Journée mondiale de lutte contre le SIDA - Meri Pehchan: prévenir le VIH/sida en Inde

Quatre-vingt neuf pour cent des 4 millions de personnes qui vivent avec le VIH/sida en Inde appartiennent au groupe d'âge le plus productif des 15-49 ans. La pandémie est devenue une menace majeure pour le monde du travail et des efforts immédiats sont nécessaires pour protéger du virus mortel quelque 400 millions de travailleurs dans le pays. Mais la sensibilisation au sida dans certaines régions d'Inde pose problème parce que parler de sexe est tabou et que le public est souvent illettré et sans éducation. Les spectacles de marionnettes sont un moyen efficace de faire passer le message.

Article | 30 novembre 2005

NEW DELHI (BIT en ligne) - Un clown joyeux attire une victime qui ne se doute de rien dans son repaire où les démons du sida attendent leur prochaine proie.

Sera-ce l'un des trois jeunes qui dansaient gaiement à une soirée et auquel les deux autres ont offert une dose de drogue à injecter, drogue qu'ils prennent aussi en utilisant la même seringue? Ou Madho qui a eu un accident au village et qui avait besoin d'une transfusion sanguine? Ou M. Sharma qui est en route pour son rendez-vous avec une prostituée locale?

Le spectacle de marionnettes "Meri Pehchan" met en lumière les différents modes de transmission du VIH/sida. Un groupe local a utilisé des marionnettes pour élaborer un message de prévention du sida et le diffuser, en particulier aux femmes de la région. Des situations réalistes sont dépeintes d'une manière divertissante, intégrant des scènes d'humour et des incidents familiers avec des chansons de films indiens.

Le spectacle de marionnettes fait partie du projet "Un emploi décent pour les femmes du monde rural" de l'OIT. A part former à diverses compétences, le projet a pour but de sensibiliser aux questions de santé telles que le VIH/sida. Les spectacles sont joués dans tout Delhi-Ouest et s'appuient sur une pièce populaire pour toucher un public difficile d'accès.

"Le VIH/sida est très répandu mais les gens ne connaissent pas grand chose à son sujet. Ce n'est qu'à travers nos spectacles de marionnettes qu'ils ont pris conscience et s'y sont davantage intéressés. Après la représentation, des personnes se sont présentées à notre bureau pour se renseigner sur le SIDA…", explique Manvinder Singh qui fait des marionnettes depuis dix ans maintenant.

Les nombreux travailleurs migrants de la région de Delhi-Ouest passent beaucoup de temps éloignés de leur famille et sont exposés aux risques tels que le VIH/sida. "Notre public cible ce sont les migrants, par exemple les gens de Bihar, d'Uttar Pradesh et d'Haryana qui viennent en ville pour cinq ou six mois, avec ou sans leur famille", dit S.M. Afsar, Directeur du Programme national.

Les camionneurs passent de nombreux mois sur les routes et sont une autre cible de notre campagne de sensibilisation… "Nous restons dix mois d'affilée sans rentrer à la maison et parfois nous sommes tentés d'avoir des relations sexuelles, il est donc important de savoir ce qu'est le sida et comment utiliser les préservatifs…", déclare Ajit, chauffeur poids lourds.

VIH/SIDA, migration et travail itinérant

"Les routiers font partie de ceux qui restent loin de chez eux et de leur famille pendant de longues périodes, souvent dans des conditions précaires et désagréables. La plupart d'entre eux sont des hommes, vivant et travaillant dans une culture à dominante masculine. L'industrie du sexe étant généralement présente sur les aires de stationnement des camions, les chauffeurs s'octroient les services de travailleurs du sexe ou bien ils ont d'autres partenaires de rencontre sur la route", commente Odile Frank, principal auteur d'un rapport en préparation du BIT sur "Le VIH/sida et le travail dans un monde globalisé" ( Note 1).

Le rapport fournit des estimations pour la Thaïlande où 87 pour cent des chauffeurs de poids lourds auraient eu des relations occasionnelles avec des travailleurs du sexe. De même en Inde, 75 pour cent des routiers ont eu des rapports occasionnels sur leur route.

Mais les camionneurs ne sont que l'un des groupes à risque. En plus des emplois dans l'industrie du transport qui viennent immédiatement à l'esprit, y compris la marine, le transport routier, ferroviaire ou aérien, il existe des professions sédentaires sur terre qui sont en interaction permanente avec les travailleurs itinérants, notamment les dockers.

"Des millions de personnes sont en mouvement dans le monde d'aujourd'hui ou en contact avec ceux qui le sont, y compris les voyageurs, les travailleurs du sexe et de l'industrie hôtelière. Ils appartiennent aussi aux groupes de personnes qui sont davantage exposés au risque du VIH/sida", déclare Odile Frank.

Le nouveau rapport du BIT montre que l'épidémie du VIH/sida est étroitement liée à de nombreux aspects de la mondialisation de l'économie.

"La transmission du sida à l'échelle planétaire peut être considérée comme partie prenante du processus de mondialisation, à travers l'impact de la mondialisation sur les déplacements croissants des personnes, dit Odile Frank. En même temps, la mondialisation crée des occasions de développer de manière accélérée des médicaments qui prolongent la vie et des technologies pour combattre le VIH/sida", ajoute-t-elle sur une note plus positive.

Alors que ces occasions ont permis de réduire la transmission et l'apparition de nouveaux cas dans de nombreux endroits, le VIH/sida est progressivement devenu une maladie de la pauvreté. "Pour de nombreux pays pauvres, la mondialisation a produit des angoisses plutôt que des espérances. Le VIH/sida a augmenté ces angoisses et ces risques", conclut Odile Frank.

Lutter contre le VIH/SIDA dans un monde globalisé

Le rapport du BIT examine aussi la législation nationale et internationale sur les droits humains concernés par le VIH/sida. Selon ce rapport, "restreindre les déplacements des personnes qui sont séropositives est une violation des droits et constitue une discrimination. C'est en outre inutile et inefficace".

Il n'est pas rare que des migrants soient séronégatifs quand ils quittent leur pays d'origine et deviennent positifs en raison de l'environnement défavorable et hostile auquel ils sont confrontés au cours de leur séjour migratoire, affirme le rapport.

"Les organisations des Nations Unies, les institutions spécialisées et les ONG qui s'occupent du VIH/sida ont depuis longtemps pointé du doigt le fait que les restrictions relatives à l'entrée sur le territoire ou à la résidence fondées sur les questions de santé, y compris le VIH/sida, doivent être appliquées de façon à respecter les droits humains des migrants y compris, entre autres, le droit à la non-discrimination. Un environnement qui favorise les violations des droits de l'homme légitime la stigmatisation et la discrimination, ce qui renforce l'impact du VIH/sida", précise Odile Frank.

Selon le rapport, seules les mesures assurant la protection et les droits des migrants et éliminant les facteurs de risques à toutes les étapes de la migration, du recrutement au retour, permettront véritablement aux pays de prévenir la transmission du VIH.

Le Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail ( Note 2) est jusqu'à présent le seul instrument reliant le droit au VIH/sida dans le monde du travail, et il est largement utilisé pour garantir la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des travailleurs migrants. Le Recueil a été traduit dans plus de 35 langues et diffusé mondialement: en principe, il est disponible pour les gouvernements, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations dans près de 90 pour cent des pays du monde.

"Le VIH/sida ne connaît pas les frontières. En outre, il est déjà présent dans tous les pays du monde. Il est par conséquent essentiel que les Etats collaborent et pensent en termes globaux s'ils souhaitent protéger efficacement leur économie et leur population", conclut Odile Frank.

Le spectacle de "Meri Pehchan" se termine avec des marionnettes qui se demandent si un jour tout le monde connaîtra suffisamment le sida pour mettre un terme au règne de la pandémie… Depuis le 1er juillet 2005, l'OIT préside la Commission des Organisations parrainant l'ONUSIDA (CCO). En tant que présidente, l'OIT prend la direction de la préparation des réunions du Conseil de coordination du Programme de l'ONUSIDA (PCB) et apporte son appui et sa direction sur d'autres questions telles que les liens entre le VIH/sida et l'Agenda de l'OIT pour le travail décent, les modèles et les tendances changeantes dans le monde du travail et les dimensions sociales de la mondialisation.


Note 1

Note 2 - Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/sida et le monde du travail, Bureau international du Travail, 2001. ISBN 92-2-212561-4.