Surmonter la crise: la recette turque

La Turquie a réussi à surmonter la crise financière mondiale mieux que bien des pays européens. Comment y est-elle parvenue?

Analyse | 6 août 2012
GENÈVE (OIT Info) – Avec une contraction de près de 5 pour cent du PIB en 2009 et un taux de chômage grimpant à 14 pour cent, la Turquie a été sérieusement affectée par la crise financière mondiale.

Mais contrairement à de nombreux pays européens, la Turquie a réussi à se rétablir relativement bien. Au début de 2011, le taux de chômage était redescendu à son niveau d’avant la crise, tombant un peu au-dessous de 11 pour cent en mars 2011. Quelles sont donc les politiques qui ont rendu cela possible?

En plus des politiques macroéconomiques destinées à regagner de la stabilité, le gouvernement a adopté des mesures pour réduire les coûts non-salariaux du travail. De ce fait, les entreprises ont été encouragées à recruter des travailleurs plutôt qu’à supprimer des emplois et le travail informel a reculé.

Les mesures comprenaient une réduction générale des cotisations de sécurité sociale; des incitations à l’embauche des jeunes, des femmes et des chômeurs de longue durée; la promotion de la formation; ainsi que de fortes réductions d’impôts pour les entreprises investissant dans les régions les moins développées.

Par exemple, en octobre 2008, les cotisations employeurs de sécurité sociale pour les risques d’invalidité, de vieillesse et de décès ont été réduites de 19,5 à 14,5 pour cent des salaires bruts. Ces coupes ont été compensées par des transferts de fonds publics vers les institutions de sécurité sociale.

Grâce à cette mesure, plus de 61 000 emplois furent créés en 2009 et plus de 63 000 en 2010.

De même, les employeurs qui dispensent une formation professionnelle à leur personnel bénéficient de baisses des charges sociales et les employeurs qui embauchent dans les domaines de la technologie, de la recherche et du développement se voient rembourser la moitié de leurs cotisations de sécurité sociale pendant cinq ans. Cela n’a pas seulement dopé les chiffres de l’emploi du pays mais également le niveau de qualification de sa main-d’œuvre.

Pour les femmes et les jeunes en particulier, le gouvernement a décidé de couvrir la part employeur des charges sociales pendant cinq ans pour ceux qui auront été recrutés de mai 2008 à mai 2010.

Une attention particulière accordée aux régions les moins développées


Depuis 2007, des incitations ont été instaurées pour les régions les moins développées dans tous les secteurs d’activité, et ne requièrent plus de transfert d’activités à partir des régions plus développées. Prévues pour cesser progressivement en 2009, ces mesures ont finalement été prolongées en 2010.

Dans ce cadre, les cotisations de sécurité sociale pour les travailleurs en place et les nouvelles recrues sont couvertes par l’Etat pour une durée moyenne de cinq ans, tandis que l’impôt sur les sociétés a été réduit de 20 à 5 pour cent au cours de la même période. Les taux d’intérêt des emprunts sont également subventionnés et les entreprises bénéficient d’exemptions de taxe sur la valeur ajoutée et de droits de douane pour les achats de machines et de biens d’équipement.

Au total, 730 000 travailleurs, représentant 17 pour cent du total de l’emploi manufacturé en Turquie, étaient employés dans le cadre de ces dispositifs régionaux au cours de deux premiers mois de 2011.

Qui plus est, la création d’emplois pour les femmes a dépassé celle des travailleurs masculins en moyenne.

Le travail informel, défini comme l’emploi de travailleurs qui ne sont déclarés auprès d’aucune institution de sécurité sociale, a reculé, passant de près de 53 pour cent de l’emploi total en 2001 à moins de 45 pour cent en 2010.

Des problèmes persistent


Cependant, le financement public des cotisations de sécurité sociale soulève un certain nombre de problèmes. Premièrement, cela creuse la dette publique. Deuxièmement, le coup de pouce à l’emploi risque de ne pas durer si les impôts augmentent proportionnellement pour couvrir les coûts associés à ces mesures. Enfin et surtout, la substitution de taxes sur les consommateurs aux taxes sur le travail (formel) soulève aussi des problèmes d’équité, en particulier dans les pays qui ont un fort taux d’informalité.

En outre, en finançant la sécurité sociale par des fonds publics plutôt que par des cotisations, on ne constitue pas de source de recettes stable pour la protection sociale, ni par conséquent pour le système des retraites.

La réduction des charges sociales est donc un moyen acceptable de soutenir la demande de travail à court terme, mais pas nécessairement sur de plus longues périodes.

Dans le contexte de crise toutefois, le dispositif a permis de donner des emplois à de nouvelles catégories de travailleurs.

Nous devons garder à l’esprit que la croissance de l’emploi en Turquie est aussi alimentée par d’autres facteurs, à savoir un grand nombre d’emplois créés dans les régions moins développées en contournant les réglementations du marché du travail ou la proximité géographique des marchés d’exportation en Europe et au Moyen-Orient.

Par Catherine Saget, économiste principal au Département de l’analyse économique et des marchés du travail de l’OIT.

Cette analyse se base sur la publication ILO-World Bank Inventory of policy responses to the financial and economic crisis.
Pour plus d'informations, merci de contacter Patrick Moser, attaché de presse de l'OIT, à l'adresse g12dcomm@ilo.org ou par tél: +41(0)22/799-6348.