326e Conseil d'administration de l'OIT

Comment l’OIT renforce la protection des travailleurs à travers le dialogue

Entretien avec le président du Groupe Travailleur de l’OIT sur les résultats de la réunion du Conseil d’administration qui s’est tenue en mars. Luc Cortebeeck explique comment la protection des droits des travailleurs au Qatar, Venezuela, Fidji et Guatemala était au cœur des discussions tout comme la protection des travailleurs migrants et l’application des normes internationales du travail par les entreprises multinationales.

Actualité | 4 avril 2016
Luc Cortebeeck, Président du Groupe Travailleur
ACTRAV INFO: La 326ème session du Conseil d’administration de l’OIT vient de s’achever. Quelle lecture faites-vous des résultats de cette session au niveau du Groupe Travailleur?

Luc Cortebeeck
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Comme à chacune des sessions du Conseil, il est impossible d’estimer l’énergie mise dans la préparation, les tensions, les heures de discussions, d’argumentation, de négociations informelles avec employeurs et gouvernements, de réunions tripartites, mais notre groupe a conclu le Conseil avec une évaluation positive et des sentiments positifs. C’est aussi grâce au fait que nous réussissons de plus en plus à travailler en groupe et en unité, et à répartir de plus en plus le travail entre nos membres du Conseil.

ACTRAV INFO: Plusieurs plaintes concernant le respect des droits des travailleurs ont été abordées lors de cette session. Quelle est votre évaluation des décisions du Conseil concernant les cas du Qatar, du Venezuela, de Fidji et du Guatemala?

Commençons avec le succès du Fidji. La pression d’un possible article 26 (la Commission d’Enquête) et la Mission Tripartite de Haut Niveau conduite en février 2015 dans ce pays ont mené, après plusieurs années extrêmement difficiles, à un changement fondamental de la législation du travail. La liberté syndicale, le dialogue social et la négociation collective sont enfin instaurés. Ce n’était pas pensable il y a quelques mois. C’est un succès pour le Groupe Travailleur et l’OIT mais surtout pour le Congrès des Syndicats de Fidji (FTUC) et son secrétaire général Felix Anthony qui a eu le courage, la persévérance et les capacités de réussir. J’ai eu l’occasion de le féliciter. Pour nous travailleurs, ce cas est l’exemple que le changement vers la justice sociale est possible et que l’OIT peut être un instrument très important.

Pour le cas du Venezuela, plainte qui a été introduite par les employeurs, la Confédération Syndicale Internationale (CSI) et le Groupe Travailleur ont pris l’initiative de promouvoir avec le gouvernement et les employeurs, la relance du dialogue social. Des engagements ont été pris dans ce sens, et dans quelques mois nous évaluerons la situation. C’est ce que nous allons faire aussi avec le Guatemala, connu pour les graves violations de la liberté syndicale et des assassinats de dirigeants syndicaux. La nouvelle ministre du travail guatémaltèque a promis de reprendre le plan d’action et la feuille de route conclus entre nous et le gouvernement il y a deux ans. Entretemps pour les deux pays (Venezuela et Guatemala), l’installation d’une Commission d’Enquête reste pendante.

C’est le cas aussi pour le Qatar. Avec la présidente du Conseil d’Administration et mon collègue vice-président Groupe Employeur et le Bureau, j’ai participé à une Mission Tripartite de Haut Niveau au début mars 2016. Il y a 1 700 000 travailleurs migrants qui travaillent au Qatar, sous le système kafalah qui instaure une dépendance totale des travailleurs vis-à-vis de leur employeur. Ce système est tout simplement ’ du travail forcé. Dans notre rapport nous décrivons le progrès avec la nouvelle législation qui entrera en vigueur en décembre 2016, mais beaucoup de problèmes demeurent, encore plus pour les travailleur/travailleuses domestiques. Un nouveau rapport sera discuté en novembre 2016 et en mars 2017 pour évaluer si les progrès sont suffisants pour que le gouvernement puisse éviter la Commission d’Enquête. Le gouvernement qatari a utilisé tous les moyens de pression et de lobbying pour arrêter la procédure contre le pays, ce qui n’a pas été une réussite pour lui. Espérons que la pression internationale pendant cette année forcera le gouvernement à instaurer le travail décent pour les travailleurs migrants.

ACTRAV INFO: L’un des thèmes discutés lors de cette session concerne les migrations de main d’oeuvre. Quelles solutions préconisez-vous pour protéger les travailleurs migrants?

Le Groupe Travailleur est conscient du rôle important des travailleurs, des employeurs et des gouvernements pour promouvoir et soutenir à court et moyen terme l'intégration effective des réfugiés et autres personnes déplacées de force. C’est le rôle des gouvernements et des partenaires sociaux de chercher des réponses au niveau national comme au niveau international.

Nous tenons à souligner la nécessité de travailler aussi vers des solutions et des programmes à long terme pour faire en sorte que la paix, une croissance économique durable et des possibilités de travail décent soient créés à la fois dans les pays d'origine et de destination.

Contre toute discrimination, xénophobie et stigmatisation, la capacité d'unir les travailleurs doit être une priorité majeure pour les organisations syndicales au niveau national et international. Le dialogue social est bien sûr essentiel pour éviter ou minimiser les tensions entre les nouveaux arrivants et la main-d'œuvre établie, ainsi que dans la détermination des questions plus larges de l'intégration du marché du travail telles que l'identification et les compétences correspondants, la reconnaissance des compétences et de qualifications, l'établissement des cours de langue, des programmes d'éducation et de formation (professionnelle).

Il est nécessaire donc de promouvoir la création d'emplois décents pour tous et pour que les réfugiés ne se retrouvent pas dans le travail informel ou soient utilisés pour saper les normes du travail en vigueur et les conventions collectives. Heureusement les employeurs et les travailleurs européens ont exprimé une opposition claire contre une proposition du Président du Conseil Européen Donald Tusk pour permettre aux réfugiés de travailler au-dessous du salaire minimum. Les investissements pour créer des emplois pour la main-d'œuvre locale est d'une importance capitale pour créer la cohésion sociale et, malheureusement, n'a pas reçu d'attention en raison des programmes d'austérité.

L'approche doit être basée sur un scénario gagnant-gagnant pour les deux, les réfugiés et les personnes déplacées de force et les pays qui les accueillent. Il est important de reconnaître qu’ils pourraient offrir des opportunités pour les pays d'accueil une fois qu'ils sont en mesure de travailler. Une recherche montre que dans quelques années les coûts sont neutralisés. Compte tenu de la population vieillissante en Europe, les réfugiés et autres personnes déplacées de force peuvent effectivement combler ces lacunes actuelles et futures.

Mais ce travail au niveau national doit être guidé et soutenu par une politique multilatérale des organisations onusiennes, dont la politique menée par l’OIT fera partie. Je pense aux impacts sur le marché du travail, la promotion du travail décent et la protection sociale. Ces programmes devraient être coordonnés et financés par la communauté internationale. Une plus grande coopération financière internationale et soutien est nécessaire pour aider les pays qui ont le plus grand afflux massif de personnes déplacées de force et des réfugiés dans leurs territoires.

L'OIT devrait appeler le plein respect, la ratification et l'application des conventions n° 97 et n°143 de mise en œuvre de la migration de main-d'œuvre dans les pays de destination, ainsi que la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

En septembre 2016 à l’OIT une réunion tripartite va s’occuper des mesures concrètes pour le recrutement juste. Au cours de cette année, il y aura d’autres initiatives, comme une Conférence organisée par l’Organisation des Nations Unies pour les Réfugiés le 30 mars et un Sommet Humanitaire Mondial le 23 et le 24 mai et une plénière de haut niveau des Nations Unies le 19 Septembre. L’OIT fera partie de ces conférences. Espérons et travaillons pour des résultats concrets.

ACTRAV INFO: Le projet d’examen de la Déclaration sur les entreprises multinationales a été abordé lors de cette session. Quelles sont vos attentes au niveau du Groupe Travailleur sur ce projet?

La révision de cette déclaration qui date de 2006 est très importante vu les développements qui ont eu lieu dans ce domaine : premièrement l’importance croissante des chaînes d’approvisionnement mondiales mais aussi l’adoption des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et ici à l’OIT des nouvelles normes internationales de travail qui ont été adoptées. Puis cette déclaration n’a pas été utilisée suffisamment dans le monde du travail.

La révision de la Déclaration doit la rendre plus compréhensive et utilisable. Par exemple, le mécanisme d’interprétation n’est pas très accessible. Nous voudrions le remplacer par un mécanisme pour améliorer le dialogue et pour prévenir et résoudre des conflits entre multinationales d’une part et travailleurs et syndicats d’autre part. Pour apprendre des autres expériences, un centre dépositaire des bonnes pratiques concernant la résolution de conflits et du dialogue social pourrait être également un pas en avant.

En ce qui concerne la révision du texte de la Déclaration nous aimerions inclure plusieurs nouveaux éléments, entre autre : des normes internationales de travail adoptées récemment (entre autres le Protocole sur le Travail Forcé, la Recommandation 198 sur la Relation de Travail), les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux Entreprises et aux Droits de l’Homme (y compris les mécanismes de plaintes et « due diligence » ), des références à un salaire vital, la protection des droits des migrants, des références à l’inspection du travail et la transparence, des références à des formes atypiques d’emploi.

Nous attendons beaucoup de la réunion d’un groupe de travail qui doit préparer le Conseil d’Administration de Mars 2017. Et tout cela a un lien clair et direct avec la discussion générale des « chaines d’approvisionnement » qui aura lieu pendant la prochaine Conférence Internationale du Travail en juin 2016 . Oui, il y a du pain sur la planche mais ça vaut la peine.