Questions et réponses sur la réglementation du travail, le travail décent et la crise économique et de l’emploi

En quoi la réglementation du travail peut-elle être bénéfique à l’économie et au marché du travail? Quel est le rôle de la régulation en termes de défis et d’opportunités qu’elle suscite? Comment la crise économique récente a-t-elle affecté la réglementation du marché du travail? La régulation peut-elle contribuer à la crise économique? Voilà, entre autres, quelques-unes des questions qui seront à l’ordre du jour de la seconde Conférence sur l’acception plus large du concept souvent mal compris de régulation du travail.

Article | 4 juillet 2011

Qu’est-ce que la Régulation pour le travail décent?

La Régulation pour le travail décent est un réseau international de chercheurs issus de diverses disciplines, à savoir le droit, l’économie, les relations professionnelles, les études de développement, la sociologie et la géographie, qui étudient la réglementation du marché du travail. Le réseau est organisé par des chercheurs du Bureau international du Travail (BIT) en collaboration avec le Groupe de recherche sur l’équité au travail de l’Université de Manchester et le Centre pour l’emploi et le droit des relations professionnelles (CELRL) de l’Université de Melbourne.

Quels en sont les principaux objectifs?

Ce réseau poursuit un double objectif: valoriser et encourager la recherche vers une perspective plus équilibrée de la régulation du marché du travail; et éviter que l’agenda de la recherche sur la réglementation du marché du travail ne soit entièrement déterminé en réponse à l’agenda de la dérégulation. A cet égard, la seconde Conférence sur la régulation pour le travail décent s’efforcera de dépasser la dichotomie régulation/dérégulation et cherchera les moyens d’améliorer l’efficacité de la réglementation. Le réseau organise tous les deux ans une conférence qui se déroule à Genève.

De nombreux préjugés pèsent sur la réglementation du travail; sont-ils justifiés?

La réglementation est trop souvent perçue comme prisonnière de la dichotomie régulation/dérégulation. Ce modèle présente une vision étroite de la réglementation du marché du travail, une vision qui suppose que la limitation ou le retrait des prérogatives légales est la seule voie vers la prospérité économique. C’est faux. La recherche1 a montré que des régimes de législation du travail soigneusement conçus pouvaient avoir un impact très positif sur le bien-être des travailleurs, de leurs familles et de leurs communautés tout entières et que les systèmes dérégulés ne produisaient pas toujours les résultats escomptés. Ainsi, la dérégulation du travail au Brésil s’est traduite par une informalisation croissante du marché du travail; le «modèle de flexibilité» des Etats-Unis n’est pas parvenu à réaliser l’un de ses principaux objectifs pendant la crise: la création d’emplois.

Voulez-vous dire que la régulation est une bonne chose pour les marchés du travail?

Nous ne disons pas que toutes les formes de régulation sont bonnes à coup sûr et que la dérégulation est mauvaise par nature. L’objectif est de trouver un équilibre entre la croissance, la création d’emplois et la protection des travailleurs. Ce qui implique de trouver les cadres réglementaires les plus efficaces, dans la droite ligne de l’Agenda de l’OIT pour le travail décent et du Pacte mondial pour l’emploi.

Quelles sont les principales caractéristiques d’une réglementation du travail efficace?

Il y en a au moins trois. Premièrement, il faut comprendre et évaluer correctement les effets des cadres réglementaires. Ce qui exige des données solides. Deuxièmement, une fois que des cadres sophistiqués ont été élaborés, ils doivent être effectivement appliqués. Par exemple, des mécanismes d’inspection du travail efficaces et dotés de ressources suffisantes doivent être mis en place. Le cas du Brésil nous offre un bon exemple. L’expérience récente montre que les modèles de gestion et l’organisation du travail réglementé sur le terrain par les inspecteurs du travail ont été cruciaux pour garantir l’efficacité des inspections du travail. Les travailleurs et leurs organisations doivent aussi être informés des normes légales qui s’appliquent à eux, afin d’être en mesure d’agir en cas de violations. C’est la seule façon pour les travailleurs d’obtenir et de préserver des conditions de travail décentes.

La réglementation du travail semble être une question très complexe, non?

Elle l’est. C’est pourquoi nous devons élaborer des modèles qui appréhendent cette complexité. Comment faire? Premièrement, nous avons besoin de nouvelles méthodologies pour analyser l’efficacité des interventions sur le marché du travail. Elles devraient par exemple reconnaître le rôle de tous les acteurs du marché du travail pour déterminer les effets des réglementations juridiques, surtout celui des employeurs. Deuxièmement, il convient d’admettre que les réglementations du marché du travail peuvent produire des effets variables en fonction du groupe auquel elles s’appliquent. Il est dès lors essentiel de déterminer comment les cadres réglementaires régissent les différentes catégories du marché du travail, que ce soient les femmes, les travailleurs migrants, et ceux qui occupent les diverses formes de travail «non classique», comme le travail à temps partiel, à durée déterminée et le travail temporaire.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de bénéfices que les travailleurs peuvent tirer de la régulation?

La négociation collective est un bon exemple. La recherche 2 montre que dans les pays qui disposent de systèmes de relations professionnelles très coordonnés la négociation collective peut être partie intégrante d’un cadre réglementaire novateur qui maintient des normes du travail efficaces, tout en accordant davantage d’espace aux partenaires sociaux pour négocier et concevoir sur mesure des accords d’entreprise. La durée du travail l’illustre bien. Au sein de ces cadres réglementaires, les syndicats et les employeurs de plusieurs pays européens ont réussi à s’accorder sur des conventions collectives qui concilient les intérêts des entreprises pour la flexibilité du temps de travail et la volonté des travailleurs de mieux contrôler leurs horaires de travail de manière à pourvoir assumer leurs responsabilités familiales. Plutôt que de créer des obstacles à la flexibilité des entreprises, la négociation collective peut être un outil pour la faciliter tout en ménageant les intérêts des travailleurs.

1 Regulating for Decent Work: New Directions in Labour Market Regulation (La régulation au service du travail décent: de nouvelles directions pour la régulation du marché du travail), Sangheon Lee, BIT, Genève et Deirdre McCann, Université de Manchester, Royaume-Uni, éd. Palgrave/BIT, 2011.

2The Role of Collective Bargaining in the Global Economy: Negotiating for Social Justice,” (Le Rôle de la négociation collective dans l’économie mondiale: négocier pour la justice sociale), S. Hayter, ILO, Editor.