Temps ou argent: que choisir? Une étude du BIT décrit les problèmes que rencontrent les travailleurs ayant des responsabilités familiales

Pour Evangelina Alvarez du Mexique, c'est une longue et difficile recherche de travail qui se termine de manière frustrante.

Article | 21 septembre 2004

GENÈVE – Pour Evangelina Alvarez du Mexique, c'est une longue et difficile recherche de travail qui se termine de manière frustrante.

«C'est simplement parce que j'ai un fils qu'ils n'ont pas voulu de moi!», se plaint Mme Alvarez, qui s'est vu refuser un travail rien que parce qu'elle avait des responsabilités familiales.

Son cas n'a cependant rien d'exceptionnel. On peut lire dans une brochure que vient de publier le BIT que les travailleurs ayant des responsabilités familiales restent victimes d'une forme de discrimination subtile mais très répandue qui peut les empêcher d'avoir un travail intéressant, et même dans certains cas leur coûter leur emploi.

«Quel que soit leur environnement géographique, social et économique, les personnes qui ont des enfants ont moins de chances de trouver un travail convenable que celles qui n'en ont pas » nous explique Jody Heyman, l'auteur de «How are workers with family responsibilities faring in the workplace?» ( Note 1). Cette brochure qui a été publiée par le Programme des conditions de travail et d'emploi du Bureau international du travail (BIT) est une contribution au 10e anniversaire de l'Année de la Famille.

Elle s'inspire d'une étude qui s'appuie sur un millier d'entretiens réalisés au Botswana, au Honduras, au Mexique, en Russie, aux Etats-Unis et au Viet Nam et qui se penche sur les difficultés que rencontrent les personnes à faible revenu lorsqu'elles s'efforcent de gagner leur vie décemment tout en assumant leurs responsabilités familiales. Cette étude montre que par delà les différences individuelles et régionales ce sont un peu partout les mêmes expériences que l'on retrouve parmi les parents qui travaillent, quel que soit par ailleurs leur environnement ou leur culture politique et économique.

L'auteur de cette brochure y évoque en particulier la discrimination que subissent les femmes enceintes ou qui élèvent des enfants lorsque cela est connu. L'auteur ajoute que les hommes qui s'impliquent dans l'éducation de leurs enfants subissent la même discrimination lorsque cela est connu.

Ces entretiens montrent par ailleurs que la probabilité de voir son salaire diminuer, de rater une promotion ou de perdre un emploi est plus grande parmi les personnes ayant des responsabilités familiales qui sont pauvres que parmi celles qui ne le sont pas, ce qui s'explique tout simplement par leurs conditions de travail précaires. Heyman ajoute qu'ils risquent davantage d'entrer dans le cercle vicieux d 'une pauvreté qui s'accroît et qui passe d'une génération à l'autre.

Bien que les hommes n'échappent pas à la discrimination, celle-ci frappe davantage les femmes, qui portent l'essentiel du fardeau au sein de la famille. Non seulement elles ont du mal à trouver du travail, mais elles risquent aussi davantage de le perdre. Les mères faisant partie de l'échantillon qui a été retenu sont nombreuses à choisir un travail moins bien payé, par exemple dans le secteur informel, rien que pour avoir des horaires plus libres.

Le fait que les responsabilités familiales sont une source majeure de discrimination sur le marché du travail, avec tout ce que cela suppose, comme l'absence de conditions de travail décentes, et l'aggravation de l'inégalité entre les sexes et de la pauvreté qu'induisent les conflits entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales ont des implications pour les gouvernements sur le plan politique. C'est ce qui apparaît clairement lorsqu'ils sont amenés à traduire les instruments internationaux qui traitent de la question des parents qui travaillent en une législation nationale satisfaisante qui soit susceptible d'être appliquée.

Pour François Eyraud, responsable du Programme des conditions de travail et d'emploi du BIT, il est absolument nécessaire que les gouvernements et les partenaires sociaux s'intéressent davantage aux politiques et mesures qui peuvent aider à atténuer le conflit entre responsabilités professionnelles et responsabilités familiales ( Note 2), et ce d'autant plus que les tendances apparues récemment aussi bien sur le marché de l'emploi que dans la famille ne font que compliquer encore la vie des familles, qui se retrouvent ainsi face à un véritable dilemme. La question se résume en deux mots. Temps ou argent: que choisir?

En 1981, les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs à la Conférence internationale du Travail ont adopté la convention n°156 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, qui traite de ce problème de conflit entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales. Cette convention précise que «chaque Membre doit, parmi ses objectifs de politique nationale, viser à permettre aux personnes ayant des responsabilités familiales qui occupent ou désirent occuper un emploi d'exercer leur droit de l'occuper ou de l'obtenir sans faire l'objet de discrimination».

M. Eyraud explique que ce conflit entre responsabilités professionnelles et responsabilités familiales ne peut être résolu que si nous arrivons à les rendre plus compatibles entre elles, et donc si nous prenons des mesures qui tiennent compte à la fois des soucis d'efficacité de l'entreprise et du bien-être des travailleurs.


Note 1

Note 2 - Programme des conditions de travail et d'emploi du BIT.