, Pérou (OIT Info) - La reprise économique en Amérique latine et dans les Caraïbes est encore insuffisante pour récupérer les emplois perdus pendant la pandémie, et a donné naissance à un marché du travail caractérisé par un taux de chômage élevé et une forte prévalence des occupations informelles, souligne une nouvelle note technique de l'OIT publiée aujourd'hui.

"Ni la quantité, ni la qualité des emplois dont cette région a besoin pour faire face aux conséquences d'une crise sans précédent ne sont au rendez-vous. Le marché de l'emploi est complexe et pose des défis de grande ampleur", a annoncé Vinícius Pinheiro, directeur du Bureau International du Travail (BIT) pour l'Amérique latine et les Caraïbes lors de la présentation de la publication.

"En 2021, les emplois informels sont à la tête de la reprise partielle de l'emploi", a indiqué Pinheiro. "Ce sont des emplois généralement instables, avec de faibles salaires, sans protection sociale ni droits."

Le directeur du BIT a ajouté que "le lien étroit entre l'informalité du travail, les faibles revenus et les inégalités est devenu encore plus évident dans ce contexte."

La note technique Emploi et informalité en Amérique latine et dans les Caraïbes : une reprise insuffisante et inégale (Empleo e informalidad en América Latina y el Caribe: una recuperación insuficiente y desigual) passe en revue les changements détectés sur les marchés du travail, les revenus et les inégalités au cours des derniers mois. Elle aborde également à la fois les impacts de la crise et la reprise de l'emploi, certaines activités économiques ayant redémarré.

Environ 70 pour cent des emplois générés entre la mi-2020 et le premier trimestre de 2021 sont des professions dans des conditions d'informalité, selon les données d'un groupe de pays d'Amérique latine, conseille la note technique de l'OIT.

"Au premier trimestre 2021, environ 76 pour cent des travailleurs indépendants, et un peu plus d'un tiers des salariés, étaient informels", ajoute la note technique. Elle explique également : "Bien qu'il soit prématuré d'affirmer qu'il existe un processus d'« informalisation » de l'emploi précédemment formel, compte tenu de l'expérience des crises précédentes, il s'agit d'un risque latent important."

La publication analyse la dynamique de l'informalité suite à la pandémie, mettant en évidence un comportement atypique, puisque contrairement à d'autres crises, les occupations informelles n'ont pas augmenté, ni prodigué de refuge à ceux qui ont perdu des emplois formels.

Au contraire, les mesures nécessaires pour faire face à la crise sanitaire ont eu pour corrélat un fort impact sur la destruction de l'emploi informel et la perte de revenus des personnes qui travaillaient dans ces conditions, qui se sont retrouvées sans filet de protection sociale, et sans possibilité d'accéder à des réductions d'horaires ou à des options de télétravail. Dans de nombreux cas, cela a même conduit à une réduction temporaire des taux d'informalité dans certains pays.

Avec le nouveau scénario d'un impact plus intense des positions informelles, il est possible que dans de nombreux pays le taux d'informalité soit similaire, voire supérieur à celui observé avant la pandémie, lorsqu'il touchait environ 51 % des employés.

Outre l'informalité, la région connaît une reprise insuffisante des emplois, selon les données de la note technique. En particulier, la réduction de l'emploi entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, au pire moment de la crise du COVID-19, était d'un peu plus de 43 millions d'emplois.

"La reprise qui a suivi entre ce moment et le premier trimestre de 2021 a été d'environ 29 millions. Par conséquent, l'augmentation des emplois n'a pas entièrement compensé la perte précédente", a souligné la publication. Environ 30 % des emplois perdus n'ont pas encore été récupérés.

Dans le même temps, au début de l'année, les indicateurs critiques de l'emploi étaient à la traîne. Dans la comparaison inter-annuelle entre le premier trimestre de 2020 et le même trimestre de 2021, une réduction moyenne de 3,5 points de pourcentage du taux d'emploi a été observée pour la région, et une contraction du taux de participation économique de 2,6 points de pourcentage. En outre, une hausse de 2 points de pourcentage du taux de chômage a été observée.

On obtient ainsi pour le premier trimestre de l'année en cours une valeur de 59 pour cent du taux de participation économique et de 52,6 pour cent du taux d'emploi - dans les deux cas les plus bas depuis au moins une décennie - et un taux de chômage de 11 pour cent, ce qui implique qu'environ 32 millions de personnes recherchaient activement un emploi sans en trouver.

La réduction du taux d'activité a été une particularité de cette crise, au cours de laquelle des millions de personnes ont préféré quitter la population active à la perspective de chercher des emplois qui n'étaient pas disponibles. Lorsque beaucoup de ces personnes reviendront chercher du travail, ajoutées à d'autres qui auront besoin de revenus après la crise, il y aura des pressions supplémentaires à la fois sur le taux de chômage et sur les niveaux d'emploi informel.

La note technique de l’OIT révèle également que les femmes, les jeunes et les personnes peu qualifiées ont été touchés de manière disproportionnée par la contraction de l'emploi et des revenus, et sont plus fortement affectés par les effets inégalitaires et d'accroissement de la pauvreté de cette crise dans la région.

Roxana Maurizio, spécialiste de l'économie du travail à l'OIT et auteur de la note technique, a souligné que, "dans le cas des femmes, il y a eu un déclin de la participation au travail après des décennies au cours desquelles leur inclusion dans la population active avait augmenté. Le taux de participation économique des femmes n’a jamais été aussi faible depuis 15 ans."

Face à des perspectives de reprise économique accompagnée d'une amélioration insuffisante de l'emploi, "la région doit adopter un programme politique global, consensuel et de grande envergure, centré sur l'humain, qui soutienne la création d'un plus grand nombre d'emplois formels", a expliqué M. Maurizio.

Les mesures doivent aller de pair avec des stratégies de reconstruction de l'appareil de production, tant par la création de nouvelles entreprises que par l'augmentation de la productivité des entreprises qui ont réussi à survivre à la crise.

La note technique indique que les mesures particulièrement axées sur la création d'emplois visent à empêcher que la crise ne se prolonge et ne laisse des cicatrices sociales et professionnelles à long terme.

"Les taux inégaux de reprise de l'emploi parmi les différents groupes de travailleurs et les niveaux croissants d'inégalité et de pauvreté peuvent non seulement limiter sévèrement la croissance économique, mais aussi augmenter le degré de malaise social dans la région", avertit la publication.