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87e session
Genève, juin 1999


 

Rapport III (Partie 1B)

 

 

Etude d'ensemble sur les travailleurs migrants

 

 


 

Remarques finales

Section I. Perspectives de ratification, obstacles à la ratification
et difficultés juridiques d'application des instruments

A. Ratifications et perspectives de ratification

621. Arrivée au terme de cette étude, et avant de présenter ses conclusions, la commission souhaite rappeler que, si le Conseil d'administration lui a demandé d'entreprendre la présente étude, c'est notamment à cause du faible taux de ratification des conventions nos 97 et 143 au cours de ces dernières années et afin qu'elle examine les besoins éventuels de révision desdits instruments. La mesure dans laquelle les obligations figurant dans ces instruments ont été acceptées par les Etats Membres de l'OIT constitue un bon point de départ pour débuter cet examen.

622. La convention no 97 a recueilli 41 ratifications et la convention no 143 seulement 18, soit un total de 59 ratifications pour les deux instruments; 12 Etats Membres(1) ont ratifié les deux instruments. En outre, le rythme de ratification a considérablement diminué au cours des années. Depuis 1980, date de la publication de la précédente étude d'ensemble sur les travailleurs migrants, la convention no 97 a enregistré sept nouvelles ratifications(2) et la convention no 143, dix nouvelles ratifications(3); les ratifications les plus récentes datent de 1993 (Bosnie-Herzégovine). Des deux Etats(4) qui avaient indiqué qu'ils considéraient la possibilité de ratifier la convention no 97, lors de la première étude d'ensemble, seul le Venezuela l'a ratifiée (en 1983); et des six Etats(5) qui avaient déclaré qu'ils examinaient la possibilité de ratifier la convention no 143, seules l'Italie (en 1981) et la Suède (en 1982) l'ont ratifiée à ce jour.

1. Cas où la ratification est envisagée ou examinée

623. Les informations communiquées par un certain nombre de gouvernements indiquent qu'une ratification de l'une ou/et l'autre des deux conventions est envisagée, sans indication de délai.

624. Le gouvernement de l'Angola a fait savoir qu'il n'existe pas de difficultés particulières, le problème étant simplement une question d'opportunité. Le gouvernement de l'Argentine a indiqué que la Confédération générale du travail et la Commission de la population et des ressources humaines de la Chambre des députés ont estimé que la ratification des deux conventions était convenable et nécessaire. Le gouvernement de l'Australie a indiqué qu'un groupe de travail a examiné les deux conventions en 1993 et a estimé, à la lumière du paragraphe 493 de l'étude d'ensemble de 1980, que ces deux instruments pouvaient être ratifiés. Toutefois, le groupe de travail a recommandé d'exclure les annexes de la convention no 97 et la partie I de la convention no 143. Le gouvernement de la Colombie a indiqué qu'il a ratifié la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et qu'il compte examiner à nouveau l'opportunité de ratifier les conventions de l'OIT. Le gouvernement de la Croatie a déclaré qu'à la demande de certains syndicats il avait soumis les conventions à l'examen du Comité économique et social. Le Guatemala a indiqué que les perspectives de ratification dépendront des résultats que donneront certaines mesures qu'il entend prendre, à son niveau et avec les Etats voisins, pour donner effet dans la pratique aux dispositions de ces conventions. Le gouvernement de l'Inde a déclaré qu'étant confronté à une augmentation récente du flux des émigrants la question de la ratification des conventions est actuellement à l'étude. Le gouvernement du Liban a affirmé que la ratification des conventions ne sera envisagée que si le nombre de travailleurs migrants venait à augmenter. Les gouvernements de la Lituanie, du Pérou, de la Pologne et du Yémen ont affirmé que la question de la ratification des conventions était à l'examen. Le gouvernement de la Suède se propose de réexaminer la possibilité de ratifier la convention no 97, à la lumière de l'évolution de sa législation. Le gouvernement de la République arabe syrienne a indiqué qu'il avait commencé à prendre des mesures concrètes en vue de ratifier ces conventions. Enfin, le gouvernement du Viet Nam a affirmé que la ratification des deux conventions sera examinée en temps utile.

a) Cas où la ratification est envisagée après l'adoption
d'une législation appropriée

625. Le gouvernement de l'Afrique du Sud a déclaré qu'une fois adopté le projet de loi, actuellement en discussion, il examinera l'opportunité de ratifier les deux conventions. Le Conseil des ministres de l'Albanie a demandé à ce que ces deux conventions lui soient soumises conjointement avec les modifications éventuelles à apporter à la législation. Le gouvernement de l'Arabie saoudite a indiqué que la ratification dépend de l'adoption de certaines dispositions afin de mettre sa législation en conformité avec les dispositions des conventions considérées, et qu'il ne peut donner d'indication sur le temps que cela prendra. Le Brésil a fait savoir que le Congrès examine actuellement la loi no 6815 du 19 août 1980 qui régit la situation juridique des étrangers au Brésil et crée le Conseil national de l'immigration et que la convention no 143 doit faire l'objet d'une étude préliminaire avant d'être transmise au Congrès national. Le gouvernement du Chili n'envisage pas la ratification des conventions tant qu'une nouvelle loi sur les migrations n'aura pas été approuvée et que la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui a été approuvée par la Chambre des députés et se trouve actuellement au Sénat, n'aura pas été ratifiée. Le gouvernement de la Finlande a indiqué qu'il examinerait l'opportunité de ratifier la convention no 143 une fois qu'il aura adopté les amendements en cours à sa législation sur l'immigration. Le gouvernement de la Grèce a informé la commission que le Conseil supérieur du travail pour les conventions internationales du travail a décidé que le pays ne procéderait à l'examen des possibilités de ratification des conventions qu'après l'adaptation de sa législation aux nouvelles données auxquelles est confrontée la Grèce, c'est-à-dire au flux énorme de migrants clandestins. Enfin, le gouvernement du Luxembourg a indiqué qu'il examinera la possibilité de ratifier la convention no 143.

b) Cas où les pays ont demandé l'assistance
technique de l'OIT

626. Le gouvernement de la République de Corée a fait savoir qu'il compte avoir recours à l'assistance du Bureau, comme il l'a fait en avril 1998 pour quatre des conventions fondamentales de l'OIT, pour un examen de la conformité de sa législation par rapport aux dispositions des conventions considérées. Le gouvernement du Maroc a estimé que la mise en œuvre des programmes de coopération technique lui offrira l'opportunité de définir, avec l'aide du BIT, les mesures à prendre tant sur le plan législatif que dans la pratique pour ouvrir la voie à la ratification des conventions. Le gouvernement du Tadjikistan a affirmé qu'il souhaite, avec l'aide du Bureau, mettre sa législation en conformité avec les conventions et recommandations de l'OIT considérées dans le cadre de cette étude.

2. Cas où la ratification n'est pas envisagée ou
n'est pas à l'ordre du jour

627. Certains gouvernements ont indiqué qu'il n'est pas prévu de ratifier soit les deux conventions: Autriche, Bénin, Cap-Vert, Chine, Congo, Côte d'Ivoire, Emirats arabes unis, Estonie, Etats-Unis, Ethiopie, Indonésie, Japon, Jordanie, Koweït, Mali, Mexique, Népal, Oman, Pakistan, Panama, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Royaume-Uni (Bermudes, îles Vierges britanniques, îles Falkland (Malvinas), Sainte-Hélène), Singapour, Sri Lanka, Suisse, Suriname, République tchèque, Tunisie, Turquie; soit celle des deux qu'ils n'ont pas encore ratifiée: Allemagne, Belgique, Cuba, Equateur, Espagne, Maurice, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni; soit uniquement l'une des deux conventions: Finlande et Luxembourg (no 97). Les raisons invoquées seront développées aux paragraphes 629-643 ci-après.

628. Les gouvernements de Bahreïn et de la Barbade ont déclaré qu'ils ne jugent pas opportun de ratifier ces instruments. Le Ghana a indiqué que la question de la ratification de ces conventions n'a jamais été posée par les partenaires sociaux.

B. Obstacles à la ratification

1. Questions communes aux conventions nos 97 et 143

629. Certains gouvernements ont informé la commission que leur législation en matière de migrations internationales était soit inexistante, tel le Cap-Vert, soit très embryonnaire parce qu'ils n'avaient jamais été confrontés auparavant au phénomène des migrations internationales à grande échelle, tels les gouvernements de l'Azerbaïdjan, du Bélarus, de la Chine, de la Roumanie, du Tadjikistan et de la République tchèque. Parmi ces derniers, certains ont affirmé être en train de travailler à l'élaboration d'une législation adéquate, tel le gouvernement de l'Afrique du Sud qui a indiqué que sa législation en matière de migrations internationales date pour une large part de l'époque de l'apartheid, et que c'est pourquoi une nouvelle législation est en cours d'élaboration, qui prendra en compte nombre des dispositions des instruments examinés dans le cadre de la présente étude.

630. Les Etats-Unis ont invoqué la complexité de leur législation et de leur pratique en matière d'immigration ainsi que le fait que leur législation en la matière évolue constamment: ainsi, par exemple, la loi relative à l'immigration et à la nationalité a été amendée chaque année depuis 1990, et une proposition d'amendement est actuellement soumise au Congrès.

631. Les gouvernements de la Bulgarie, de la République centrafricaine, du Congo, de l'Ethiopie, du Guatemala, de Maurice, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et de la Roumanie ont invoqué la situation économique difficile qu'ils traversent, et notamment le taux de chômage élevé auquel ils doivent faire face, et expliqué que cette situation les incite à privilégier leur main-d'œuvre nationale au détriment de la main-d'œuvre étrangère.

632. Les gouvernements des Emirats arabes unis, du Guatemala, du Liban et du Mali ont mentionné le coût financier que représenterait la mise en œuvre des instruments considérés dans le cadre de cette étude. Certains d'entre eux ont affirmé que la ratification de ces conventions impliquerait obligatoirement une augmentation de la charge de travail de leur administration du travail - laquelle n'est pas suffisamment développée ou manque de moyens pour y faire face. Enfin, le gouvernement de la République tchèque a fait état de l'insuffisance des infrastructures nécessaires à la bonne application des conventions.

633. Le gouvernement de l'Argentine a exprimé quelques inquiétudes quant à la conformité de sa législation par rapport à l'ensemble des dispositions des conventions. Le Japon a indiqué qu'il devait examiner sa législation et sa pratique pour étudier leur conformité aux dispositions des conventions nos 97 et 143. En outre, les gouvernements suivants ont déclaré que leur législation n'était pas conforme aux dispositions des instruments considérés: Arabie saoudite, Cap-Vert, Chine, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie, Finlande, Grèce, Indonésie, Koweït, Liban, Luxembourg, Panama, Royaume-Uni, Slovaquie, Sri Lanka, Suisse, République arabe syrienne, Tadjikistan, Tunisie, Viet Nam.

634. Quelques gouvernements ont invoqué la spécificité de leur marché du travail comme obstacle à la ratification: ainsi, le gouvernement de la Barbade a expliqué que son pays étant une île il n'a pas de frontières avec des pays voisins et, également, qu'il ne compte qu'un nombre limité de travailleurs migrants sur son territoire(6). Les gouvernements de Bahreïn et du Luxembourg ont expliqué qu'une large proportion de la main-d'œuvre dans leur pays est étrangère (respectivement un tiers et 55 pour cent). Le gouvernement de la Jordanie a invoqué la spécificité de son marché du travail mais n'a pas explicité ce qu'il entendait par ce terme. Enfin, le gouvernement du Népal a expliqué qu'un grand nombre de ses nationaux émigraient tandis que lui-même devait faire appel massivement à des travailleurs étrangers très qualifiés.

635. Certains pays estiment que la ratification n'est pas opportune, soit parce qu'ils n'accueillent pas ou très peu de travailleurs migrants (Cuba, Suriname); soit parce que, comme l'ont déclaré les gouvernements de l'Ethiopie, du Mexique et du Pakistan, ils estiment que ces instruments concernent avant tout les pays qui manquent de main-d'œuvre et doivent faire appel à de la main-d'œuvre étrangère, c'est-à-dire avant tout les pays d'emploi des travailleurs migrants et non les pays de départ; soit parce qu'ils estiment que l'approche adoptée par l'OIT n'est pas appropriée. Ainsi, le gouvernement de Singapour a indiqué que l'interventionnisme étatique prôné par ces instruments n'était peut-être pas nécessairement la bonne solution, étant donné la diversité des situations politique, économique et sociale des différents Etats Membres de l'Organisation.

636. Certains gouvernements ont invoqué des obstacles d'ordre institutionnel: ainsi, le gouvernement du Tadjikistan a expliqué que, si l'harmonisation de sa législation avec les dispositions des conventions nos 97 et 143 ainsi que leur ratification avaient pris du retard, cela était en grande partie dû à l'instabilité politique que connaît le pays actuellement. Le gouvernement de la Suisse a expliqué que ses réserves en matière d'engagements multilatéraux, dans le domaine de la politique des étrangers, étaient essentiellement dictées par les impératifs de la démocratie directe.

637. Enfin, le gouvernement d'Oman a expliqué que, n'étant devenu Membre de l'OIT qu'en 1994, il n'a pas encore eu l'opportunité d'examiner en détail toutes les conventions adoptées par l'Organisation avant cette date, y compris celles sur les travailleurs migrants.

2. Questions relatives à la convention n ° 97

638. Certains des obstacles invoqués concernent plus particulièrement les instruments de 1949. Ainsi, les gouvernements de l'Australie et de la Pologne ont déclaré qu'en cas de ratification de la convention no 97 ils excluraient de la ratification les annexes I et II pour l'Australie et l'annexe I pour la Pologne parce qu'ils les jugeaient inappropriées par rapport aux caractéristiques des migrations internationales dans leurs pays respectifs. Le gouvernement de la Finlande a déclaré que beaucoup des dispositions de cette convention no 97 ne sont plus à jour et adaptées aux temps modernes, tandis que les gouvernements du Luxembourg ou de Saint-Marin ont estimé que les annexes à cette convention sont trop détaillées et par là même inapplicables. Enfin, le gouvernement de l'Inde a évoqué le problème des services rendus aux candidats à l'émigration lesquels, dans son pays, sont payants, contrairement aux dispositions de l'article 2 de la convention.

3. Questions relatives à la convention n° 143

639. Le gouvernement de l'Australie a déclaré que les migrations abusives n'existant pas dans ce pays, la législation en vigueur comporte des lacunes sur certains des points sensibles de la partie I (migrations dans des conditions abusives) de la convention no 143. Le gouvernement de l'Espagne a affirmé que la ratification de la convention no 143 nécessiterait la mise en place d'infrastructures coûteuses pour lutter efficacement contre l'immigration illégale et qu'il préfère affecter ces ressources à l'intégration des immigrés en situation régulière. Le gouvernement de l'Inde a estimé que la partie I de la convention, qui, selon lui, met l'accent sur la détection des migrations abusives et de l'existence de migrants illégalement employés sur son territoire, n'est pas appropriée pour couvrir tous les travailleurs migrants. Le gouvernement du Luxembourg a indiqué que l'absence de législation spécifique en matière de lutte contre les migrations abusives constitue l'un des obstacles à la ratification de la convention no 143, tout au moins de sa partie I. Le gouvernement du Mexique a déclaré que les obstacles à la ratification résident dans la difficulté à laquelle les autorités mexicaines sont confrontées pour déterminer systématiquement s'il existe des flux de migrants à la frontière nord et également pour faire face aux problèmes suscités par le flux et le trafic de main-d'œuvre entrant illégalement au Mexique par la frontière sud. Une autre difficulté mentionnée par le gouvernement est l'absence de dispositions protégeant les travailleurs migrants en situation irrégulière qu'il considère comme une sérieuse omission, qui ne prend pas en compte le cas des pays d'émigration comme le Mexique. Le gouvernement des Pays-Bas a déclaré que, bien qu'il ait été d'accord à l'origine avec l'objectif initial de la partie I de la convention (à savoir lutter contre les migrations internationales dans des conditions abusives et contre l'emploi illégal de travailleurs étrangers), le texte finalement adopté n'atteint pas cet objectif d'une façon qui lui permette de ratifier la convention. Le gouvernement du Royaume-Uni a rappelé qu'en 1975 il avait apporté son soutien à l'adoption des principes qui sous-tendent la convention no 143 et la recommandation no 151 tout en émettant des réserves sur certaines de leurs dispositions, et qu'il maintient toujours ces réserves.

640. Selon la commission, certaines des difficultés mentionnées aux paragraphes 629-639 ci-dessus ne devraient pas constituer des obstacles fondamentaux à la ratification des conventions nos 97 et/ou 143. Elle rappelle donc aux gouvernements que le Bureau est à leur disposition pour leur fournir, s'ils le souhaitent, des services consultatifs techniques dans le domaine des migrations internationales afin de les aider, entre autres, à surmonter lesdites difficultés.

C. Difficultés juridiques d'application des instruments

641. Tout au long de la présente étude, la commission a eu l'occasion de faire état des divers problèmes et difficultés d'application mentionnés par les gouvernements dans leurs rapports. Lorsqu'elle l'a jugé nécessaire, ou lorsque les gouvernements le lui ont demandé, la commission s'est efforcée de préciser la portée ou le sens de certaines dispositions de ces instruments. La commission estime, en effet, que ces éclaircissements rentrent dans le cadre de sa fonction d'évaluation de l'application des normes internationales du travail et, également, qu'ils peuvent aider les gouvernements à apprécier dans quelle mesure leurs législations et leurs pratiques sont compatibles avec les dispositions en question et à trouver une solution qui leur permette de surmonter ces difficultés d'application.

642. La commission a recensé l'ensemble des dispositions qui ont été mentionnées par les gouvernements dans leurs rapports comme posant problème et a pu constater que pratiquement toutes les dispositions des conventions, annexes et recommandations ont été citées(7). Ces difficultés d'application ayant déjà été examinées dans les chapitres pertinents de la présente étude, la commission se contentera de rappeler ici les dispositions qui semblent poser le plus de problèmes d'application aux Etats Membres.

643. En ce qui concerne la convention no 97, ce sont les articles 6 (égalité de traitement entre travailleurs étrangers et travailleurs nationaux) et 8 (maintien du droit de résidence en cas d'incapacité de travail) qui ont été le plus souvent invoqués par les gouvernements comme source de difficultés. En ce qui concerne la convention no 143, ce sont les articles 8 (protection en cas de perte d'emploi), 10 (égalité de chances et de traitement) et 14 a) (droit à la mobilité géographique et professionnelle du travailleur migrant) qui ont été mentionnés par les gouvernements comme posant le plus de difficultés d'application. Pour de plus amples développements, la commission renvoie aux chapitres pertinents.

Section II. Conclusions

A. Conventions internationales du travail et législations nationales
sur les travailleurs migrants: convergences et divergences
(8)

644. La commission tient tout d'abord à souligner que, si elle se félicite du nombre de rapports reçus, elle regrette néanmoins que nombre de ces rapports se soient contentés de résumer la législation en vigueur en matière d'émigration et/ou immigration et que rares sont les gouvernements, ainsi que les organisations d'employeurs et de travailleurs, qui lui ont fourni des informations sur l'application pratique des différentes dispositions des instruments considérés dans le cadre de cette étude d'ensemble(9). De nombreuses incertitudes subsistent par conséquent sur la manière dont les Etats mettent concrètement en œuvre les instruments considérés.

645. Au terme de son examen de la législation, sinon de la pratique, des Etats Membres, la commission est toutefois en mesure de déterminer quels sont les points de convergence et de divergence entre les législations nationales et les normes internationales du travail relatives aux travailleurs migrants - étant bien entendu que, pour les pays qui ne les ont pas ratifiées, celles-ci ne créent pas d'obligations autres que celles prévues à l'article 19 de la Constitution de l'OIT.

646. Dans l'ensemble, les instruments de l'OIT paraissent avoir rempli leurs fonctions d'orientation des législations nationales dans certains domaines, notamment en matière d'organisation des flux migratoires(10), même si les mécanismes d'information entre pays et à destination des utilisateurs potentiels pourraient être renforcés pour assurer la diffusion la plus large et la plus complète possible des informations et qu'il conviendrait peut-être de préciser la nature des informations qui devraient être diffusées. A cet égard, on rappellera qu'aux termes de l'article 1 de la convention no 97 le BIT a également un rôle à jouer en matière de collecte et de diffusion de l'information sur les politiques et les législations, les flux de travailleurs migrants, leurs conditions de travail et de vie ainsi que sur les accords bilatéraux et multilatéraux relatifs aux migrations; rôle qu'il joue mais qui gagnerait à être renforcé.

647. D'une manière générale, les dispositions figurant dans les instruments sont suivies par les Etats dans leurs grandes lignes mais le sont moins dans les dispositions qui demandent des engagements plus précis, notamment en ce qui concerne la protection des travailleurs migrants. Les divergences portent sur des points clés des instruments: modalités de recrutement des travailleurs migrants, droits reconnus aux travailleurs migrants en situation irrégulière, politique de promotion de l'égalité de chances et de traitement.

1. Les modalités de recrutement des travailleurs migrants

648. Dans les instruments de 1949, le rôle des agences privées de recrutement était considéré comme secondaire par rapport à celui que devaient jouer les autorités publiques. Aujourd'hui, le contexte mondial a changé, et dans certaines régions du monde on assiste à un mouvement inverse, c'est-à-dire que la mobilité internationale des travailleurs est assurée de plus en plus par les agences de recrutement privées à but lucratif. «Dans certains pays, gros exportateurs de main-d'œuvre, ces agences sont aujourd'hui une importante partie du secteur des services: elles recrutent et placent 60 à 80 pour cent des travailleurs qui émigrent temporairement et annuellement en tirent des bénéfices considérables(11).» Désormais, sauf dans les cas où les migrations de travailleurs font l'objet d'accords bilatéraux entre le pays d'origine et le pays d'emploi, les services publics jouent un rôle minime et de moins en moins important dans le recrutement et le placement des travailleurs migrants. Les agences privées d'emploi se sont montrées particulièrement efficaces pour repérer rapidement les pénuries de telles ou telles catégories de main-d'œuvre qualifiée sur le marché du travail, trouver du personnel pour y remédier et proposer des solutions souples et appropriées eu égard à la complexité croissante des économies, et ont permis de surmonter les lacunes de l'information et les obstacles institutionnels qui isolent les marchés nationaux du travail les uns des autres. Toutefois, la commercialisation des activités de placement a également des effets négatifs: a) offres d'emploi fictifs, assortis de publicité trompeuse, d'appel à candidature et de perception d'honoraires exorbitants, supérieurs au maximum légal et au coût effectif du placement; b) rétention d'informations ou affirmations mensongères sur la nature du travail et les conditions d'emploi; et c) choix des candidats en fonction non de leurs qualifications mais de ce qu'ils sont prêts à payer pour obtenir un emploi. Les travailleurs non qualifiés et sans compétences techniques particulières sont les principales victimes des pratiques abusives de certains agents de placement privés qui organisent les migrations internationales de main-d'œuvre. C'est pourquoi, de nombreux pays ont réglementé l'activité des agences privées de recrutement de travailleurs migrants de façon beaucoup plus stricte que les autres entreprises commerciales et ont rendu certaines infractions passibles de lourdes sanctions; d'autres, toutefois, ont préféré s'en remettre à l'autoréglementation de la profession, affranchissant ainsi l'administration d'une grande partie des tâches d'enquête et de surveillance. La persistance des fraudes et des pratiques abusives en la matière montre à quel point il est difficile de moduler au moyen de seules mesures réglementaires l'impact des forces du marché sur les processus migratoires mais surtout amène à s'interroger sur les conséquences de cette expansion des agences privées de recrutement au détriment des services publics.

649. En adoptant, en 1997, la convention no 181 concernant les agences d'emploi privées, révisant la convention (no 96) sur les bureaux de placement payants (révisée), 1949, l'OIT a reconnu la nécessité pour les Etats de veiller à ce que les avantages qu'ils retirent de l'activité des agences privées de recrutement et de placement n'empiètent ni ne menacent les droits des travailleurs. L'article 8 de la convention no 181 est consacré à la protection des travailleurs migrants recrutés ou placés par des agences d'emploi privées. On notera également que, si l'article 7 de cet instrument réaffirme le principe selon lequel «les agences d'emploi privées ne doivent mettre à la charge des travailleurs de manière directe ou indirecte, en totalité ou en partie, ni honoraires ni autres frais», il prévoit des dérogations pour certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés, fournis par les agences d'emploi privées. On peut également relever que la Conférence internationale du Travail a adopté en 1996 - donc un an plus tôt - la convention no 179 concernant le recrutement et le placement des gens de mer dont l'article 4 stipule que les Etats doivent: «s'assurer qu'aucuns honoraires ou autres frais destinés au recrutement ou à l'emploi des gens de mer ne sont directement ou indirectement, en totalité ou en partie, à la charge de ceux-ci» mais précise également que «les coûts afférents aux examens médicaux nationaux obligatoires, à des certificats, à un document personnel de voyage et au livret professionnel national ne seront pas considérés comme 'honoraires ou autres frais destinés au recrutement'». A cet égard, la commission est d'avis qu'une délimitation plus claire que celle figurant dans les instruments de 1949 doit être tracée entre les services gratuits - qui doivent être assurés à tous les candidats migrants - et la rémunération éventuelle de services visant le recrutement et le placement qui aboutissent pour le migrant à l'exercice effectif d'un emploi correspondant à l'offre.

2. Les droits reconnus au travailleur migrant
en situation irrégulière

650. L'analyse des législations et pratiques nationales fait apparaître un certain décalage entre certains principes proclamés dans des textes fondamentaux ou dans des conventions ratifiées et les mesures effectivement prises et appliquées pour assurer une maîtrise des flux migratoires en vue de les réduire, voire de les supprimer. D'autre part, les difficultés d'accès aux voies de recours rendent illusoires la protection des droits fondamentaux de l'homme des travailleurs migrants en situation irrégulière(12). L'absence d'une définition précise des droits fondamentaux de l'homme de tous les travailleurs migrants (notamment de ceux qui sont en situation irrégulière) que les Etats Membres doivent s'engager à respecter - aux termes de l'article 1 de la convention no 143 - représente un obstacle important dans la mesure où nombreux sont les pays qui craignent que les droits ainsi reconnus aux travailleurs migrants en situation irrégulière ne soient interprétés extensivement par la commission. Quant au refus de nombreux pays de reconnaître aux travailleurs migrants en situation irrégulière des droits découlant d'emplois antérieurs en matière de rémunération, mais surtout de sécurité sociale, la commission rappelle à nouveau que la jouissance de ces droits (liés à un emploi effectivement occupé) n'interdit absolument pas à l'Etat concerné de procéder in fine à l'expulsion du travailleur en situation irrégulière, et que l'égalité de traitement consacrée par la convention doit être interprétée comme exigeant que ces travailleurs bénéficient de l'égalité de traitement - non pas avec les nationaux - mais avec les migrants régulièrement admis et légalement employés.

3. La mise en œuvre de l'égalité de chances et de traitement

651. Si la nécessité d'assurer l'égalité de traitement entre travailleurs migrants et travailleurs nationaux dans le domaine des conditions de travail ne pose pas de difficultés, quant au principe, il n'en est pas de même pour la promotion de l'égalité de chances et de traitement dans les domaines couverts par la convention no 143 et la recommandation no 151 (emploi et profession, sécurité sociale, droits syndicaux et culturels, libertés individuelles et collectives) pour le travailleur migrant ainsi que les membres de sa famille. Les dispositions des instruments offrent plus de protection que ce qui peut être observé dans les législations nationales. Le migrant reste et demeure un étranger, sauf dans les pays d'immigration durable où son statut tendra à se rapprocher et à se fondre dans celui du citoyen. Les rapports des gouvernements démontrent clairement que, pour les pays dont la politique est d'accepter les migrants à temps et à but définis, la promotion de l'égalité de chances et de traitement n'est généralement pas envisagée: engagé pour ses capacités à effectuer telle ou telle tâche déterminée, il repartira à la fin de son contrat ou son contrat sera renouvelé pour une nouvelle période déterminée sans que se pose la question d'une quelconque égalité de chances dans le cadre du libre choix d'un emploi qui en serait la condition de réalisation. Dans les pays où les courants migratoires sont anciens et ont donné lieu à une installation définitive des migrants, la promotion de l'égalité de chances et de traitement reprend toute sa dimension et devient un instrument destiné à faciliter l'intégration ou l'assimilation des migrants.

652. Un autre aspect de la question, qui n'était pas apparu lorsque les présents instruments ont été adoptés, concerne l'impact de la constitution d'organisations régionales (telles que le MERCOSUR, l'Union européenne, etc.) sur l'application du principe de l'égalité de chances et de traitement. La commission considère que le fait que les pays concernés traitent généralement mieux les travailleurs étrangers originaires de pays membres de groupements régionaux auxquels ils appartiennent que les travailleurs originaires de pays tiers soulève de difficiles questions de principe qui mériteraient d'être examinées.

4. Contrôle des migrations

653. Au chapitre 4 de la présente étude, la commission a relevé que la question des méthodes par lesquelles les Etats Membres remplissent l'obligation qui leur incombe aux termes de l'article 3 a) de la convention no 143 de prendre les mesures nécessaires et appropriées «pour supprimer les migrations clandestines et l'emploi illégal de migrants» n'est pas couverte par la convention. Elle note que, dans la pratique, certaines des mesures prises à cet égard peuvent constituer une violation des droits de l'homme fondamentaux des travailleurs migrants. La commission estime, par conséquent, que cette question devrait être abordée par la Conférence internationale du Travail dans le cadre d'une discussion sur les migrations aux fins d'emploi.

5. Sanctions

654. La commission regrette l'absence d'information obtenue sur l'application pratique des sanctions prises à l'encontre de ceux qui exploitent les travailleurs migrants(13). Cela est d'autant plus préoccupant que le peu d'information obtenue montre que, dans la pratique, des sanctions sont prises à l'encontre des travailleurs migrants en situation irrégulière alors que de telles sanctions ne sont pas envisagées dans la convention pertinente. L'absence d'information relative aux sanctions que doivent prendre les Etats, conformément à l'article 6 de la convention no 143 (en ce qui concerne l'emploi illégal de travailleurs migrants, l'organisation de migrations aux fins d'emploi définies comme abusives et l'assistance sciemment apportée, à des fins lucratives ou non, à de telles migrations), suggère que cette disposition n'est pas correctement appliquée dans la pratique. La commission prie instamment les gouvernements de bien vouloir reconsidérer leur politique en la matière, à la lumière de leurs obligations.

B. Quelles normes pour les migrations?

655. La commission rappelle(14) que les conventions nos 97 et 143, qui font l'objet de la présente étude, figurent parmi les conventions pour lesquelles le Conseil d'administration a souhaité obtenir des informations complémentaires auprès des mandants afin d'être en mesure d'apprécier de manière plus précise les besoins éventuels de révision des instruments et que, pour ce faire, il a décidé «de demander à la commission d'experts d'entreprendre [la présente] étude d'ensemble». A cet égard, la commission constate que le questionnaire communiqué aux Etats Membres, dans le cadre de l'article 19, ne leur a pas posé directement la question de l'opportunité ou non d'une révision des conventions nos 97 et 143. La présente étude a été l'occasion pour la commission d'examiner l'ensemble des rapports soumis par les Etats ayant ratifié l'une ou/et l'autre des conventions nos 97 et 143, au titre de l'article 22 de la Constitution de l'OIT, dans la perspective d'une éventuelle action normative. De cet examen, il ressort clairement que les instruments ratifiés ne sont pas pleinement appliqués et, surtout, que nombre de difficultés d'application relèvent d'un malentendu quant aux obligations énoncées par certaines dispositions de ces conventions.

656. On l'a constaté tout au long de cette étude, le contexte dans lequel ont été adoptées les normes internationales du travail examinées dans le cadre de la présente étude est différent de celui dans lequel s'inscrivent les courants migratoires d'aujourd'hui. Quelques exemples:

1. Déclin du rôle dirigeant de l'Etat dans le monde du travail

657. La perspective tracée par les instruments de l'OIT est plus celle des migrations organisées par l'Etat que celle des migrations spontanées. Le rôle de l'Etat, tant pour des raisons économiques que politiques, n'est plus aussi prépondérant qu'il a pu l'être voici plus de quarante-cinq ans en matière d'échanges internationaux de travailleurs. Face à des migrations internationales de main-d'œuvre plus diverses et plus complexes qu'elles ne l'étaient dans les décennies précédentes, nombre de pays d'émigration sont dans l'incapacité d'assurer gratuitement des services efficaces d'emploi, et c'est ainsi que le rôle des agences privées de recrutement et de placement de la main-d'œuvre migrante de secondaire par rapport à celui des pouvoirs publics est devenu essentiel. Cette évolution touche également nombre de grands pays d'emploi, notamment en Europe occidentale, qui hésitaient jusqu'ici à abandonner le monopole de services publics de l'emploi pour le recrutement et le placement de main-d'œuvre étrangère et qui pensent très sérieusement aujourd'hui à profiter de la souplesse et de la mobilité incontestables des agents privés.

2. Féminisation des travailleurs migrants

658. Lorsque les conventions nos 97 et 143 ont été adoptées, les femmes migrantes étaient surtout appréhendées dans le cadre du regroupement familial. Aujourd'hui la réalité a changé, et de plus en plus de femmes migrent non pas dans le but de rejoindre leur conjoint mais à la recherche d'un emploi où elles seront mieux rémunérées que dans leur pays d'origine. On estime que les travailleuses migrantes constituent aujourd'hui presque la moitié du flux de travailleurs migrants dans le monde(15). Cette féminisation se caractérise toutefois par une prépondérance des travailleuses migrantes dans des catégories d'emploi très vulnérables dans la mesure où ces emplois se caractérisent par un fort lien de subordination entre l'employeur et son employé et surtout parce qu'ils échappent généralement aux dispositions protectrices des législations relatives au travail et notamment des codes du travail. L'on peut se demander si des mesures nouvelles ne devraient pas être prises par l'OIT pour assurer une protection à cette catégorie de travailleurs et, également, si un éventuel réexamen du traitement des artistes et personnes exerçant une profession libérale, dans les instruments de l'OIT relatifs aux travailleurs migrants, ne s'avère pas nécessaire - face à l'ampleur que prend le phénomène des travailleuses migrantes recrutées pour occuper des emplois prétendument artistiques mais qui se retrouvent à travailler dans l'industrie du sexe.

3. Développement des migrations temporaires au détriment
des systèmes d'immigration durable

659. Alors que les instruments de 1949 et de 1975 ont été essentiellement conçus à l'origine dans la perspective d'une installation définitive (immédiate ou progressive) des travailleurs migrants dans les pays d'emploi, on constate aujourd'hui l'essor des migrations de durée limitée pour des emplois de courte durée. Dans leurs rapports, les Etats Membres n'ont pas manqué de souligner cette évolution ainsi que ses répercussions sur l'application de certaines des dispositions les plus importantes des conventions nos 97 et 143. A la lumière de cette évolution, l'on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'examiner dans quelle mesure certaines des dispositions des instruments ne sont susceptibles de s'appliquer qu'aux travailleurs migrants ayant un statut de résident permanent et quelle protection assurer aux travailleurs migrants temporaires.

4. Essor du phénomène des migrations illégales

660. Depuis 1975, date de l'adoption de la convention no 143, qui représente la première tentative de la communauté internationale pour aborder les problèmes relatifs aux migrations clandestines et à l'emploi illégal de migrants, qui étaient devenus particulièrement aigus au début des années soixante-dix, les migrations clandestines et l'emploi illégal ont pris des proportions telles que les pays d'immigration - confrontés eux-mêmes à la montée du chômage, de la pauvreté et des inégalités et sommés d'arbitrer entre les attentes légitimes de leurs ressortissants qui comptent sur la préférence nationale et les droits des étrangers - ont choisi de mettre l'accent sur la maîtrise des flux migratoires.

661. La commission est toutefois consciente que, pour les pays devant faire face à une transition économique, à la pauvreté, à la dégradation de leur environnement, à des taux de chômage élevés, etc., l'émigration est souvent le résultat naturel de la quête de leurs ressortissants pour un emploi et une vie meilleurs. L'émigration n'est peut-être pas la solution au développement de ces pays mais elle reste un phénomène économique naturel qui perdurera tant que les raisons invoquées ci-dessus persisteront. En conséquence, la commission estime qu'il est crucial que les mesures destinées à lutter contre les migrations clandestines soient accompagnées de mesures du type de celles décrites par les instruments afin de faciliter les migrations, lorsque cela est approprié, et de protéger les travailleurs migrants dans leur quête d'une vie meilleure. A cet égard, le dialogue instauré entre certains pays d'émigration et d'immigration en matière de contrôle des flux de migrants et la prise en compte de leurs intérêts respectifs dans la formulation de leurs politiques migratoires constitue un exemple à suivre.

5. Modernisation des moyens de transport

662. Certaines des dispositions des instruments ne sont tout simplement plus adaptées au contexte actuel: ainsi, l'article 5 de la convention no 97 qui exige un double examen médical des travailleurs migrants et des membres de leur famille, tant au moment du départ qu'à l'arrivée, ne prend pas en compte l'évolution des modes de transport et du développement du trafic aérien.

* * *

663. Outre les lacunes des conventions nos 97 et 143 dues à l'évolution du contexte dans lequel elles ont été adoptées, la pratique ou une comparaison des législations et des normes internationales du travail relatives aux travailleurs migrants fait apparaître un autre type de lacune des instruments examinés. Par exemple, ils ne traitent pas de l'élaboration et de l'établissement, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs, d'une politique migratoire nationale dans le cadre de la politique nationale; les questions relatives aux contrats des travailleurs migrants, qui revêtent une importance capitale pour la protection des travailleurs, ne sont pas évoquées dans les instruments existants(16); de même que les questions touchant certains aspects du versement du salaire aux travailleurs migrants(17).

664. En dépit de ces lacunes et de l'évolution du contexte qui a présidé à l'adoption des conventions nos 97 et 143, la commission demeure convaincue que les principes inscrits dans ces instruments demeurent toujours valables: maîtrise des flux migratoires, coopération entre Etats, protection des migrants pour l'emploi et égalité des conditions de travail entre les nationaux et les migrants. Elle note cependant que les Etats Membres de l'Organisation sont nombreux à hésiter encore à ratifier des instruments qui concernent un domaine, souvent considéré comme sensible et aux implications politiques, socioculturelles, voire économiques, non négligeables.

665. Selon toutes les prévisions, le phénomène des migrations internationales est amené à se développer encore et il est inacceptable que des millions de travailleurs restent en dehors de toute protection internationale. Or force est de constater qu'aucune de ces deux conventions n'a obtenu un grand nombre de ratification, sans parler de la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée en 1990, et qui peine à atteindre le nombre des 20 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur. Beaucoup de pays, et notamment les pays les plus concernés par les migrations internationales(18), éprouvent des difficultés à ratifier des instruments très détaillés dans ce domaine, qui tentent de réglementer tous les aspects du processus de migration et du traitement des travailleurs migrants. La commission a pu constater, également, que des Etats Membres dont la législation et la pratique sont en conformité avec les dispositions essentielles de tel ou tel instrument sont parfois dans l'incapacité de le ratifier ou de l'accepter officiellement en raison de divergences comparativement mineures entre son libellé précis et leur propre législation, ce qui prive une partie des travailleurs migrants de toute protection internationale.

666. A ce stade de sa réflexion, la commission estime qu'elle a le choix entre deux grandes options. La première consisterait à recommander au Conseil d'administration le statu quo car l'expérience semble montrer qu'en matière de migrations internationales les Etats hésiteront à ratifier des instruments internationaux aussi peu contraignants et flexibles soient-ils. On peut estimer, en effet, que les difficultés juridiques d'application des conventions nos 97 et 143 mentionnées aux paragraphes 641-643 persisteraient même si l'on adopte un nouvel instrument ou que l'on révise les instruments actuels car ces difficultés portent sur les grands principes qui sous-tendent ces instruments, à savoir l'égalité de traitement entre nationaux et étrangers, le maintien du droit de résidence en cas d'incapacité de travail, la protection en cas de licenciement et la mobilité géographique et professionnelle. Ce statu quo pourrait être parallèlement accompagné d'une promotion vigoureuse des instruments en vigueur, notamment à la lumière de ce qu'a révélé la présente étude, à savoir que nombre de dispositions jugées inapplicables par les pays sont en fait mal comprises par eux. Une variante de cette approche serait l'élaboration d'un ou plusieurs protocoles additionnels(19) destinés à combler certaines des lacunes évoquées plus haut.

667. La deuxième option consisterait à envisager une révision des conventions nos 97 et 143. Sans vouloir préjuger de la décision finale qu'adoptera le Conseil d'administration, la commission suggère une révision totale des instruments en vue de leur remise à jour et, pour autant que cela soit techniquement possible, de leur refonte dans une convention unique par l'élaboration d'une nouvelle convention qui comble les lacunes des instruments actuels. Le Conseil d'administration et la Conférence internationale du Travail devraient décider si une convention-cadre(20) ou un instrument unique traitant de la situation des travailleurs migrants en détail aurait les plus grandes chances d'être ratifié et appliqué de façon à assurer un maximum de protection au plus grand nombre de travailleurs migrants possible. En mettant l'accent sur des principes reconnus par tous, assortis de dispositions permettant aux gouvernements et aux partenaires sociaux de travailler ensemble à la réalisation d'objectifs adaptés aux conditions nationales, on se donnera peut-être les moyens d'obtenir une large ratification dudit instrument et ainsi que d'assurer une protection adéquate en matière d'emploi à la grande majorité des travailleurs migrants.

668. Quelle que soit la voie choisie par l'OIT, la commission estime que la question des travailleurs migrants mérite une plus grande attention au niveau international. Les migrations internationales sont un phénomène en pleine expansion, dans une économie en cours de mondialisation, et qui est très probablement amené à se développer encore, au fur et à mesure que les économies s'intègrent - et parfois se désintègrent. On l'a vu récemment à l'occasion de la crise économique en Asie, le phénomène migratoire est très sensible aux perturbations de toute sorte et la situation des travailleurs migrants tend toujours à se détériorer en période de crise économique. Ce type de crise va généralement de pair avec le ralentissement, voire l'interruption, de l'immigration dans des pays à l'économie naguère florissante - tout en confortant les travailleurs qui souhaitent émigrer vers des pays dont l'économie est plus solide et peut absorber une offre excédentaire de main-d'œuvre.

669. C'est pourquoi il est urgent d'instaurer de meilleurs mécanismes aux niveaux national et international pour faire face à ce phénomène. Il revient à l'OIT de fournir le cadre international pour ce faire, et de mettre en place - de concert avec ses mandants - les autres politiques et mesures qui permettront aux travailleurs migrants de mener une vie meilleure et plus heureuse.


1. Bosnie-Herzégovine, Burkina Faso, Cameroun, Chypre, Ex-République yougoslave de Macédoine, Italie, Kenya, Norvège, Portugal, Slovénie, Venezuela et Yougoslavie (cela concerne l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie car, conformément aux décisions prises par le Conseil d'administration, sur la base des résolutions pertinentes des Nations Unies, aucun Etat n'a été reconnu comme le continuateur de ce Membre).

2. Belize, Bosnie-Herzégovine, Dominique, Ex-République yougoslave de Macédoine, Sainte-Lucie, Slovénie, Venezuela.

3. Bénin, Bosnie-Herzégovine, Ex-République yougoslave de Macédoine, Italie, Saint-Marin, Slovénie, Suède, Togo, Venezuela, Yougoslavie (cela concerne l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie car, conformément aux décisions prises par le Conseil d'administration, sur la base des résolutions pertinentes des Nations Unies, aucun Etat n'a été reconnu comme le continuateur de ce Membre).

4. Argentine, Venezuela.

5. Espagne, Finlande, Italie, Norvège, Suède, Tunisie.

6. La commission note à cet égard que, dans ses commentaires annexés au rapport du gouvernement, le Syndicat des travailleurs de la Barbade affirme que le pays enregistre depuis peu une présence croissante du nombre de travailleurs migrants, notamment dans le secteur de la construction, et que cette organisation a appelé le gouvernement à ratifier lesdites conventions afin d'assurer une protection adéquate à ces travailleurs.

7. Convention no 97: art. 2, 3.1, 4, 5 a), 6.1 a), 6.1 b), 6.1 c), 6.1 d), 7.2, 8.1, 10; annexe I: art. 4, 5.1, 6, 7.1; annexe II: art. 3.5, 5, 7, 9, 10, 11; recommandation no 86: paragr. 5.2, 10 a), 14.3, 15.1, 15.2, 16.1, 17, 18.1, 21.1; convention no 143: art. 2.1, 3 a), 4, 5, 6.1, 7, 8.1, 8.2, 9.1, 9.3, 9.4, 10, 11.1, 11.2, 12 a), 12 d), 12 g), 13.1, 13.2, 14 a), 14 b), 15; recommandation no 151: paragr. 2 f), 8.3, 13.1, 15, 18, 30, 31, 34.1 b), 34.1 c) i).

8. Cette expression est reprise d'un des rapports préparés par le Bureau au titre du Projet interdépartemental sur les travailleurs migrants de 1994-95, Picard, L., op. cit., pp. 35-39.

9. Tels que, par exemple, des décisions judiciaires intéressant l'application des conventions nos 97 et 143, des observations des organisations d'employeurs et de travailleurs, des rapports d'activité des autorités nationales chargées de l'application de la législation nationale et de l'inspection du travail ou des informations statistiques sur l'application des conventions.

10. Comme on l'a vu tout au long de cette étude, les migrations collectives intervenues sous contrôle gouvernemental ont aujourd'hui une importance limitée.

11. «Protéger les travailleurs les plus vulnérables aujourd'hui», op. cit., paragr. 102.

12. Pour le travailleur migrant en situation irrégulière, outre les difficultés inhérentes à sa condition d'étranger (langue, connaissance des procédures, etc.), sa situation irrégulière constitue un obstacle important qui le dissuade très souvent d'avoir recours à l'autorité judiciaire de crainte que sa situation ne soit officiellement reconnue et du risque d'expulsion qui s'ensuit.

13. Voir paragr. 354-359.

14. Voir paragr. 1 et 2 de la présente étude.

15. Pour les sources de cette estimation, voir note de bas de page no 22.

16. A savoir les informations précises qui devraient figurer dans le contrat de travail ou autre document délivré par écrit au migrant avant son départ pour le pays d'emploi (nom de l'entreprise ou de l'employeur, nature du travail, durée de l'emploi, taux de salaires, congés, etc.).

17. Certains aspects de la protection du salaire font l'objet de la convention (no 95) sur la protection du salaire, 1949, dont les dispositions ont été invoquées devant les organes de contrôle de l'OIT dans les cas d'expulsion de travailleurs migrants pour lesquels les règlements finals n'avaient pas été effectués (Iraq, Jamahiriya arabe libyenne, Mauritanie). Cependant, d'autres aspects (périodicité du paiement, modalités de paiement, retenues sur salaires au titre de la rémunération des services rendus par les agences de placement privées, recours, etc.) devraient faire l'objet d'un examen afin d'adapter la protection à la situation des travailleurs migrants.

18. Si la plupart des dispositions des conventions nos 97 et 143 devaient être mises en œuvre par les pays d'emploi, dans la pratique on observe que ces conventions ont été ratifiées pour l'essentiel par des pays d'émigration. On notera également qu'à l'exception de la Malaisie (Sabah) et de la Nouvelle-Zélande aucun pays d'Asie n'a ratifié ces instruments. Comme elle l'a souligné tout au long de cette étude, la commission tient à rappeler que les instruments examinés - contrairement à ce que semblent croire nombre de pays d'émigration - énoncent des obligations pesant sur les pays d'emploi mais également sur les pays d'origine des travailleurs migrants.

19. Un protocole est lié à la convention à laquelle il est annexé et un Etat qui n'a pas ratifié la convention ne peut de ce fait ratifier ledit protocole.

20. Une convention-cadre fixe des objectifs et définit des principes de base dont le respect est prescrit pour la réalisation desdits objectifs. La souplesse que permettent ses dispositions dans la réalisation de ses objectifs offre la possibilité de tenir dûment compte de la situation propre à chaque pays. Aux termes de ces conventions, l'Etat qui les ratifie s'engage à réaliser des objectifs déterminés, mais parfois difficiles à atteindre par un programme d'action continue. Un exemple type de convention-cadre est la convention no 111.


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 26 January 2000.