Sauver des vies et protéger des emplois: de nouvelles perspectives dans la lutte contre le VIH/Sida au travail

Le VIH a un effet dévastateur sur le monde du travail. La majorité des 33,2 millions de personnes qui vivent avec le VIH/Sida dans le monde travaillent; ils possèdent des compétences et une expérience dont leur famille, leur employeur et leur pays peuvent difficilement se passer. En tant qu’agence des Nations Unies chef de file pour les interventions relatives au VIH/Sida sur le lieu de travail, l’OIT publie un nouveau rapport mettant en lumière les réponses stratégiques au Sida dans les entreprises du monde entier. BIT en ligne s’est entretenu avec le Dr Sophia Kisting, Directrice de l’OIT/Sida.

Article | 14 avril 2008

BIT en ligne: Sept ans après l’adoption du Recueil de directives pratiques sur le VIH/Sida dans le monde du travail par le Conseil d’administration du BIT, beaucoup a été accompli pour le mettre en œuvre. Le Programme SHARE (Réponses stratégiques des entreprises à la question du VIH/Sida) tourne à plein régime. Qu’est-ce que le programme SHARE et comment fonctionne-t-il?

Dr Sophia Kisting: Le lieu de travail offre des possibilités et des avantages particuliers comme lieu d’accès privilégié à la prévention du VIH, aux programmes de traitement et de soins sur une base pérenne. Conjuguant dialogue, formation et méthodes de facilitation, le programme SHARE vise à augmenter la capacité du gouvernement et des organisations patronales et syndicales des pays membres à protéger les travailleurs du VIH et à réduire son impact sur le monde du travail. Le principal credo du programme SHARE est d’agir au niveau de l’entreprise. Financé par le ministère du Travail des Etats-Unis, il concerne maintenant plus d’un million de travailleurs.

BIT en ligne: Quels en sont les principaux éléments constitutifs?

Dr Sophia Kisting: SHARE a pour but de réduire les discriminations à l’emploi à l’encontre des personnes porteuses du virus, de maintenir dans leur emploi les personnes atteintes du VIH, de réduire les comportements à risque et de faciliter l’accès au dépistage volontaire et anonyme, au traitement, aux soins et au soutien.

L’appropriation nationale de l’initiative SHARE est vitale pour le succès du projet et sa pérennité. Il existe certes une approche générique, mais elle doit s’adapter aux pays grâce au dialogue et à la coopération avec les principaux acteurs. La plupart des pays disposent maintenant d’initiatives nationales en matière de Sida, et le rôle de SHARE est de renforcer la composante monde du travail au niveau national et d’introduire des programmes au niveau de l’entreprise.

Nous agissons dans le cadre de l’Agenda pour le travail décent qui est menacé de bien des manières par le Sida.

BIT en ligne: Où le programme SHARE est-il opérationnel?

Dr Sophia Kisting: En vigueur depuis cinq ans, le programme SHARE coopère maintenant avec 650 entreprises et touche environ un million de travailleurs dans 24 pays. Les premiers programmes mis en place au Belize, au Bénin, au Cambodge, au Ghana, en Guyane, en Inde et au Togo sont maintenant bien établis et évoluent vers des programmes nationaux pérennes.

Grâce à ces résultats positifs et à la mise en œuvre efficace du programme, les projets SHARE attirent de plus en plus l’attention, et leur rayon d’action s’étend au fur et à mesure que les fonds sont disponibles. Au premier rang des nouveaux donateurs figure le Plan d’urgence présidentiel d’aide à la lutte contre le Sida (PEPFAR), qui a financé des extensions de SHARE au Botswana, en Guyane, en Inde, au Lesotho et au Swaziland.

BIT en ligne: Quel impact a eu SHARE?

Dr. Sophia Kisting: Au cours des quatre dernières années, SHARE a systématiquement rassemblé des données en provenance des six pays d’implantation des projets afin de mesurer leur impact. A Belize, au Bénin, au Cambodge, au Ghana, en Guyane et au Togo, les employés ont fait preuve d’une attitude informée à l’égard des personnes vivant avec le virus du Sida au cours de la période de mise en œuvre du projet.

Au Cambodge par exemple, la proportion des travailleurs qui ont rapporté adopter une attitude positive à l’égard de l’usage de préservatifs a augmenté de 34 à 68 pour cent.

Au Ghana, le pourcentage de travailleurs qui ont rapporté une attitude favorable envers leurs collègues séropositifs est passé de 33 à 63 pour cent.

Qui plus est, seuls 14 pour cent des entreprises partenaires dans les six pays disposaient de politiques écrites en matière de VIH quand le programme a démarré. Ce chiffre a atteint une moyenne de 76 pour cent lorsque les enquêtes finales ont été menées.

De manière générale, 16 des 24 pays où des projets SHARE ont été implantés avaient adopté une politique nationale tripartite ou une déclaration sur le VIH/Sida et le monde du travail. Un total de 3 978 fonctionnaires gouvernementaux, 1 238 représentants d’organisations d’employeurs et de 5 077 représentants de syndicats de travailleurs ont été formés à la question du VIH sur le lieu de travail.

Les données montrent que SHARE a apporté une contribution significative à la création d’un environnement de travail favorable et à l’évolution des mentalités et des comportements.

BIT en ligne: Faire évoluer les mentalités et les comportements, est-ce la clé de la réussite des interventions sur le lieu de travail?

Dr. Sophia Kisting: Les programmes visant à changer les comportements sont un élément central et essentiel des initiatives au niveau de l’entreprise au sein de SHARE. De nombreux travailleurs ne connaissent pas suffisamment le Sida pour pouvoir s’en protéger, alors que d’autres savent mais ne changent pas de comportement pour réduire les risques de contamination.

Le changement de comportement est une forme d’éducation participative qui encourage les personnes à mieux comprendre leurs propres attitudes vis-à-vis du VIH, à évaluer leurs propres risques et à les inciter à modifier leur comportement. Le programme utilise des messages et des approches ciblés et est mis en œuvre grâce à un système d’éducation par les pairs. L’idée fondatrice est que les individus sont plus enclins à modifier leur comportement avec le soutien de personnes qu’ils connaissent et à qui ils font confiance. Le changement positif de comportement individuel encourage et motive à son tour un changement de comportement plus collectif.

BIT en ligne: Quelles sont les prochaines étapes dans la lutte contre le VIH/Sida sur le lieu de travail?

Dr Sophia Kisting:Certains pays offrent des exemples remarquables de la manière de traiter le VIH/Sida en utilisant le lieu de travail pour la prévention, les soins et le soutien et pour s’attaquer à la stigmatisation et aux discriminations. Il est temps de regarder ce qui a déjà été fait dans les pays pionniers et de construire à partir de ces bonnes pratiques. Nous espérons que les récits présentés dans le nouveau rapport du BIT convaincront et inspireront davantage de ministres du Travail, d’employeurs et de syndicats pour qu’ils intensifient leurs efforts pour faire face au VIH.

La recommandation sur le VIH/Sida et le monde du travail qui doit être discutée lors de la Conférence internationale du Travail de l’année prochaine fournira un cadre pour développer une politique et une action nationales dans ce domaine. La session de mars 2007 du Conseil d’administration du BIT a reporté la recommandation à l’ordre du jour de la CIT de juin 2009 suite à une demande accrue en faveur d’une nouvelle norme internationale du travail par les pays SHARE et les membres de l’OIT en général.