L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
ILO-fr-strap
Plan du site | Contact English
> Page d'accueil > Triblex: base de données sur la jurisprudence > Par mots-clés du thésaurus > pouvoir d'appréciation

Jugement n° 4586

Décision

1. Les décisions des 18 mars et 18 mai 2020 sont annulées en tant qu’elles suspendaient le requérant sans traitement, tout comme la décision attaquée du 20 avril 2020 en tant qu’elle maintenait la mesure visée dans les deux décisions susmentionnées.
2. L’OIM versera au requérant des dommages-intérêts pour tort matériel, comme indiqué au considérant 15 du présent jugement.
3. L’OIM versera également au requérant des dommages-intérêts pour tort moral d’un montant de 5 000 dollars des États-Unis.
4. L’OIM versera en outre au requérant la somme de 7 000 francs suisses à titre de dépens.
5. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

Le requérant conteste la décision de convertir sa suspension avec traitement en suspension sans traitement pendant la durée d’une enquête pour faute le concernant, ainsi que la durée totale de sa suspension.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Suspension sans traitement

Considérant 1

Extrait:

Le requérant sollicite la tenue d’un débat oral. Toutefois, eu égard à l’abondance et au contenu suffisamment explicite des écritures et des pièces produites par les parties, le Tribunal s’estime pleinement éclairé sur l’affaire et en mesure de rendre une décision sur les points soulevés dans la requête. Il ne fera donc pas droit à cette demande.

Mots-clés

Débat oral

Considérant 8

Extrait:

Il ressort de la jurisprudence du Tribunal qu’une décision relevant du pouvoir d’appréciation de suspendre un fonctionnaire ne peut faire l’objet de la part du Tribunal que d’un contrôle restreint et ne sera annulée que si elle émane d’une autorité incompétente, viole une règle de forme ou de procédure, repose sur une erreur de droit ou de fait, omet de tenir compte de faits essentiels ou est entachée de détournement de pouvoir, et que la suspension d’un fonctionnaire constitue une mesure provisoire qui ne préjuge en rien de la décision sur le fond relative à une éventuelle sanction disciplinaire à son encontre. Cependant, en tant que mesure contraignante à l’égard de l’agent concerné, la suspension doit se fonder sur une base légale, être justifiée par les besoins de l’organisation et être prise dans le respect du principe de proportionnalité (voir le jugement 4515, au considérant 4, et la jurisprudence qui y est citée).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 4515

Mots-clés

Suspension; Pouvoir d'appréciation

Considérant 10

Extrait:

[L]a règle 10.3 du Règlement du personnel ne réglemente pas expressément le droit du fonctionnaire concerné d’être entendu avant que la suspension ne soit prononcée. La suspension est en effet une mesure conservatoire qui doit en principe être adoptée d’urgence, ce qui exclura souvent que l’intéressé soit invité à s’exprimer au préalable. Mais il faut alors que le droit d’être entendu de ce dernier puisse être exercé avant l’adoption de la décision sur le fond relative à une éventuelle sanction disciplinaire (voir les jugements 3138, au considérant 10 a), et 2365, au considérant 4 a)).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 2365, 3138

Mots-clés

Application des règles de procédure; Suspension; Droit d'être entendu

Considérant 11

Extrait:

Pour déterminer si les décisions portant suspension sans traitement étaient illégales au regard des termes de la règle 10.3 du Règlement du personnel, il convient de relever d’emblée trois éléments. Premièrement, il n’y a pas eu une décision de suspension sans traitement mais, comme le soutient le requérant, de multiples décisions. Celles-ci ont été rendues les 26 mars 2019, 26 juin 2019, 23 juillet 2019, 26 septembre 2019, 16 décembre 2019, 18 mars 2020 et 18 mai 2020. La question de savoir si chacune ou certaines de ces décisions étaient ou non entachées d’une erreur de droit au regard des principes exposés au considérant 8 [du jugement] peut être appréciée en fonction des circonstances existant au moment où chaque décision a été prise.

Mots-clés

Suspension sans traitement

Considérant 14

Extrait:

Les motifs invoqués pour justifier la suspension sans traitement du requérant à partir du 26 mars 2019 et, en fait, la raison pour laquelle sa suspension avec traitement avait été convertie en suspension sans traitement, tenaient au fait que [...] «[l]es différents entretiens menés par le Bureau de l’Inspecteur général, y compris [son] entretien, et les éléments de preuve solides recueillis jusque-là au cours de l’enquête [avaient] renforcé la crédibilité des allégations formulées contre [lui]», et que «les pièces recueillies par le Bureau de l’Inspecteur général [...] renfor[çaient] la crédibilité des allégations formulées contre [lui]». La lettre du 26 mars 2019 ne fait pas référence aux exigences du Règlement selon lesquelles une suspension sans traitement ne peut être imposée que si le Directeur général (ou une personne agissant sur délégation de pouvoir de celui- ci) estime qu’il existe des circonstances exceptionnelles. Mais on peut raisonnablement déduire que les éléments supplémentaires susmentionnés étaient considérés comme constituant des circonstances exceptionnelles. La question de droit qui se pose alors est de savoir s’il était raisonnablement possible pour l’autorité décisionnaire de se forger une telle opinion. Dans ce contexte, le mot «exceptionnelles» dénote des circonstances qui vont au-delà, et probablement bien au-delà, des circonstances qui pourraient simplement justifier une suspension avec traitement. Mais, cela étant, l’expression «circonstances exceptionnelles» est extrêmement large. Il faut garder à l’esprit que le pouvoir de suspendre un fonctionnaire ne naît pas simplement lorsque des allégations de faute grave font l’objet d’une enquête ou d’une procédure disciplinaire (comme le prévoient les règles d’autres organisations). Le pouvoir de suspendre un fonctionnaire, tel qu’il est expressément conféré par les règles de l’OIM, peut être exercé à raison de toute conduite susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire, notamment en cas d’allégations de transgressions mineures. Mais, bien sûr, des questions de proportionnalité peuvent se poser, comme exposé au considérant 8 [...]. De surcroît, en application de l’alinéa d) de la règle 10.3 du Règlement du personnel, un membre du personnel qui a été suspendu sans traitement a le droit de se voir restituer le traitement retenu si les allégations formulées à son encontre se révèlent sans fondement ou s’il est établi par la suite qu’elles ne justifient pas un licenciement sommaire. À cet égard, le Règlement lui-même atténue ce qui pourrait autrement être considéré comme les graves conséquences d’une suspension sans traitement. En substance, la lettre du 26 mars 2019 disait que l’affaire concernant le requérant, qui avait reçu des pots-de-vin d’environ 600 000 dollars des États-Unis (qu’il avait lui-même sollicités), était une affaire dans laquelle l’Organisation estimait qu’il y avait un très haut degré de certitude que des pots-de-vin de ce montant avaient bien été reçus. Si ces faits étaient prouvés, ils constitueraient une faute grave de la plus extrême gravité et très certainement un comportement pénalement répréhensible. L’autorité décisionnaire était en droit, selon le Tribunal, de considérer que le fait hautement probable que le requérant avait reçu des pots-de-vin de ce montant, et en avait sollicité le versement, représentait en tout état de cause des circonstances exceptionnelles.

Mots-clés

Motivation; Motivation de la décision finale; Suspension sans traitement

Considérant 15

Extrait:

Toutefois, au fil du temps, d’autres éléments ont eu une incidence sur la question de savoir si le requérant pouvait toujours raisonnablement être suspendu sans traitement. Il convient de relever qu’aucune des lettres ultérieures informant l’intéressé de la prolongation de sa suspension sans traitement ne précise ou ne modifie les motifs invoqués dans la lettre du 26 mars 2019. L’un de ces éléments était que la suspension sans traitement du requérant était assortie de la condition qu’il ne quitte pas son lieu d’affectation, comme exigé dans la décision initiale du 4 octobre 2018. Sans vraiment contester cet élément, il indique dans ses écritures que cela a limité sa capacité d’obtenir des revenus d’autres sources. Le point de savoir s’il pouvait exercer un autre emploi tout en étant membre du personnel de l’OIM (bien que suspendu) est une question délicate. Néanmoins, ce qui ne fait aucun doute, c’est que le fait d’être privé de son revenu de fonctionnaire a diminué sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille, même en supposant qu’il ait conservé une partie ou la totalité des pots-de-vin qu’il avait prétendument reçus. Un autre élément est que l’enquête du Bureau de l’Inspecteur général s’était finalement achevée, par le dépôt d’un rapport, en avril 2020. Il ressort de ce rapport que le Bureau avait terminé son enquête active peu après la mi-mars 2020, lorsque le requérant avait répondu au projet de rapport d’enquête de janvier 2020. À ce moment-là au moins, il ne pouvait plus être question du risque que le requérant nuise à l’enquête, ce qui privait la première décision de suspension ainsi que la première décision de suspension sans traitement d’un des fondements sur lesquels elles reposaient. Le fait que l’Organisation n’ait pas tenu compte de l’impact économique continu sur le requérant, et surtout du point soulevé dans la phrase précédente, a vicié ses décisions des 18 mars 2020 et 18 mai 2020 de suspendre le requérant sans traitement, et celles-ci doivent être annulées dans cette mesure.

Mots-clés

Suspension sans traitement

Considérant 16

Extrait:

En prolongeant de manière illégale la suspension sans traitement du requérant, l’Organisation a causé à celui-ci un préjudice moral, qu’il convient de réparer par l’octroi de dommages-intérêts pour tort moral, le requérant ayant exposé les effets que la décision de convertir sa suspension avec traitement en suspension sans traitement et la durée de cette suspension avaient eus sur lui.

Mots-clés

Tort moral; Indemnité pour tort moral



 
Dernière mise à jour: 18.05.2023 ^ haut