Blog

Une nouvelle vision circulaire de l’électronique

Nous devons lutter contre le tsunami de déchets électroniques, ont déclaré le Directeur général de l'OIT, Guy Ryder, et le Secrétaire général de l'Union internationale des télécommunications, Houlin Zhao, dans un blog commun.

Editorial | 25 janvier 2019
Par Guy Ryder, Directeur général de l'OIT et Houlin Zhao, Secrétaire général de l'UIT
Guy Ryder et ​​​​​​​​​​Houlin Zhao

Si la multiplication des appareils électroniques pose problème, ces technologies peuvent aussi faire partie de la solution. Un monde plus numérique et connecté contribuera à accélérer la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, ouvrant des perspectives inédites pour les économies émergentes.

Faisons bien les choses et nous verrons beaucoup moins de nos précieux minéraux, métaux et ressources jetés à la décharge. Les bénéfices pour l’industrie, les travailleurs, ainsi que pour la santé des gens et l’environnement, peuvent être énormes. Il est vital que nous adoptions rapidement une vision plus circulaire dans ce secteur.

C’est pourquoi s’attaquer directement à ce problème est perçu comme une mission essentielle pour plusieurs agences mondiales, y compris l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Organisation internationale du Travail (OIT), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et les autres membres de la Coalition sur les déchets électroniques. Les Etats membres de l’UIT, par exemple, ont récemment fixé un objectif de taux de recyclage des déchets électroniques mondiaux de 30 pour cent.

Les arguments d’ordre économique sont forts. Si l’on s’intéresse à la valeur matérielle de nos équipements usés à l’échelle mondiale, cela équivaut à 62,5 milliards des dollars, trois fois plus que le produit annuel des mines d’argent du monde, selon les données fournies par le nouveau rapport mondial sur les déchets électroniques. Plus de 120 pays ont un PIB inférieur à la valeur de nos déchets électroniques qui s’entassent.

En exploitant cette précieuse ressource, nous espérons des émissions de dioxyde de carbone nettement plus inférieures à celles de l’exploitation minière de la croûte terrestre pour extraire de nouveaux minéraux. C’est aussi une question de logique: on trouve 100 fois plus d’or dans une tonne de téléphones portables que dans une tonne de minerai d’or.

© Fairphone
Prolonger la durée de vie des produits électroniques et réutiliser les composants électriques est encore plus profitable du point de vue économique parce que les équipements en état de marche ont nettement plus de valeur que les matériaux qu’ils contiennent. Un système électronique circulaire, dans lequel les ressources ne sont pas extraites, utilisées puis jetées mais recyclées d’innombrables manières, permet de créer des emplois décents et durables et de conserver plus de valeur dans l’industrie.

Si la pollution plastique des océans est l’un des défis environnementaux majeurs dont nous avons enfin pris conscience en 2018, l’opinion publique changeante pourrait et devrait se tourner vers les déchets électroniques en 2019. Les chiffres sont stupéfiants: 50 millions de tonnes de déchets électroniques sont produites chaque année. Si l’on ne le maîtrise pas, ce volume pourrait plus que doubler d’ici à 2050 pour atteindre 120 millions de tonnes.

Il est déjà difficile d’imaginer ce que représentent 50 millions de tonnes, pourtant cela correspond au poids de toute la flotte aérienne commerciale jamais construite dans toute l’histoire ou de 4 500 tours Eiffel, suffisant pour couvrir une surface de la taille de Manhattan. Et ce n’est que l’équivalent des déchets électroniques que nous créons en une année.

Cette prolifération d’écrans, de câbles, de puces et de cartes-mères est alimentée par notre amour des équipements électroniques, souvent connectés à internet. Ils dépassent actuellement le nombre d’êtres humains sur la planète et devraient passer de 25 à 50 milliards d’ici à 2020, résultant d’une chute spectaculaire des coûts et d’une demande croissante.

Seuls 20 pour cent des déchets électroniques mondiaux sont formellement recyclés. Dans leur grande majorité, 80 pour cent, ils sont incinérés ou enfouis. Des milliers de tonnes de déchets sont aussi acheminés à travers le monde pour être démontés manuellement ou brûlés par les travailleurs les plus pauvres au monde. Cette activité rudimentaire de «mine urbaine» a des conséquences pour le bien-être des personnes et crée une pollution incalculable.

Nous savons déjà quelles sont les solutions. Ce qui compte, c’est de les mettre en œuvre efficacement. Premièrement, de meilleures stratégies de gestion des déchets électroniques et des normes écologiques peuvent contribuer à relever ce défi.

En nous associant sur la scène internationale, nous pouvons créer une industrie durable qui génère moins de déchets, dans laquelle nos équipements sont réutilisés, ainsi que recyclés de façon innovante. Cela crée aussi de nouvelles formes d’emploi, d’activité économique, d’éducation et de commerce.

Déjà, 67 pays ont adopté une législation pour gérer les déchets électroniques que nous générons. Apple, Google, Samsung et de nombreuses autres marques se sont fixé des objectifs ambitieux pour le recyclage et l’usage de matériels recyclés et renouvelables.

Il est maintenant temps de prendre en compte la dématérialisation de l’industrie électronique. Le développement du modèle de location des équipements électroniques pourrait être une voie. C’est une extension des modèles de leasing actuels où les consommateurs veulent accéder aux dernières technologies sans en supporter le coût d’acquisition élevé. Avec ces nouveaux modèles de propriété, le fabricant est encouragé à s’assurer que toutes les ressources sont utilisées de manière optimale au cours du cycle de vie de l’équipement.

L’évolution des technologies telles que l’informatique du nuage et l’internet des objets peut participer à la dématérialisation. La mise en place de dispositifs de suivi et de reprise des produits, qui ont la confiance des consommateurs, constitue une première étape importante vers des chaînes de valeur circulaires à l’échelle mondiale.

Réorienter le modèle linéaire qui prévaut aujourd’hui – extraire, fabriquer, consommer, jeter – est un premiers pas vers l’économie circulaire que nous voulons voir advenir.

Cependant, cela requiert des solutions audacieuses, de l’expertise, des incitations et des politiques, dès maintenant.

Entrepreneurs, investisseurs, universitaires, dirigeants d’entreprise et syndicaux, et législateurs doivent tous se mobiliser pour faire que cette économie circulaire fonctionne.

Entreprises innovantes et chaînes d’approvisionnement inverses, modèles circulaires, sécurité pour les collecteurs de déchets électroniques, méthodes pour formaliser et autonomiser les ouvriers informels du secteur, tous font partie du tableau. Il faut maintenant passer à l’action.

Nous ne voulons pas que ces métaux et minéraux précieux deviennent le nouveau plastique. Ce n’est pas de la pollution, ce ne sont pas des déchets. C’est une ressource vitale que nous commençons seulement à valoriser pleinement.


Extrait de la collection “A New Circular Vision for Electronics, Time for a Global Reboot”