Journée internationale des Coopératives - Coopérer en période de crise

Cette année, le rôle grandissant des coopératives dans le traitement des crises mondiales liées au changement climatique et à la hausse des prix alimentaires focalise l’attention. Les coopératives peuvent remplir une fonction de plus en plus importante pour concilier les préoccupations économiques, sociales et environnementales, et pour contribuer à la réduction et à la prévention de la pauvreté. Entretien de BIT en ligne avec Hagen Henry, Chef du Programme des coopératives au BIT.

Article | 3 juillet 2008

BIT en ligne: Le mois dernier, la Conférence internationale du Travail a étudié l’état de l’emploi rural et la réduction de la pauvreté. Comment les coopératives peuvent-elles promouvoir les emplois et les moyens de subsistance?

Hagen Henry: Oui, en effet, les discussions de la CIT ont clairement reconnu la contribution essentielle que les coopératives ont apporté et en l’occurrence peuvent encore apporter pour promouvoir l’emploi rural afin de réduire la pauvreté. Le mouvement coopératif international estime que les coopératives contribuent à faire vivre quelque 800 millions de membres et leurs familles. Elles fournissent des emplois directs, ainsi que du travail saisonnier et temporaire. Pourtant, les coopératives permettent aussi à de nombreux fermiers de préserver leur statut de travailleur indépendant et de contribuer au développement de la communauté rurale. En apportant des revenus aux populations rurales, les coopératives créent, par un effet multiplicateur, des emplois supplémentaires en permettant notamment à d’autres entreprises rurales de se développer et d’offrir à leur tour des emplois locaux. Qui plus est, les coopératives sont sources de véritables bénéfices économiques pour les familles d’agriculteurs en augmentant la stabilité du secteur agricole, en améliorant l’accès de leurs produits au marché et en renforçant la position des agriculteurs dans la chaîne agro-alimentaire. Services financiers, services publics et d’autres types de coopératives sont aussi essentiels dans la promotion des emplois et des moyens de subsistance.

BIT en ligne: Qu’avez-vous constaté en termes de croissance des coopératives au cours des cinq dernières années, en particulier en zone rurale?

Hagen Henry: La production de biocarburants est à l’origine d’une expansion rapide des coopératives dans des pays comme le Brésil, le Mexique, la Thaïlande, l’Inde et les Etats-Unis, alors que les coopératives d’énergie éolienne sont en plein essor au Canada, au Danemark et au Royaume-Uni. Il convient également de noter que 90 pour cent du commerce équitable sont le fait de coopératives, la plupart du temps en zone rurale.

BIT en ligne: Quel est le rôle du mouvement coopératif pour relever le défi du changement climatique?

Hagen Henry: Les coopératives sont des entreprises durables d’un point de vue social et environnemental, fondées sur le principe de la protection de leurs membres et des communautés où elles opèrent. En cela, elles sont des structures bien adaptées pour réaliser des contributions substantielles à la recherche d’un équilibre cohérent entre croissance, productivité, emploi et préservation de l’environnement. Il existe de nombreux exemples d’initiatives prises par les coopératives pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour éduquer leurs membres, leurs employés et leurs clients au changement climatique, et même pour promouvoir des emplois verts qui soient aussi des emplois décents.

BIT en ligne: Comment les coopératives contribuent-elles à atténuer l’impact des hausses des prix alimentaires, des conflits régionaux et des catastrophes naturelles?

Hagen Henry: En plus de créer des emplois et de soutenir les communautés, les coopératives peuvent contribuer à la sécurité humaine de manière générale. Les producteurs, les consommateurs et les communautés qui sont directement touchés par ces crises estiment que les coopératives peuvent les aider dans la difficile tâche de s’adapter aux effets négatifs du changement climatique. Les coopératives aident les fermiers à faire face aux défis croissants de la production et apportent une plus grande stabilité au secteur agricole tout en respectant les ressources naturelles. L’expérience a également montré que les coopératives peuvent être très résistantes dans les crises et les conflits, en particulier pour établir une coopération et une solidarité et pour restaurer la dignité à travers des initiatives d’entraide dans des situations de tension, ou dans des situations post-conflit ou post-catastrophes naturelles.

BIT en ligne: Le rôle des coopératives dans l’économie est-il souvent sous-estimé?

Hagen Henry: Oui, c’est le cas. Les 300 premières coopératives mondiales en termes de chiffre d’affaires représentent le PNB du Canada. En Argentine, 58 pour cent de l’électricité rurale en 2005 était fournie par des coopératives sans lesquelles le secteur agricole, responsable de 6 pour cent du PNB, serait menacé et des emplois dans les communautés rurales perdus. En Colombie, Saludcoop, une coopérative de santé, fournit des services de santé à 15,5 pour cent de la population. En Ethiopie, 900 000 personnes du secteur agricole tireraient une partie de leurs revenus de coopératives. En France, 9 agriculteurs sur 10 sont membres de coopératives agricoles; les banques coopératives détiennent 60 pour cent du total des dépôts et 25 pour cent des commerçants du pays sont des coopératives, alors qu’au Japon 9,1 millions de familles d’agriculteurs sont membres de coopératives qui emploient 257 000 personnes. En Inde, les besoins de 67 pour cent des ménages ruraux sont couverts par les coopératives et, en Suisse, le plus grand distributeur et premier employeur du secteur privé est une coopérative. En Nouvelle-Zélande, 22 pour cent du PNB sont toujours générés par des coopératives et au Viet Nam 8,6 pour cent du PNB sont attribués aux coopératives. On pourrait citer bien d’autres exemples.

BIT en ligne: Comment pouvons-nous garantir la promotion nécessaire des coopératives?

Hagen Henry: Les responsables politiques doivent garantir que la législation actuelle et les pratiques administratives (procédures d’enregistrement, politiques fiscales, normes comptables, exigences de capital pour les institutions financières et capacité d’accéder au financement, etc.) n’entravent pas le développement et la croissance des coopératives. Pour ne donner qu’un seul exemple des problèmes auxquels nous sommes confrontés, dans certains pays, les femmes ont encore besoin de l’autorisation de leur mari pour rejoindre les coopératives agricoles. La recommandation no 93 de l’OIT sur la promotion des coopératives sert de guide pour la politique et la législation en matière de coopératives, soulignant la nécessité de conditions équitables de fonctionnement pour les coopératives et les autres entreprises.