Un rêve fait de briques et de mortier

La construction est devenue un secteur essentiel de la reconstruction d’Haïti après le séisme dévastateur de 2010. Les employés du bâtiment sont très demandés mais les compétences font défaut.

Reportage | 27 août 2012
Odette Buzy apprend à devenir formatrice
PORT-AU-PRINCE, Haïti (OIT Info) – «Pendant toute mon enfance, ma famille n’a jamais eu de maison qui lui appartienne. Nous n’avions pas les moyens d’en construire une», confie Odette Buzy, l’une des rares femmes à travailler dans le bâtiment en Haïti.

Quand elle était enfant, Mme Buzy rêvait de travailler dans le bâtiment afin de pouvoir, un jour, construire une maison pour sa famille. Aujourd’hui, son rêve est devenu réalité.

Mme Buzy est l’une des vingt diplômés du cours de l’OIT de Formation des formateurs aux constructions antisismiques qui s’est récemment déroulé en Haïti. Après sa certification en tant que formatrice, elle va prochainement commencer à former les ouvriers aux techniques de construction antisismique au sein d’un projet nouvellement lancé dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince.

Le «projet 16/6» (16 quartiers / 6 camps) est conçu pour faciliter le retour des personnes déplacées en Haïti vers leurs régions d’origine. Actuellement, on estime qu’environ 400 000 personnes vivent toujours sous tente aux alentours de Port-au-Prince depuis le séisme dévastateur d’une magnitude de 7 qui a frappé Haïti en janvier 2010.

Le projet offre aux habitants et aux personnes déplacées récemment rentrées des solutions durables de logement et les aide à améliorer leurs conditions de vie grâce à un meilleur accès aux services de base et aux activités génératrices de revenus.

La construction, un secteur clé

«Le secteur de la construction est le moteur économique d’Haïti. A travers des programmes de formation liés à l’insertion sur le marché du travail, l’OIT soutient activement la croissance économique et poursuit la mise en place de l’agenda pour le travail décent dans le pays», affirme Antonio Cruciani, Coordonnateur de l’OIT en Haïti.

Haïti: Faits et chiffres
  • En juin 2012, plus de deux ans et demi après le séisme, environ 400 000 personnes vivent encore sous tente dans des camps aux abords de Port-au-Prince.
  • Selon les estimations gouvernementales, sur le marché du travail haïtien, seuls 6 travailleurs sur mille possèdent un diplôme ou un certificat dans un domaine technique ou professionnel.
  • Depuis le séisme, près de 32 pour cent de l’aide financière (plus de 504 millions de dollars) ont été dépensés dans le secteur de la construction.
  • En 2010, ce secteur d’activité a généré 27,8 millions de dollars, ce qui représente presque 10 pour cent du PIB.
  • Une amplification des investissements dans le secteur de la construction en Haïti devrait générer 3,59 milliards de dollars d’ici à 2015.
Le Projet 16/6, financé par plusieurs donateurs dans le cadre du Fonds pour la reconstruction d’Haïti (FRH) et géré par les Haïtiens, est mis en œuvre conjointement par l’OIT, le PNUD, l’UNOPS et l’OIM.

Compte tenu des énormes dégâts provoqués par le tremblement de terre, les besoins du marché du travail dans le secteur de la construction se sont considérablement accrus ces deux dernières années.

Pour faire face à la pénurie, on a fait venir de l’étranger, notamment de la République dominicaine et du Brésil, des entreprises et les travailleurs possédant des compétences techniques et managériales en matière de construction. Toutefois, ce n’est pas une solution pérenne.

Le rôle de l’OIT au sein du Projet 16/6 est de veiller à résoudre ces déficits de qualifications et de promouvoir le développement économique local.

Au cours des deux prochaines années, l’OIT va former 60 formateurs et 1500 travailleurs aux techniques de construction conformes aux normes antisismiques. Ces travailleurs dûment formés seront ensuite sous contrat avec l’UNOPS pour entreprendre la construction de plus de 1000 logements dans les quartiers du Projet 16/6.

Apprendre à reconstruire Haïti

En collaboration avec ses partenaires en Haïti, l’OIT a élaboré un programme ciblé unique, en créole, intitulé APRAS, Apprann Pou Rebati Ayiti Solid (Apprendre à reconstruire Haïti solide). Les manuels de formation APRAS sont avant tout constitués d’exemples et utilisent des images claires et des couleurs pour expliquer chaque étape de la construction.

«Nous allons reconstruire l'humain», Léon Ronsard St-Cyr
Interview du ministre haïtien du Travail et des Affaires sociales sur les besoins du peuple haïtien (juin 2012)
En plus de modules consacrés à la maçonnerie, à la charpenterie et au travail du métal, les supports de formation traitent de thèmes comme la sécurité et la santé au travail, la planification et la conception opérationnelles, le développement de l’entreprise et la gestion des sites de construction.

Le programme met aussi l’accent sur la nécessité d’employer des matériaux de construction de qualité. L’absence de matériaux de ce type est souvent mentionnée comme la principale cause de l’ampleur des pertes humaines dans le séisme de janvier 2010.

Les cinq semaines de formation ont directement lieu sur les sites de construction. Les participants apprennent les techniques de construction antisismiques avant de passer leurs examens finaux et de recevoir un diplôme certifié par le ministère des Travaux publics et l’Institut national de formation professionnelle.

«L’un des objectifs de l’OIT dans ce projet est de jeter les bases d’une réforme du système national de formation professionnelle. Cette reconnaissance et cette validation des compétences facilitent non seulement un meilleur accès au marché du travail, mais donne aussi une certaine dignité et valorise des travailleurs qui n’avaient jamais obtenu de diplôme auparavant», explique Julien Magnat, Conseiller technique en chef du Projet 16/6.

L’expérience acquise à travers le Projet 16/6 va aussi contribuer à mettre en œuvre la stratégie de formation du G20 pour Haïti. En avril 2012, le gouvernement d’Haïti a soumis une lettre officielle au Directeur général de l’OIT demandant qu’Haïti devienne un pays pilote pour cette stratégie de formation en Amérique.

Amy Rhoades
Journalist and skills specialist