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Jugement n° 3315

Décision

1. Les décisions contenues dans la lettre du Directeur général datée du 21 octobre 2011, en ce qu’elles concernent les recours nos 741 et 766 dont a été saisi le Comité d’appel du Siège, sont annulées.
2. L’Organisation retirera du dossier personnel de la requérante les lettres des 20 octobre 2008 et 3 avril 2009.
3. L’Organisation versera à la requérante des dommages intérêts pour tort moral d’un montant de 65 000 dollars des États Unis.
4. L’Organisation versera à la requérante 3 000 dollars au titre des dépens.
5. Les requêtes sont rejetées pour le surplus.

Synthèse

La requérante demande des dommages-intérêts pour les préjudices subis du fait de la violation de son droit à une procédure régulière et pour harcèlement institutionnel.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Annulation de la décision; Application des règles de procédure; Violation; Harcèlement; Harcèlement institutionnel

Considérant 22

Extrait:

Le Tribunal a déclaré, dans le jugement 3250, au considérant 9, que, lorsqu’il n’était pas possible d’identifier un exemple précis de harcèlement institutionnel délibéré, une longue série d’erreurs de gestion et de négligences de la part d’une organisation, portant atteinte à la dignité et à la carrière professionnelle d’un employé, pouvait constituer du harcèlement institutionnel. Les moyens recevables, admis au considérant 21 du présent jugement, et les allégations de la requérante soumises à l’appui, si elles sont prouvées, peuvent individuellement et ensemble justifier une conclusion de harcèlement institutionnel. On ne saurait opposer la forclusion à la requérante puisque l’un des motifs de son recours, introduit le 25 avril 2010, était qu’on lui avait refusé et qu’on lui refusait toujours une chance équitable d’obtenir un emploi au sein de l’Organisation, ce qui lui causait un préjudice.

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 3250

Mots-clés

Harcèlement; Harcèlement institutionnel

Considérant 26

Extrait:

La requérante réclame des dommages-intérêts pour tort matériel mais n’a pas rapporté les preuves d’un préjudice reel découlant d’un acte illégal qui lui auraient permis d’obtenir des dommages-intérêts à cet égard, sans compter que les événements en question ont eu lieu quelques années avant qu’elle ne forme sa requête. En conséquence, le Tribunal ne lui accorde pas de dommages-intérêts pour tort matériel. Il n’y a pas lieu non plus de lui accorder des dommages-intérêts exemplaires. En revanche, elle a droit à des dommages-intérêts pour tort moral du fait des violations flagrantes de son droit à une procédure régulière, ainsi que pour le harcèlement institutionnel qu’elle a subi. Il s’agit là de violations graves, pour lesquelles le Tribunal accorde à la requérante des dommages-intérêts pour tort moral d’un montant de 65 000 dollars des États-Unis. Il lui accorde également 3 000 dollars au titre des dépens.

Mots-clés

Dommages-intérêts; Application des règles de procédure; Violation; Harcèlement; Harcèlement institutionnel

Considérants 10-14 et 16

Extrait:

Le Bureau des services de contrôle interne du Siège (IOS, selon son sigle anglais) est au coeur de la procédure d’enquête de l’OMS. Il est chargé d’établir les faits en enquêtant sur les allégations formulées à l’encontre de membres du personnel. Le Directeur général, indique le document, lui a donné l’indépendance en termes de fonctionnement : il incombe à l’IOS d’arrêter son programme d’investigations et la manière dont il va procéder. Pour décider de l’opportunité d’enquêter sur une plainte, l’IOS doit déterminer si l’affaire en question ne pourrait pas être examinée de façon plus appropriée par une autre entité. Cela suppose des entretiens, notamment avec la personne à l’encontre de laquelle l’allégation est formulée et avec des témoins. Les enquêteurs sont tenus de documenter les entretiens et de demander aux personnes interrogées de vérifier et signer le compte rendu de l’entretien. L’autorité chargée de l’enquête doit ensuite préparer un rapport exposant les faits établis et les preuves réunies, y compris témoignages et documents. Le rapport doit être envoyé au Directeur général ou au directeur régional. Si, après examen, ce dernier décide d’engager une procédure disciplinaire, il doit demander au directeur du Département des ressources humaines de rédiger l’accusation officielle et de la communiquer au membre du personnel concerné, accompagnée de toutes les informations sur lesquelles l’accusation est fondée. Ni cette procédure ni aucune procédure analogue n’a été suivie en l’espèce.
L’Organisation explique que la lettre du 20 octobre 2008 a été envoyée à la requérante sur la base des informations détaillées fournies par son collègue au cours de l’enquête pour harcèlement et de l’analyse faite par le directeur régional. Toutefois, le statut de cette lettre est très ambigu. On peut même raisonnablement y percevoir des menaces. La lettre disait notamment ceci :
«L’Organisation s’attache scrupuleusement à ce que les membres du personnel, en tant que fonctionnaires internationaux, respectent à tout moment les règles de conduite définies à l’article 1 du Statut du personnel et à l’article 110 du Règlement du personnel. Sur la base des allégations ci-jointes [du collègue], il pourrait être constaté que vous avez enfreint ces règles. Cela pourrait donner lieu à une accusation de faute grave au sens de l’article 110.8 du Règlement du personnel, susceptible d’aboutir, en application de l’article 1110 du Règlement du personnel, à des mesures disciplinaires à votre encontre pouvant aller jusqu’à la révocation ou la révocation immédiate.
Compte tenu de la gravité des allégations formulées contre vous, et avant de décider de l’opportunité ou non de prendre une mesure disciplinaire à votre encontre au titre de l’article 1110 du Règlement du personnel, vous êtes invitée à faire part de vos observations à ce sujet au signataire de cette lettre, qui vous est délivrée en main propre, au plus tard le 31 octobre 2008. Après examen des éventuelles observations que vous nous aurez fournies dans le délai indiqué ci-dessus, et sous réserve d’investigations supplémentaires qui pourraient être jugées nécessaires, vous serez avisée de la décision finale qui sera rendue sur cette affaire.»
Ces déclarations ont été faites alors qu’aucune enquête indépendante n’avait été menée au sujet des allégations en cause. Qui plus est, la lettre laissait clairement entendre qu’en l’absence d’explication satisfaisante de la part de la requérante, celle-ci pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires sans autre forme de procédure. En particulier, il n’y aurait ni rédaction d’un acte d’accusation identifiant précisément la conduite supposée constituer une faute grave ni, apparemment, possibilité de réponse, contrairement à ce que prescrit l’article 1130 du Règlement du personnel, et la procédure d’enquête voulue selon les directives de l’Organisation ne serait pas mise en place. Il s’agit là d’un manquement à la garantie d’une procédure régulière. Le fait d’avoir envoyé à la requérante de nombreuses pages de documents, en la laissant y chercher elle-même les motifs de l’allégation de faute grave, a constitué un autre manquement à cette garantie.
L’Organisation indique que l’administration avait déjà suivi cette procédure. Cela n’est pas une excuse acceptable, sachant que la procédure d’enquête de l’OMS impose une investigation et la vérification de la réalité des faits allégués préalablement à l’envoi d’une lettre de cette nature.
Le Tribunal relève que les allégations sur la base desquelles la lettre du 20 octobre 2008 a été établie ont été portées à la connaissance de diverses autorités au sein de l’OMS. L’Organisation explique cela en disant que c’était pour tenir au courant de la situation les autorités déjà saisies de la plainte contre le collègue accusé. Or les allégations contenaient des déclarations de nature privée. Elles étaient potentiellement préjudiciables à la réputation de la requérante et, comme celle-ci l’affirme, elles lui ont fait beaucoup de tort. Dans ces circonstances, le fait de ne pas enquêter sur les allégations conformément à la propre procédure d’enquête de l’OMS avant de les faire circuler est assimilable à un manque d’équité et de bonne foi, qui constituait un préjudice moral pour lequel la requérante est en droit d’obtenir réparation. La requérante est en droit d’exiger que les lettres des 20 octobre 2008 et 3 avril 2009 soient retirées de son dossier personnel.
[...]
En résumé, l’Organisation n’a pas respecté les conditions d’une procédure régulière prévues aux articles 1230.1.3 et 1130 du Règlement du personnel ni la procédure d’enquête de l’OMS. Elle a également manqué à son obligation d’offrir à la requérante les moyens de recours interne efficaces auxquels celle-ci avait droit. La requête est donc bien fondée sur cette base, ce qui donne à la requérante le droit de se voir octroyer des dommages-intérêts.

Mots-clés

Enquête; Enquête



 
Dernière mise à jour: 03.09.2020 ^ haut