7ème Réunion régionale européenne de l'OIT Des pommes et un plaidoyer: l'OIT veut accroître les capacités locales du Kazakhstan

Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, les infrastructures agricoles des pays de l'Europe centrale et orientale se remettent petit à petit des réformes structurelles qui les ont transformées en profondeur. Souhaitant créer de nouveaux emplois et générer des revenus pour la population, le BIT a lancé un projet visant à revitaliser l'économie locale du Kazakhstan ( Note 1). Des initiatives en faveur du développement économique de la région ont également été examinées à la dernière Réunion régionale européenne que le BIT a tenue à Budapest du 14 au 18 février.

Article | 15 mars 2005

TALDIKORGAN - Se tenant debout dans le froid hivernal, Slava Kim, 26 ans, sait comment conclure une affaire. «Les pommes d'ici sont fameuses. Ce sont les meilleures du Kazakhstan», dit-il avec orgueil sur le marché grouillant des fruits et légumes de Taldikorgan, la capitale de la province d'Almaty, dans le sud-est du Kazakhstan, qui doit son nom à ce fruit.

Malgré la faconde enthousiaste du vendeur, ces pommes, renommées pour leur variété et leur goût, n'ont jamais trouvé le chemin de la capitale commerciale et du plus grand marché du pays, Almaty, située à tout juste 270 km au sud-est, sans parler du reste de ce vaste pays d'Asie centrale, fort de 15 millions d'habitants. En fait, la plupart des fruits et légumes viennent du sud du Kazakhstan ou sont importés de l'Ouzbékistan voisin. «Je ne vends mes pommes qu'ici», concède Kim, qui admet ne pas bien s'y entendre en économie de marché.

C'est à ce manque de capacité locale que l'Organisation internationale du Travail (OIT) s'efforce, en collaboration avec les autorités locales et une ONG implantée sur place, de porter remède en 2005.

Des pommes au plaidoyer

Outre les pommes, la région dispose d'atouts importants dans d'autres secteurs de l'agriculture ainsi que dans l'élevage. Dans le cadre d'une initiative dotée de 2 millions de dollars du Ministère du développement international (DFID) du Royaume-Uni, visant à renforcer la capacité des institutions à régler les problèmes de l'emploi, en particulier chez les jeunes, en Azerbaïdjan, en Géorgie, au Kirghizistan et au Kazakhstan, le BIT a ciblé trois secteurs à Taldikorgan, à savoir la formation professionnelle, la promotion régionale et l'introduction de principes modernes de coopérative. «Nous voulons revitaliser l'économie locale afin de créer de nouveaux emplois et, partant, de générer des revenus», soutient Geert van Boekel, conseiller régional du BIT pour le développement économique local et les coopératives.

Les problèmes rencontrés par la région ne sont pas sans présenter quelques similitudes avec ceux que connaissent les pays de l'Europe centrale et orientale - observe-t-il - où l'accès aux moyens de financement et au marché se révèle également difficile. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, les infrastructures agricoles de la région ont subi de grandes mutations. Celles-ci ont affecté l'unité locale de transformation des pommes, autrefois prospère, explique Saule Kudekova, coordinateur national de l'OIT à Almaty. Bien qu'elle ait été privatisée, cette unité de transformation n'a pas su se montrer à la hauteur des nouvelles exigences de l'économie de marché, et les capacités locales s'en sont trouvées affaiblies. Comme dans de nombreux pays de l'ex-Union soviétique, la réticence des gens à travailler ensemble - après avoir été contraints pendant des années à l'exploitation collective -s'ajoute aux problèmes rencontrés par les nouvelles entreprises privatisées.

La réalité est en train de changer. Les exploitants comme Kim commencent à comprendre qu'ils ne peuvent, seuls, faire face à la concurrence. En fait, dans de nombreuses régions rurales, les villageois se regroupent déjà pour porter leurs produits au marché. Cependant, même lorsque les exploitants agricoles joignent leurs forces, il leur manque encore les compétences nécessaires pour être compétitifs dans l'économie d'aujourd'hui. Pour être compétitifs, les exploitants doivent être perçus comme une entreprise, fait remarquer van Boekel. Et pour cela, l'éducation joue un rôle plus qu'éminent. Nombre d'étudiants sortant des écoles professionnelles de la région ont du mal à trouver un emploi en raison de leur niveau insuffisant de compétence et de qualification. A l'instar de nombreuses écoles de ce type en ex-Union soviétique, ces établissements ont continué à enseigner des choses qui ne correspondent plus à aucune réalité dans l'actuelle économie de marché, fait candidement observer le fonctionnaire de l'OIT, qui conclut: «Il n'y a pas d'adéquation entre les exigences réelles du marché du travail et la main-d'oeuvre disponible.» Mais la formation professionnelle ne représente qu'une partie de l'équation. Un effort concerté est indispensable pour promouvoir et commercialiser les atouts de la région. «Si vous voulez accroître votre production, vous devez promouvoir ce que vous faites. Il faut que l'on sache quel est votre potentiel», prévient van Boekel.

Dans cette optique, le BIT aide les autorités locales à élaborer de nouveaux matériels de promotion (page Web, brochures, guides d'investissement, etc.), une activité qui s'inscrit dans le cadre de sa stratégie globale de promotion régionale, consistant notamment à faire appel aux officines commerciales des ambassades étrangères d'Almaty et d'Astana, la nouvelle capitale du pays, ainsi qu'aux sections commerciales des ambassades kazakhes à l'étranger. «En se concentrant sur la réalisation d'outils pratiques spécifiques tels que les guides d'investissement, le BIT pourrait avoir un impact assez tôt sur la vie utile du produit», fait remarquer van Boekel, en précisant que «la promotion régionale touche une variété d'aspects et de compétences - élaboration de stratégies, rédaction, suivi et évaluation de projets, tourisme et promotion de l'artisanat - susceptibles de figurer dans le projet en faveur du développement économique local», et en insistant sur la nécessité de tenir un forum du développement régional. «C'est important dans la mesure où nous avons l'espoir qu'une fois le projet achevé, un tel forum assumerait dès lors le rôle que nous jouons actuellement pour la promotion et le développement de la région.»

Le BIT souhaite également - et c'est le troisième élément - introduire des principes modernes de coopérative dans la production agricole. Quand on sait que près de 70 pour cent de la population vivent de l'agriculture, Taldikorgan pourrait en retirer des avantages considérables. «Nous voulons promouvoir l'organisation de la production et la rendre efficace et compétitive», explique van Boekle, en précisant que c'est moins un problème de qualité que de quantité. «Il leur faut développer leurs capacités. Nous devons, le cas échéant, leur faire prendre conscience du potentiel qu'ils possèdent, mais aussi des risques que cela comporte.»

Heureusement, c'est exactement ce à quoi s'emploient déjà les autorités locales. «L'échange de données d'expérience internationales offrira une réelle opportunité de développer le potentiel de cette région», conjecture, dans son bureau à Taldikorgan, Nurila Bukebayeva, chef du département du travail et de la sécurité sociale de la province d'Almaty. «Les mentalités ont évolué ces dernières années, et maintenant il leur reste à acquérir des compétences nouvelles.» Zholtai Baltabekov, directeur du département des secteurs ruraux de la province d'Almaty, partage ce point de vue, mettant en avant l'absence d'unités locales de transformation des légumes, de la viande et des produits laitiers. «Faute d'unités de transformation, les gens ne voient pas l'intérêt de produire davantage», déclare Baltabekov, ajoutant que ce sont là des problèmes qu'ils s'efforcent de régler puisqu'ils sont en train de planifier l'aménagement de deux unités de ce type pour la région. Dans le cadre de ses efforts, le BIT, fort des succès remportés sur le plan de la création d'associations agricoles dans d'autres pays de la région, apportera son expertise; il organisera des séminaires auxquels pourra participer toute partie prenante de la région du projet qui le souhaitera.

En attendant, M. van Boekel du BIT, a déjà des visées pour l'avenir, espérant voir des résultats concrets dès le premier trimestre de 2005. En cas de succès, les expériences, les modes opératoires et les mécanismes de ces trois secteurs pilote pourraient fort bien être reproduits à l'identique, peut-être même à l'échelle nationale. «Nous essayons de parvenir à un consensus entre les secteurs public et privé et la société civile», explique-t-il, assurant que les manifestations organisées dans le cadre du projet sont largement soutenues par les parties prenantes locales. Il a ajouté que l'idéal serait que les institutions locales intègrent le projet dans leurs activités de routine.


Note 1 - Voir Rapport du Directeur général à la Septième Réunion régionale européenne, vol. 1, Activités de l'OIT 2001-2004, La coopération dans un environnement en mutation.