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Rompre avec la servitude pour dettes et les rôles traditionnels au Népal

L’abolition de la servitude pour dettes a favorisé l’égalité des sexes au Népal. Le projet Bridge de l’OIT favorise la transition des travailleurs de la servitude pour dettes vers le travail décent et fournit aux femmes des compétences utiles dans des domaines professionnels traditionnellement dévolus aux hommes.

Reportage | 20 mars 2018
KATMANDOU, Népal (OIT Infos) – Punam Rana, 22 ans, est une femme Kamaiya libérée de la servitude qui se forme au métier de charpentière. Le système Kamaiya était une forme de servitude pour dettes au sein duquel un travailleur et sa famille concluaient un contrat informel avec un propriétaire terrien pour effectuer des tâches agricoles en échange d’un paiement en nature, tel qu’un petit pourcentage de la récolte.

Punam Rana et sa famille ont été libérés du système Kamaiya
En cas de difficultés, les Kamaiya devaient s’endetter auprès de leur propriétaire terrien en faisant un emprunt. La nature informelle de l’accord et le déséquilibre de pouvoir inhérent à la relation entre le Kamaiya et le propriétaire terrien laissaient les Kamaiya sans protection face aux pratiques abusives et à l’exploitation, confrontés à de mauvaises conditions de travail et à la servitude pour dettes à long terme, transmise de génération en génération.

En 2002, sous la pression croissante des militants, de la communauté des ONG et des travailleurs eux-mêmes, le gouvernement du Népal a aboli le système Kamaiya, libérant toutes les familles Kamaiya et leur offrant entre 2 et 5 kattha de terre chacune (entre 679 et 1690 de mètres carrés), une taille suffisante pour y construire une petite maison, mais pas assez pour assurer une agriculture de subsistance. La famille de Punam a été l’une des bénéficiaires et elle possède actuellement une parcelle de trois kattha.

L’insertion des Kamaiya sur le marché du travail

La propriété foncière n’est que le début du processus de réhabilitation des Kamaiya libérés. Les facteurs socioéconomiques qui forcent les travailleurs à accepter les conditions précaires du système Kamaiya perdurent souvent et les débouchés limités en termes d’emploi dans les campagnes népalaises placent les anciennes familles Kamaiya sous une énorme pression économique.

Comme beaucoup d’anciens Kamaiya, le père de Punam était un agriculteur de subsistance. Cependant, quand il s’est blessé, devenu incapable de travailler, la responsabilité de subvenir aux besoins de famille a incombé à Punam, en tant qu’enfant aîné de la fratrie. Bien qu’ayant achevé sa onzième année de scolarité, sans aucune éducation formelle ou formation supplémentaire, elle n’arrivait pas à trouver de travail.

Née dans une famille asservie pour cause de dettes, Punam a été approchée par Bhim Kaini, un animateur social d’UCEP Nepal. Cette organisation a pour but d’améliorer les conditions de vie des enfants déshérités et s’est récemment associée à l’OIT pour dispenser une formation aux anciens travailleurs asservis pour dettes dans le cadre du projet Bridge de l’OIT.

Punam, lors d’un atelier pratique de formation en charpenterie à Banka, Kanchanpur
© N.Bhattarai, projet de l'OIT Bridge
Le projet Bridge, financé par le ministère du Travail des Etats-Unis, s’efforce d’améliorer les moyens de subsistance des anciens travailleurs asservis des districts de Kanchanpur et Bajura, dans l’extrême Ouest du Népal. Grâce au projet, des travailleurs asservis libérés bénéficient d’une formation qualifiante et d’une meilleure employabilité, après quoi ils sont mis en relation avec le marché du travail grâce à des placements professionnels ou reçoivent un soutien supplémentaire pour leur permettre de travailler à leur compte. La formation couvre 14 métiers dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et des transports. D’ici à la fin de 2018, le projet Bridge estime pouvoir former 600 travailleurs à Kanchanpur et Bajura.

En tant qu’animateur social employé par le projet, Bhim a accès aux communautés d’anciens travailleurs asservis et les oriente vers les services d’emploi et d’activité génératrices de revenus du projet Bridge. Comme Punam répondait à tous les critères de sélection  pour figurer parmi les bénéficiaires du projet Bridge, Bhim l’a orientée  vers une formation de deux mois en charpenterie, dispensée par l’UCEP. A la fin de sa formation, Punam sera placée en apprentissage pendant trois mois dans une entreprise qui l’embauchera à l’issue de cette période. Elle aura également la possibilité si elle le souhaite de suivre un deuxième niveau de formation qui lui permettrait de devenir formatrice en charpente à son tour afin de compléter ses revenus.

«Punam est une excellente stagiaire et elle a exprimé le désir de devenir formatrice principale à l’avenir afin de transmettre son savoir à d’autres femmes de sa communauté», souligne Mahesh Katharia, formateur principal de l’UCEP.

En finir avec les rôles traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes

Punam (deuxième à partir de la gauche) dans un groupe de formation en charpenterie, à Banka, Kanchanpur
© Bhim Kaini
En plus d’apporter un soutien vital à la subsistance des anciens travailleurs asservis, le projet Bridge donne aux femmes la possibilité de développer leurs compétences dans des domaines traditionnellement masculins. Les premiers rapports sur la formation dispensée à Kanchanpur montrent une forte participation des femmes à des professions non traditionnelles comme la maçonnerie et la charpenterie. La participation des femmes atteint jusqu’à 70 pour cent dans certains cas.

Dans ces secteurs, les emplois sont traditionnellement réservés aux hommes parce que les attentes sexospécifiques concernant le type de travaux que les femmes devaient faire persistent, surtout dans les populations rurales. Néanmoins, les choses évoluent. Avec l’accès élargi à l’éducation et la multiplication des départs d’hommes à l’étranger pour y chercher du travail, de nouvelles perspectives d’emploi s’ouvrent pour les femmes.

Punam est satisfaite des changements qui se produisent dans sa communauté et à travers tout le Népal. «Vous voyez, à la Présidence, à la tête de l’Assemblée constituante et de la Justice, ce sont toutes des femmes. Si elles sont capables d’occuper de telles fonctions, pourquoi ne serais-je pas capable d’exercer le métier de charpentière?», souligne Punam.

Selon les dernières estimations, parmi les 40 millions de victimes de l’esclavage moderne à travers le monde, environ 25 millions sont victimes du travail forcé et les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée. Le Protocole de l’Organisation internationale du Travail sur le travail forcé prévoit des mesures pour prévenir le travail forcé, protéger les victimes et leur garantir réparation, punir les auteurs et travailler en partenariat avec d’autres acteurs concernés pour mettre fin au travail forcé. Mais de nombreux pays, dont le Népal, doivent encore ratifier le Protocole. Davantage d’informations disponibles sur 50forFreedom.org.

Pour de plus amples renseignements, veuillez contacter:

Narayan Prasad Bhattarai, Coordinateur national du projet
Tél.: +977-5555777 (ext-304)
Courriel : narayan@ilo.org