Déclaration de l'OIT sur les Multinationales: Interview avec Anna Biondi

Le département d’ACTRAV vient de publier un guide sur la Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales à l’intention des travailleurs. A cette occasion, la Directrice adjointe d’ACTRAV, Anna Biondi apporte des précisions.

Communiqué de presse | 15 février 2011

ACTRAV INFO: Vous êtes la coordinatrice au niveau d’ ACTRAV des travaux pour la publication d’un guide de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT. Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?

Anna Biondi : Le travail sur les multinationales et les chaînes logistiques mondiales a de tous temps été une question centrale pour tous les syndicats de la planète. Malheureusement, ce domaine avait été un peu négligé à l’OIT ces derniers temps. Le fait qu’en 2008, la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable fasse référence au rôle essentiel joué par ces acteurs dans l’économie mondiale revêtait donc une importance toute particulière. Dans le cadre du suivi d’un tel mandat, la Conférence internationale du Travail de juin 2010 a demandé spécifiquement la mise en place de nouvelles façons de promouvoir le document de l’OIT qui fait autorité dans ce domaine, la Déclaration tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (dite Déclaration sur les EMN), adoptée en 1977. Un groupe de travail tripartite spécial a été créé par le Conseil d’administration et nous espérons voir dès la fin de cette année les résultats positifs qu’il aura obtenu. Entre-temps, ACTRAV a décidé de publier cette brochure pour commencer d’ores et déjà à mieux faire connaître la Déclaration sur les EMN dans les milieux syndicaux et au-delà. Il importe également de mettre en place une meilleure communication et une meilleure coordination de l’action entre les Confédérations nationales centrales et les syndicats par secteur, afin d’aborder la chaîne logistique mondiale avec une stratégie unifiée. ACTRAV se tient prêt à appuyer tous les syndicats qui tenteront d’y parvenir. Pour finir, nous sommes convaincus que la Déclaration sur les EMN peut également être utilisée par les délégués syndicaux et les travailleurs en général. C’est pourquoi nous joignons à la brochure une liste de questions destinées à vérifier un certain nombre de points, qui aidera les travailleurs à réfléchir à ce que sont et à ce que pourraient être leurs conditions de travail.

ACTRAV INFO : Il existe également d’autres documents internationaux sur les entreprises multinationales, tel que les Principes directeurs de l’OCDE ou le Pacte mondial des Nations Unies. Qu’est-ce qui caractérise la Déclaration sur les EMN de l’OIT ?

Anna Biondi : Comme nous l’avons dit, la Déclaration sur les EMN a été adoptée en 1977 sur une base tripartite. Sa force évidente, comparée aux autres textes, est qu’elle est le seul instrument à avoir été réellement et officiellement avalisé à la fois par les gouvernements, les organisations d’employeurs et les organisations de travailleurs. Son deuxième point fort est que ses principes découlent des normes internationales du travail (voir l’annexe qui fourmille d’informations). Cela étant, il n’est pas ici question de nier l’importance d’autres textes. Ainsi, par exemple, ACTRAV travaille en étroite collaboration avec la Commission syndicale consultative (TUAC) auprès de l’OCDE en vue de la révision des Principes directeurs de l’OCDE ; et aussi, bien sûr, avec la Confédération syndicale internationale (CSI) et avec les Fédérations syndicales internationales (FSI), en relation avec leur engagement dans les Pactes mondiaux des Nations Unies. Mais le fait que l’on considère aujourd’hui encore notre texte comme étant tout aussi valable qu’à l’époque de son adoption par les trois mandants de l’OIT, combiné avec la valeur ajoutée que lui apportent sa référence aux normes internationales du travail et son adoption sur une base tripartite, sont autant d’éléments qui donnent à la Déclaration sur les EMN de l’OIT une importance exceptionnelle. Ce qui ne m’empêche pas de voir son point faible, à savoir le peu d’usage pratique qu’en ont fait les entreprises jusqu’à présent. Il est donc grand temps de la rendre opérationnelle.

ACTRAV INFO : Dans ce guide, plusieurs questions sont passées en revue, notamment la protection des emplois, la liberté syndicale et le droit de négociation collective pour les travailleurs. Avec la mondialisation et l’externalisation des tâches pratiquée par les multinationales sur l’ensemble du globe, les objectifs de la Déclaration sur les EMN sont-ils réalistes ?

Anna Biondi : Si l’OIT ne parvient pas à faire des principes de la Déclaration sur les EMN une réalité effective pour les travailleurs tout au long des chaînes logistiques, on peut dire qu’elle aura échoué non seulement dans ce domaine mais dans sa mission au sens large. La Déclaration sur les EMN se prononce sans ambiguïté sur des sujets tels que la protection des emplois, la liberté syndicale, la négociation collective, etc. Ses différentes sections donnent des indications on ne peut plus claires aux entreprises disposées à les utiliser. Le seul changement par rapport à 1977, année de l’adoption du texte, est que les EMN ne sont plus à présent structurées en une entité unique mais en différents opérateurs d’une chaîne logistique. Le texte n’en garde pas moins toute sa validité, quelle que soit la structure ou la taille des entreprises. Les travailleurs peuvent et doivent se voir accorder les droits et principes fondamentaux qui découlent de ce texte dans toutes ses composantes (emploi, conditions de travail, relations professionnelles, compétences, résiliation du contrat de travail, etc.), dans les pays d’accueil comme dans les pays du siège des sociétés. Nous sommes convaincus que les entreprises désireuses de les mettre en application peuvent utiliser ce texte comme un programme de portée générale. La Déclaration sur les EMN peut donc leur servir de guide tout au long de ce processus.

ACTRAV INFO : À votre avis, comment peut-on inciter les gouvernements et les employeurs à mettre en œuvre les principes qui constituent la teneur de la Déclaration sur les EMN ?

Anna Biondi : Comme je l’ai dit, nous espérons vraiment que la Déclaration sur les EMN deviendra le « point de référence social » pour les multinationales et leurs sous-traitants. Vous verrez figurer dans la brochure un certain nombre de points à vérifier qui indiquent la marche à suivre. Ils ne s’adressent pas uniquement aux syndicats mais peuvent être également utilisés par les employeurs et les gouvernements (non pas, bien sûr, pour remplacer la législation, mais comme un moyen de favoriser des relations professionnelles ou une réglementation du travail lorsque le cadre législatif s’avère insuffisant ou n’est pas appliqué). Certaines questions fondamentales sont liées à ce qui se passe dans l’entreprise et dans l’usine. Bien entendu, pour finir, il faudra la volonté politique de toutes les parties concernées – les syndicats et les employeurs et leurs associations au niveau du secteur ou de l’unité de production – pour instaurer des relations professionnelles abouties ou des interactions tripartites au niveau sectoriel ou national, avec l’engagement du gouvernement, pour pouvoir mettre en pratique les principes énoncés dans la Déclaration.

ACTRAV INFO : Enfin, ce guide peut-il renforcer la responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour améliorer la condition des travailleurs ?

Anna Biondi : Les sociétés privées disposent aujourd’hui d’un pouvoir sans précédent dans l’économie mondiale. Il est donc grand temps que l’OIT offre une alternative crédible à la RSE unilatérale des entreprises. Cette responsabilité a en fait trop souvent été associée à de vagues exercices de relations publiques ou à un moyen de limiter les relations professionnelles ou le pouvoir syndical par des allégations génériques non vérifiées. Bien sûr, il y aura toujours quelques employeurs sans scrupules cherchant à tirer encore plus profit de telles réductions ; mais je suis convaincu que nous pourrons prouver que la majorité des employeurs sont conscients des bénéfices qu’ils peuvent retirer de la mise en place d’un seuil universel et de leur association avec l’OIT et sa Déclaration sur les EMN. Sur la base de ces principes universels, il est possible de mettre en place des moyens permettant de faire avancer les choses pour les syndicats, les employeurs et leurs organisations, de même que pour les gouvernements. Si l’on parvient à obtenir un accord tripartite sur un suivi satisfaisant (même s’il est, je le répète, de nature promotionnelle, comme l’a prévu la Conférence), je suis véritablement convaincu que la Déclaration sur les EMN peut par la suite devenir un outil important pour permettre d’améliorer le monde du travail.

Pour plus d’informations, contacter :

Anna BIONDI

Directrice Adjointe d’ACTRAV

Responsable pour les entreprises multinationales

Phone: +41 22 799 76 61

E-mail: biondi[at]ilo[dot]org