Migration économique

Sur la voie de la justice: Le parcours des travailleurs domestiques migrants au Liban

Une travailleuse domestique migrante au Liban décide de lutter contre le système "kafala" et d'échapper à ses employeurs. Sept ans plus tard, elle obtient gain de cause et récupère ses arriérés de salaire. Un exploit qui aurait semblé impossible à réaliser il y a à peine une décennie.

Article | 15 août 2014
Une femme de ménage Sri Lankaise anonyme travaillant au Liban
© Anwar Amro / AFP
BEYROUTH (OIT Info) – Après avoir vécu de près la guerre lors de l’invasion israélienne du Liban en juillet 2006, Jennifer, qui préfère garder l’anonymat pour protéger son identité, ne souhaitait pas renouveler son contrat de travail au Liban en tant que travailleuse domestique.

Elle disait ne plus se sentir en sécurité au Liban. Et, pour couronner le tout, au lieu des 200 dollars E.-U. mensuels que lui avait promis une agence de recrutement philippine, ses employeurs ne lui versaient que 150 dollars E.-U. par mois. Ce faisant, ils ont conservé une bonne partie des salaires qu’ils étaient censés lui verser au terme de son contrat de deux ans.

Pour bon nombre des travailleurs domestiques migrants qui vivent et travaillent au Liban et dans d’autres pays de la région, l’emploi ainsi que les conditions de travail et de vie qu’on leur avait fait miroiter dans leur pays d’origine correspondent rarement à la réalité dans le pays d’accueil. L’OIT estime à 600'000 le nombre de personnes victimes du travail forcé au Moyen-Orient.

«Je voulais juste rentrer chez moi», dit Jennifer. Elle avait décidé de retourner aux Philippines dès que son contrat arriverait à échéance, c’est-à-dire au début de l’année suivante. Mais quand elle leur a annoncé qu’elle ne voulait pas renouveler son contrat, ses employeurs ont insisté pour qu’elle reste.

La majorité des travailleurs domestiques migrants au Moyen-Orient sont tenus par le système de parrainage kafala, qui lie les travailleurs à leurs employeurs, limitant leur capacité de se syndiquer, de mettre un terme à leur contrat de travail ou de changer d’employeur.

«Je leur ai dit que j’avais l’intention d’aller à l’ambassade des Philippines», nous a expliqué Jennifer. Malgré cela, ils ont conservé son passeport, une pratique courante au Moyen-Orient, où le kafeel, ou parrain, confisque tous les documents d’identité du travailleur domestique migrant à son arrivée dans le pays d’accueil.

«J’y suis allée quand-même», poursuit Jennifer. Je suis partie et j’ai demandé à une autre travailleuse domestique où se trouvait l’ambassade. Elle m’a expliqué comment m’y rendre, et j’ai marché très longtemps», nous dit Jennifer lorsque nous l’avons contactée par téléphone dans sa ville natale au nord-ouest des Philippines, où elle travaille désormais comme institutrice.

Pendant deux semaines, l’ambassade s’est occupée de Jennifer, jusqu’à ce qu’ils organisent son voyage de retour aux Philippines. Mais après des mois de travail pénible au Liban, elle a dû partir sans toucher les salaires que ses employeurs lui devaient encore.

Si cet épisode marque la fin des épreuves endurées par Jennifer en tant que travailleuse domestique migrante au Liban, il annonce aussi le début de son parcours du combattant pour obtenir justice par l’intermédiaire du système judiciaire libanais.

Nouveau rapport


Un nouveau rapport publié en juin par l’OIT et Caritas, le plus gros prestataire de services pour les travailleurs migrants au Liban, analyse les principaux obstacles auxquels se heurtent les migrants dans leurs pérégrinations pour obtenir justice. Il ressort de ce rapport, intitulé «Accès à la justice des travailleurs domestiques migrants au Liban», que, pour les travailleurs domestiques migrants dans le pays, dont le nombre est estimé à 200'000, obtenir justice est loin d’être une réalité.

«En vertu de la législation libanaise, un travailleur domestique migrant a le droit de déposer plainte auprès d’un juge ou de la police et il a le droit à un procès équitable, au même titre que tout citoyen libanais. Or, dans la pratique, rares sont les affaires qui sont résolues par le biais du système judiciaire et le rapport cherche à savoir pourquoi», explique Alix Nasri, chercheuse à l’OIT et coauteure du rapport.

D’après le rapport, le chemin vers la justice est un véritable chemin de croix: exclusion des travailleurs domestiques du dispositif de protection en vertu du code du travail libanais; difficulté d’établir les preuves de mauvais traitement; marginalisation des travailleurs domestiques migrants de la part des différentes parties prenantes, y compris le secteur judiciaire; et manque de connaissance des procédures judiciaires chez les travailleurs migrants.

Néanmoins, Caritas indique que des progrès importants ont été réalisés au cours de la dernière décennie.

Le Liban est sur la bonne voie pour faire de l’accès à la justice une réalité pour les travailleurs domestiques migrants.»
Avant de s’envoler pour les Philippines, Jennifer a demandé l’aide de Me Antoun Al-Hachem, avocat de Caritas. Elle espérait qu’il l’aiderait à récupérer ses arriérés de salaire.

La première fois qu’un tribunal libanais a statué en faveur d’un travailleur domestique migrant, c’était en 2005. Le juge avait ordonné le paiement de la somme de 500'000 livres libanaises – environ 330 dollars E.-U. – à un travailleur domestique migrant représenté par Caritas, qui avait été victime d’abus et d’exploitation de la part d’un employeur vivant dans la Vallée de la Bekaa, située au sud-est du Liban.

Depuis lors, de nombreux travailleurs domestiques au Liban ont saisi la justice. Si ce processus est lent et truffé d’obstacles, leur quête de justice aboutit à des résultats, et les conséquences de ces décisions de justice sans précédent se répercutent sur l’ensemble de la société, modifiant lentement la façon dont de nombreux Libanais perçoivent les travailleurs domestiques migrants et leurs droits. Aujourd’hui, l’indemnisation des victimes d’abus et du travail forcé peut atteindre jusqu’à 20'000 dollars E.-U.

Ce mois-ci, sept ans après avoir parlé à Jennifer à l’ambassade des Philippines à Beyrouth, Me Antoun Al-Hachem a enfin de bonnes nouvelles à lui annoncer: Caritas a réussi à obtenir gain de cause, et ses arriérés de salaire lui ont enfin été versés.

Selon l’OIT, ces décisions de justice sans précédent montrent que le Liban est sur la bonne voie pour faire de l’accès à la justice une réalité pour les travailleurs domestiques migrants. Et la situation pourrait encore s’améliorer, estime l’OIT, pour autant que le Liban reconnaisse ces migrants comme des travailleurs régis par le code du travail et qu’il prenne d’urgence des dispositions pour améliorer les mécanismes juridiques et institutionnels d’accès à la justice.