Hausse de l’emploi vulnérable et de la pauvreté en 2009, Interview avec le chef de l'unité des tendances de l'emploi du BIT

La crise économique a fortement affecté le niveau et la qualité de l’emploi à travers le monde. Le rapport annuel du BIT sur les «Tendances mondiales de l’emploi 2010» indique que le nombre des travailleurs en situation d’emploi vulnérable dans le monde se serait accru de plus de 100 millions en 2009, aggravant ainsi la pauvreté globale. BIT en ligne s’est entretenu avec Lawrence Jeffrey Johnson qui a dirigé la publication de ce rapport.

Article | 26 janvier 2010

BIT en ligne: Comment définissez-vous «l’emploi vulnérable»?

Lawrence Jeff Johnson: Nous définissons les travailleurs en situation d’emploi vulnérable comme le total des travailleurs à leur propre compte et des travailleurs familiaux non rémunérés. Ils sont moins susceptibles d’être en possession d’un contrat de travail formel et risquent donc davantage d’être privés de conditions de travail décentes, d’une sécurité sociale appropriée et de moyens de se «faire entendre» par le biais de syndicats et d’organisations similaires. L’emploi vulnérable se caractérise souvent par une rémunération insuffisante, une faible productivité, des conditions de travail difficiles et un manque de respect des droits fondamentaux au travail.

BIT en ligne: Pourquoi est-il important d’étudier l’emploi vulnérable en tant que tel?

Lawrence Jeff Johnson: Si dans les économies développées l’examen du chômage constitue un bon point de départ pour évaluer l’état des marchés du travail, dans les économies en développement il est essentiel de prendre en considération les déficits de travail décent parmi ceux qui occupent un emploi. Avant le déclenchement de la crise économique actuelle, de vastes déficits se traduisaient par de forts taux d’emploi vulnérable et de pauvreté au travail dans la plupart des pays en développement.

BIT en ligne: Comment la crise économique et sociale mondiale affecte-t-elle les travailleurs vulnérables?

Lawrence Jeff Johnson: Avant la crise économique, la proportion des travailleurs concernés par l’emploi vulnérable avait tendance à reculer dans l’ensemble des régions, diminuant à l’échelle mondiale d’environ 4 points de pourcentage entre 1998 et 2008. Aujourd’hui, le nombre total de travailleurs vulnérables dans le monde se situerait entre 1,48 et 1,59 milliard de personnes – soit environ la moitié de la main-d’œuvre mondiale. Le nombre de ces travailleurs vulnérables pourrait avoir augmenté de 41,6 à 109,5 millions entre 2008 et 2009.

BIT en ligne: Peut-on observer des différences d’impact de la crise sur les marchés du travail dans les pays industrialisés et dans les pays en développement?

Lawrence Jeff Johnson: L’impact varie selon les pays, en fonction de leur structure économique nationale, de leur niveau d’intégration aux marchés mondiaux, de leur marché du travail et de leurs institutions de protection sociale, entre autres paramètres. Dans les économies développées dotées de mesures de protection sociale fortes, les travailleurs qui perdent leur emploi deviennent chômeurs, ce qui se traduit par un déclin global de l’emploi total. Dans de nombreuses économies en développement, à l’inverse, les travailleurs qui perdent leur emploi n’ont accès à aucun mécanisme de protection sociale. Plutôt que d’être au chômage, ces travailleurs acceptent souvent divers types d’emplois, travaillant à leur propre compte ou pour le compte de l’entreprise familiale. Ce qui a pour conséquence d’accroître le nombre de travailleurs en situation d’emploi vulnérable.

BIT en ligne: Quel est le lien entre la hausse de l’emploi vulnérable et la pauvreté?

Lawrence Jeff Johnson: Si l’on prend en compte l’impact de la crise économique sur l’emploi vulnérable et sur la productivité de la main-d’œuvre, il est probable que le nombre de travailleurs qui vivent avec leur famille dans la pauvreté ait augmenté lui aussi. Les statistiques relatives à la proportion de travailleurs qui vivent dans l’extrême pauvreté montrent que, dans le pire des scénarios, ce sont jusqu’à 7 pour cent de travailleurs supplémentaires qui ont pu basculer dans la pauvreté entre 2008 et 2009. Ce qui correspondrait à 215 millions de travailleurs supplémentaires, une hausse inquiétante et un véritable revers après de nombreuses années de réduction des déficits de travail décent. Si l’on se réfère au seuil de pauvreté de 2 dollars par jour, ce sont environ 5,9 pour cent de la main-d’œuvre (185 millions de travailleurs) qui vivraient à la limite en courant le risque de tomber dans la pauvreté entre 2008 et 2009.

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Tendances mondiales de l’emploi, janvier 2010, Bureau international du Travail, Genève, 2010. ISBN 978-92-2-123256-8 (version imprimée), ISBN 978-92-2-123257-5 (version PDF).