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GB.275/4/2
275e session
Genève, juin 1999


QUATRIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR

317e rapport du Comité de la liberté syndicale

Table des matières

Introduction

Cas no 1971 (Danemark): Rapport définitif

Recommandations du comité


Introduction

1. Le Comité de la liberté syndicale, institué par le Conseil d'administration à sa 117e session (novembre 1951), s'est réuni au Bureau international du Travail à Genève les 27, 28 mai et 4 juin 1999, sous la présidence de Monsieur le professeur Max Rood.

2. Le comité a examiné une réclamation pour le non-respect par le Danemark de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, soumis en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par l'Association des employés du secteur des transports aériens et l'Association du personnel de vol de Maersk Air.

3. Le comité soumet un rapport sur cette réclamation pour l'approbation du Conseil d'administration.

Cas no 1971

Rapport définitif

Réclamation présentée par l'Association des employés
du secteur des transports aériens et
l'Association du personnel de vol de Maersk Air
en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT
alléguant le non-respect par le Danemark de
la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et
de la convention (no 98) sur le droit d'organisation
et de négociation collective, 1949

Allégations: ingérence du gouvernement
dans la négociation collective libre et le droit de grève
par l'extension statutaire imposée de conventions collectives
et l'association d'accords à des fins de conciliation

4. Par des communications des 7 mai, 1er septembre 1998 et 4 mai 1999, l'Association des employés du secteur des transports aériens et l'Association du personnel de vol de Maersk Air ont présenté au Directeur général, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, une plainte alléguant la violation par le gouvernement du Danemark de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

5. A sa session de juin 1998, le Conseil d'administration a déclaré cette réclamation recevable et a décidé de la renvoyer devant le Comité de la liberté syndicale pour examen (cas no 1971). [Voir document GB.272/8/2.]

6. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication datée du 25 janvier 1999.

7. Le Danemark a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

8. Dans une communication datée du 7 mai 1998, l'Association des employés du secteur des transports aériens et l'Association du personnel de vol de Maersk Air allèguent que le gouvernement du Danemark a violé les conventions nos 87 et 98 en donnant effet à l'article 12 de la loi no 192 du 6 mars 1997 sur la conciliation en matière de règlement des conflits du travail (ci-après loi sur la conciliation dans les conflits du travail) et en appliquant cette disposition aux organisations plaignantes.

9. Les organisations plaignantes expliquent que les conventions passées avec leurs employeurs respectifs devaient être reconduites au printemps de l'année 1998. Le 30 mars 1998, le Conciliateur public a fait savoir à l'Association des employés du secteur des transports aériens que l'Association danoise des employeurs avait exprimé le souhait que la convention collective conclue avec Scandinavian Airlines (SAS) et Scandinavian Airlines Data soit soumise à médiation. L'Association des employés du secteur des transports aériens s'est élevée contre ce recours à des procédures de conciliation dans une lettre du 3 avril 1998 invoquant notamment le fait que des recours similaires s'étaient produits en 1991, 1993 et 1995, la privant ainsi de son droit à participer à une libre négociation collective. Le Conciliateur public a ignoré cette protestation et s'est prévalu des pouvoirs que lui confère l'article 12 de la loi sur la conciliation dans les conflits du travail.

10. A cet égard, les syndicats plaignants rappellent que la loi sur la conciliation dans les conflits du travail habilite le Conciliateur public à couvrir dans sa médiation plusieurs secteurs d'emploi, sans tenir compte des souhaits des syndicats et/ou des employeurs concernés, et qu'en outre l'issue de la médiation est subordonnée à la décision d'une majorité de travailleurs, prise collectivement, tous secteurs inclus. Ainsi, un secteur ayant voté en faveur de la médiation peut se trouver entraîné de force dans un conflit du travail dès lors que la majorité des travailleurs votent contre la médiation. Par ailleurs, lorsque les membres d'un secteur ont voté contre la médiation, ils peuvent se voir privés de leur droit de grève si la majorité des salariés se prononce différemment.

11. Dans le cas présent, les conventions collectives de l'Association du personnel de vol de Maersk Air étaient incluses dans la médiation globale. A l'expiration des conventions collectives des syndicats plaignants, les organisations d'employeurs parties à ces conventions ont appelé leurs membres à un lock-out le 27 avril 1998.

12. Le 6 mai 1998, le ministère du Travail a présenté au Parlement le projet de loi no 86 sur la reconduction de certaines conventions collectives. L'article 1er de ce texte prévoit que les conventions collectives résultant d'une médiation menée par le Conciliateur public sont reconduites jusqu'au 1er mars de l'an 2000. Les articles 2 à 4 apportent certaines modifications à l'accord et, en vertu de l'article 5 de cette même loi, il a été mis fin au conflit. L'article 6 impose la paix sociale aux parties pendant toute la durée de prolongation de l'accord (soit deux ans). Le projet de loi a été adopté par le Parlement le 7 mai 1998. Ainsi, les conventions collectives des organisations plaignantes ont été reconduites par voie légale, sans aucune possibilité de négocier collectivement avec l'employeur.

13. En conclusion, les organisations plaignantes indiquent que le gouvernement a violé leur droit au libre fonctionnement et à la libre négociation collective par suite des mesures prises par le Conciliateur public au titre de l'article 12 de la loi sur la conciliation des conflits du travail et qu'elles ont été privées de leur droit de grève et de leur droit à la libre négociation collective du fait de l'adoption de la loi no 86.

14. Dans des communications des 1er septembre 1998 et 4 mai 1999, les organisations plaignantes soulignent que la reconduction par voie légale des conventions collectives concernait l'ensemble du marché du travail et n'était pas été limitée à certains secteurs pouvant être considérés comme des services essentiels.

B. Réponse du gouvernement

15. Dans une communication du 25 janvier 1999, le gouvernement danois indique que, le 30 mars 1998, le Conciliateur public a présenté un projet de règlement pour la reconduction des conventions collectives expirant le 1er mars 1998. La majorité de ces conventions collectives relevait de domaines couverts par la Confédération danoise des employeurs (DA) et la Confédération danoise des syndicats (LO). Le projet de règlement prévoyait également la reconduction de certaines conventions collectives dans un domaine relevant de DA et de la Fédération danoise des organisations de fonctionnaires et d'employés (FTF).

16. La convention collective entre Scandinavian Airlines Systems et l'Association des employés du secteur des transports aériens de même que la convention collective entre Maersk Air et l'Association du personnel de vol de Maersk Air ont été incluses dans le projet de règlement du Conciliateur public et sont, de ce fait, couvertes par la loi sur la conciliation dans les conflits du travail. Scandinavian Airlines Systems et Maersk Air sont membres de DA.

17. Le projet de règlement a été mis au vote et adopté par les employeurs mais rejeté par les salariés, entraînant ainsi un conflit sur le marché danois du travail qui compte plus de 400 000 salariés.

18. Après dix jours de conflit, le Folketing (Parlement danois) a adopté la loi sur la reconduction de certaines conventions collectives afin de mettre un terme au conflit général qui paralysait de nombreux secteurs de la société danoise, avec un certain nombre de conséquences graves.

19. Le gouvernement rappelle que, dans le système danois, un pourcentage très important des travailleurs est syndiqué et que ce taux élevé de syndicalisation est à la base du système de négociation collective. Les syndicats danois sont traditionnellement des syndicats nationaux de métiers organisés en sections locales. Généralement, les travailleurs d'une entreprise relèvent de syndicats différents en fonction de leurs qualifications particulières. Il n'y a pas de syndicats d'industrie. Le gouvernement souligne en outre que le système de droit du travail s'appuie principalement sur des accords entre travailleurs et employeurs et, dans une moindre mesure, sur la législation. Les conventions collectives sont nombreuses. Dans le simple domaine de DA/LO, on en compte plus de 600. Ces conventions collectives sont considérées comme des accords privés et le gouvernement danois en connaît peu la teneur.

20. Les conventions collectives ayant été, dans une large mesure, conclues sur la base de secteurs ou de fonctions professionnels, il y a généralement, dans chaque entreprise, plusieurs conventions collectives réglementant la rémunération et les conditions de travail. C'est la raison pour laquelle la reconduction des diverses conventions collectives doit se faire simultanément et ceci explique également pourquoi les partenaires sociaux recherchent un développement uniforme du marché du travail syndiqué. Avant l'expiration des différentes conventions collectives, les parties entament des négociations en commençant par un échange de revendications.

21. Même lorsque les négociations en vue d'une nouvelle convention collective n'aboutissent pas avant l'expiration de la convention en vigueur, il n'y a aucune période de vide juridique. En général, la convention collective reste en vigueur jusqu'à ce qu'un accord sur un nouveau texte ait été conclu ou jusqu'à ce que l'une des parties mène une action de revendication, les travailleurs en lançant une grève ou les employeurs un lock-out.

22. Jusqu'en 1995, la reconduction des conventions collectives se faisait plus ou moins, dans le secteur privé comme dans le secteur public, au cours du printemps des années impaires. En 1995, une nouvelle initiative a été lancée, et des conventions collectives ont été conclues pour trois ans dans le secteur industriel (Confédération des industries danoises (DI) et CO Industry), alors que le reste du secteur public et du secteur privé reconduisait les conventions collectives pour la période habituelle de deux ans.

23. Au moment de la reconduction des conventions collectives en 1997, le secteur privé, à l'exclusion de l'industrie, et le secteur public ont conclu des accords de renouvellement. Dans le domaine couvert par DA/LO, ces accords portaient sur des périodes de un an et de trois ans. Compte tenu du renouvellement pour trois ans des conventions collectives de l'industrie en 1995, l'objet était de revenir à une reconduction simultanée des conventions collectives. Le reste du marché du travail a conservé des conventions collectives de deux ans.

24. Lors du renouvellement des conventions collectives au printemps 1998, la majorité du secteur privé a retrouvé le même rythme de reconduction, ce qui signifie que les négociations auront lieu en majorité en l'an 2000. Toutefois, les conventions collectives du secteur public (niveaux national et local), du secteur privé, du secteur agricole, de la foresterie et de l'horticulture, ainsi que du secteur financier doivent être reconduites au printemps 1999.

25. Le rôle du Conciliateur public est d'aider les partenaires sociaux à mener à bien la reconduction des conventions collectives et à régler les différends du travail. Ses fonctions et pouvoirs sont énumérés dans la loi sur la conciliation dans les conflits du travail. Le gouvernement danois n'exerce aucune influence sur les mesures que prend le Conciliateur public en rapport avec la reconduction des conventions collectives. Ainsi, ce dernier n'a pas à tenir compte de considérations économiques nationales dans les efforts déployés pour parvenir à un projet de règlement acceptable pour les parties. Sa tâche consiste à aider les deux parties à parvenir à un accord et il/elle dispose de certains pouvoirs à cette fin:

26. Un projet de règlement doit être soumis au vote des parties. Lorsqu'un tel projet est proposé, les membres des organisations concernées doivent en être informés. Du côté des travailleurs, le vote a lieu soit par scrutin, soit dans un organe compétent. Les organisations décident elles-mêmes (dans leurs règlements) de la forme du vote.

27. Les travailleurs peuvent rejeter un projet de règlement par scrutin à la majorité ordinaire si le taux de participation à la consultation est supérieur à 40 pour cent. S'il est inférieur à 40 pour cent, il faut qu'une majorité, représentant au moins 25 pour cent des personnes autorisées à voter, ait rejeté la proposition. En ce qui concerne les employeurs, le vote se fait selon le règlement de l'organisation.

28. En 1998, la majorité des travailleurs du secteur privé a négocié la reconduction de plus de 500 conventions collectives couvrant plus de 400 000 salariés. Sous la direction et avec les conseils du Conciliateur public, les parties sont parvenues à un accord sur la reconduction de conventions collectives concernant plus de 98 pour cent des travailleurs.

29. Le 31 mars 1998, le Conciliateur public a proposé un projet de règlement recommandé par les principales organisations. Celui-ci portait sur les conventions déjà conclues et sur de nouvelles conventions dans les quelques secteurs qui n'en avaient pas encore. Le projet a été mis au vote, le résultat de celui-ci devant être communiqué au Conciliateur public le 24 avril 1998 au plus tard. Le projet de règlement a été accepté par les employeurs mais rejeté par les travailleurs.

30. Suite au rejet du projet, le conflit a éclaté le 27 avril 1998. Immédiatement après l'annonce du résultat du scrutin, le gouvernement a convoqué les parties au conflit à une réunion au cours de laquelle le Premier ministre leur a rappelé leur responsabilité et les a encouragées à lancer immédiatement des négociations afin de trouver une solution permettant de mettre un terme au conflit.

31. Au cours des dix journées suivantes, les parties ont poursuivi les négociations qui portaient essentiellement sur une augmentation du nombre de jours de congé. A ce point, toutefois, les parties ont indiqué au gouvernement qu'elles ne pouvaient parvenir à un accord, la situation était bloquée, et qu'il n'y avait aucune chance de solution négociée avant plusieurs semaines.

32. Dans ce contexte, le gouvernement a soumis une proposition de reconduction de certaines conventions collectives. Le projet a été adopté par le Parlement le 7 mai et le conflit a pris fin le 8 mai 1998.

33. Les nouvelles conventions collectives restent en vigueur deux ans, si bien que le système selon lequel la majorité des travailleurs du secteur privé devra négocier collectivement en l'an 2000 est conservé. En ce qui concerne la teneur de la loi, elle s'inspire du projet de règlement rejeté auquel s'ajoutent diverses dispositions concernant les jours de congé (allant jusqu'à cinq jours pour les familles avec des enfants), question sur laquelle portaient les négociations dès le début du conflit. Ces mesures sont financées en partie par une réduction de la contribution des employeurs à la pension et en partie par l'abolition d'une taxe que l'employeur doit verser à l'Etat.

34. Le gouvernement fait remarquer que ce cas soulève deux questions importantes: la première a trait au droit du Conciliateur public d'associer plusieurs projets de règlement et la deuxième à l'intervention statutaire du gouvernement.

35. Concernant le premier point, le gouvernement souligne les caractéristiques du marché danois du travail. Le fait qu'il existe un nombre important de conventions collectives au sein de la même entreprise et dans le même secteur avec différents syndicats fait qu'il est nécessaire de pouvoir organiser un scrutin unique lorsque les parties ne sont pas capables de résoudre le problème elles-mêmes. Le gouvernement souligne qu'il ne s'agit pas d'élargir une convention collective à d'autres groupes que ceux qui sont directement couverts par les différentes conventions. Il ne s'agit pas non plus d'obliger la majorité des travailleurs à accepter une convention. Si des négociations ont lieu dans les différents secteurs et si le Conciliateur public le juge opportun, il/elle peut proposer un projet de règlement pour les questions en suspens. Ce projet doit, en premier lieu, être soumis au vote des travailleurs et des employeurs. La clause «liante» signifie que, si les possibilités de négociation dans les différents secteurs sont considérées comme épuisées, les différents projets de règlement peuvent être réunis en une proposition globale sur laquelle votent tous les travailleurs et employeurs concernés. De ce fait, le résultat est le même que dans le cas d'une convention collective industrielle où il arrive que des groupes de travailleurs, par exemple dans une entreprise donnée ou des travailleurs ayant des fonctions particulières, doivent accepter le choix de la majorité de leurs collègues. Sans cette règle, certains groupes de travailleurs, même très restreints, pourraient, en votant contre une convention collective, empêcher la reprise du travail, même si leurs collègues votaient en faveur de celle-ci, en raison de la forte interdépendance des diverses fonctions professionnelles dans les entreprises modernes. Ce groupe pourrait alors exercer une sorte de pression qui serait jugée inacceptable.

36. C'est donc une sorte de règle de solidarité qui sous-tend la nature collective du système de législation du travail danois. Quant à la question de la taille des groupes, il ressort des explications ci-dessus que, si la majorité des travailleurs qui est couverte par un projet de règlement global désapprouve celui-ci, elle peut le rejeter par un vote. Dans le cas présent, une majorité de travailleurs, associée aux plaignants, a voté contre le projet de règlement. De plus, la participation était tellement importante que la proposition pouvait être rejetée par la majorité ordinaire. Le gouvernement comprend donc difficilement comment le regroupement des conventions a porté atteinte aux plaignants, même s'il accepte les arguments de ceux-ci. En fait, les plaignants ont obtenu les résultats qu'ils souhaitaient obtenir par scrutin.

37. En ce qui concerne la légitimité de l'intervention statutaire, le gouvernement commence par souligner que, dès que le conflit s'est concrétisé, il a créé un groupe composé de fonctionnaires provenant d'un certain nombre de ministères pour suivre l'évolution quotidienne du conflit et ses conséquences sur les différents secteurs de la société.

38. Les parties impliquées dans le conflit se sont montrées prêtes à accorder les exemptions nécessaires afin d'éviter de mettre en danger la sécurité et la santé de la population. Vers la fin du conflit, un certain nombre de problèmes qui ne pouvaient plus être réglés par des dérogations ou autres mesures d'urgence ont commencé à apparaître. Ils étaient essentiellement dus à l'absence de nettoyage ou à l'accumulation d'ordures particulièrement critique pour les collectivités et hôpitaux. D'après les informations reçues, nombre d'hôpitaux ne pouvaient qu'assurer un service d'urgence en matière de chirurgie et de traitement médical, et l'approvisionnement en médicaments devenait également de plus en plus difficile. Le problème des transports en général allait en s'aggravant et la situation était particulièrement délicate, s'agissant du transport des médicaments et des analyses médicales.

39. Toutefois, pour le gouvernement, le facteur décisif a été le fait que, selon les parties, le conflit pouvait durer cinq semaines au moins. En outre, il risquait de s'étendre aux produits alimentaires et autres produits essentiels. La société danoise n'était pas prête à soutenir un conflit de cette durée et de cette portée, faisant peser de graves menaces sur la sécurité et la santé de la population. Il aurait été irresponsable de prendre un tel risque.

40. Le gouvernement connaît la position du comité qui considère que les conséquences économiques d'un conflit ne permettent pas de décider si une intervention est légitime ou non. Toutefois, le gouvernement fait remarquer qu'un conflit de cette ampleur aurait eu des conséquences catastrophiques pour l'économie nationale s'il s'était poursuivi pendant trois semaines supplémentaires au moins. Le Danemark est l'un des rares pays au monde à avoir lutté efficacement contre le chômage qui, au cours des cinq dernières années, a été réduit de moitié puisqu'il est passé de 13 à environ 6 pour cent. Il est évident qu'une telle politique exerce de très fortes pressions sur le commerce et l'industrie qui doivent être en mesure d'absorber de nombreux chômeurs. Ceci n'est possible que dans des conditions économiques favorables. Si l'industrie et le commerce danois - pour ne pas parler des industries d'exportation - avaient dû rester inactifs plus longtemps, c'est-à-dire plus que les deux semaines déjà écoulées, il est certain que cette situation aurait eu des effets délétères à long terme non seulement sous la forme de pertes économiques immédiates, mais également - peut-être plus grave encore - sous la forme de parts de marché perdues qu'il aurait fallu des années pour récupérer. Le retour à un niveau élevé de chômage aurait été très grave pour la population.

41. Pour ce qui est de la nature de l'intervention, il faut souligner: que le délai de validité de deux ans correspond à la durée habituelle des conventions collectives danoises; que, d'après l'étude du gouvernement, il n'aurait été ni possible ni pertinent, du fait du but même de l'intervention, d'intervenir dans certains secteurs seulement, mais que le secteur des transports, auquel les organisations plaignantes appartiennent également, est, quelles que soient les circonstances, essentiel au fonctionnement de la société; et que, de plus, les travailleurs ont bénéficié de concessions importantes qui constituent un progrès majeur du point de vue de la politique familiale. Les récentes augmentations de salaires accordées au Danemark sont supérieures à celles des pays généralement utilisés à des fins de comparaisons.

42. En conclusion, le gouvernement avance que le pouvoir dont dispose le Conciliateur public au titre de l'article 12 de la loi sur la conciliation dans les conflits du travail, à savoir la possibilité de regrouper plusieurs secteurs dans le cadre d'un projet unique de règlement, est étroitement lié à la structure et à la dynamique du marché du travail danois, caractérisé par un taux élevé de syndicalisation, un nombre important de syndicats et de nombreuses conventions collectives sectorielles, ce qui signifie notamment que les conditions de rémunération et de travail d'un secteur d'activité sont réglementées par plusieurs conventions collectives de différents syndicats; un autre trait de ce marché est que, contrairement à la situation dans d'autres pays, les conventions collectives danoises ne sont pas élargies à d'autres domaines sous la forme de conventions collectives générales.

43. Les membres individuels ont la garantie d'une certaine influence en rapport avec le projet de règlement du fait que celui-ci est envoyé à tous les membres pour scrutin. Il faut, en outre, souligner que le fait de regrouper des projets de règlement ne correspond pas à une extension d'une convention à l'ensemble du secteur; la clause «liante» signifie que le vote sur la reconduction d'un certain nombre de conventions collectives a lieu en scrutin unique. Il en résulte que l'Association des employés du secteur des transports aériens et les autres syndicats ont négocié la reconduction de leurs propres conventions collectives et que les dispositions du projet de règlement doivent être incorporées ultérieurement dans les diverses conventions collectives. De ce fait, l'acceptation d'un projet de règlement n'implique pas l'expiration des conventions collectives qui sont couvertes par le projet.

44. La loi sur la reconduction de certaines conventions collectives a été adoptée en 1998 par le Folketing dans le but de mettre un terme à un conflit majeur qui avait paralysé de nombreuses activités avec, déjà, de graves conséquences pour la société. Toutefois, le Folketing n'est pas intervenu avant que les partenaires sociaux n'aient abandonné la possibilité de parvenir à un règlement négocié et notifié le gouvernement qu'ils ne pourraient se mettre d'accord avant plusieurs semaines.

45. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, le pouvoir du Conciliateur public de regrouper plusieurs conventions collectives sous la forme d'un projet de règlement global et le pouvoir du Folketing, dans des circonstances extraordinaires, d'intervenir et de mettre un terme à un conflit social lorsque celui-ci constitue une menace pour la sécurité et la santé de la population sont des éléments fondamentaux du système danois de conventions collectives. Le gouvernement avance que, sans ces éléments, il serait nécessaire de modifier radicalement le modèle danois, chose que ni le gouvernement ni les partenaires sociaux ne souhaitent actuellement.

C. Conclusions du comité

46. Le comité observe que ce cas concerne des allégations selon lesquelles le gouvernement a violé le droit de grève et le droit de négociation collective des organisations plaignantes, et est intervenu dans leur libre fonctionnement, à la fois en maintenant et en appliquant l'article 12 de la loi sur la conciliation dans les conflits du travail et en adoptant des dispositions statutaires élargissant les conventions collectives.

47. Le comité doit d'abord rappeler qu'il a déjà examiné à plusieurs reprises des plaintes concernant l'application de l'article 12 de la loi sur la conciliation dans les conflits du travail [voir cas no 1418, 254e rapport, et cas no 1725, 292e rapport et 307e rapport], et l'intervention du gouvernement dans la libre négociation collective par la prolongation statutaire des conventions collectives. [Voir cas no 1338, 243e rapport, cas no 1443, 259e rapport, et cas no 1421, 265e rapport.]

48. En ce qui concerne l'article 12 de la loi sur la conciliation dans les conflits du travail, le comité prend note des arguments du gouvernement, semblables à ceux avancés dans les cas antérieurs, soulignant les raisons pour lesquelles il est important, dans le cadre du système danois, que les différentes conventions collectives soient renouvelées simultanément. Il note en particulier la position du gouvernement selon lequel l'existence d'un nombre élevé de conventions collectives au sein de la même entreprise et dans le même secteur avec différents syndicats fait qu'il est nécessaire de pouvoir organiser un seul scrutin lorsque les parties ne sont pas en mesure de résoudre elles-mêmes les conflits. Toujours, selon le gouvernement, le regroupement de différents projets en une seule proposition peut déboucher sur une situation comparable à celle de groupes de travailleurs ayant des fonctions particulières dans différentes entreprises couverts par des conventions collectives d'industrie et qui peuvent devoir accepter une position contraire à la leur mais soutenue par la majorité de leurs collègues. Enfin, le gouvernement souligne qu'en raison de la forte interdépendance des différentes fonctions professionnelles dans les entreprises modernes, des groupes restreints de travailleurs pourraient exercer des pressions sur la majorité de leurs collègues si un tel regroupement n'était pas possible.

49. En outre, le comité prend note des informations fournies par le gouvernement à propos des tâches et pouvoirs du Conciliateur public. En particulier, le comité observe que le Conciliateur public ne peut décider de regrouper plusieurs projets de règlement concernant différents secteurs à des fins de vote que lorsqu'il ou elle considère que les possibilités de négociation dans les différents secteurs ont été épuisées. Enfin, il note l'observation du gouvernement selon laquelle, dans le cas présent, ce regroupement n'a pas nui aux plaignants puisqu'ils ont voté, comme la majorité, contre le projet.

50. Tout en prenant dûment note des observations du gouvernement, notamment du fait que la loi sur la conciliation dans les conflits du travail n'entraîne pas l'élargissement d'une convention collective à tout un secteur d'activité, le comité observe cependant que le regroupement de différents projets faisant l'objet d'un vote de la part de l'ensemble des travailleurs peut avoir pour conséquence qu'un secteur donné, auquel l'un des projets s'appliquerait, se trouve soumis à la décision de la majorité des travailleurs, même si la majorité des travailleurs du secteur, représentés par une organisation majoritaire, a un avis différent. [Voir, par exemple, cas no 1418, 254e rapport, paragr. 206.] Le comité considère donc que le point de vue qu'il a exprimé la dernière fois qu'il a examiné la conformité de l'article 12 avec les principes de liberté syndicale [voir cas no 1725] demeure valable. A cette époque, le comité avait noté que, même après amendements législatifs à la loi sur la conciliation en 1997, le système fait qu'il est toujours possible de couvrir par un projet d'accord global des accords collectifs couvrant un secteur entier d'activité, même si l'organisation représentant le plus grand nombre de travailleurs du secteur rejette le projet d'accord global. [Voir cas no 1725, 307e rapport, paragr. 29.] Le fait que, dans le cas présent, le résultat du vote est conforme à la position des plaignants ne change pas le fait que la législation actuelle peut limiter le droit de l'organisation majoritaire à une libre négociation collective, en contradiction avec l'article 4 de la convention no 98.

51. De plus, le comité considère que l'analogie avec les conventions collectives d'industrie est sans objet. Les particularités du système danois présentées par le gouvernement, comme l'existence de plusieurs conventions collectives différentes dans une entreprise donnée, n'ont un sens que dans la mesure où le droit de ces multiples et divers syndicats sectoriels représentatifs à mener des négociations véritables est reconnu. L'argument de l'interdépendance des emplois et du risque de pression ne devrait pas avoir pour effet de nier les droits des syndicats légitimes représentants à participer à une libre négociation collective.

52. Enfin, le comité note que l'article 12 peut également avoir des répercussions négatives sur la possibilité d'une organisation de travailleurs à exercer le droit de grève, dans la mesure où cette organisation peut être liée par une décision de l'ensemble des travailleurs d'accepter un projet global de conciliation auquel est associée une convention collective relative à leur secteur. Le comité demande au gouvernement d'examiner, en consultation avec les partenaires sociaux, la législation afin de garantir que l'opinion de la majorité des travailleurs d'un secteur donné n'est pas subordonnée à l'opinion de la majorité des travailleurs de l'ensemble du marché du travail en ce qui concerne la possibilité de poursuivre une négociation collective libre portant sur les conditions d'emploi et la possibilité d'entreprendre une action de revendication.

53. En ce qui concerne la légitimité de l'intervention consistant à prolonger de deux ans les conventions collectives examinées en avril 1998, y compris celles intéressant les plaignants, le comité prend dûment note des considérations évoquées par le gouvernement selon lequel: la prorogation de deux ans correspond à la durée habituelle de validité des conventions collectives danoises; le secteur des transports, qui inclut l'organisation plaignante, est dans toutes les circonstances essentiel au fonctionnement de la société et des concessions sont également accordées aux travailleurs dans plusieurs domaines essentiels.

54. Le comité doit néanmoins observer d'abord que le principal effet de cette intervention a été d'empêcher la négociation collective dans le secteur privé pendant la période de deux ans correspondant à la prolongation des conventions collectives. A cet égard, le comité rappelle l'importance qu'il attache au principe selon lequel les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention qui aurait pour effet de restreindre ou d'empêcher l'exercice légal, par les syndicats, de leur droit, que le comité considère comme un élément essentiel de la liberté syndicale, de chercher à améliorer les conditions de vie et de travail de ceux qu'ils représentent, et ce par la négociation collective ou par d'autres moyens légaux; le comité considère également que toute intervention de ce genre apparaîtrait comme une infraction au principe selon lequel les organisations d'employeurs et de travailleurs devraient avoir le droit d'organiser leurs activités et de formuler leurs programmes. [Voir cas no 1338 (Danemark), 243e rapport, paragr. 245.]

55. Le comité observe également qu'une autre conséquence du renouvellement de certaines conventions collectives a été de mettre un terme aux mesures de revendication qui avaient déjà été lancées et d'interdire toute autre mesure de revendication risquant de se produire dans les secteurs concernés durant la période pendant laquelle les conventions collectives étaient statutairement prolongées. A cet égard, le comité rappelle que le droit de grève peut être restreint, voire interdit: 1) dans la fonction publique, uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'Etat; ou 2) dans les services essentiels, au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 526.] Tout en notant la position du gouvernement selon lequel le secteur des transports, qui concerne l'organisation plaignante dans le cas présent, est, dans toutes les circonstances, essentiel au fonctionnement de la société, le comité doit rappeler qu'il ne considère pas que le transport en général constitue un service essentiel au sens strict du terme. [Voir Recueil, paragr. 545.]

56. De plus, en ce qui concerne l'argument du gouvernement selon lequel les problèmes qui ont commencé à se poser vers la fin du conflit ne pouvaient être réglés en accordant des dérogations ou par d'autres mesures d'urgence, le comité rappelle que, tout en reconnaissant que l'arrêt du fonctionnement de services ou d'entreprises tels que les sociétés de transports pourrait être de nature à perturber la vie normale de la communauté, il serait difficile d'admettre que l'arrêt de tels services soit par définition propre à engendrer un état de crise nationale aiguë. Le comité a estimé en conséquence que les mesures de mobilisation des travailleurs prises lors de conflits dans de tels services étaient de nature à restreindre le droit de grève de ceux-ci en tant que moyen de défense de leurs intérêts professionnels et économiques. [Voir Recueil, paragr. 530.]

57. En outre, en ce qui concerne la nature des services à fournir par l'organisation plaignante, le comité note que le gouvernement n'évoque dans ce cas qu'un risque général concernant le transport essentiel de médicaments. A cet égard, le comité souhaite rappeler qu'un service minimum peut être maintenu en cas de grève dont l'étendue et la durée pourraient provoquer une situation de crise nationale aiguë telle que les conditions normales d'existence de la population pourraient être en danger. Pour être acceptable, ce service minimum devrait se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population, et les organisations de travailleurs devraient pouvoir participer à sa définition tout comme les employeurs et les autorités publiques. [Voir Recueil, paragr. 558.] Le comité note avec regret que le gouvernement ne semble avoir fait aucune tentative de négociation en vue de la mise en place d'un service minimum pendant la durée des actions de revendication en question, de manière à permettre aux parties au conflit de parvenir à un accord par la négociation collective libre plutôt qu'en ayant recours à un règlement statutairement imposé qui lie les parties pour deux ans.

58. Enfin, le comité note, à partir de la liste des organisations couvertes par le compromis proposé par le conciliateur, que les mesures prises par le gouvernement concernent un nombre important de salariés (plus de 400 000) couverts par plus de 500 conventions collectives sans qu'aucun effort ne soit fait pour établir une distinction entre les secteurs pouvant être considérés comme véritablement essentiels (risque de crise nationale aiguë) et les autres.

59. A la lumière des paragraphes qui précèdent, le comité estime que la loi de 1998 renouvelant certaines conventions collectives a impliqué une intervention statutaire dans le processus de négociation collective contraire au principe de libre négociation collective et au droit des organisations d'employeurs et de travailleurs d'organiser leurs activités et de formuler leurs programmes. Le comité invite donc le gouvernement à garantir qu'aucune intervention de ce type n'ait lieu à l'avenir.

60. Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur l'aspect législatif de ce cas.

Recommandations du comité

61. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:

Genève, le 4 juin 1999.

Max Rood,
Président.

Point appelant une décision: paragraphe 61.


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 26 février 2000.