WESO 2017

Les entreprises innovantes sont plus compétitives et créent plus d’emplois

Le rapport de l’OIT, Emploi et questions sociales dans le monde 2017: Entreprises et emplois durables, aussi connu sous le nom de WESO et publié en début de mois, montre que les sociétés innovantes ont tendance à être plus productives, plus créatrices d’emplois, et à employer davantage de travailleurs qualifiés et de femmes. OIT Infos a interrogé Marva Corley-Coulibaly, auteure principale du rapport, sur plusieurs de ces constats.

Editorial | 20 octobre 2017
OIT Infos: Le rapport WESO 2017 revendique l’innovation comme source majeure de compétitivité pour les entreprises, et comme facteur déterminant de croissance et de développement. Qu’en est-il de la création d’emplois? L’innovation crée-t-elle ou détruit-elle des emplois?

Il n’est pas facile de répondre à cette question qui est au cœur de la plupart des discussions sur l’avenir du travail, dans la perspective de ce que certains appellent un «avenir sans emploi». A l’évidence, mieux comprendre la façon dont l’innovation affecte les emplois, les travailleurs et les entreprises est indispensable pour élaborer de meilleures solutions politiques, et notre rapport fournit des éléments de réponse.

Les recherches antérieures montraient déjà qu’au long cours le progrès technologique avait créé davantage d’emplois qu’il n’en avait détruits. Cependant, ces dernières années, dans certaines régions (par exemple, dans les économies en transition et celles du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord), d’énormes pertes d’emplois ont été enregistrées dans les entreprises non innovantes à faible technologie, ce qui met en évidence le risque de perte d’emplois parmi les travailleurs peu qualifiés du secteur manufacturier. Bien sûr, le rythme et l’ampleur des changements technologiques ont amplifié les craintes de ces travailleurs. A l’inverse, notre rapport souligne que les entreprises innovantes ont tendance à créer davantage d’emplois, à embaucher davantage de travailleurs, et en particulier des travailleurs qualifiés et des femmes, et à être plus productives.

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OIT Infos: Qu’en est-il de la qualité des emplois ainsi créés?

Cette question soulève bien sûr des inquiétudes. Le fait est que les bienfaits de l’innovation en termes d’accès au marché du travail et aux prestations sociales sont inégalement répartis. Dans certains cas, l’innovation a entrainé un recours plus intensif au travail temporaire, surtout parmi les femmes. Par exemple, les entreprises qui intègrent des innovations concernant les produits et les processus de production sont 75 pour cent plus susceptibles d’employer des travailleurs temporaires que les entreprises non innovantes.

Si certains soutiennent que cela témoigne d’un besoin de flexibilité accrue dans les entreprises qui sont enclines à innover, cela suscite des inquiétudes quant à la qualité de ces emplois, notamment en termes de couverture de protection sociale, de sécurité et de santé au travail, de formation, entre autres. Ce type de relations de travail moins sécurisées peut aussi avoir des effets sur les inégalités de revenus. De même, les travailleurs temporaires se voient rarement offrir l’accès à la formation. Non seulement cela les empêche de perfectionner leurs compétences mais cela peut aussi, à plus long terme, affecter l’innovation elle-même.

OIT Infos: Le rapport affirme qu’en dehors de la recherche et développement, d’autres facteurs déterminent la réussite de l’innovation. Quelles sont les autres grandes sources d’innovation?

En effet, si la recherche et développement (R&D) est une importante source d’innovation, d’autres facteurs importent tout autant. Il s’agit du financement public, de l’acquisition de technologies extérieures et de la formation en milieu de travail. Les entreprises peuvent décider d’acquérir ces savoirs à l’extérieur si elles n’ont pas la capacité de les développer en interne. Cela joue un rôle déterminant pour introduire l’innovation, en particulier dans les pays en développement.

De plus, le rapport montre que les compétences sur mesure obtenues grâce à la formation au sein de l’entreprise sont primordiales, tandis que l’impact de l’éducation formelle est plus limité. Cela peut aussi mettre en évidence l’existence d’un décalage des compétences, illustratif des lacunes du système éducatif.

OIT Infos: Quelles sont les caractéristiques des entreprises qui innovent?

Certains avancent que les grandes entreprises sont plus susceptibles d’innover parce qu’elles bénéficient d’économies d’échelle mais notre étude montre que la taille (ainsi que l’ancienneté) a peu de rapport avec l’innovation des entreprises. Les petites entreprises peuvent innover davantage dans la mesure où elles échappent à la lourdeur bureaucratique et sont plus enclines à prendre des risques. Les ressources internes, ainsi qu’un accès facilité au financement extérieur et aux aides publiques, jouent aussi un rôle dans l’innovation.

OIT Infos: Constate-t-on des différences régionales parmi les entreprises innovantes?

On observe bien sûr de grandes variations selon les pays et les types d’innovation. La proportion d’entreprises engagées dans au moins un type d’innovation est la plus élevée dans 15 pays de l’UE (51 pour cent), puis viennent l’Amérique latine et les Caraïbes (45 pour cent), l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ainsi que les pays en transition (un peu plus de 40 pour cent). La part de l’innovation est relativement plus faible en Afrique mais elle reste supérieure à 30 pour cent, ce qui laisse penser qu’au niveau micro, les entreprises peuvent être innovantes, même quand le niveau de revenu du pays est faible. Cependant, ces chiffres étant issus de différentes enquêtes, les comparaisons entre régions doivent être interprétées avec prudence.

OIT Infos: Quelles en sont les répercussions politiques et que recommande l’OIT?

En général, le rapport considère que les politiques de soutien à l’innovation des entreprises sont essentielles pour la croissance de l’emploi. Mais nous avons aussi besoin de politiques spécifiques pour protéger et préparer efficacement les travailleurs et les entreprises à l’évolution de l’environnement professionnel.

Les compétences requises sur le lieu de travail évoluent rapidement du fait des changements technologiques et les travailleurs doivent donc être constamment en mesure d’acquérir les compétences les plus récentes, quel que soit leur contrat de travail. De plus, l’accès des travailleurs dont les modalités de travail diffèrent de l’emploi permanent à plein temps à une couverture sociale souple et complète doit être pris en considération.

Ce qui veut dire que les gouvernements, les représentants des travailleurs et des employeurs et les autres parties prenantes doivent réfléchir ensemble aux types d’emplois et de compétences qui sont porteurs d’avenir.

A cet égard, l’Initiative de l’OIT sur l’avenir du travail a pour but d’offrir une plateforme aux partenaires sociaux, aux universitaires et aux autres partenaires pour en discuter et échanger des idées.