Journée internationale des peuples autochtones

Népal: Le respect des droits des populations autochtones nécessaire à la paix et au développement

A l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, OIT Info s'est entretenu avec Mukta Singh Lama, un Népalais issu d’une communauté autochtone, au sujet de la situation qui fait suite au tremblement de terre et de l’incidence de la convention n° 169 de l’OIT sur les droits majeurs des peuples autochtones.

Article | 7 août 2015
A l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, qui sera célébrée le 9 août, l’Organisation internationale du Travail (OIT) offre un aperçu de la situation des peuples autochtones dans le monde du travail, en passant en revue l’expérience de plusieurs pays d’Asie, notamment le Népal.

OIT Info s’est entretenu avec Mukta Singh Lama, qui fait le point sur les peuples autochtones au Népal dans la période post-conflit. En 2007, le Népal a ratifié la convention (n° 169) sur les populations indigènes et tribales, 1989, dans le cadre d’un processus de paix qui a mis fin à 10 ans de guerre civile.*

Ce dernier raconte également le lourd tribut qu’ont payé les peuples autochtones lors des tremblements de terre de forte magnitude et des glissements de terrain qui ont dévasté le Népal en avril et mai derniers.

S.M. Lama est originaire de la communauté autochtone Tamang, qui regroupe 1,5 millions de personnes. Cette communauté qui vit au cœur de la chaîne himalayenne au Népal est l’une des plus importantes, et elle compte parmi les 59 groupes que l’on regroupe sous l’appellation Adivasi Janajati. Traditionnellement victime de discrimination, il s’agit de l’une des populations les plus défavorisées du Népal contemporain.

Durement touchés par les tremblements de terre

OIT Info: Comment les peuples autochtones du Népal ont-ils été touchés par les forts tremblements de terre ce printemps?

M.S. Lama:
Les peuples autochtones sont ceux qui ont le plus souffert de cette catastrophe. L’analyse des données disponibles montre qu’environ 70 pour cent du nombre total de décès sont à déplorer au sein des peuples autochtones, où l’on recense le même pourcentage de destruction des infrastructures. Les habitants de plusieurs villages autochtones ne peuvent plus y vivre à cause des glissements de terrain provoqués par les tremblements de terre et la mousson.

Le nombre élevé de victimes s’explique essentiellement par la précarité de l’habitat à cause de la pauvreté et de l’impuissance des populations autochtones, ainsi qu’au fait que l’épicentre du tremblement de terre se trouvait dans une région habitée par des peuples autochtones au cœur des montagne de l’Himalaya. Faute d’adopter un plan de réhabilitation spécifiquement axé sur les peuples autochtones, la société népalaise pourrait faire un bond en arrière d’un demi-siècle en termes de développement.

OIT Info: Suite aux tremblements de terre, les survivants des peuples autochtones ont-ils eu accès aux soins de santé nécessaires?

M.S. Lama:
La communauté autochtone a fait preuve d’une forte capacité de résistance au lendemain du tremblement de terre. Etant donné que la majorité des peuples autochtones vit dans des zones reculées, l’acheminement du matériel de secours a été retardé et le volume de matériel livré a été limité. Les Népalais vivant dans des zones moins reculées ont pu bénéficier beaucoup plus facilement de l’accès aux services de soutien. Les peuples autochtones qui, de tout temps, ont été victimes d’exclusion et dont le capital social et les réseaux sociaux sont insuffisants, ont un sentiment d’abandon.

OIT Info: Hormis la marginalisation, quels sont les autres obstacles qui empêchent l’accès des peuples autochtones aux soins de santé?

M.S. Lama:
Dans les régions affectées par le tremblement de terre, presque toutes les installations de santé publiques ont été endommagées. Un rapport du gouvernement déplore des dysfonctionnements dans plus de 1000 services de santé à cause de la catastrophe. Dès la première phase qui a suivi le tremblement de terre, le manque de médicaments et la pénurie de travailleurs de la santé ont posé de graves problèmes. Depuis, les postes sanitaires ont été progressivement réapprovisionnés en médicaments, et du personnel de santé est de nouveau là pour s’en occuper, y compris dans les régions habitées par des peuples autochtones.

L’éloignement géographique et la barrière de la langue restent toutefois des obstacles qui empêchent l’accès des peuples autochtones aux services de santé. La destruction de sites de valeur spirituelle, y compris de sanctuaires et de monastères locaux, associée aux bouleversements survenus dans la vie des guérisseurs traditionnels, a perturbé le système de soins traditionnel.

Respect des droits

OIT Info: Pensez-vous que la convention n° 169 de l’OIT sur les populations indigènes et tribales contribue à une paix durable dans le pays?

M.S. Lama:
Oui. La ratification de la convention n° 169 par le Népal en 2007 s’est inscrite dans un processus de paix visant à mettre un terme à 10 ans de conflit entre le gouvernement népalais de l’époque et le parti communiste du Népal (Maoiste). De nombreux jeunes autochtones ont été impliqués dans le conflit et ont participé aux mouvements. La ratification a fourni une base pour examiner la demande de protection de leurs droits.

OIT Info: Le projet de nouvelle constitution prend-il en considération les droits des peuples autochtones?

M.S. Lama:
Les peuples autochtones espèrent que leurs droits seront garantis par la nouvelle constitution, et la réforme constitutionnelle offre une belle opportunité à saisir en ce sens. Or, au vu des débats qui se tiennent actuellement à l’Assemblée constituante, il est permis de douter que les droits des peuples autochtones seront pris en considération. Si les droits des peuples autochtones ne sont pas respectés en vertu de la constitution et que la convention n° 169 n’est pas mise en œuvre, de nouveaux conflits risquent d’éclater à l’avenir.

OIT Info: Quels sont les points de désaccord?

M.S. Lama:
Les peuples autochtones souhaitent voir leurs droits garantis par la constitution, comme le prévoit la convention n° 169, notamment leurs droits collectifs à la terre, au territoire, à la culture, à la langue et au développement personnel. Les demandes d’autonomie, la reconnaissance officielle des peuples autochtones aux niveaux fédéral et provincial, ainsi que la délimitation des territoires autochtones sont des points de friction. Les forces politiques conservatrices sont fermement opposées à ce que ces droits soient consacrés par la constitution.

OIT Info: Comment garantir le respect des droits des peuples autochtones?

M.S. Lama:
Depuis la ratification de la convention n° 169, on constate une plus forte sensibilisation aux droits des peuples autochtones au Népal, que ce soit au sein de la communauté Adivasi Janajati ou des groupes non indigènes. C’est un signe de progrès. Toutefois, à mon sens, quatre mesures majeures devraient être prises pour améliorer le respect des droits des peuples autochtones:

  1. Approbation et mise en œuvre du plan national d’action en vue de faire appliquer la convention n° 169.
  2. Inscription des droits des peuples autochtones dans la nouvelle constitution.
  3. Nécessité de faire évoluer les mentalités au sein du gouvernement, des partis politiques et des segments dominants de la société pour que la convention n° 169 soit considérée comme un outil positif en faveur de la consolidation de la paix, du développement et de la protection des droits de l’homme.
  4. Elaboration et utilisation d’une procédure détaillée de consultation des peuples autochtones par le gouvernement et les organismes de développement, avec la participation des peuples autochtones à l’élaboration des politiques ainsi qu’à la planification et à la mise en œuvre du développement.

Mukta Singh Lama est titulaire d’un doctorat en Anthropologie de l’Université Cornell. Il est activement engagé dans la promotion des droits des peuples autochtones au Népal et dans la défense de leurs intérêts.

* Déclarée par le Parti communiste maoïste, cette guerre (1996-2006) avait pour but de renverser la monarchie et de construire une société égalitaire et participative.