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Jugement n° 2642

Décision

1. La décision du Directeur général du 14 février 2006 est annulée.
2. L'OMS versera à la requérante des dommages-intérêts pour tort moral d'un montant de 30000 francs suisses dans un délai de un mois à compter du prononcé du présent jugement.
3. Elle lui versera également 5000 francs à titre de dépens.

Considérant 8

Extrait:

"Dans le jugement 2552, le Tribunal a fait observer qu'en cas d'accusation de harcèlement une «organisation internationale doit procéder à une enquête approfondie, s'assurer que les garanties d'une procédure régulière sont respectées et garantir la protection de la personne accusée». En raison du devoir qu'elle a envers une personne présentant une plainte pour harcèlement, l'Organisation se doit de faire en sorte qu'une enquête rapide et approfondie soit menée, que les faits soient établis objectivement et dans leur contexte général (voir le jugement 2524), que les règles soient appliquées correctement, qu'une procédure régulière soit suivie et que la personne se plaignant, de bonne foi, d'avoir été harcelée ne soit pas stigmatisée ni ne fasse l'objet de représailles (voir le jugement 1376)."

Référence(s)

Jugement(s) TAOIT: 1376, 2524, 2552

Mots-clés

Enquête; Application des règles de procédure; Bonne foi; Obligations de l'organisation; Respect de la dignité; Garantie; Harcèlement; Enquête

Considérants 17-20

Extrait:

Parmi les éléments de preuve que la Commission d’enquête a examinés pour déterminer s’il y avait eu ou non comportement systématique de harcèlement figuraient les témoignages de Mme X et de Mme Y ainsi que la teneur des auditions de ces personnes. Dans une large mesure, la Commission a accepté leur version des événements mais a estimé qu’il n’y avait pas là harcèlement. Mme X, dont le contrat de consultante arrivait à expiration, a expliqué que M. A. lui avait demandé de l’appeler chez lui un certain soir alors qu’elle rentrait de mission. Lorsqu’elle l’a appelé, il lui a demandé de venir dans son appartement. Personne d’autre n’était présent lorsqu’elle est arrivée. Un moment plus tard, il lui a demandé de s’asseoir plus près de lui et lui a alors tenu la main pendant ce qu’elle a déclaré être un long moment. M. A. a reconnu lui avoir pris la main mais, selon lui, il «n’avai[t] par là aucune arrière pensée». Mme X précise dans sa déclaration écrite qu’il a également essayé de l’embrasser de manière intime. Lors de son audition, elle a dit qu’elle avait senti qu’il voulait l’embrasser de manière intime mais qu’elle s’est efforcée d’en faire un «baiser ordinaire». M. A. a dit qu’il l’avait embrassée pour lui dire au revoir «comme cela se fait d’habitude». La Commission a concédé que Mme X ait pu trouver l’incident gênant et offensant et qu’elle «se soit trouvée confrontée à une situation dans laquelle elle s’est sentie vulnérable». Toutefois, la Commission a estimé que sa vulnérabilité résultait d’un facteur extérieur, à savoir s’il convenait ou non d’informer son mari de l’incident. D’après la Commission, cela n’était pas un fait dont on aurait pu «escompter raisonnablement que M. [A.] ait eu conscience». En ce qui concerne Mme Y, son souvenir était qu’entre 1998 et 2000, période durant laquelle M. A. a été, pendant un certain temps, son supérieur hiérarchique au deuxième degré, il a souvent fait observer qu’ils devraient se rencontrer après le travail ou bien il est venu dans son bureau, a fermé la porte et lui a demandé de l’embrasser. Au cours de son audition, elle a dit qu’elle réussissait à gérer ses relations avec lui en s’asseyant ou en se dégageant physiquement si elle se sentait gênée lorsqu’il l’enlaçait. Elle a indiqué qu’elle n’a pas fait d’objection verbale ni protesté. La Commission a noté que l’intéressée n’avait pas prétendu «qu’aucun de ces enlacements ou de ces baisers ait jamais été lascif ni ait eu un caractère ouvertement sexuel mais plutôt qu’ils étaient “ambigus”». M. A., à qui l’on demandait si Mme Y aurait pu «interpréter ces gestes autrement que comme des gestes “fraternels”», a répondu qu’il ne savait pas et a déclaré qu’elle ne lui avait jamais demandé de s’en abstenir. La Commission a reconnu que Mme Y «a très bien pu se trouver dans une situation où, même si elle était offensée ou gênée […], elle ne se sentait pas suffisamment en sécurité pour protester ouvertement». Toutefois, la Commission a conclu que M. A. «n’a pas clairement mal agi en se conduisant comme il l’a apparemment fait et ne peut donc être tenu responsable de la vulnérabilité que Mme [Y] soutient avoir ressenti». De plus, la Commission a noté que l’intéressée «aurait pu mettre fin au comportement déplacé de M. [A.] à tout moment en s’élevant ou en protestant auprès de lui contre ses agissements». La Commission d’enquête a en outre noté qu’en ce qui concerne à la fois Mme X et Mme Y leur «vulnérabilité» n’a pas abouti à la perte d’avantages ou de droits liés à leur emploi ni à la menace d’une telle perte. De l’avis de la Commission, les circonstances n’ont pas non plus créé «une ambiance de travail hostile, intimidante ou préjudiciable». Il est à noter qu’elle utilise les termes d’«ambiance de travail préjudiciable» et non d’«ambiance de travail offensante» comme dans la définition du «harcèlement». Il ne fait aucun doute que des agissements du type décrit par Mme X et Mme Y peuvent créer une ambiance de travail offensante, ce qui, selon ces personnes, a été le cas. En outre, il importe de relever que les définitions du «harcèlement» et du «harcèlement sexuel» exigent seulement que la conduite en cause gêne le travail. De plus, la Commission s’est arrêtée à des considérations sans aucune pertinence, notamment pour déterminer si Mme Y avait élevé une objection ou protesté contre la conduite à laquelle elle était confrontée et si, dans l’un ou l’autre cas, cette conduite a ou non abouti à la perte d’avantages liés à l’emploi. Les conclusions concernant Mme X et Mme Y sont entachées d’erreurs de droit et ne peuvent être retenues.
La Commission d’enquête ayant conclu sur leur fondement que M. A. n’avait pas eu un comportement systématique de harcèlement, cette conclusion ne peut donc être retenue. Et, dans la mesure où cette conclusion était essentielle pour déterminer que la requérante n’avait pas fait l’objet d’un harcèlement sexuel, cette dernière conclusion, qui est entachée d’une autre erreur puisque la Commission a estimé qu’un avertissement au sujet d’un
comportement verbal ne pouvait s’extrapoler à une conduite physique, ne peut pas non plus être retenue. Il s’ensuit que la décision du Directeur général du 14 février 2006 doit être annulée.

Mots-clés

Harcèlement sexuel

Considérant 25

Extrait:

Divers incidents n’ayant, dans une grande mesure, pas été contestés, le Tribunal peut substituer sa propre décision à celle du Directeur général. A cet égard, il y a lieu de relever que la Commission d’enquête a conclu que M. A. a eu «un comportement systématique» qui, même s’il ne pouvait être vraiment considéré comme «manifestement inapproprié ou constituant un harcèlement sexuel», pouvait être décrit comme étant «une méthode de gestion et de relation sur le lieu de travail plus personnelle que d’ordinaire», et a dit que ce comportement «a effectivement semblé ambigu à certaines personnes et se prêtant à des interprétations divergentes». Manifestement, M. A. a tenu des propos à la requérante qui pouvaient être considérés comme relevant du «flirt» et il en allait de même de la remarque faite à Mlle Z, la secrétaire de la requérante. Dans ce contexte, il n’était pas déraisonnable de considérer que la remarque de M. A., lorsqu’il a dit à la requérante qu’il serait heureux de lui accorder une prolongation de cinq ans après une première prolongation de deux ans «s[’ils s’]entend[aient] bien», avait une connotation sexuelle. De plus, personne ne conteste que la requérante ait parlé à M. A. pour lui faire comprendre qu’elle trouvait ses propos offensants. En cela, la manière d’agir de l’intéressée a été tout à fait raisonnable. Lorsque, sur le lieu du travail, un supérieur masculin tient à ses collaboratrices des propos qui relèvent du «flirt», cela a pour effet inévitable de les rabaisser professionnellement. La requérante ayant fait comprendre à M. A. qu’elle trouvait ses remarques offensantes, celui ci aurait raisonnablement dû savoir qu’elle trouverait aussi offensant tout contact physique inopportun. L’allégation de la requérante sur le caractère déplacé d’un tel contact physique, qu’on le qualifie de «caresse» ou de «mouvement montant et descendant» — une distinction qui, dans le meilleur des cas, reste vague —, était étayée par l’explication qu’elle en a donnée presque immédiatement après les faits à l’administratrice des ressources humaines qui a décrit l’intéressée comme ayant alors manifesté un mélange de colère et de peur. Etant donné les descriptions non contestées qu’ont faites Mme X et Mme Y du comportement de M. A., le caractère accablant des preuves amène nécessairement à conclure que la requérante a fait l’objet d’un harcèlement sexuel.

Mots-clés

Preuve; Harcèlement sexuel

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Annulation de la décision; Harcèlement sexuel



 
Dernière mise à jour: 04.09.2020 ^ haut