Forum asiatique pour l’emploi - Promouvoir la productivité au bénéfice de tous

Accroître la productivité du travail est crucial pour la croissance économique d’un pays et sa compétitivité en général. C’est aussi un outil vital pour créer des emplois de qualité et réduire la pauvreté, les gains de productivité pouvant générer de plus hauts salaires et de meilleures conditions de travail et inciter à investir dans les ressources humaines. Voilà les messages contenus dans le nouveau rapport de l’OIT 1/ préparé pour le Forum asiatique pour l’emploi de Pékin (du 13 au 15 août). BIT en ligne s’est entretenu avec Mme Sachiko Yamamoto, Directrice régionale de l’OIT pour l’Asie et le Pacifique, sur la relation entre croissance de la productivité, création d’emplois et conditions de travail décentes.

Article | 9 août 2007

BIT en ligne: Peut-on dire que l’étonnante croissance de l’Asie et du Pacifique ces dernières années repose essentiellement sur des hausses de productivité?

Sachiko Yamamoto: La productivité du travail a joué un rôle moteur dans l’énorme performance de l’Asie et du Pacifique en termes de croissance. La hausse de productivité des travailleurs de la région entre 2000 et 2006 a contribué pour 83 pour cent à la croissance économique totale de la région. Le reste résulte des 150 millions de personnes qui sont venues rejoindre les rangs des actifs asiatiques.

La croissance de la productivité en Asie et dans le Pacifique sera sans doute encore plus forte dans les 10 à 20 ans à venir. La raison en est simple. Alors que la croissance de l’emploi ralentit en raison de l’évolution démographique de la main-d’œuvre, l’Asie aura besoin d’une croissance de la productivité du travail plus rapide si elle veut maintenir ses derniers taux de croissance du PIB. Dans l’Est de l’Asie, pour maintenir une croissance rapide du PIB, il faudra faire passer le taux annuel de croissance de la productivité du travail de 7,6 à 8,1 pour cent. Dans les économies asiatiques développées, une accélération de 1,5 à 2,1 sera nécessaire.

BIT en ligne: Quels sont les principaux défis relatifs à la productivité?

Sachiko Yamamoto: Le premier défi c’est de savoir comment accélérer la croissance de la productivité au cours de la prochaine décennie. Le second concerne la répartition des gains de productivité. Mais tous deux sont cruciaux pour atteindre l’objectif du travail décent et assurer un développement durable.

BIT en ligne: Quelles sont les sources de la croissance de la productivité dans la région?

Sachiko Yamamoto: Des niveaux de plus en plus élevés d’investissement local ont nourri les gains de productivité de nombreux pays asiatiques ces dernières années. Cependant, cette source de productivité va bientôt atteindre ses limites dans la mesure où de nombreux pays d’Asie-Pacifique ont déjà de très hauts niveaux d’investissement comparés à d’autres régions du monde.

Le mouvement de la main-d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie et les services a eu un effet significatif et positif sur la croissance de la productivité en général, parce que les niveaux de productivité agricole ont tendance à être plus faibles que dans l’industrie et les services. En effet, entre 2000 et 2006, près de 30 pour cent de la croissance dans les économies en développement d’Asie étaient dus à ce changement de secteur.

Autre facteur d’accélération de la productivité, la qualité de la main-d’œuvre. L’Asie dans son ensemble a fait des progrès considérables pour accroître l’accès à l’éducation et donc aux qualifications de sa population active.

BIT en ligne: Les systèmes éducatifs en Asie-Pacifique sont-ils d’assez bonne qualité?

Sachiko Yamamoto: La scolarisation n’est pas par elle-même une garantie de succès. Avec l’augmentation du taux de scolarisation, les politiques visant à améliorer la qualité des écoles, des universités et des instituts de formation professionnelle ont pris de l’importance. Des dialogues et des partenariats public-privé ont un rôle central à jouer pour garantir que les jeunes diplômés disposent des compétences et des qualifications requises, qu’ils sont capables de s’adapter rapidement à des environnements de travail évolutifs et de se convertir aux nouvelles technologies. Les politiques gouvernementales sont également cruciales pour inciter les entreprises à investir davantage dans la formation.

BIT en ligne: Ce rapport (Note 1) indique également que des progrès accomplis dans les conditions de travail contribueraient aussi à une meilleure productivité. Comment peut-on le démontrer?

Sachiko Yamamoto: Des pratiques sur le lieu de travail basées sur de bonnes conditions de travail, des innovations dans la manière dont le travail est organisé, l’apprentissage continu, de bonnes relations entre la direction et le personnel, et le respect des droits des travailleurs émergent progressivement comme une voie prépondérante d’accroître la productivité tout en promouvant le travail décent.

Le Programme d’amélioration des usines de l’OIT au Sri Lanka, au Viet Nam et en Inde montre que la clé du succès c’est de disposer des bons modèles d’organisation des lieux de travail et d’établir des circuits de communication ouverts, menant à un engagement accru des travailleurs sur leur lieu de travail. Un dialogue honnête et ouvert entre employeurs et travailleurs maximise les chances de chacun d’obtenir les plus grands profits de la hausse de la productivité.

BIT en ligne: Qu’en est-il de la répartition des gains de productivité entre travailleurs et employeurs?

Sachiko Yamamoto: La part réduite des salaires dans le PIB que nous avons constatée dans la plus grande partie de la région au cours des dernières années est une tendance inquiétante. Il y a des cas où la hausse moyenne des salaires n’a pas suivi celle de la productivité du travail. En Chine, le part des salaires a chuté de 53 pour cent en 1998 à 41,4 pour cent en 2005 et, à long terme, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande connaissent aussi un déclin. Cela pourrait entraîner une érosion du pouvoir de négociation des travailleurs, le recours à des technologies plus intensives en capital ou une combinaison de ces facteurs.

BIT en ligne: Comment s’assurer que les gains de productivité parviennent aux travailleurs qui gagnent le moins?

Sachiko Yamamoto: La majeure partie de la population d’Asie-Pacifique, en particulier la plupart des travailleurs pauvres de la région, continuent de travailler dans l’agriculture. Si nous réussissons à améliorer la productivité dans les secteurs à faible valeur ajoutée comme l’agriculture, alors ce pourrait être un important vecteur de productivité à travers toute l’économie. Cela pourrait aussi contribuer à réduire les inégalités de revenus.

L’importance d’une répartition équitable des gains de productivité vaut aussi pour les travailleurs dans les secteurs en développement de l’industrie et des services. Les salaires sont évidemment le lien le plus direct entre une meilleure productivité et la réduction de la pauvreté, mais il existe d’autres liens.

BIT en ligne: Pouvez-vous nous donner des exemples?

Sachiko Yamamoto: Une diminution des horaires de travail pour un salaire équivalent ou meilleur peut améliorer le niveau de vie. C’est important parce que, dans de nombreuses régions d’Asie, la norme ce sont de lourds horaires de travail. Par exemple, 49,5 pour cent des travailleurs de la République de Corée font plus de 48 heures hebdomadaires. En Thaïlande, c’est le cas pour 46,7 pour cent et 44,4 pour cent au Pakistan.

Il est également important de se rappeler que les entreprises bénéficient d’une meilleure productivité, parce que cela leur permet d’investir et de financer les innovations qui feront la croissance de demain.

Pour équilibrer ces besoins, de solides systèmes de négociation collective et un meilleur dialogue entre travailleurs et employeurs sont nécessaires pour garantir que toutes les parties touchent les dividendes des progrès de la productivité et contribuent ainsi à générer une croissance juste et durable.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Gyorgy Sziraczki ou Steven Kapsos au Bureau régional de l’OIT pour l’Asie et le Pacifique (Bangkok), Tél.: +662/288-1234, Fax: +662/288-1735; E-mail: bangkok@ilo.org


Note 1Visions for Asia’s Decent Work Decade: Growth and Jobs to 2015, (Visions pour la Décennie du travail décent en Asie: Croissance et emplois en 2015), Organisation internationale du Travail, Forum régional asien sur la croissance, l’emploi et le travail décent, Pékin, République Populaire de Chine, 13-15 août 2007.

Note 2 – Sangheon Lee, Deirdre McCann et Jon Messenger, Working Time around the World: Trends in working hours, laws and policies in a global comparative perspective (Les horaires de travail dans le monde: tendances en matière d’horaires de travail, de législations et de politiques dans une perspective de comparaison mondiale), Routledge, Londres et BIT, Genève 2007.