Nouveau régime commercial dans le textile et l'habillement Comment les entreprises cambodgiennes ont amélioré leur image

Avec la fin du système global des quotas textiles l'année dernière, le secteur du textile et de l'habillement (TH) a connu une nouvelle révolution globale. Alors que de nombreux observateurs voyaient dans la levée des quotas une possible catastrophe pour l'industrie textile locale dans un certain nombre de pays, le panorama global est plus complexe que ce qui était attendu. C'est l'un des résultats d'une nouvelle étude du BIT préparée en vue d'une réunion qui doit se tenir à Genève du 24 au 26 octobre et qui examinera également les moyens d'assurer un processus de mondialisation juste dans le secteur textile. BIT en ligne vous adresse un reportage en direct du Cambodge où un projet de l'OIT a aidé l'industrie du prêt-à-porter à faire face à l'expiration de l'Accord multifibres (AMF).

Article | 3 novembre 2005

PHNOM PENH, Cambodge (BIT en ligne) - La compagnie Walt Disney avait autrefois radié les fabricants cambodgiens de la production de ses vêtements de marque après que des entreprises textiles eurent été accusées de violer les normes internationales du travail. Disney a maintenant levé cette interdiction pour un certain nombre d'entreprises parties prenantes du projet de l'OIT intitulé " Better factories Cambodia", et espère la lever entièrement au milieu de l'année prochaine.

Ce projet a amélioré les conditions de travail de quelque 270 000 employés du prêt-à-porter au Cambodge et a augmenté la valeur des exportations vers les Etats-Unis de 17 pour cent entre janvier et avril de cette année. L'année prochaine, le projet recevra son premier soutien financier de grandes compagnies occidentales, notamment Gap, Nike, Reebok International, Adidas, Levi Strauss, Sears Holdings, Walmart, H et M, Children's Place Retail et Walt Disney.

Les fondements de ce projet unique ont été posés en 1999 par un accord commercial entre les Etats-Unis et le Cambodge qui promettait un meilleur accès au marché américain si les entreprises cambodgiennes amélioraient les conditions de travail, en appliquant la législation cambodgienne du travail et les normes internationales en la matière.

Le projet suppose une approche multidimensionnelle pour assurer un cycle de progrès, comprenant la surveillance, les réparations directes et le renforcement des capacités. L'aspect le mieux connu est la surveillance. Les entreprises sont soumises à des contrôles inopinés des inspecteurs de l'OIT; leurs résultats sont rendus publics. Le 13e rapport de synthèse qui vient tout juste d'être publié n'a relevé aucune preuve de travail forcé ou de travail d'enfants dans aucune des 60 entreprises concernées et note des progrès significatifs dans l'amélioration des conditions de travail.

"Les quotas supplémentaires ont clairement fourni la motivation première pour l'amélioration des conditions de travail dans les entreprises de prêt-à-porter au Cambodge. Cependant avec l'expiration du système des quotas, le Cambodge a choisi de poursuivre dans la voie exigeante de l'amélioration des conditions de travail et l'application des normes qui a démontré qu'elle était bénéfique pour tous: les travailleurs, les fabricants, l'économie cambodgienne et les acheteurs étrangers", a commenté Sally Paxton, Directrice exécutive du Département du dialogue social au BIT.

Le gouvernement royal du Cambodge exige que toutes les entreprises exportatrices de prêt-à-porter s'enregistrent auprès du projet "Better Factories Cambodia" à des fins de surveillance. Le gouvernement, les organisations d'employeurs, les syndicats et les acheteurs étrangers ont tous souscrit à une stratégie de pérennisation qui suppose qu'ils vont progressivement assumer les coûts du projet jusqu'à ce qu'il soit totalement autosuffisant.

Vainqueurs et perdants

Selon l'étude, d'autres pays asiatiques souvent cités comme de possibles perdants du nouveau système semblent ne pas être trop affectés de la fin du système des quotas. Au Bangladesh, les exportations de prêt-à-porter ont chuté à 52 millions de dollars en janvier 2005, mais elles ont fortement repris en février pour atteindre 157 millions de dollars et ont encore légèrement augmenté en mars. Deux composantes du plan d'action "post-AMF"de ce pays sont socialement orientées.

D'autre part, l'Inde considérée comme l'un des grands bénéficiaires potentiels d'un nouveau régime commercial offre un panorama plus compliqué. Le pays a certes enregistré une hausse de 28 pour cent de ses exportations de textiles au cours des trois premiers mois de l'année comparé à 2004, mais il a aussi subi un recul de 24 pour cent de ses exportations de prêt-à-porter, perdant des parts de marché au profit de la Chine dans le secteur TH.

Le Pakistan au contraire a largement bénéficié de l'élimination des restrictions quantitatives. Ses exportations de TH ont atteint un niveau record au cours des quatre premiers mois de 2005 avec une croissance mensuelle moyenne de 22,1 pour cent comparé à la même période de 2004.

Selon l'étude, la Chine est en train de renforcer sa pénétration des principaux marchés du textile et de l'habillement. Comme l'avaient anticipé la plupart des scénarios post-quotas, l'emploi dans l'industrie TH aux Etats-Unis et dans l'Union européenne a chuté fin 2004 et début 2005. Il a reculé de 6,5 pour cent entre mai 2004 et mai 2005 aux Etats-Unis et de 5 pour cent de février 2004 à février 2005 dans les 25 pays membres de l'Union européenne.

Alors que la plupart des pays asiatiques semblent appartenir au camp des vainqueurs, l'Afrique et l'Amérique latine sont les continents les plus affectés par la fin des quotas. Au cours du premier trimestre 2005, les exportations de TH vers les Etats-Unis dans le cadre de la "Loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique" ont chuté de 25 pour cent comparées à la même période de 2004. Sur les 39 000 emplois qu'offrait le secteur du textile et de l'habillement au Kenya, 6 000 ont disparu depuis octobre 2004 et la moitié des emplois du secteur sont menacés.

En raison d'une concurrence asiatique accrue, la plupart des producteurs latino-américains de TH ont récemment perdu des parts de marché. L'étude cite le Mexique qui n'a pas réussi à lutter efficacement et a perdu une grande part des revenus que générait autrefois son industrie textile.

Promouvoir une mondialisation juste dans le secteur TH

La réunion tripartite de l'OIT examinera également des approches innovantes adoptées dans un certain nombre de pays et d'entreprises de TH, y compris l'exemple cambodgien, dans leur recherche d'une meilleure compétitivité. Leurs expériences fourniront un matériel utile aux débats et concourront à l'élaboration d'une stratégie globale de promotion d'une mondialisation plus juste dans ce secteur.

En 2002, l'OIT et le gouvernement du Maroc ont lancé un programme pilote pour un travail décent centré sur le secteur TH. Le plan d'action compte deux volets: le premier a trait à l'amélioration du dialogue social aux niveaux de l'entreprise et de l'industrie, le second est consacré aux mesures destinées à renforcer la compétitivité en augmentant la qualité de l'emploi.

"Nous sommes profondément convaincus que la restructuration et la mise à niveau de l'industrie doivent se fonder sur la dimension sociale qui doit être promue de manière intégrée, en coordination avec la dimension économique… C'est avec des hommes et des femmes que nous entendons donner un nouveau visage à cette industrie", explique Salah-Eddine Mezouar, ancien président de l'Association marocaine des fabricants de textiles et de vêtements, ministre de l'Industrie et de la Mise à niveau de l'économie.

L'OIT a mis en place des programmes similaires en Roumanie et aux Philippines. A Madagascar, un projet lancé en 2004 utilise la même approche pour améliorer la productivité des zones franches d'exportation (ZFE) à travers la promotion du travail décent.

Dans leur quête d'une meilleure compétitivité, un certain nombre de pays et d'entreprises du textile ont développé des approches intégrées innovantes.

Sally Paxton relève ainsi que "la concurrence globale augmentant, les pays doivent trouver les moyens de conserver et développer leurs marchés. En travaillant avec l'OIT, le Cambodge a opté pour une stratégie holistique basée sur l'amélioration des conditions de travail et le respect des normes internationales, l'augmentation de la productivité et la promotion du dialogue. Cette stratégie s'est révélée être la clé de la compétitivité pour ce pays. Le Cambodge réussit à attirer des acheteurs étrangers et à remplir ses carnets de commandes et démontre ainsi combien le respect des normes du travail est bon pour les affaires".

"L'expérience du Cambodge est un exemple de stratégie couronnée de succès. Ses principes fondamentaux pourraient constituer une source d'inspiration pour l'élaboration d'une stratégie globale de promotion d'une mondialisation juste dans un contexte post-AMF", a-t-elle conclu.


Note 1 - Promouvoir une mondialisation juste dans le secteur des textiles et de l'habillement dans un contexte "post-AMF". Rapport soumis aux fins de discussion à la Réunion tripartite sur la promotion d'une mondialisation juste dans le secteur des textiles et de l'habillement dans un contexte post-AMF. Bureau international du Travail, Genève 2005. ISBN92-2-217495-X (Print). ISBN 92-2-217496-8 (Web pdf).