Violence envers les femmes

“HALTE à la violence au travail”

Allocution prononcée par le Directeur général à l’occasion de la célébration de la Journée Internationale de la Femme 2013

Déclaration | Genève | 8 mars 2013
Madame Harland Scott,
Madame Brenda Cuthbert, de la Fédération des employeurs de la Jamaïque,
Madame Sarah Fox, de l’AFL-CIO,
Chers invités,
Chers collègues,

Merci à tous pour votre présence ici aujourd’hui.

Extraits vidéo
Débat de l'OIT à l'occasion de la
Journée internationale de la femme 2013
La lutte pour la justice, pour l’égalité et pour les droits des travailleuses est intimement liée à l’histoire de la Journée internationale de la femme. Le BIT est donc à mon sens un lieu tout indiqué pour célébrer le 8 mars!

A l'origine, en mars 1857, ce sont les ouvrières du textile new yorkaises qui ont montré la voie à suivre, en manifestant pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail.

Plus tard, en 1911, année de la première célébration officielle véritablement internationale de la Journée de la femme, c'est encore dans cette ville de New York et au mois de mars que le tragique incendie de l’usine Triangle a éclaté, tuant plus de 140 travailleurs du textile – essentiellement des femmes, essentiellement des migrantes arrivées depuis peu et âgées de 14 ans pour certaines.

Aujourd’hui, plus d’un siècle après, nous ne devons pas oublier que, malheureusement, de telles tragédies se produisent encore. Lorsque l’on revient sur les événements qui ont marqué la première célébration internationale de la Journée de la femme en Europe en 1911, il est intéressant de constater dans le cadre de notre discussion aujourd'hui, que les femmes n’avaient pas seulement des revendications politiques comme le droit de vote et le droit d'occuper une charge politique; elles réclamaient aussi le droit de travailler et d’avoir accès à une formation professionnelle, ainsi que l’élimination de la discrimination au travail.

Je crois que nous serons tous d’accord pour dire, quel que soit notre pays d'origine, que ce combat pour l’égalité, le respect et la sécurité est toujours d'actualité aujourd'hui et qu'il se poursuit dans le monde entier. Les obstacles sont de natures diverses certains sont évidents, d’autres le sont moins. Quoiqu’il en soit, le chemin est encore long.

Nous conviendrons également tous, j’en suis sûr, que, des différentes formes de discrimination fondée sur le sexe qui restent à éliminer, la violence sexiste est particulièrement dégradante, répandue et oppressive.

L’élimination de la violence sexiste au travail me semble donc faire partie intégrante de l’objectif de l’OIT qui est de permettre à chacun, homme ou femme, d’exercer un travail décent dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité.

La violence dans le monde du travail est gravement préjudiciable aux femmes et aux hommes qui en sont victimes et elle a des répercussions évidentes sur leurs familles, ainsi que sur la société et la collectivité. Elle constitue une atteinte aux droits de l’homme, et soulève des problèmes dans les domaines de la santé et de l’éducation ainsi que sur les plans juridique et socio-économique. Les femmes y sont souvent particulièrement exposées, du fait de la nature de leur emploi ou de leur statut dans la société en général.

Certes, j'en suis convaincu, l’élimination de la violence sexiste s’impose à nous tous comme une obligation morale. Toutefois, les raisons ne manquent pas non plus pour justifier l’élimination de la violence au travail. Pour les employeurs, cette violence a un coût: absentéisme, rotation accrue du personnel, baisse de la performance au travail et de la productivité, réputation ternie, frais de justice et autres frais connexes, et augmentation des primes d’assurance. Pour les travailleurs, il est évident que la violence peut être source d'une profonde angoisse et de démotivation, et provoquer davantage d’accidents et de mises en invalidité, voire de décès. Des politiques intégrées en matière de santé et de sécurité au travail qui tiennent compte des besoins spécifiques des femmes et des hommes ainsi que l'instauration d'une culture de la prévention peuvent avoir un effet positif, et c’est dans cette direction que nous devons orienter nos efforts.

Les normes de l’OIT donnent des indications sur l'action à mener. Je voudrais en citer quatre plus particulièrement:

Premièrement, la convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), qui contribue à améliorer la législation et la pratique aux fins de la lutte contre le harcèlement sexuel;

Deuxièmement, la convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, qui exige des Etats l’ayant ratifiée qu’ils adoptent des mesures spéciales pour assurer la protection des travailleurs autochtones contre le harcèlement sexuel;

Troisièmement, la récente convention (n° 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, dont l’adoption récente a fait date et qui interdit toutes les formes d'abus, de harcèlement et de violence envers cette catégorie de travailleurs particulièrement vulnérable et composée majoritairement de femmes;

Quatrièmement, la recommandation (n° 200) sur le VIH et le sida, qui exige que les dispositions nécessaires soient prises sur le lieu de travail pour réduire la transmission du VIH et atténuer son impact par des actions de prévention et des mesures d’interdiction de la violence et du harcèlement.

Michel Sidibé, notre collègue de l’ONUSIDA, a souligné aujourd’hui que l’élimination de la violence à l'égard des femmes était un aspect essentiel de la lutte contre le VIH/sida.

D’autres textes ratifiés par un très grand nombre d'Etats, tels que les conventions sur le travail des enfants et sur la sécurité et la santé au travail, ont également un lien direct avec la lutte contre la violence au travail.

Nous sommes tous conscients qu’il reste encore beaucoup à faire, sur le plan juridique comme dans d'autres domaines. À ce jour, aucun instrument international relatif aux droits de l’homme n'interdit expressément la violence contre les femmes, et il est regrettable que cette question soit encore si mal définie et si peu reconnue dans le droit international des droits de l’homme ainsi que, bien souvent, sur le lieu de travail et dans les relations professionnelles.

À mon sens, ce sont là autant de pistes pour les futurs travaux de l’OIT et d’autres institutions. Toutefois, l’OIT dispose déjà d’une vaste expérience pratique des moyens qui permettent de lutter efficacement contre la violence au travail, y compris contre la violence sexuelle ou d’autres formes de harcèlement – manœuvres d’intimidation, brimades, vexations – ou de violence physique, verbale ou psychologique.

Dans les domaines où la main-d’œuvre est essentiellement féminine, les travailleuses sont particulièrement exposées à la violence. Dans le secteur de l’aviation civile par exemple, les statistiques de l’Association du transport aérien international montrent que l’incidence des comportements agressifs dans les aéroports et en vol a considérablement augmenté entre 2007 et 2009, et que le personnel affecté à l’enregistrement et d’autres catégories de personnel au sol sont très souvent la cible de violences verbales, voire d’agressions physiques. Les victimes sont généralement des femmes.

Le BIT a élaboré des outils et des manuels qui exposent tout un ensemble de mesures pour traiter la question en tenant compte des spécificités de chaque secteur. Citons, par exemple, les directives sur la violence au travail dans le secteur de la santé et le recueil de directives pratiques sur la violence dans le secteur des services, deux secteurs qui, là encore, emploient un grand nombre de femmes.

Dans un tout autre domaine, dont je tiens à souligner l’importance, la mise en place progressive de socles de protection sociale, soutenue par le système des Nations Unies dans son ensemble, et avec le l'OIT comme chef de file, ouvre la voie à une action corrective plurisectorielle. Parce qu’ils garantissent un revenu de base sous la forme de transferts sociaux et offrent un accès universel, à un prix raisonnable, à des services sociaux comme les soins de santé et le logement, ces socles contribuent à combattre la pauvreté qui est souvent à l’origine des violences faites aux femmes, et peuvent apporter une aide précieuse directement aux victimes.

Notre discussion d'aujourd'hui s’appuie sur toute l’expérience que nous avons acquise dans le cadre de nos activités d’assistance à différents groupes susceptibles d’être particulièrement exposés à la violence sur le lieu de travail. Il peut s'agir notamment des travailleurs migrants, des enfants astreints au travail, des minorités ethniques, des travailleurs du secteur informel, des travailleurs ruraux, des travailleurs domestiques et des personnes exposées au risque d’infection par le VIH.

A mesure que nous évaluons l'effort à fournir pour mettre un terme à la violence sexiste dans le monde du travail, l'action doit notamment porter sur les domaines suivants:
  • des législations du travail cohérentes et efficaces et des mécanismes visant à en assurer l'application, de manière à décourager la violence grâce à l’action préventive de la législation et à des mécanismes de dépôt de plaintes;
  • de la cohérence aussi entre les codes du travail et le droit pénal, le droit civil, le droit de la famille et d’autres corpus législatifs, non seulement pour sanctionner la violence au travail mais aussi pour inciter à la combattre;
  • l’élimination des obstacles qui entravent l’accès des femmes à la justice, notamment à la justice du travail;
  • enfin, une action ciblée sur l’économie informelle, compte tenu du très grand nombre de femmes qui y travaillent, souvent dans la clandestinité et sans aucune protection. L'OIT se consacre activement à ce domaine.
Alors que l’élimination de la violence contre les femmes et les filles occupe une place de premier plan dans les médias internationaux ainsi que dans les programmes politiques de nombreux pays, nous avons là une réelle occasion de faire des progrès concrets et notables sur cette voie.

J’espère que cette discussion tripartite permettra de faire connaître les bonnes pratiques qui existent dans le monde du travail et de donner un nouvel élan, de susciter une nouvelle adhésion, à l’action menée pour faire "Halte à la violence au travail".