En Asie, le travail informel évolue mais demeure massif

Malgré un taux de croissance du PIB deux fois supérieur à la moyenne mondiale, plus d’un milliard d’Asiatiques travaillent toujours dans l’économie informelle. La plupart d’entre eux souffrent d’une absence de protection sociale et occupent des postes improductifs à bas salaires. Un nouveau rapport du BIT () préparé à l’occasion du Forum asiatique pour l’emploi indique que le mouvement d’un emploi rural et agricole vers un travail manufacturé ou un emploi de service en ville va se poursuivre dans l’Asie en développement, voire s’accélérer dans certains pays. Reportage en ligne.

Article | 9 août 2007

BANGKOK (BIT en ligne) – Dans une étude récente sur la vente ambulante dans les rues de Bangkok(Note 2), 84 pour cent des vendeurs se déclaraient satisfaits de leurs revenus et 83 pour cent affirmaient vouloir encourager des amis à se lancer dans les affaires. Cependant, seuls 20 pour cent disaient inciter leurs enfants à suivre leurs traces.

Malgré une croissance économique conséquente, plus de 50 pour cent de la main-d’œuvre asiatique, soit 900 millions de travailleurs, vivent toujours avec moins de deux dollars par personne et par jour. Les taux de chômage sont légèrement plus élevés qu’il y a 10 ans avec 4,7 pour cent en 2006 contre 4,2 en 1996, alors que les rémunérations de nombreux travailleurs se sont détériorées.

Etant donné les possibilités limitées d’emploi dans le secteur formel, environ un milliard d’hommes et de femmes doivent trouver les moyens de s’en sortir eux et leur famille dans le secteur informel. Là, ils sont confrontés à des conditions de travail médiocres, au manque de sécurité de l’emploi, à l’absence d’indemnités et de perspectives de carrière. Ils ont moins accès à l’information et jouissent de moins d’opportunités sur le marché, de moyens d’expression et de représentation limités pour faire valoir leurs intérêts.

«La plupart des travailleurs de l’économie informelle sont confrontés à de plus grands risques et disposent de possibilités moindres que leurs homologues du secteur formel», déclare Mme Sachiko Yamamoto, Directrice régionale de l’OIT pour l’Asie et le Pacifique. «Ils sont davantage exposés à des risques tels que la maladie, la perte de ses biens, l’invalidité, la vieillesse et la mort parce qu’il existe moins de mécanismes leur permettant d’y faire face, c’est-à-dire un accès plus limité aux sources officielles de protection du travail, financière et sociale.»

Les femmes, les jeunes et les personnes âgées sont surreprésentées dans l’économie informelle. Ce secteur est aussi devenu le dernier recours pour de nombreux peuples et tribus indigènes, travailleurs handicapés et ceux qui sont porteurs du VIH/Sida qui manquent de possibilités d’emplois adaptés dans le secteur formel et sont confrontés à des discriminations pour accéder aux marchés du travail officiels.

D’ici à 2015, la persistance de l’économie informelle en Asie, la croissance explosive des populations urbaines de nombreux pays d’Asie et la croissance de l’emploi tertiaire vont se conjuguer pour étendre considérablement l’économie informelle des villes. Des défis socio-économiques s’en suivront, en particulier dans les pays où le développement est en décalage avec la croissance de la population urbaine.

Faire que la croissance profite à tous en améliorant le sort des 60 pour cent de la main-d’œuvre du secteur informel reste un défi colossal.

L’informalité et d’autres thèmes relatifs au fossé entre croissance économique et création d’emplois de qualité, décents, seront en tête des priorités du Forum asiatique pour l’emploi de l’OIT. Le Forum doit débattre de la création d’emplois et de la réduction de la pauvreté, de productivité et de compétitivité, de gouvernance du marché du travail et du secteur informel.

Les racines de l’informalité

«De nombreux facteurs sous-tendent l’informalité», explique Mme Yamamoto. «Il s’agit en tout premier lieu du problème de la pauvreté et des moyens de survie et d’emploi pour les travailleurs pauvres. Deuxième facteur, l’incapacité du secteur industriel à absorber la main-d’œuvre dans des emplois plus productifs. Les emplois de piètre qualité sont plus répandus dans le secteur des services qui est en pleine croissance».

Selon la Directrice régionale de l’OIT, la flexibilité croissante du travail dans l’économie informelle, avec des engagements de travail qui manquent de sécurité et sont dénués d’une véritable protection sociale, est également un facteur. De même, l’assouplissement des barrières commerciales et douanières, associé à une chute des coûts de transport et de communication, a incité les entreprises à démanteler les processus de production et à sous-traiter dans les pays où le travail coûte moins cher.

«L’informalité est aussi un problème de gouvernance. Le point de départ des stratégies nationales de réduction de l’informalité c’est la reconnaissance qu’agir dans l’économie informelle engendre des coûts élevés pour les entreprises, les travailleurs et leurs communautés», explique M. Sziraczki, économiste principal au BIT. «Ramener les travailleurs du secteur informel dans le cadre de la protection sociale et de l’assiette de l’impôt est essentiel pour la pérennité.»

«Mettre fin à l’informalité grâce à un ensemble volontariste, cohérent et complet de politiques est crucial pour réaliser l’objectif du travail décent en Asie», indique le rapport.

Les initiatives politiques devraient promouvoir le travail décent grâce à des stratégies de croissance et de création d’emplois de qualité; grâce au renforcement de l’environnement juridique, y compris le respect des normes internationales du travail; à la promotion de l’esprit d’entreprise, des qualifications, des finances, de la gestion et de l’accès au marché; grâce aussi à l’extension des mécanismes de protection sociale; et à l’organisation des travailleurs de l’économie informelle et la promotion du dialogue social; et aux stratégies de développement rural et urbain enracinées localement.

«Les causes originelles de l’informalité sont variées et interdépendantes. Un dialogue régional tripartite et une coopération efficaces sont essentiels pour développer des politiques spécifiques adaptées au contexte local et aux caractéristiques de l’économie informelle. Le développement de réseaux de connaissances régionales et internationales peuvent contribuer à diffuser et multiplier les politiques innovantes et les institutions promouvant les stratégies de travail décent pour l’économie informelle dans la région Asie-Pacifique», conclut Mme Yamamoto.

Note 1 Visions for Asia’s Decent Work Decade: Growth and Jobs to 2015 (Visions pour la Décennie du travail décent en Asie: Croissance et emplois en 2015), et document de référence Rolling back informality (Mettre fin à l’informalité), Organisation internationale du Travail, Forum régional asiatique sur la croissance, l’emploi et le travail décent, Pékin, 13-15 août 2007.

Note 2 Narumol Nirathron, Fighting Poverty from the Street: A Survey of Street Food Vendors in Bangkok (Lutter contre la pauvreté dans la rue: étude des vendeurs ambulants de nourriture à Bangkok), Bureau international du Travail, Bangkok, 2006.