Entrée en vigueur de la Convention de l'ONU sur les travailleurs migrants: Ils sont 120 millions, selon le BIT

Instrument déterminant dans la défense et l'amélioration des conditions de vie d'une vaste communauté de travailleurs, la Convention de l'ONU sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles entre en vigueur le 1er juillet.

Article | 3 juillet 2003

GENÈAdoptée par les Nations Unies en 1990 et à présent ratifiée par 22 pays, la nouvelle convention traduit un progrès dans les principes de base intéressant les travailleurs migrants, principes définis par deux conventions adoptées par l'Organisation internationale du Travail (OIT) il y a plus de 25 ans.

L'entrée en vigueur de la convention est la résultante d'une campagne mondiale de promotion menée de concert par trois agences des Nations Unies, le Haut Commissariat pour les droits de l'homme, l'Organisation internationale du Travail et l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), avec la participation de l'Organisation internationale pour les migrations et 10 organisations non gouvernementales impliquées dans la question.

Les dispositions de ce nouvel instrument entrent en application, à la date du 1er juillet 2003, dans les 22 pays – terres d'accueil ou d'origine des migrants – qui l'ont ratifié depuis 1993. Dix autres pays ont signé le texte en vue de sa ratification. Mais, à ce jour, aucun des principaux pays d'accueil de migrants et d'immigrants n'a ratifié la convention.

En dépit de leur nombre élevé et de leur importance économique, les travailleurs migrants sont souvent privés de protection légale de base et sont considérés comme une main-d'œuvre bon marché, docile et flexible. Le nombre de personnes vivant et travaillant hors de leur pays d'origine a doublé depuis 1975, atteignant 175 millions, soit quelque 3 pour cent de la population mondiale. Selon une estimation du Bureau international du Travail (BIT), 120 millions d'entre eux, soit une large majorité, sont des travailleurs migrants accompagnés de leurs familles, le reste étant constitué de réfugiés, demandeurs d'asile et immigrants permanents.

«Compte tenu du phénomène de mondialisation en cours, il est très probable que ces chiffres doubleront dans le prochain quart de siècle», a déclaré le Directeur général du BIT, Juan Somavia, en saluant l'entrée en vigueur de la convention.

Selon un rapport des Nations Unies de 2002, il n'y a aucun signe de ralentissement des flux migratoires. Entre 1990 et 2000, les pays développés ont connu la plus forte augmentation de migrants: 13 millions ou 48 pour cent en Amérique du Nord et 8 millions ou 16 pour cent en Europe.
Aujourd'hui, près d'un habitant sur 10, dans le monde industrialisé, est un immigrant, alors que ce taux est d'un habitant sur 70 dans les pays en développement.

«Un consensus international émerge qui veut que la régulation des migrations internationales de main-d'œuvre ne soit plus seulement guidée par les intérêts nationaux et les mécanismes du marché. Il faut plutôt la gérer par le biais d'accords régionaux et multilatéraux et en conformité avec les normes internationales», a indiqué M. Somavia

L'importance économique des migrations internationales se traduit de plusieurs façons. L'émigration assure non seulement un revenu au travailleur, mais aussi le rapatriement de sommes énormes dans les pays d'origine de ceux qui ont fait ce choix. Dans certains pays, ces sommes représentent une source importante de rentrées en devises. En 2001, elles se sont élevées à 10 milliards de dollars en Inde et au Mexique, à 6,4 milliards aux Philippines, à 3,3 milliards au Maroc, à 2,9 milliards en Egypte, à 2,8 milliards en Turquie, à 2,3 milliards au Liban et à 2,1 milliards au Bangladesh

Les fonds rapatriés peuvent, dans certains cas, représenter un pourcentage important du produit intérieur brut (PIB). En 2001, ils ont constitué 22,8 pour cent du PIB de Jordanie, 13,8 pour cent des PIB du Salvador et du Liban, 9,7 pour cent de celui du Maroc, 9,3 pour cent de celui de la République dominicaine, 8,9 pour cent de celui des Philippines et 7 pour cent de celui du Sri Lanka.

Dans l'optique du BIT, la formule «gagnante» pour mettre sur pied un régime de migrations stable au XXIe siècle suppose de bien connaître les besoins en main-d'œuvre, non seulement en Europe et Amérique du Nord, mais ailleurs, dans les pays en voie d'industrialisation, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Les Nations Unies estiment que, pour un certain nombre de pays d'Europe et d'Asie, il faudra imposer aux salariés de travailler jusqu'à 77 ans si l'on veut stopper l'immigration.

Ce constat impose de mettre en place des politiques et des structures propres à gérer et à réguler les migrations. Cela suppose aussi de s'assurer, dans une large mesure, d'un consensus social, qui devra impliquer les parties directement affectées par les mouvements de main-d'œuvre et, en particulier, travailleurs et employeurs.

Il est également important pour l'Organisation internationale du Travail de s'assurer qu'un traitement décent est accordé à ces migrants, qu'ils aient un emploi temporaire ou un statut d'immigrant permanent. Les travailleurs migrants en situation irrégulière sont particulièrement exposés à l'exploitation et aux abus parce que la menace d'être pris et déportés empêche toute velléité de syndicalisation et de refus de se soumettre à des conditions de travail dangereuses. La convention de l'ONU propose également une action pour lutter contre les mouvements clandestins de migrants, en prônant des sanctions contre les trafiquants et les employeurs de salariés immigrés sans papiers.

Les premières conventions sur les migrations ont été élaborées sous les auspices de l'OIT: la convention ( no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, a constitué la base du cadre normatif actuel. La convention ( no 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975, traite des migrations irrégulières et comporte une référence explicite aux droits fondamentaux de l'homme, que l'on retrouve dans la Charte de l'ONU sur les droits de l'homme.

Les deux conventions de l'OIT constituent une base de référence pour les législations et pratiques nationales sur les travailleurs migrants. Elles stipulent que les pays signataires se doivent de faciliter des pratiques de recrutement loyales et d'avoir des consultations empreintes de transparence avec leurs partenaires sociaux, réaffirment le principe de non-discrimination, prônent le respect de l'égalité de traitement entre nationaux et travailleurs migrants en situation régulière, en matière de sécurité sociale, de conditions de travail, de rémunérations et d'adhésion à des organisations syndicales. Cinquante Etats, dont 11 des 15 membres de l'Union européenne, ont ratifié une ou les deux conventions.

L'application de la nouvelle convention sera suivie par dix experts, groupés au sein d'une Commission sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles. Ces experts, élus par les pays qui ont ratifié le texte, seront reconnus comme une Autorité impartiale dans le champ d'application de la convention.

Les migrations de main-d'œuvre constitueront un des principaux sujets de la discussion générale, prévue pour la prochaine Conférence internationale du Travail, en 2004 à Genève. Le débat s'orientera dans trois directions: les migrations de travailleurs à l'ère de la mondialisation, les politiques et structures nécessaires à une migration ordonnée pour l'emploi, l'amélioration de la protection des travailleurs migrants.