Travail forcé

De l’exploitation de la main-d’œuvre au travail forcé: une limite ténue

Le travail forcé est un crime qui doit être sévèrement réprimé. Il faut une orientation claire pour déterminer la ligne de séparation souvent mince entre l’exploitation de la main-d’œuvre et le travail forcé. La Zambie est l’un des pays africains qui a entrepris des recherches pour comprendre le problème et mis en place des mesures pour le combattre. Cette affaire illustre quelques-uns des dilemmes en question.

Article | 12 mai 2009

CHIPATA, Zambie (BIT en ligne) – Landilani est un jeune homme de 22 ans, né dans une famille de sept enfants, dans le village de Mushoro, à Chipata.

Quand il avait 19 ans, son père a fait en sorte que Landilani soit embauché par une femme d’affaires qu’il connaissait à Chipata et qui devait venir dans leur village pour acheter des pierres précieuses. Parvenu à Chipata, Landilani et son employeur se mirent d’accord sur un salaire de 150 000 kwachas par mois.

Il logea d’abord dans le restaurant où il prenait ses repas. Puis il devint gardien de ce restaurant. Ses tâches consistaient à balayer, nettoyer, laver les assiettes, arroser les plantes et travailler à la ferme.

Landilani a travaillé pendant trois mois à Chipata sans recevoir aucun salaire, à part un versement exceptionnel de 10 000 kwachas pour s’acheter des vêtements. Il fut incité à quitter son emploi par le neveu de son employeur qui lui promit un emploi à Katete. Landilani commença alors par travailler dans la mine de pierres précieuses du neveu pendant deux semaines avant d’être envoyé dans un night-club où il travailla pendant deux années sans percevoir de salaire.

Quand Landilani commença à réclamer son argent à son employeur, on lui dit de cesser de travailler, quelqu’un ayant été recruté à sa place. On proposa à Landilani de le ramener dans son village. Dans le même temps, le petit frère de Landilani avait été recruté par son premier employeur de Chipata pour le remplacer…

«Cette affaire montre combien la vulnérabilité d’un jeune homme peut être exploitée – à travers de fausses promesses, en le privant systématiquement de son salaire et en le maintenant dans un emploi contre son gré. Mais dans d’autres cas, la limite entre exploitation de main-d’œuvre et travail forcé est moins tranchée», constate Roger Plant, chef du Programme d’action spécial pour combattre le travail forcé.

Aux termes de la Convention (n° 29) de l’OIT sur le travail forcé, pour être qualifié de travailleur forcé, un travailleur doit être dans l’incapacité de quitter son emploi en raison de la menace d’une peine quelconque et ne pas accomplir le travail de son plein gré.

Selon le nouveau rapport global du BIT, Le coût de la coercition, «Les travailleurs forcés ont typiquement des journées et des semaines de travail plus longues que les travailleurs libres, pouvant aller jusqu’à seize heures d’affilée, sept jours sur sept. Quand, dans le meilleur des cas, ces heures supplémentaires sont rémunérées, elles le sont au taux horaire habituel.»

En plus des horaires très lourds, le «travail excessif» inclut parfois le travail des membres de famille, y compris les enfants, qui contribuent à la production de biens et services mais ne reçoivent aucun salaire en retour.

Début 2006, le ministère zambien du Travail et de la Sécurité sociale (MTSS) a approché le BIT pour qu’il l’aide à déterminer si le travail forcé était pratiqué en Zambie. Le MTSS s’inquiétait en particulier des agissements de certains «intermédiaires» opérant dans le secteur minier, accusés d’exploiter les demandeurs d’emploi qu’ils plaçaient en exigeant une part importante de leur salaire en guise d’honoraires.

Une analyse de quelque 1500 plaintes enregistrées par le ministère et la commission des droits de l’homme sur une période de cinq ans, émanant presque toutes de ressortissants zambiens, a été entreprise. Les plaintes concernent principalement le non-paiement des salaires et des indemnités de fin de contrat; les menaces de licenciement ou le licenciement en cas de dépôt de plainte par le travailleur; la tromperie sur la nature du travail; la confiscation des documents d’identité; les salaires excessivement bas; le transport vers un site de travail éloigné et sans rapatriement; des conditions de service calamiteuses. Certains travailleurs n’ont pas été payés depuis des mois, quelquefois des années.

Trois secteurs d’activités ont émergé dans lesquels les travailleurs s’avèrent particulièrement vulnérables en raison de la nature informelle de leur travail ou du recours à des intermédiaires, à savoir: l’exploitation minière, les services domestiques et l’agriculture. D’autres recherches sur le terrain s’efforceront d’examiner les liens entre migration, traite et travail forcé.

«Le gouvernement de la Zambie a montré la voie pour lutter contre ces problèmes qui, bien sûr, affectent de nombreux pays d’Afrique et d’ailleurs», explique Roger Plant. «Nous encourageons d’autres pays à prendre la suite en examinant et en traitant les causes qui poussent les femmes, les hommes et les enfants pauvres à prendre des risques qui peuvent se terminer en traite ou en travail forcé. Nous devons mettre un terme à l’impunité de ces exploiteurs.»

Pour répondre au problème, le gouvernement de la Zambie a élaboré une stratégie contre la traite, adopté une nouvelle législation et instauré une commission inter-agences sur la traite d’êtres humains. Des services d’aide aux victimes de trafic, prodiguant refuge et conseils, sont en cours de création. Le MTSS révise les dispositions juridiques et institutionnelles pour la réglementation des agences d’emploi privées et renforce ses services d’inspection du travail – une tâche difficile dans un pays de la taille de la Zambie.

«Le travail forcé est l’antithèse du travail décent. En diffusant ce message clairement, en montrant ce qui peut être fait et en illustrant ses répercussions politiques, le BIT peut exercer un rôle décisif sur une question de droits de l’homme qui est chaque jour source de davantage de préoccupations dans le monde entier», conclut Roger Plant.