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Jugement n° 4519

Décision

1. La décision du Secrétaire général de l’UIT du 2 août 2021, ainsi que celles des 10 novembre 2020 et 6 janvier 2021, sont annulées.
2. L’UIT versera à la requérante des dommages-intérêts pour préjudice matériel, ainsi que les intérêts y afférents, calculés comme il est dit au considérant 13 du jugement.
3. L’Union versera à l’intéressée une indemnité pour tort moral de 15 000 euros.
4. Elle lui versera également la somme de 8 000 euros à titre de dépens.
5. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

La requérante conteste la décision de la suspendre de ses fonctions sans traitement.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Suspension sans traitement

Considérant 2

Extrait:

Selon la jurisprudence du Tribunal, la suspension d’un fonctionnaire constitue une mesure provisoire qui ne préjuge en rien de la décision sur le fond relative à une éventuelle sanction disciplinaire à son encontre (voir les jugements 1927, au considérant 5, et 2365, au considérant 4 a)). Cependant, en tant que mesure contraignante à l’égard de l’agent concerné, la suspension doit se fonder sur une base légale, être justifiée par les besoins de l’organisation et être prise dans le respect du principe de proportionnalité. Pour qu’une mesure de suspension puisse être prononcée, il est nécessaire qu’une faute grave soit reprochée au fonctionnaire. Une telle décision relève du pouvoir d’appréciation du chef exécutif de l’organisation. Elle ne peut donc faire l’objet de la part du Tribunal que d’un contrôle restreint et ne sera annulée que si elle émane d’une autorité incompétente, viole une règle de forme ou de procédure, repose sur une erreur de droit ou de fait, omet de tenir compte de faits essentiels, est entachée de détournement de pouvoir, ou s’il a été tiré du dossier des conclusions manifestement erronées (voir le jugement 2365 précité, au considérant 4 a), ainsi que les jugements 2698, au considérant 9, 3037, au considérant 9, et 4452, au considérant 7).

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 1927, 2365, 2698, 3037, 4452

Mots-clés

Proportionnalité; Suspension; Rôle du Tribunal

Considérant 5

Extrait:

Il ressort […] des termes mêmes de [l']alinéa a) [de la disposition 10.1.3 du Règlement du personnel] que la suspension prévue par la disposition 10.1.3 est conçue comme une mesure susceptible d’être prise «en attendant les résultats de l’enquête» et qu’un fonctionnaire en faisant l’objet ne peut ainsi être suspendu – que ce soit avec ou sans traitement – que «jusqu’à la fin de l’enquête». Comme le Tribunal a déjà eu l’occasion de le juger, à propos de l’application de dispositions réglementaires d’une autre organisation rédigées en termes similaires, une telle référence à la possibilité de suspendre un fonctionnaire jusqu’à l’issue de l’enquête menée sur des faits dont il est suspecté ne peut s’interpréter comme autorisant une prolongation de cette suspension au-delà de la fin de l’enquête en cause et, en particulier, pendant la procédure disciplinaire éventuellement engagée ensuite à l’encontre du fonctionnaire concerné (voir le jugement 3880, au considérant 20).
Contrairement à ce que soutient la défenderesse, cette solution jurisprudentielle n’est pas contraire à celle adoptée dans certains précédents concernant l’UIT. Si, dans le jugement 3138, le Tribunal a certes admis la légalité d’une suspension prononcée après la remise du rapport de l’enquête menée sur les faits imputés à la requérante dans cette affaire, c’est en effet au motif, exposé au considérant 11 dudit jugement, qu’il était envisagé, à la date de cette décision, de procéder à un «complément d’enquête» à ce sujet. Le jugement 2601, également invoqué par l’Union, n’est pas davantage pertinent car celui-ci portait sur la contestation de décisions prises à l’issue d’une procédure disciplinaire et ne mettait pas en cause, comme souligné à son considérant 13, la légalité de la mesure de suspension qui les avait précédées. Enfin, si la défenderesse se réfère également au jugement 3502, concernant une autre organisation où la suspension des fonctionnaires est régie par des dispositions similaires, le Tribunal observe que la suspension en cause dans ce jugement avait bien été prononcée dans l’attente des résultats d’une
enquête et que, si cette suspension avait certes été prolongée jusqu’à
l’issue de la procédure disciplinaire subséquente, le moyen présentement invoqué ne l’était pas, sous la même forme, dans cette autre affaire.

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 2601, 3138, 3880

Mots-clés

Enquête; Patere legem; Suspension

Considérant 6

Extrait:

L’UIT s’attache à soutenir, dans ses écritures, qu’il conviendrait d’interpréter avec souplesse la référence à la durée de l’enquête figurant à l’alinéa a) précité, dans la mesure où l’esprit de cette disposition serait d’autoriser l’organisation à maintenir la suspension d’un fonctionnaire jusqu’au terme de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte à l’issue de l’enquête elle-même.
Mais, d’une part, il résulte d’une jurisprudence bien établie du Tribunal que celui-ci n’a pas à se livrer à des interprétations constructives de cette nature lorsqu’il est en présence d’un texte clair (voir, par exemple, les jugements 1125, au considérant 4, ou 3358, au considérant 5). Or, la référence à la durée de l’enquête figurant à l’alinéa a) ne souffre d’aucune ambiguïté. D’autre part, le Tribunal estime que, contrairement à ce que soutient la défenderesse, la limitation de la durée de la suspension à celle de l’enquête peut avoir, en soi, une certaine logique expliquant la teneur de la disposition en question. En effet, la suspension d’un fonctionnaire suspecté de faute disciplinaire a souvent pour principal but de prévenir toute initiative de sa part visant à détruire des preuves ou à faire pression sur des témoins. Or, cette problématique de préservation de l’intégrité des faits ne se pose plus dans les mêmes termes une fois l’enquête achevée. Enfin, si le Tribunal ne méconnaît certes pas les difficultés que peut soulever, dans certains cas, le retour en fonction d’un agent provisoirement suspendu, il n’a pas vocation à suppléer aux éventuelles malfaçons d’un texte, sachant que c’est aux instances compétentes de l’UIT elles-mêmes qu’il appartiendrait, le cas échéant, d’y remédier.

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 1125, 3358

Mots-clés

Interprétation; Suspension; Interpretation des règles

Considérant 8

Extrait:

[L]a requérante fait valoir que la conversion de sa suspension initiale en suspension sans traitement a été prononcée en méconnaissance de l’exigence, posée par l’alinéa b) de la disposition 10.1.3, selon laquelle une suspension «ne doit pas en règle générale dépasser trois mois».
[…]
Il est certes exact que, comme le souligne la défenderesse, la limite de durée de trois mois ainsi prévue présente un caractère seulement indicatif, et non impératif, puisqu’elle ne vaut qu’«en règle générale», et qu’une suspension peut donc fort bien, dans certains cas, être plus longue. Mais, sauf à ôter toute portée utile au texte en cause, on ne saurait pour autant considérer que l’organisation puisse s’affranchir sans aucune restriction ni justification de l’objectif de respect de cette durée maximale de référence.

Mots-clés

Suspension sans traitement

Considérant 9

Extrait:

[L]e Tribunal constate qu’il s’est écoulé, au total, un délai de quinze mois entre le début de la suspension de la requérante […] et le terme de cette suspension, correspondant en l’espèce à la date d’effet de sa révocation […], ce qui représente une durée déraisonnable. Cette durée a en effet non seulement méconnu, de façon grossière, le délai indicatif de trois mois ci-dessus évoqué, mais même, en vérité, le caractère par essence provisoire d’une telle suspension (voir, pour des cas comparables, le jugement 2698 précité, au considérant 14, ou le jugement 3035, au considérant 18). S’expliquant, en grande partie, par une lenteur elle-même anormale de la procédure disciplinaire, cette durée apparaît en outre d’autant plus choquante, en l’espèce, que l’intéressée s’est trouvée privée, à compter du 10 novembre 2020, soit pendant l’essentiel de la période en cause, de tout revenu professionnel.

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 2698, 3035

Mots-clés

Préjudice; Suspension sans traitement

Considérant 11

Extrait:

[L]e fait que le rapport d’enquête ait confirmé le bien-fondé des allégations formulées à l’égard de la requérante ne constituait pas, en soi, un élément nouveau pertinent. En effet, cette confirmation était sans incidence sur la nature des manquements reprochés à l’intéressée et ne pouvait donc permettre de considérer comme présentant un caractère exceptionnel des circonstances de l’affaire qui n’avaient pas été initialement regardées comme telles. Au demeurant, il y a lieu d’observer que les conclusions de l’enquête en cause ne faisaient en réalité que corroborer l’opinion que les autorités de l’UIT doivent être réputées avoir eue dès la prise de la décision initiale de suspension avec traitement puisque, en vertu de l’alinéa a) de la disposition 10.1.3, le Secrétaire général ne peut prononcer la suspension d’un fonctionnaire que «si [lui-même] ou le directeur du bureau intéressé considère que l’accusation est fondée» et qu’il s’agit là d’une exigence conditionnant la légalité d’une mesure de ce type (voir, par exemple, le jugement 2892, au considérant 14).
En estimant qu’il lui était loisible […] de convertir la suspension initiale avec traitement en suspension sans traitement au vu des résultats de l’enquête, le Secrétaire général a donc commis une erreur de droit, qui se surajoute à celles déjà censurées […].

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 2892

Mots-clés

Suspension sans traitement

Considérant 14

Extrait:

Le Tribunal relève certes que la conversion de la suspension avec traitement initialement prononcée – qui, au vu du dossier, était en soi tout à fait légitime – en suspension sans traitement n’a pas eu pour effet d’aggraver sensiblement l’atteinte déjà inévitablement portée à la réputation professionnelle de la requérante car, lorsqu’un agent est suspendu, cette atteinte tient avant tout au fait même que celui-ci se voie retirer ses fonctions. Mais il est évident, en revanche, que la privation brutale et prolongée de toute rémunération résultant de cette mesure ne pouvait que provoquer chez la requérante un vif sentiment d’anxiété et lui occasionner de graves troubles dans les conditions d’existence. De surcroît, la durée déraisonnable de la période de suspension, prise dans son ensemble, a eu pour effet de maintenir longtemps l’intéressée dans une situation d’incertitude sur son avenir professionnel qui était d’autant moins supportable que celle-ci a la charge d’un enfant.

Mots-clés

Tort moral; Suspension sans traitement



 
Dernière mise à jour: 27.09.2022 ^ haut