Luc Cortebeeck, Président du Groupe travailleur : « Le droit de grève est reconnu et le mécanisme de supervision de l’OIT est relancé »

La 323ème session du Conseil d’administration de l’OIT vient de s’achever à Genève. Luc Cortebeeck, Président du Groupe travailleur revient sur les résultats obtenus lors de cette session, notamment sur la question du droit de grève. Dans cet entretien, M. Cortebeeck s’exprime également sur les solutions préconisées par les syndicats pour protéger les travailleurs vulnérables et les attentes du Groupe travailleur sur la prochaine discussion sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle qui aura lieu lors de la Conférence internationale du Travail de juin 2015.

Actualité | 13 avril 2015
Luc Cortebeeck, Président du Groupe Travailleur du Conseil d'Administration
ACTRAV INFO: La 323ème session du Conseil d'administration de l'OIT vient de s'achever. Quelle lecture faites-vous des résultats de cette session au niveau du Groupe travailleur ?

Luc Cortebeeck :
D’une manière générale, je pense que cette 323ème session du Conseil d’administration est un succès par rapport à la situation qui prévalait en novembre 2014, pour plusieurs raisons. D’abord, beaucoup de progrès a été fait notamment sur la question du droit de grève et le mécanisme de supervision de l’OIT est à nouveau opérationnel. Ceci est le résultat de multiples négociations avec les employeurs et les gouvernements qui ont créé finalement une atmosphère favorable au fonctionnement du mécanisme de supervision de l’OIT sur les normes internationales du travail. Aujourd’hui, le tripartisme est renforcé.

Ensuite, l’autre succès concerne les îles Fidji avec la signature d’un accord tripartite par le gouvernement, les employeurs et les travailleurs de ce pays.
Le but de cet accord est enfin de mettre en place l’application de la liberté syndicale et des autres normes internationales du travail dans les lois et pratiques de ce pays, ce qui a constitué pendant des années un vrai problème pour les travailleurs et leur syndicat. Cet accord inespéré a permis au gouvernement du Qatar d’éviter l’application de l’article le plus sévère, l’article 26 de la Constitution de l’OIT qui prévoit la mise en place d’une commission d’enquête sur les violations des normes du travail. Nous félicitons notre collègue travailleur Félix Anthony qui dirige l’Organisation syndicale de Fidji (Fiji Trade Union Congress, FTUC) et nous espérons que cet accord tripartite, qui a été signé sous la supervision du Directeur Général de l’OIT, sera mis en pratique. Nous aurons une première évaluation sur l’application de cet accord sur Fidji dès juin prochain ainsi qu’en novembre 2015 lors du Conseil d’administration.

En ce qui concerne le programme et budget, le Bureau a trouvé un équilibre qui tient compte des objectifs fixés par les travailleurs pour les deux prochaines années. Bien que les employeurs aient attaqué ce programme et budget, un accord a été finalement trouvé à l’unanimité. Ceci constitue un succès pour le Bureau et le Directeur général.

Nous saluons également les conclusions de la réunion d’experts sur les formes atypiques d’emploi ; ce qui constitue également un succès pour l’OIT.

Par contre, il y a eu des points difficiles qui ont été abordés lors de cette session. C’est le cas du Qatar où 1,7 millions de travailleurs migrants sont soumis à des conditions d’esclavage en complicité avec les agences de recrutement. Ces travailleurs migrants ne bénéficient ni de contrats, ni de salaires. Ils travaillent et habitent dans des conditions inhumaines loin de leurs familles. Le Groupe Employeur et le Groupe Travailleur avaient proposé d’envoyer une Mission Tripartite de Haut Niveau, ce qui avait été rejeté par le gouvernement. A ce jour, pour des raisons soi-disant ‘économiques’, le Gouvernement du Qatar est soutenu par plusieurs gouvernements, pas seulement mais entre autres par des gouvernements des pays qui envoient des travailleurs en espérant de gagner de l’argent. Cette situation est inadmissible. Au niveau du Groupe des travailleurs, nous souhaitons envoyer une Mission qui, en partant de la situation réelle, pourrait proposer des mesures à prendre par le gouvernement et de l’aide technique pour venir au secours des travailleurs migrants au Qatar. Le gouvernement pourrait aussi prouver son sérieux en ratifiant le protocole (de l’année passée) de la Convention n°29 pour l’éradication du Travail Forcé et des nouvelles formes d’esclavage.

ACTRAV INFO : La question du droit de grève était de nouveau à l'ordre du jour de cette session. Quelle est votre évaluation des résultats de la discussion sur le droit de grève ?


Nous avions déjà eu plusieurs discussions sur ce sujet sans pour autant trouver une solution. Je rappelle qu’au mois de novembre dernier, face au blocage sur le droit de grève, le Groupe des travailleurs avait proposé que la question soit soumise auprès de la Cour internationale de Justice. Presque la moitié du Conseil d’administration était favorable à cette option mais les blocages ont persisté. C’est pour cela que nous avons pris des contacts avec les gouvernements et les employeurs pour tenter de trouver une solution. Pour nous travailleurs, le droit de grève fait partie de la Convention n° 87. Je rappelle que durant des années, les employeurs avaient toujours respecté les conseils relatifs à la jurisprudence donnés par le groupe des Experts. Depuis 2012, ce n’était plus accepté par eux et nous avions repris plusieurs tentatives de négociation. Finalement, juste avant la réunion préparatoire sur le droit de grève organisée par le Bureau en février 2015, nous avons trouvé un accord avec les employeurs qui reconnaissent le droit de grève au cas par cas. Les gouvernements de leur côté ont reconnu le droit de grève comme faisant partie de la liberté syndicale et nécessairement lié à la négociation collective. Et effectivement le Comité de la Liberté Syndicale a de nouveau accepté des conclusions unanimes sur plusieurs cas de grève. Naturellement, avec cette évolution , nous comptons aussi sur le fait qu’une liste de cas sera examinée par la Commission des normes lors de la prochaine Conférence internationale du Travail. Je crois qu’il y a une volonté politique commune de la part des gouvernements, employeurs et travailleurs pour sortir l’OIT de ce blocage sur le droit de grève.

Ce sont donc de nouvelles perspectives de travail qui s’annoncent, comportant des risques, certes, mais je pense que pour l’avenir de l’OIT, c’est là une chance, une opportunité, qui s’offrent à nouveau.

ACTRAV INFO : La protection des travailleurs vulnérables a été évoquée lors de cette session. Au niveau du Groupe travailleur, quelles solutions préconisez-vous pour protéger ces travailleurs ?


Aujourd’hui, les inégalités augmentent à travers le monde et ce phénomène est observé à la fois dans les pays développés et dans les pays en développement.

Pour assurer leur protection, les travailleurs vulnérables doivent être représentés par des organisations syndicales qui ont le droit de négociation. Ces travailleurs doivent bénéficier d’un contrat de travail et d’un salaire décent sans aucune discrimination. Un salaire minimum vivable et une protection sociale (sécurité sociale) sont des réponses pour permettre aux travailleurs vulnérables de vivre décemment. Nous espérons également que les actions de l’OIT pour protéger ces travailleurs vont s’inscrire dans une synergie d’actions des Nations Unies à travers le programme de développementpost-2015.

ACTRAV INFO : La transition de l'économie informelle vers l'économie formelle sera à l'ordre du jour de la prochaine Conférence internationale du Travail en juin 2015. Quelles sont vos attentes lors de ces discussions tripartites ?


Je rappelle que cette question sera abordée pour la deuxième fois lors de la Conférence internationale du Travail. Nous restons optimistes, le Groupe travailleur a déjà pris contact avec les employeurs pour négocier du progrès sur cette question. Aujourd’hui, dans certains pays, plus de 80 % des travailleurs sont dans l’économie informelle. Je pense que pour beaucoup de gouvernements, la formalisation de l’économie informelle est accueillie favorablement.

D’ailleurs, pour les employeurs, le travail informel représente de la fausse concurrence car il n’est pas organisé par de vrais employeurs qui ne négocient pas de façon normale avec les travailleurs de l’économie informelle.

Au niveau de l’OIT, une recommandation est possible pour tenter de réguler cette transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Nous souhaitons vivement que cette recommandation puisse voir le jour, car c’est un premier pas important pour soutenir les travailleurs de l’économie informelle.