Analyse

En Espagne, la crise révèle une «fracture territoriale» croissante en matière d'emploi

La vague de troubles sociaux qui a récemment frappé l'Espagne est une illustration du fossé qui s'élargit à la fois entre les zones urbaines et les zones rurales, ainsi qu’entre le nord et le sud du pays.

Analyse | 17 septembre 2012
GENÈVE (OIT Info) – En Espagne, le chômage augmente plus rapidement dans les campagnes qu'en ville, alimentant les troubles sociaux, selon les dernières statistiques produites par l'Institut international d'études sociales (IIES) de l'OIT.

Dans les régions rurales, le chômage a grimpé d’un peu plus de 8 pour cent en 2007 à plus de 26 pour cent en 2012, tandis que dans les zones urbaines il augmentait légèrement moins vite, passant de 7,8 à 24 pour cent au cours de la même période. La moyenne nationale se situe juste au-dessous de 25 pour cent.

«La situation est particulièrement difficile dans la région méridionale d'Andalousie qui enregistrait déjà de forts taux de chômage avant la crise. Par exemple, dans les provinces d'Almeria, de Jaén et Grenade, plus d'un tiers des travailleurs sont sans emploi», explique Steven Tobin, économiste principal à l'IIES.

C'est bien supérieur aux taux de chômage qui prévalent à Madrid et Barcelone où moins de 22 pour cent de la population n'ont pas de travail.

«Le secret, c'est le modèle de production»


Cependant, la situation n'est pas la même dans toutes les campagnes espagnoles. Il existe des régions – comme la Navarre et la Cantabrique au nord – où le chômage est bien plus bas que la moyenne nationale.

Taux de chômage
en Espagne
2007 2012
Au niveau national 7.9% 24.6%
Zones rurales 8.3% 26.1%
Zones urbaines 7.8% 24%
Régions septentrionales 5.9% 15.4%
Régions méridionales 11% 32.8%
Madrid 6.2% 18.9%
Barcelone 6.2% 21.7%
Jaén (Andalousie) 11.7% 37%
Cela signifie que la crise fait apparaître plus nettement la fracture nord-sud, peut-être même qu'elle l'aggrave.

Les dernières données de l'OIT montrent que le chômage atteint 32,8 pour cent dans le sud de l'Espagne, 8 points de pourcentage de plus que la moyenne nationale. Les régions septentrionales ont dans l'ensemble un taux de chômage de 15,4 pour cent. Au Pays basque par exemple, le chômage est de 40 pour cent inférieur à la moyenne nationale.

«Le secret réside dans le modèle de production», déclare Joaquin Nieto, Directeur du Bureau de l'OIT à Madrid. «Les régions les plus lourdement frappées sont celles qui ont connu le plus fort boom immobilier et la plus grosse bulle spéculative: Par contre, le chômage est plus bas dans les régions qui ont été moins touchées par cette bulle immobilière», ajoute-t-il.

«Jusqu'à la crise, beaucoup de travailleurs saisonniers avaient l'habitude de travailler l'été dans les champs et dans le bâtiment pendant le reste de l'année. Cependant, avec l'effondrement du secteur de la construction qui fut parmi les plus durement touchés par la crise, ils sont dorénavant au chômage le plus clair de l'année», précise M. Tobin.

Par ailleurs, l’emploi dans les zones rurales d’Espagne a connu de profonds changements structurels. Ainsi, ces quinze dernières années, les travailleurs migrants sont allés de plus en plus vers l’emploi salarié dans l’agriculture.

La montée des troubles sociaux


Le sentiment de mécontentement grandissant face aux mesures mises en place pour répondre à la crise a débouché sur divers modes de protestation. Les mobilisations syndicales ont conduit des millions de personnes à descendre dans les rues des grandes villes. Même si le mouvement des «Indignés» a d’abord commencé dans les zones urbaines, les troubles sociaux touchent maintenant aussi certaines régions rurales, notamment en Andalousie.

Les formes de protestation vont de l’occupation symbolique des terres agricoles jusqu’à l’organisation de pillages alimentaires dans les supermarchés. Les leaders de ces actions ont affirmé aux médias qu'il ne s'agissait pas de vol mais d'un acte légitime visant à redistribuer de la nourriture aux nécessiteux.

La multiplication des mouvements de protestation dans les zones rurales est conforme à l'index des troubles sociaux de l'IIES pour l'Espagne qui montre une hausse constante entre 2006 et 2011, avec une forte poussée en 2009.

Figure 1. Index des troubles sociaux en Espagne, 2006-2011 (échelle de 0 à 1)

Source: Statistiques de l'IIES basées sur l'édition 2012 de la Gallup World Poll data.

 
«Comme nous l'avons mis en évidence dans un récent rapport sur la crise de l'emploi dans la zone euro, les mesures d'austérité n'ont pas permis de relancer l'économie ni de créer des emplois – et n'ont guère contribué à améliorer l'état des finances publiques. Le cas de l'Espagne montre qu'une stratégie de croissance et d'emploi est indispensable», affirme le Directeur de l'IIES, Raymond Torres.

Selon M. Torres, pour l'Espagne, le défi consiste à opérer un tournant vers un nouveau modèle de croissance économique, plus équilibré, qui s'appuiera davantage sur une croissance orientée vers les exportations et sur des emplois de qualité.

«Ce n'est pas une tâche facile et cela prendra du temps. Mais l'expérience espagnole des crises précédentes montre qu'avec suffisamment de détermination politique et l'implication des partenaires sociaux on peut réussir», a conclu M. Torres.