Confédération européenne des syndicats – 13ème Congrès

Discours du Directeur général du BIT, Guy Ryder au Congrès de la CES,

Déclaration | Paris, le 30 septembre 2015 | 1 octobre 2015
Chers Président, Secrétaire Générale, délégués et invités,

Je vous remercie de me donner l’opportunité de m’adresser au Congrès. Je vous transmets le salut de l'Organisation internationale du Travail et ses meilleurs vœux pour vos travaux.

En raison de nos valeurs communes et notre histoire partagée, l'OIT a beaucoup investi dans la réussite du projet européen pour une Europe sociale.

Et en raison de votre rôle clé dans ce projet et de notre composition tripartite, le succès de la Confédération européenne des syndicats est lié au nôtre.

Devant vous aujourd'hui, je me souviens d’une précédente occasion où j’ai eu le privilège de prendre la parole lors d’un Congrès de la CES. C’était en mai 2003 à Prague. Je faisais un travail différent alors, et l’Europe et le Monde apparaissaient eux aussi différents :
  • À cette époque, l'UE comptait 15 Etats membres.
  • L'invasion de l'Irak venait de se terminer - «mission accomplie», nous disait-on.
  • Lehman Brothers se tenait tout-puissant au centre d'un système financier conduisant le monde sur la route de l'hyper-mondialisation.
  • L'euro émergeant était une nouvelle composante, fiable, de ce système.
  • Et l'élargissement imminent de l'UE semblait devoir mettre un terme définitif aux tensions politiques d'une Europe longtemps divisée.
C’était également le Congrès où Emilio Gabaglio passait le relais à John Monks.

Avec le recul - à bien des égards, ça avait l'air d’un très bon scénario. Mais déjà à l'époque la CES tirait la sonnette d'alarme. La déclaration d'urgence du Congrès adoptée à Prague appelait à une action urgente pour lutter contre la crise de l'économie européenne. Elle mettait en garde contre cette crise qui allait devenir un prétexte pour démanteler l'État providence européen. Elle mettait en garde contre les dangers de la déflation. Et elle appelait à des taux d'intérêt plus bas, à investir pour stimuler la demande et à une réorientation du pacte de stabilité et de croissance pour accélérer la création d'emplois.

On ne peut qu’être impressionné par la clairvoyance de cette résolution. Mais même la CES ne pouvait prévoir ce qui allait suivre.
  • L’aventure militaire en Irak, à travers une longue suite d'événements tragiques, allait mener au plus grand des déplacements de population vers l'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale - et, ce faisant, allait mettre à l’épreuve le principe de libre circulation au sein de l'UE - ainsi que les capacités humanitaires de l'UE et nos réflexes de solidarité ;
  • Le cataclysme financier déclenché en 2008 allait créer une crise de la dette souveraine qui remettrait en cause l'édifice même de la monnaie unique ;
  • La réponse à ce défi allait être d’ouvrir la voie à un régime d'austérité qui remettait en question l'attachement de l'Europe à ses valeurs fondatrices ;
  • De nouvelles forces politiques allaient émerger et poseraient la question de la recomposition et de la décomposition des Etats-nations existants et même du retrait de l'UE pour certains.
Y a-t-il des leçons à tirer de ces expériences en grande partie douloureuses ? Je pense que oui - et en voici trois:

Tout d'abord, l'Europe n’est pas et ne peut pas être isolée, ou indifférente, à ce qui se passe au-delà de ses frontières, que ce soit la crise financière de l'autre côté de l'Atlantique, la guerre, ou la répression et la misère par-delà la Méditerranée. Construisez tous les murs que vous voulez, dressez des palissades, ça n’y changera rien. A l’âge de la mondialisation, le même constat vaut pour les politiques économiques.

C’est la raison pour laquelle je me félicite de l'intérêt des documents présentés au Congrès pour renforcer les relations de la CES avec l'OIT. En fait, de notre côté, nous travaillons déjà à coopérer avec des méthodes nouvelles et, je crois, importantes, en Europe, en plus des activités établies de longue date dans les pays que nous couvrons avec nos bureaux à Budapest et à Moscou.

Cela signifie des relations beaucoup plus étroites avec la Commission - avec l'engagement positif du commissaire Thyssen, et auparavant du commissaire Andor, ainsi que le soutien du président Juncker que j'ai invité à prendre la parole lors de notre Conférence en Juin prochain.

Cela signifie de nouveaux types d'activité de l'OIT au Portugal, en Espagne et en Italie, comme l’assistance pratique dans la mise en œuvre des systèmes de garantie pour les jeunes, par exemple. Cela a été une coopération visant à maximiser l'impact sur l'emploi du Plan Juncker. Surtout, cela a impliqué de trouver une place pour l’OIT, dans l’effort continu pour ramener la Grèce sur le chemin de la croissance et du progrès.

Et cela signifie également que l'OIT a dû relever les défis venus d’Europe : les convulsions que nous avons connues à l'OIT autour du droit de grève ont émergé en Europe, non sans une remise en cause fondamentale de notre système normatif. Le débat en cours sur la relation entre les droits sociaux fondamentaux et les libertés économiques et commerciales, plus que tout autre facteur, va être déterminant pour le « mécanisme de révision des normes » qui vient d’être lancé à l'OIT.

Quand j’écoute vos collègues de la Finlande ou du Royaume-Uni ou de la Grèce expliquer ici les nouveaux défis se présentant aux droits des travailleurs et à la négociation collective, je mesure vos efforts pour les relever, et je dirais même votre responsabilité.

Dans ce contexte, je tiens à saluer les messages de la session d'ouverture hier, au sujet de la renaissance du dialogue social en Europe, qui ne peut être fondée que sur un engagement solide pour la négociation collective dans nos pays et sur nos lieux de travail.

La seconde leçon, que l’on croit l’Europe en crise ou pas, la crise existentielle ou conjoncturelle, temporaire ou permanente, politique ou économique, ou sociale, est que la construction d’une Europe meilleure dépendra essentiellement de ce que vos alliés politiques et vous feront, et de la clarté avec laquelle vous vous ferez entendre, unis.

Permettez-moi de revenir sur ce Congrès à Prague une dernière fois. Ce fut là que l'appel pour un mouvement syndical international uni a été lancé. Et cela n'a pas été un hasard. En effet, le processus qui a mené, trois ans plus tard, à la fondation de la Confédération syndicale internationale a été directement inspiré par les succès de la Confédération européenne des syndicats. La CES est l’exemple historique le plus abouti d’une pratique syndicale unifiée et internationale, au cœur du plus ambitieux projet de coopération internationale pour la justice sociale jamais vu.

Cela n’a rien d’anecdotique. C’est une réflexion sur le rôle que je crois doit pouvoir tenir la CES aujourd’hui. Dans une Europe où le leadership est un exercice difficile et une denrée rare. Dans une Europe où les voix politiques sont plus clairement entendues dans la défense des intérêts nationaux que des principes européens. Dans une Europe où la solidarité semble être ringarde et où nationalisme et exclusion progressent, il me semble que si les syndicats de la région ne prennent pas la responsabilité de sauvegarder et de faire progresser les valeurs de notre maison européenne, alors vous ne pouvez pas être surpris que les autres ne le fassent pas non plus.

Permettez-moi donc de saluer la proposition de Luca pour le renouvellement de la CES, pour une Europe meilleure. Il met au défi toutes les organisations présentes ici de faire de la Confédération tout ce qu’elle peut être et doit être.

Je souhaite que ce congrès relève le défi. Assumez les responsabilités que d'autres fuient. Restez fidèle aux principes que les autres mettent de côté. Allez de l'avant là où d'autres battent en retraite.

Et voici la troisième leçon. C’est que le renouvellement, de la CES, - ou de l'OIT aussi parce que nous y travaillons dur - signifie changement. Nous avons entendu les trois présidents qui ont ouvert le Congrès hier parler de beaucoup de choses sur les forces en action qui transforment le monde du travail. Numérisation par exemple, uber-isation. Changement climatique. Et il ne serait pas difficile d’en ajouter. Ce sont des forces qui apportent le changement global à un rythme et une ampleur que nous n’avons probablement jamais vus auparavant, et qui nous demandent un effort extraordinaire pour les comprendre, les anticiper et les gérer.

La question inévitablement soulevée est de savoir si les syndicats peuvent se permettre de rester inchangés au milieu d’un tel bouleversement. De savoir si ce qui marchait hier marchera demain. De savoir si le projet le plus prometteur ou le plus réaliste pour le syndicalisme européen d’ici 30 ans consiste en une tentative pour rétablir les conditions apparemment plus confortables d’il y a 30 ans.

Et c’est parce que la même question se pose à l’OIT – et que nous pensons que la réponse est « non », nous ne pouvons rester les mêmes – que l’OIT a lancé une initiative globale sur le futur du travail à l’occasion de son centenaire en 2019.

Au travers d’un processus qui commence maintenant avec quatre conversations centenaires : sur le travail et la société ; sur les emplois du futur ; sur la réorganisation globale du travail et de la production ; et sur le futur de la gouvernance du travail, suivis par une Commission globale sur le futur du travail, et sans doute une déclaration du centenaire d’ici notre conférence de 2019, l’objectif de notre organisation pourrait être résumé simplement par « Renouveler l’OIT pour un monde meilleur ».

J’ai dit quand j’ai commencé cette intervention que l’OIT et la CES avaient contribué mutuellement à leur succès respectif. Et je termine avec cette idée que nous ne saurons réussir, ou non, qu’ensemble.

Laissez-moi finir en remerciant Bernadette pour tant d’années d’amitié et de coopération, en souhaitant la bienvenue à Luca avec qui j’ai hâte de travailler étroitement à l’avenir. Quoi que l’avenir nous réserve, vous pouvez compter sur la coopération de l’OIT.

Bonne chance pour cette semaine.