Protection sociale

Au Liban, la réforme tant attendue des retraites est en vue

Pour de nombreux travailleurs libanais du secteur privé, atteindre l’âge de la retraite signifie se retrouver confronté à un avenir incertain, sans accès à la protection sociale ou presque. Mais la situation est en passe de changer grâce à l’action commune du gouvernement, des partenaires sociaux, de l’OIT et de la Banque mondiale.

Reportage | 20 mars 2013
BEYROUTH (OIT Info) – Agée de 70 ans, Joséphine Tohme a travaillé à Beyrouth comme courtière en assurances pendant quarante ans, avant de partir en retraite en 2006. En prenant sa retraite à 64 ans, elle a touché une somme forfaitaire qui couvre ses besoins essentiels mais elle dépend d’autres économies et de l’aide de sa fille pour couvrir le reste.

Je ne sais pas comment font les retraités qui ne disposent pas d’autres sources de revenus pour survivre.»
«Je ne sais pas comment font les retraités qui ne disposent pas d’autres sources de revenus pour survivre», dit-elle.

Mme Tohme, comme 28 pour cent de la main-d’œuvre libanaise qui compte 1,5 million de personnes, est affiliée au régime de retraite qui existe depuis des décennies pour le secteur privé et qui comprend une indemnité de fin de services mais ne prévoit pas d’autres prestations de sécurité sociale.


Un capital mais pas de prestations

Le Liban dispose d’un programme d’indemnité de fin de service (IFS) pour le secteur privé – le versement en une seule fois d’un capital équivalant à un mois par année travaillée, basé sur le dernier salaire du travailleur.

Ainsi, un employé du secteur privé qui touchait un salaire de 1 000 dollars mensuels au moment de la retraite après 20 années d’activité peut espérer toucher 20 000 dollars lors de son départ en retraite mais plus aucune aide de l’Etat par la suite.

Il n’existe pas de système de rente mensuelle et toutes les prestations prennent fin au moment de la retraite, y compris la couverture maladie à un âge où elle est plus nécessaire que jamais.

Après avoir encaissé son indemnité, la seule possibilité pour Mme Tohme d’accéder à des soins médicaux résidait dans le système de l’entreprise de sa fille.

Plus de 80 pour cent des Libanais âgés de plus de 65 ans sont privés d’une couverture maladie et retraite – la plupart d’entre eux ayant travaillé dans l’économie informelle et le secteur privé. Les retraités de la fonction publique et de l’armée, qui représentent moins de 20 pour cent de la main-d’œuvre, disposent de leur propre régime de retraite.

Naim Baroud, professeur retraité d’une école privée, 67 ans, explique que le système actuel est source d’incertitude. M. Baroud finance sa retraite en complétant son indemnité de fin de service par les loyers des propriétés qu’il possède.

«Mon indemnité est utile mais je la gère avec beaucoup de prudence parce que je ne sais pas pendant combien de temps j’en aurai besoin ni quelles dépenses peuvent survenir à l’improviste», explique M. Baroud.

Une pension mensuelle pourrait garantir aux retraités comme M. Baroud un niveau de vie décent pour le reste de leur vie.

Un fardeau financier pour les employeurs

La situation n’est pas non plus facile pour les employeurs: le système actuel leur impose de verser de grosses indemnités de fin de service à leurs employés retraités.

C’est une véritable pression sur les entreprises qui doivent réunir d’importantes sommes quand un employé part à la retraite.»
Les employeurs cotisent 8,5 pour cent du salaire mensuel du travailleur aux caisses du Fonds national de la sécurité sociale (FNSS) chaque mois – mais ils doivent encore effectuer un nouveau versement lorsque le salarié part en retraite.

Cela est dû au fait que l’indemnité versée par le FNSS est inférieure au montant auquel le travailleur a droit – et c’est le dernier employeur qui est tenu de payer la différence.

Hassan possède une usine de peinture que son père avait créée dans les années 1950 et qui emploie près de 50 employés. Il dit qu’il songe à la fermer et à émigrer parce que «l’économie est en miettes et les régimes fiscaux et de sécurité sociale ne sont pas favorables».

«C’est une véritable pression sur les entreprises qui doivent réunir d’importantes sommes quand un employé part à la retraite», ajoute Hassan.

Une réforme à l’horizon

Mais cela semble sur le point de changer: une proposition visant à réformer le régime de retraite privée du Liban a rassemblé un large soutien au niveau national, près de dix ans après la première annonce du gouvernement indiquant qu’il prévoyait de modifier le système d’indemnisation.

Le projet soutenu par l’Organisation internationale du Travail (OIT) et la Banque mondiale vise à transformer le régime compensatoire de retraite pour passer d’un dispositif qui ne soutient que partiellement les personnes âgées à une couverture financière garantie pour les travailleurs et leur famille.

Il substituerait au versement d’un capital une rente mensuelle, garantissant aux travailleurs retraités un appui financier et la sécurité sociale pour le reste de leur vie. Il faciliterait également pour les employeurs le transfert de la responsabilité quand les employés changent de travail et instaurerait une rente d’invalidité ainsi que des prestations pour les membres de famille qui survivraient au travailleur.

«Nous avons reçu le soutien des différents partenaires qui ont pris part au débat pendant 15 ans et qui ont fait leurs propres propositions», déclare Pierre Plamondon, actuaire en chef du projet qui se réfère aux représentants du gouvernement, des employeurs et des travailleurs.

L’OIT, à la demande du ministère du Travail, a chargé M. Plamondon d’évaluer les coûts du système proposé. Les résultats définitifs de l’évaluation sont attendus pour août 2013.

«Les travailleurs comme les employeurs tireront parti du nouveau dispositif», déclare Ursula Kulke, spécialiste régionale de la sécurité sociale à l’OIT qui travaille avec le gouvernement libanais sur la réforme des retraites. «Les travailleurs retraités peuvent en attendre la sécurité financière, et les employeurs seront soulagés d’énormes dépenses pour compenser l’écart entre les cotisations retraite et les exigences de l’indemnité de fin de service».

Le Liban appartient à une minorité réduite de pays qui maintiennent un système d’IFS pour les travailleurs retraités. Au niveau régional, les retraites légales couvrent les employés du secteur privé dans des pays comme l’Arabie saoudite, Oman, les Emirats arabes unis, la Jordanie, la Syrie et l’Irak.

Les détails du nouveau régime devraient être définis au cours des quelques mois à venir.

Quel que soit le résultat, la réforme des retraites au Liban s’est fait attendre.