Les coopératives et la crise financière mondiale

Les coopératives ont mieux réagi à l’aggravation de la crise mondiale de l’économie et de l’emploi que les autres secteurs. BIT en ligne s’est entretenu avec Hagen Henry, Chef du Département des coopératives du BIT.

Article | 23 avril 2009

BIT en ligne: Pourquoi l’OIT promeut-elle les coopératives?

Hagen Henry: L’OIT considère que les coopératives sont importantes pour améliorer les conditions de vie et de travail des hommes et des femmes globalement, et pour mettre à leur disposition des infrastructures et des services essentiels, même dans des zones négligées par l’Etat ou les entreprises dirigées par des investisseurs. En outre, les valeurs qui sont au cœur du mouvement coopératif sont fondamentales pour créer des emplois décents. Les coopératives tendent vers une économie démocratique, centrée sur l’homme, soucieuse de l’environnement, tout en favorisant la croissance économique, la justice sociale et une mondialisation équitable. Les coopératives jouent un rôle de plus en plus important pour trouver un équilibre entre les dimensions économique, sociale et environnementale, ainsi que pour contribuer à prévenir et réduire la pauvreté.

BIT en ligne: Quelle est l’incidence de la crise économique mondiale actuelle sur les coopératives?

Hagen Henry: Les informations dont nous disposons montrent qu’à quelques exceptions près les entreprises coopératives, quel que soit le secteur ou la région, résistent relativement mieux aux chocs du marché actuels que celles qui ont pour but la recherche du profit. Cependant, comme pour d’autres types d’entreprises, la situation des coopératives au regard de la crise varie en fonction du degré de dépendance par rapport à la demande et aux financements externes, de leur degré de diversification et de leur secteur d’activités. Nous venons tout juste de commander une étude qui va nous fournir de nouvelles informations, plus approfondies.

BIT en ligne: Pouvez-vous nous citer un exemple concret?

Hagen Henry: Au paroxysme de la crise, les banques coopératives ont été confrontées à un afflux d’adhérents et de dépôts d’épargne; elles ont éprouvé des difficultés à répondre à cette soudaine hausse de la demande. Jusqu’à présent, les banques coopératives n’ont annoncé aucune perte significative liée à cette crise. Néanmoins, les pertes subies par la Banque centrale des coopératives d’Allemagne (DZ), qui est elle-même une société cotée en bourse, montrent que les banques coopératives peuvent aussi prendre des risques financiers. Dans ce cas précis, soit les mécanismes de contrôle spécifiques aux coopératives n’étaient pas en place, soit ils ont failli à leur rôle. Cependant, la plupart des banques coopératives ont limité leur vulnérabilité et augmenté leur transparence, principalement en réalisant des investissements de proximité et dans l’économie réelle. Les planteurs de café éthiopiens semblent moins affectés par les fluctuations du marché mondial que les producteurs de café qui n’appartiennent pas à un réseau de coopératives de production.

BIT en ligne: Les banques coopératives résistent-elles mieux à la crise financière?

Hagen Henry: Aucune banque coopérative ne semble avoir demandé l’aide de l’Etat jusqu’à présent. Mais l’exemple allemand le montre, cela ne doit pas être interprété comme le signe qu’elles n’ont pas été affectées par la crise; cela témoigne de l’existence de mécanismes d’entraide, comme l’engagement des membres à renflouer, les garanties interbancaires au sein du secteur coopératif, ou l’utilisation des fonds propres avant de recourir à une aide extérieure. Aussi bien dans le système américain des mutuelles de crédit que dans le système bancaire coopératif allemand, grâce à ces mécanismes, les sociétaires n’ont perdu aucun argent depuis la fin de la Grande dépression. Qui plus est, aucune banqueroute de coopérative liée à la crise, aucun licenciement d’employé de coopérative n’ont été rapportés.

BIT en ligne: La crise financière et la nouvelle image des coopératives représentent-elles une occasion à saisir pour l’OIT et ses mandants?

Hagen Henry: Les coopératives ne sont pas simplement une «autre manière» de faire des affaires, ce ne sont pas des entreprises «en miniature», mais un modèle d’entreprise spécifique, fondé sur des valeurs, valable pour toutes tailles et tous secteurs d’activités. Pour ne citer que quelques exemples célèbres, KPMG, l’Orchestre philharmonique de Londres, la chaîne d’hôtels Best Western, AP, sont toutes des coopératives. La crise a suscité une réflexion sur le meilleur modèle d’entreprise. Les coopératives constituent une alternative intéressante. Elles donnent la priorité à la rentabilité à long terme et à la pérennité de l’entreprise, au partage des bénéfices entre leurs membres qui détiennent le capital et les principaux utilisateurs (prêteurs, emprunteurs); elles dépendent des besoins de la communauté locale, sont hautement transparentes et – fondamentalement – elles ont un agenda social qui ne les empêche pas pour autant d’être viables et rentables.

BIT en ligne: Quel est l’impact socio-économique des coopératives dans le monde?

Hagen Henry: Les 300 premières coopératives mondiales en termes de chiffres d’affaires représentent l’équivalent du PIB du Canada. En Colombie, Saludcoop, une coopérative de santé, fournit des services de soins à 15,5 pour cent de la population. En Ethiopie, 900 000 personnes du secteur agricole généreraient une partie de leur revenu grâce à une coopérative. En France, 9 agriculteurs sur 10 sont membres de coopératives agricoles, les banques du secteur coopératif détiennent 60 pour cent des avoirs et 25 pour cent des commerces de détail français sont des coopératives, alors qu’au Japon 9,1 millions d’agriculteurs familiaux sont membres de coopératives qui fournissent 257 000 emplois. En Inde, les besoins de 67 pour cent des ménages ruraux sont couverts par des coopératives, et en Suisse le plus grand distributeur et plus grand employeur privé est une coopérative.

BIT en ligne: Comment le BIT peut-il favoriser la promotion des coopératives?

Hagen Henry: Les responsables politiques doivent veiller à ce que les lois et les pratiques administratives (procédures d’enregistrement, politique fiscale, normes comptables, normes capitalistiques pour les institutions financières, accès au financement, etc.) ne freinent pas le développement ni la croissance des coopératives. Pour ne donner qu’un exemple de la grande complexité du problème auquel nous sommes confrontés: dans certains pays, les femmes doivent encore demander la permission à leur mari pour adhérer à une coopérative agricole. La recommandation n° 193 de l’OIT sur la promotion des coopératives sert de guide pour la politique et la législation en matière de coopératives, soulignant la nécessité d’offrir des conditions équitables aux entreprises coopératives et aux autres. Elle sert aussi de guide pour garantir que les coopératives sont gérées et contrôlées en fonction de leurs caractéristiques spécifiques et qu’elles figurent dans les programmes d’éducation et de formation.

Voir également BIT en ligne n° 2 sur les institutions de microfinance comme modèle d’entreprise alternatif en temps de crise.