98e Conférence internationale du Travail (3-19 juin 2009)

VIH/Sida: Début des discussions sur une nouvelle norme du travail à la Conférence de l’OIT

Cette semaine, les gouvernements, les travailleurs et les employeurs représentant les 183 Etats Membres de l’OIT entament un processus de deux ans pendant lesquels ils vont discuter d’un projet avant-gardiste de norme du travail sur le VIH/Sida et le monde du travail. BIT en ligne a demandé à la Directrice de l’OIT/Sida, le Dr Sophia Kisting d’expliquer le sens de cette évolution et de dire en quoi cette nouvelle norme du travail pourrait contribuer à relever le défi mondial que pose la pandémie au monde du travail.

Article | 4 juin 2009

BIT en ligne: Quel est le sens des discussions sur une nouvelle norme internationale sur le VIH/Sida et le monde du travail au cours de la CIT de juin 2009?

Sophia Kisting: L’OIT est dans un processus d’élaboration d’un instrument international relatif aux droits de l’homme sur le VIH/Sida et le monde du travail. Si elle est adoptée en 2010, cette norme sera le premier instrument international relatif aux droits de l’homme explicitement dédié au VIH/Sida. Jusqu’à présent, on a considéré que le VIH/Sida était implicitement couvert par des normes internationales du travail telles que la convention (n° 111) sur la discrimination (emploi et profession). La Commission (dorénavant le Conseil) des droits de l’homme des Nations Unies a régulièrement affirmé dans ses résolutions sur le VIH/Sida que le terme «autre statut» figurant dans des instruments comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques devrait être interprété comme incluant le statut sérologique.

BIT en ligne: Quel peut être l’impact d’une telle recommandation sur le monde du travail et les questions de droits au travail?

Sophia Kisting: L’existence d’un instrument entièrement consacré au VIH/Sida et au monde du travail va donner un nouvel élan aux politiques de lutte contre la discrimination au niveau national et dans l’entreprise. Il va renforcer la contribution du monde du travail pour permettre aux pays d’offrir un accès universel à la prévention du VIH, au traitement, aux soins et au soutien; il va encourager la collecte et le traitement d’informations. Il constituera aussi un outil pour nos co-parrains de l’ONUSIDA (le programme conjoint des Nations Unies sur le VIH/Sida) afin d’aider les pays à créer un environnement juridico-politique et des plans stratégiques qui soient multisectoriels, fédérateurs et efficaces. Il est très encourageant de constater qu’un grand nombre de nos mandants croient à l’utilité d’établir une norme de l’OIT dans ce domaine et songent déjà à son application.

BIT en ligne: Quels sont les liens entre le VIH/Sida et la crise économique, le principal thème de cette CIT?

Sophia Kisting: La crise économique mondiale peut modifier la situation financière de pays qui sont très dépendants de l’aide extérieure pour leurs programmes Sida. Dans cette optique, la crise met en danger tous les efforts déployés en matière de prévention, de traitement et de prise en charge au cours des dernières années. Une précarité accrue et la perte des moyens de subsistance pourraient aggraver le risque d’exposition à l’infection par le virus du Sida et d’interruption des traitements, avec des conséquences peut-être fatales. Une récente étude menée par la Banque mondiale montre que près d’1,7 million de personnes en Afrique, Europe de l’Est, Caraïbes et Asie pourraient interrompre ou mettre un terme à leur traitement en raison de la récession financière mondiale.

BIT en ligne: Quels sont les liens entre les débats sur la recommandation et d’autres thèmes de la Conférence, tels que la crise mondiale de l’emploi et l’égalité entre hommes et femmes?

Sophia Kisting: Nous ferons de notre mieux pour examiner ces liens et les traiter. La conjonction de disparités de revenus, d’inégalités entre hommes et femmes et du VIH/Sida est l’un des facteurs les plus fondamentaux de l’épidémie. De la même manière, l’impact du VIH va miner les efforts de reprise sauf s’il est pris en compte dans des réponses nationales adéquates. Le nouvel instrument proposé adopte une approche fondée sur les droits et consciente des différences de genre, pour prévenir le Sida et réduire son impact; il reconnaît également les interactions entre l’épidémie et les inégalités socio-économiques.

BIT en ligne: Quel est le rôle de l’emploi par rapport au VIH/Sida et que peut-on faire pour le renforcer?

Sophia Kisting: L’impact du VIH est exacerbé dans un contexte de pauvreté, tout emploi, toute activité génératrice de revenus, peut contribuer à atténuer cette cause endémique de propagation du VIH dans de nombreux pays. Egalement, des niveaux de chômage des jeunes et de pauvreté élevés peuvent fragiliser les jeunes face au Sida. Quand ils ont besoin d’argent, les jeunes risquent d’entreprendre des activités marginales, dangereuses ou illégales. Le fait que près de 45 pour cent de l’ensemble des nouvelles contaminations se produisent chez les jeunes a de sérieuses répercussions pour la productivité d’aujourd’hui et pour la main-d’œuvre de demain. Il est donc impératif que l’emploi des jeunes soit pleinement soutenu et considéré comme une stratégie essentielle pour lutter contre le Sida; le projet de conclusions pour le débat sur la recommandation inclut d’ailleurs une section sur les jeunes. Parallèlement, avec l’accès accru aux traitements antirétroviraux, de plus en plus de personnes vivant avec le VIH sont en forme et peuvent continuer à travailler indéfiniment. Préserver leur emploi et leurs moyens de subsistance est crucial pour leur permettre de rester productifs plutôt que de dépendre de l’assistance. La perspective de l’emploi, l’approche fondée sur les droits, la façon dont les politiques et les programmes menés sur le lieu de travail renforcent les stratégies nationales face au Sida, ce sont les contributions de l’OIT au partenariat de l’ONUSIDA et aux efforts des Nations Unies de manière générale.

BIT en ligne: Quelles sont les dispositions concernant les travailleurs migrants que propose la recommandation et pourquoi?

Sophia Kisting: Selon les estimations de l’ONU, sur les 200 millions de personnes qui vivaient à l’extérieur de leur pays de naissance en 2005 (2,9 pour cent de la population mondiale), 95 à 100 millions étaient des travailleurs migrants. Être un travailleur expatrié n’est pas un facteur de risque en soi. Cependant, certains facteurs associés au fait de se déplacer accroissent les risques et la vulnérabilité des travailleurs migrants au VIH: la séparation d’avec la famille et le foyer, les barrières linguistiques, des conditions de vie et de travail médiocres, la discrimination, un accès plus limité aux informations et aux services liés au VIH. Dans le contexte de crise économique actuel, une augmentation des violations des droits de l’homme nous est rapportée; il est aussi fait état d’une pression accrue sur les travailleurs migrants pour passer de l’emploi formel vers l’emploi informel ou pour rentrer dans leur pays d’origine. Ces tendances sont susceptibles d’accroître la vulnérabilité au VIH.

L’OIT a pris des mesures concernant le VIH et les migrations de main-d’œuvre, principalement en Asie, et sur la mobilité, essentiellement en Afrique du Sud. Les projets du BIT sont consacrés aux législations, aux politiques et à l’action dans les pays d’origine et d’accueil de la main-d’œuvre – y compris une harmonisation régionale des dispositions concernées – et à une formation préparatoire à l’émigration pour les migrants internes et internationaux, dispensée par les autorités gouvernementales et les agences de recrutement. De plus, en collaboration avec l’ONUSIDA et l’OIM, l’OIT a mis au point une note d’orientation sur les besoins liés au VIH et les droits des travailleurs migrants internationaux.

Nos conseils et nos activités en matière de politique et de programme – pour tous, y compris pour les migrants – tiennent spécifiquement compte de la dimension de genre, de la différence de statut, des pressions subies et des besoins des hommes et des femmes.