Xe Conférence régionale africaine. Sécurité sociale en Afrique: un besoin universel

La majorité des travailleurs d'Afrique n'ont pas aujourd'hui de couverture sociale, et les systèmes qui existent sont menacés par certaines réalités comme la mauvaise gouvernance et les effets du SIDA. Cet article traite des diverses voies empruntées pour y remédier, dans le cadre de la «nouvelle Campagne mondiale de l'OIT sur la sécurité sociale et une couverture pour tous», lancée en juin dernier à la Conférence internationale du Travail.

Article | 20 novembre 2003

A l'image de nombre de ses semblables employés dans l'industrie de la pêche en Afrique occidentale, Jadim, porteur au marché de poissons de Hann, au Sénégal, connaît les risques qu'il encourt à porter la lourde cargaison des prises quotidiennes du bateau au rivage. «Les paniers sont trop lourds et mon dos en souffre, dit-il. Mais je ne peux pas faire moins parce que je suis payé au panier.»

Pour Jadim, les risques vont pourtant au-delà d'une douleur musculaire. Qu'arriverait-il, par exemple, si ses douleurs au dos l'empêchaient de travailler pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines? Et sans aucun revenu, comment pourrait-il payer un traitement médical à même de le remettre sur pied et au travail, et subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille? Et s'il restait handicapé à vie?

C'est à ce type de problèmes que sont quotidiennement confrontés les travailleurs en Afrique, où, dans de nombreux pays, moins de 10 pour cent de la population active bénéficient d'une couverture sociale, y compris une assurance santé.

La sécurité sociale – généralement définie comme un système de protection santé-retraite-chômage, en retour de contributions, et d'avantages sociaux, financés par des recettes fiscales – a, de tout temps, été considérée par les Nations Unies comme un droit fondamental, dont ne jouit que relativement peu de monde.L'Organisation internationale du Travail (OIT) estime que près de 20 pour cent de la population mondiale, seulement, bénéficie d'une couverture sociale adéquate, alors que plus de la moitié de l'univers n'en a aucune.

Le développement de l'emploi informel se pose comme un obstacle majeur à l'extension des systèmes de sécurité sociale sur le continent africain. Qui plus est, la viabilité financière des systèmes existants est menacée par certaines réalités comme la mauvaise gouvernance et les effets du SIDA. De ce fait, des travailleurs comme Jadim n'ont pas beaucoup de choix pour se prémunir contre la maladie, l'accident ou le chômage, qui les plongeront dans la pauvreté et le désespoir.

Pourtant, en dépit de l'absence de systèmes institutionnels, l'expérience a montré que même les plus pauvres sont prêts à sacrifier une partie de leurs revenus pour adhérer à un dispositif de protection sociale qui répond à leurs besoins. Jadim et ses collègues de travail dans l'industrie de la pêche en sont la preuve vivante.

Tirer parti du rapport du Directeur général «S'affranchir de la pauvreté par le travail»

Le rapport du Directeur général «S'affranchir de la pauvreté par le travail» se fonde sur trois points essentiels:

Avec l'aide du Bureau international du Travail (BIT), ils ont constitué leur propre caisse d'assurance-maladie, qui, moyennant de petites contributions regulières, permet de dispenser des soins médicaux de base. En dépit de la relative simplicité du système, les médecins locaux considèrent que l'initiative a sensiblement changé les choses et élevé le niveau des soins dans la communauté.

«Nous vivons dans un pays en développement et les gens n'ont pas beaucoup d'argent. Aussi quand des malades se présentent, leurs prescriptions, au moins, sont automatiquement payées, explique le Dr Madou Kane, du centre de santé de Hann. Nous sommes sûrs ainsi qu'ils suivront leur traitement. Cela est garanti.»

Ce modèle de «microassurance» se développe dans les zones où les travailleurs et leurs familles s'efforcent de s'adapter à l'absence de systèmes de santé en bonne et due forme. Il est soutenu par des organisations indépendantes et non lucratives qui cherchent, principalement par le biais de contributions de leurs membres, à améliorer l'accès aux soins pour eux-mêmes et leurs familles.

Ce type de système au financement communautaire – comme celui des pêcheurs de Hann – est à même d'offrir les soins essentiels tout en mettant ses membres à l'abri des coûts de santé. Mais il est nécessaire d'apporter un soutien technique pour assurer leur longévité, et, dans le même temps, d'éveiller les consciences et d'expliquer les potentialités du système si l'on veut aider les pays à étendre leur réseau de couverture sociale.

Le programme du BIT, baptisé STEP (Stratégies et Techniques contre l'Exclusion sociale et la Pauvreté) cherche à combler ce vide en prônant une plus grande coordination entre les agences impliquées dans le développement et les diverses unités de microassurance qui ont fleuri dans la région. Le réseau qui en est issu, connu sous le nom de «La Concertation» donne à ces organismes la possibilité d'échanger des connaissances pratiques et de traiter plus efficacement avec les professionnels de la santé, les organisations de soutien, les services publics et les donateurs. Il crée aussi des synergies entre les diverses institutions d'assurance-maladie, les organisations partenaires et leurs communautés, par le biais d'activités concrètes, comme les programmes de formation et les réunions d'échange d'informations, et les supports de communication (lettres d'information et site Web).

Cette démarche n'est que l'une de celles entreprises par le BIT dans le cadre de sa «Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous», dont l'objectif est d'étendre la couverture sociale, en particulier dans l'économie informelle, et d'attirer l'attention, partout dans le monde, sur le rôle joué par la sécurité sociale dans le développement économique et social.La campagne, lancée en juin dernier et appelée à prendre toute son ampleur en Afrique au mois de décembre, résulte d'un consensus international impliquant gouvernements, employeurs et organisations de travailleurs.

«La sécurité sociale est un élément essentiel de ce filet de sûreté qui évite aux travailleurs et à leurs familles de sombrer dans la pauvreté. Dans certains cas, étendre la couverture sociale à ceux qui ne sont pas protégés peut, en fait, sortir des familles de la pauvreté, souligne le Directeur général du BIT Juan Somavia. Les régimes de sécurité sociale ne contribuent pas seulement à la sécurité, à la dignité, à l'équité et à la justice sociale; ils facilitent l'intégration politique, l'émancipation et l'essor de la démocratie. Des systèmes bien conçus améliorent les performances économiques et donnent un avantage comparatif aux pays sur les marchés mondiaux.»

D'expérience, il se révèle qu'en Afrique la situation peut être améliorée par différentes mesures. La Tunisie a élargi la couverture santé-retraite de 60 pour cent en 1989 à 84 pour cent en 1999. En Afrique du Sud, le régime de retraite d'Etat, financé par des recettes fiscales, touche 1,9 million de bénéficiaires, soit près de 85 pour cent des ayants droit, réduisant ainsi de 94 pour cent la marge de pauvreté de l'ensemble des retraités.

Sous le sceau de cette campagne, le BIT s'efforcera d'œuvrer avec les gouvernements et les partenaires sociaux pour définir des plans d'action nationaux, soutenir les efforts locaux pour étendre la couverture sociale, aider à promouvoir les bonnes pratiques et mettre en évidence le caractère prioritaire de l'élargissement de la sécurité sociale dans les programmes de développement et de réduction de la pauvreté en Afrique. Le BIT met actuellement à l'épreuve de nouvelles approches pour faciliter l'accès à cette couverture et suit les initiatives prises par les Etats membres pour en étendre le bénéfice. De plus, il recourt à sa longue expérience en matière de dialogue social et d'engagement tripartite pour faire face au défi particulier que représente l'extension de la sécurité sociale dans les pays où la couverture est médiocre et l'emploi dans l'économie informelle élevé.