L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
ILO-fr-strap

GB.273/ESP/4/1
273e session
Genève, novembre 1998


Commission de l'emploi et de la politique sociale

ESP


QUATRIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR

Les programmes de création d'emplois
de l'OIT

a) Créer de l'emploi pour réduire la pauvreté:
le rôle des approches à haute intensité d'emploi
dans les programmes d'investissement
dans les infrastructures

Table des matières

I. Le défi de l'emploi et la nécessité d'une croissance intensive
en emploi

II. Assurer l'avantage comparatif de l'OIT: des travaux
publics spéciaux à la promotion d'emplois durables
et de meilleure qualité

III. Comment tirer tout le parti possible des approches communautaires


I. Le défi de l'emploi et la nécessité
d'une croissance intensive en emploi

Le défi de la création d'emplois

1. En dépit des progrès réalisés dans certains pays en développement, le chômage massif, le sous-emploi et la pauvreté sont les caractéristiques de la plupart des pays à bas revenu. Selon certaines estimations, près de 30 pour cent de la population mondiale continue à vivre dans la pauvreté(1). Dans de nombreuses régions du monde, pour les millions de jeunes qui aspirent à entrer dans la population active, les perspectives d'emploi restent sombres. Quant à ceux qui ont déjà un emploi, ils doivent généralement se contenter de maigres salaires et d'un statut d'emploi précaire. Dans le contexte d'une déstructuration croissante de l'emploi, une forte proportion de la main-d'œuvre travaille dans des activités à faible productivité dans le secteur informel rural et urbain. Dans le secteur moderne, même un taux plus élevé de croissance ne suffira pas à résoudre les problèmes de sous-emploi et de pauvreté si aucun changement n'est apporté au système général d'investissement et d'intensité d'emploi de la croissance économique. Qui plus est, ces évolutions négatives du chômage structurel vont de pair avec une instabilité politique, des conflits armés localisés et des crises économiques et financières qui ont pris ces dernières années un caractère récurrent.

2. Le Conseil d'administration n'a cessé de plaider en faveur «de la conception de politiques et de programmes capables d'assurer une croissance intensive en emploi». Des politiques visant à accroître l'impact des investissements sur l'emploi, associées à des programmes opérationnels de développement des infrastructures selon des méthodes à fort coefficient de main-d'œuvre, sont les moyens d'action essentiels dont dispose l'OIT pour relever ce défi. Le présent document proposé à la discussion étudie le rôle que l'OIT a joué ces vingt dernières années pour promouvoir l'utilisation de méthodes à haute intensité d'emploi dans les programmes d'investissement dans les infrastructures. Ce faisant, il montre comment ont évolué les interventions de l'OIT dans ce domaine, depuis des systèmes de création d'emplois à court terme jusqu'à des programmes de plus longue durée destinés à: accroître l'effet des investissements sur l'emploi; améliorer les conditions de travail; et promouvoir des petites et moyennes entreprises. Il s'intéresse également aux approches communautaires du développement et à la syndicalisation des travailleurs du secteur informel ainsi qu'à l'implication des partenaires sociaux.

3. Ce document montre le solide avantage comparatif que l'OIT détient désormais dans ce domaine ainsi que les raisons pour lesquelles le Bureau a eu quelques difficultés, particulièrement ces dernières années, à répondre aux demandes qui lui étaient faites de ses services. Il met en lumière l'impact de l'action de l'OIT dans ce domaine ainsi que la réputation qu'elle a acquise auprès des bailleurs de fonds, et notamment des institutions financières internationales. Il décrit également les avantages particuliers que cette approche revêt pour les mandants de l'OIT et répond brièvement aux critiques dont elle fait parfois l'objet. Enfin, il passe en revue les perspectives qui se dessinent pour l'avenir de l'action du Bureau dans un domaine qui peut constituer un point de contact important entre l'OIT, ses mandants et ceux qui, aux niveaux national et international, sont responsables de la politique économique et d'investissement.

4. Les principes qui sont à la base de l'action réalisée dans ce domaine ont été énoncés lors de chaque biennium dans le programme et budget. Les mandants ont été régulièrement informés des activités entreprises, notamment dans les rapports du Directeur général sur les activités de l'OIT. Le présent document se fonde également sur une récente évaluation d'un consultant indépendant(2), qui souligne la nécessité «de donner une forte visibilité aux programmes intensifs en emploi au sein de l'OIT et auprès de ses partenaires sociaux». En réponse à ce commentaire, il est à espérer que le présent document encouragera la Commission de l'emploi et de la politique sociale à examiner comment cet instrument bien établi et largement respecté de l'OIT peut être utilisé pour relever les nouveaux défis auxquels doivent faire face ses mandants, tout en favorisant l'application des principes et des valeurs de l'Organisation.

La réponse de l'OIT

5. Le rôle que jouent les travaux publics dans la création d'emplois a déjà une longue histoire. L'idée de base consistant à utiliser les surplus de main-d'œuvre pour la création d'actifs productifs offre des avantages évidents, en particulier dans les pays à haut niveau de chômage, de sous-emploi et de croissance démographique, et où le coût de la main-d'œuvre non qualifiée est faible. Les mandants de l'OIT se sont donc régulièrement tournés vers le Bureau en vue d'obtenir des conseils de politique générale et une assistance technique pour les aider à appliquer les techniques à fort coefficient d'emploi dans les programmes d'infrastructure.

6. La réponse de l'OIT a été la création du Programme à haute intensité d'emploi (PIE), qui est l'une de ses activités de coopération technique les mieux connues. Au cours des vingt dernières années, et grâce à un généreux appui des bailleurs de fonds, l'OIT n'a cessé de développer et de mettre à jour ses approches à l'égard des travaux d'infrastructure à haute intensité d'emploi. Celles-ci ont profondément influencé la politique d'investissement, l'emploi et la lutte contre la pauvreté dans plus de 35 pays en développement où il est fréquent de voir jusqu'à 70 pour cent de l'investissement public consacrés aux infrastructures. Au total, ce sont plus de 500 millions de dollars qui ont été investis dans des projets soutenus par l'OIT qui ont permis la création de centaines de milliers d'emplois, de développer des capacités dans les secteurs privé et public et d'orienter les investissements vers des travaux d'infrastructure techniquement bien étayés, financièrement rentables et dont le besoin se faisait cruellement sentir.

7. Grâce à ces interventions, les programmes à forte intensité d'emploi ont eu pour principaux résultats dans les pays bénéficiaires de situer les questions cruciales que constituent la création d'emplois, l'atténuation de la pauvreté, la promotion des entreprises et l'amélioration des conditions de travail dans le cadre plus large de la politique de l'emploi et de l'investissement. Plutôt que des systèmes consistant à faire travailler, ce programme a démontré le potentiel de création d'emplois durables que recèlent les programmes d'investissement public lorsqu'ils sont exécutés par le secteur privé. Ce faisant, l'OIT s'est constitué un avantage comparatif certain dans un domaine dont l'importance est reconnue par les bailleurs de fonds aussi bien que par les institutions financières internationales et leurs mandants.

8. Plusieurs raisons militent en faveur du choix des investissements dans les infrastructures comme point d'accès stratégique et comme catalyseur d'une croissance intensive en emploi. Il s'agit notamment:

 

Encadré 1

L'importance stratégique des investissements dans les infrastructures
pour la création d'emplois et la lutte contre la pauvreté

Selon les estimations de la Banque mondiale(3), les pays en développement inves-tissent près de 200 milliards de dollars par an dans de nouvelles infrastructures. D'une façon générale, les infrastructures représentent environ 20 pour cent de l'investissement total de ces pays et 40 à 60 pour cent de leur investissement public(4). Une forte proportion des investissements que les pays en développement consacrent aux infrastructures sont financés par des institutions d'aide au développement. La part de l'ensemble des infrastructures financées par des sources extérieures dépasse généralement 50 pour cent du total de ces investissements, cette proportion pouvant aller jusqu'à 80 ou 90 pour cent dans le cas des pays les moins développés(5).

Ces investissements représentent un énorme potentiel de création d'emplois encore largement inexploité. Beaucoup de ces investissements n'ont qu'un faible impact sur la création d'emplois et la réduction de la pauvreté, mais ceci est dû en grande partie à la préférence souvent donnée aux technologies à fort coefficient d'équipement et à la dépendance des pays considérés à l'égard des importations et des devises. De ce fait, non

seulement les infrastructures ainsi produites ne tirent qu'un faible parti du potentiel qu'elles représentent en termes de création d'emplois, mais souvent elles ne résistent pas à l'épreuve du temps.

Plusieurs estimations ont été faites de l'effet macroéconomique que pourrait avoir sur l'emploi le fait d'appliquer une approche fondée sur une forte utilisation de la main-d'œuvre pour la production de ces infrastructures. Selon l'une de ces estimations effectuées par une mission conjointe OIT/Union européenne au Ghana en 1993, si 20 pour cent de l'investissement public du pays et 10 pour cent de l'investissement privé affectés aux infrastructures étaient exécutés à l'aide de méthodes à coefficient élevé de main-d'œuvre, ce sont plus de 100 millions de dollars par an qui pourraient être affectés à des projets d'investissement utilisant ce type de méthodes; 50 000 emplois directs et 75 000 emplois indirects seraient créés en plus de ceux que génèrent les méthodes de construction traditionnelles. Ces chiffres sont particulièrement impressionnants lorsqu'on les compare aux 50 000 emplois par an qui constituent l'objectif global de création d'emplois de ce pays.

 

9. Le potentiel des travaux d'infrastructure à haute intensité d'emploi ayant été ainsi peu à peu reconnu, on s'est rendu compte également de l'utilité qu'ils pouvaient avoir en période de difficultés et de crise. On peut citer parmi les principaux exemples récents:

Encadré 2

Cambodge

L'assistance fournie par l'OIT au Cambodge est un bon exemple de la contribution qu'elle peut apporter à la reconstruction de l'économie des pays victimes de conflits. Depuis 1992, dans le contexte du programme national de création d'emplois de ce pays, l'assistance de l'OIT a porté en particulier sur les trois éléments suivants:

  • la réhabilitation et l'entretien des infrastructures par des travaux à fort coefficient de main-d'œuvre;
  • la promotion des petites entreprises et du secteur non structuré;
  • la formation professionnelle pour l'emploi.

Les groupes visés sont en particulier les femmes, les pauvres des régions rurales, les soldats démobilisés, les personnes revenant des camps de réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur du pays.

Un appui est fourni au Groupe de travail interministériel de haut niveau sur les travaux d'infrastructure à forte intensité de main-d'œuvre (créé à l'initiative du programme de l'OIT et qui englobe 12 ministères) pour le recours à des approches fondées sur l'utilisation des ressources locales pour le développement et la réhabilitation des infrastructures; au ministère de l'Education pour la planification, la coordination et le suivi de la formation professionnelle; et à l'Association des institutions cambodgiennes de développement économique local pour le conseil aux entreprises et la formation, l'accès au crédit et l'identification des opportunités commerciales.

Entre 1993 et 1997, les principaux résultats obtenus par la composante infrastructure de ce programme ont été notamment:

  • la création de plus de 2 700 000 journées-homme d'emploi direct, dont 43 pour cent pour les femmes, affectées à la construction et à la réhabilitation des routes secondaires, de canaux d'irrigation et du nettoyage et de l'entretien du site archéologique d'Angkor;
  • la création d'un système de gestion communautaire pour le fonctionnement et l'entretien des réseaux d'irrigation et autres infrastructures du même ordre.

Dans le cadre du dialogue continu qu'il entretient avec le gouvernement du Cambodge, le BIT a récemment mis sur pied un programme d'action conjoint intitulé Des emplois pour la paix, qui prévoit notamment la promotion des droits fondamentaux des travailleurs et des institutions du travail, notamment en faveur des femmes, des personnes handicapées et des enfants.

 

Le mandat de l'OIT de promouvoir une croissance
intensive en emploi
10.
L'importance qu'ils attachent aux méthodes et aux programmes de travaux publics à coefficient élevé de main-d'œuvre considérés comme des moyens efficaces de promouvoir l'emploi et de réduire la pauvreté a été rappelée à maintes reprises par les mandants de l'OIT. C'est ainsi par exemple que la recommandation (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964, propose «des mesures destinées à augmenter les possibilités d'emploi par l'encouragement des productions et des techniques à fort coefficient d'emploi», notamment grâce «aux recherches et à la diffusion d'informations sur les techniques à fort coefficient d'emploi, particulièrement dans les travaux publics et la construction». En outre, dans un article spécifique consacré aux «programmes d'investissement public et de travaux publics spéciaux», la recommandation (no 169) concernant la politique de l'emploi (dispositions complé-mentaires), 1984, propose «de mettre en œuvre des programmes spéciaux de travaux publics viables du point de vue économique et social, afin notamment de créer et de maintenir des emplois et d'augmenter les revenus, de réduire la pauvreté et de mieux satisfaire les besoins essentiels dans les zones où sévissent le chômage et le sous-emploi».

11. L'action de l'OIT dans ce domaine conserve manifestement toute sa pertinence si l'on en juge par le niveau élevé et constant des demandes qu'elle reçoit de ses mandants en vue d'obtenir des services de conseil et des activités de coopération technique, et ainsi que le prouvent de nombreuses déclarations d'objectifs par pays.

12. L'importance que revêtent les programmes à forte intensité d'emploi au cours des périodes de transition économique et dans les temps de crise a aussi été soulignée en de nombreuses occasions. La Réunion sur les implications économiques et sociales de la dévaluation du franc CFA (Dakar, 1994), la réunion de suivi organisée à Yaoundé en 1997 et la Réunion sur les réponses sociales à la crise financière des pays de l'Est et du Sud-Est asiatique (Bangkok, 1998) ont toutes réitéré l'urgence qu'il y avait à créer de l'emploi sur une base rentable et durable.

13. Par ailleurs, les programmes à forte intensité d'emploi contribuent de façon très spécifique à promouvoir l'emploi et à améliorer la qualité du travail. Le rôle joué par l'OIT dans ce domaine a été largement reconnu par ses mandants ainsi que par la communauté internationale. L'approbation la plus notable lui est venue du Programme d'action adopté par le Sommet mondial pour le développement social (1995), où il est déclaré que «son mandat, sa structure tripartite et ses compétences confèrent à l'OIT un rôle tout particulier dans le domaine de l'emploi et du développement social». Ce même programme d'action recommande «de promouvoir des schémas de croissance économique qui maximisent la création d'emplois» et d'«encourager, selon que de besoin, les investissements à forte intensité de main-d'œuvre dans les infrastructures économiques et sociales qui utilisent des ressources locales, et créer, maintenir et restaurer les infrastructures collectives dans les zones rurales et urbaines».

II. Assurer l'avantage comparatif de l'OIT:
des travaux publics spéciaux à la promotion
d'emplois durables et de meilleure qualité

14. Dans le cadre de la politique d'intervention du secteur public qui a prévalu dans beaucoup de pays en développement jusqu'à la moitié des années quatre-vingt, les programmes de création d'emplois étaient généralement mis en œuvre par les administrations et organismes publics sous la forme de travaux publics spéciaux ou de systèmes de création d'emplois à court terme. Ce genre de programmes à gestion étatique était courant dans la plupart des régions de l'Afrique, le plus souvent comme moyen de lutter contre la pauvreté et de faire face aux multiples catastrophes naturelles, exigeant des mesures immédiates et à court terme telles que des secours en cas de sécheresse et de famine et autres interventions d'urgence, qui se sont succédé pendant la plupart des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Le but de ces différents programmes était de redistribuer le revenu à certains groupes cibles précis et, ce faisant, de lutter contre la pauvreté et d'atténuer les pertes dont ces groupes étaient victimes sur le plan des revenus, des capitaux et de l'emploi.

15. A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, l'aide de l'OIT a été souvent sollicitée pour la conception et la mise en œuvre de programmes de ce type. Elle a répondu à ces demandes grâce à son programme de travaux publics spéciaux dont la caractéristique était d'utiliser à la fois des critères sociaux et économiques. Pour assurer l'efficacité et la rentabilité de ces programmes, une formation était donnée aux travailleurs, et la capacité institutionnelle nécessaire était créée au sein des Etats Membres. La crédibilité technique dont a joui cette première génération (1975-1985) de projets de travaux publics à forte intensité de main-d'œuvre auprès des Etats Membres et des bailleurs de fonds vient dans une large mesure des résultats qui ont été obtenus dans ces deux domaines.

L'exécution de travaux publics par le secteur privé

16. Au cours de la deuxième moitié des années quatre-vingt, le contexte politique général a changé. Avec l'importance croissante donnée à la rentabilité économique et au développement du secteur privé, l'approche adoptée par l'OIT à l'égard des travaux à haute intensité de main-d'œuvre a beaucoup évolué. Aux programmes de travaux publics d'urgence, de secours et aux programmes spéciaux on a préféré les investissements axés sur l'emploi et la rentabilité. Lorsque l'on veut introduire des objectifs d'emploi dans les programmes généraux d'investissement, les systèmes fondés sur une forte utilisation de main-d'œuvre ne sont recommandés que lorsqu'ils peuvent soutenir la comparaison avec les systèmes fondés sur une forte utilisation d'équipements aussi bien en termes techniques qu'économiques. La rentabilité économique, la faisabilité technique et les normes de qualité ainsi que le caractère durable de ces projets du point de vue économique et social sont désormais les critères du choix et de l'application des méthodes à coefficient élevé de main-d'œuvre (voir encadré 3).

 

Encadré 3

Des hommes ou des machines

La plupart des infrastructures qui sont indispensables au fonctionnement d'une économie moderne sont par définition capitalistiques. Pour les projets d'infrastructure à grande échelle tels que la production d'énergie, les télécommunications, les aéroports ou les routes nationales à grande circulation, les méthodes à coefficient élevé de main-d'œuvre ne peuvent soutenir la comparaison avec les technologies à fort coefficient d'équipement. Il existe néanmoins de nombreuses autres infrastructures pour lesquelles les technologies fondées sur une forte utilisation de la main-d'œuvre et des ressources locales constituent une meilleure alternative en termes de création d'emplois, de durabilité des infrastructures et d'économies de devises. Il s'agit notamment des routes de desserte locales, de travaux d'assèchement des terres, de la construction de petits barrages, de puits et de systèmes d'irrigation, de drainage et d'assainissement, ainsi que des infrastructures sociales telles que la construction d'écoles et de centres sanitaires.

La construction de routes de desserte locales est un domaine bien connu qui illustre de façon particulièrement éloquente les implications de ces choix technologiques. Le coût de l'équipement dans le cas des technologies dites capitalistiques s'élève à près de 80 pour cent de l'investissement total alors que le coût de la main-d'œuvre n'est que d'environ 10 pour cent, cette main-d'œuvre étant essentiellement qualifiée et semi-qualifiée. Dans le cas des technologies à coefficient élevé de main-d'œuvre, pour un produit de qualité équivalente et un même niveau d'investissement, près de 30 à 40 pour cent du coût va à l'équipement léger alors que 40 à 60 pour cent sont des coûts de main-d'œuvre. De plus, le coût de l'investissement direct annuel que représente la création d'une année-travail d'emploi lorsque l'on fait appel à des technologies à coefficient élevé de main-d'œuvre est de l'ordre de 300 à 700 dollars par an, ce qui est inférieur aux coûts à prévoir pour des technologies à coefficient élevé d'équipements(8). De toute évidence, le coût exact de la création d'emplois dépendra dans une large mesure du type d'infrastructure construite et selon que l'on y inclut ou non le coût de l'assistance technique. Si l'on prend en considération la création d'emplois indirects et/ou les effets multiplicateurs, ces chiffres diminuent d'autant.

Les études comparatives réalisées par le BIT dans des pays tels que le Burkina Faso, le Cambodge, le Ghana, la République démocratique populaire lao, le Lesotho, Madagascar, le Rwanda, la Thaïlande et le Zimbabwe montrent que, sans sacrifier la qualité des infrastructures, l'option fondée sur une forte utilisation de main-d'œuvre:

  • est de 10 à 30 pour cent moins chère que les options donnant la préférence à l'intensité d'équipement;
  • réduit les besoins en devises étrangères de près de 50 à 60 pour cent;
  • crée, pour le même investissement, de deux à quatre fois plus d'emplois. 

 

17. Aussi l'aide apportée par l'OIT pour l'application des approches intensives en emploi dans les programmes d'investissement public en est-elle arrivée à insister sur les quatre éléments suivants:

18. La pérennité des investissements en infrastructure, la possibilité de les reproduire et leur impact seront d'autant plus grands que leur intensité en ressources locales sera importante. Par ressources locales il faut entendre non seulement la main-d'œuvre locale mais également toutes les autres ressources disponibles localement telles que les matériaux de construction, les outils et équipements, les entreprises, les firmes d'ingénieurs-conseils et autres institutions, y compris les universités et les collèges pour l'enseignement des techniques appropriées (voir encadré 4).

 

Encadré 4

Des cours nationaux sur les méthodes à haute intensité
de main-d'œuvre

Le BIT a apporté son soutien à la création de cours sur la planification participative et sur les méthodes de construction à haute intensité de main-d'œuvre dans plusieurs établissements d'enseignement africains et asiens, cours considérés comme un moyen d'institutionnaliser l'utilisation de ces méthodes. Ces cours sont le moyen pour le BIT de faire connaître non seulement les techniques à haute intensité d'emploi, mais également les normes du travail pertinentes, en particulier en ce qui concerne les conditions de travail et la protection des travailleurs.

Parmi les institutions qui ont introduit ce type de cours dans leurs programmes, on peut citer l'Université du Natal en Afrique du Sud, l'Université des sciences et des technologies de Kumasi au Ghana, l'Université d'Addis-Abeba en Ethiopie, l'Université de Dar es-Salaam en République-Unie de Tanzanie, l'Université Makarere en Ouganda, l'Université des transports et communications de Hanoi (UTCH) et l'Université des ressources en eau de Hanoi au Viet Nam, ainsi que l'Ecole des communications et des transports et l'Institut polytechnique national de la République démocratique populaire lao. Les universités qui, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, traitent des questions de développement ont également incorporé ces matières dans les cours correspondants.

 

19. La préférence donnée à l'exécution des travaux publics par le secteur privé plutôt que par le secteur public a eu un certain nombre de conséquences. La première est la nécessité de donner priorité à la création de capacités afin d'assurer qu'aussi bien le secteur public que privé ont les moyens de remplir leurs nouveaux rôles. Grâce à une formation appropriée, l'industrie nationale de la construction et en particulier les petites et moyennes entreprises peuvent être renforcées et développées. En mettant l'accent sur la création de capacités et sur le développement de systèmes appropriés de passation des marchés, on favorise l'accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics.

20. Paradoxalement, l'une des principales conditions requises pour promouvoir l'exécution de travaux publics par le secteur privé est le renforcement des capacités techniques et de gestion du secteur public. C'est pourquoi une formation est dispensée au personnel des administrations des ministères techniques, notamment au niveau des administrations locales, qui n'a généralement que peu d'expérience dans la préparation et la gestion des marchés publics. Par ailleurs, le cadre juridique, institutionnel, financier et administratif existant n'est souvent pas adapté à un système de passation des marchés efficace. Il est nécessaire également de limiter les distorsions suscitées par les bailleurs de fonds telles que leur insistance à obtenir l'importation des équipements en franchise de douane, de ne financer que les coûts extérieurs, ou l'exclusivité exigée pour l'achat des équipements auprès des pays donateurs.

21. A cela s'ajoute un deuxième aspect des marchés publics qui est celui du système d'appels d'offres pour l'exécution des travaux publics. Les petites et moyennes entreprises ont souvent beaucoup de mal à avoir accès aux marchés publics. Des ajustements sont indispensables dans les spécifications des marchés proposés de façon à donner la préférence aux équipements légers plutôt qu'aux équipements lourds, ce qui influera par là même sur la définition des niveaux d'emploi souhaitables. La division des appels d'offres en marchés plus petits qui soient accessibles aux PME et l'organisation de la charge de travail selon une planification qu'elles puissent gérer sont également souhaitables. Parallèlement, les spécifications des marchés sont fixées de façon à pouvoir prendre en compte les normes pertinentes en matière sociale et du travail, notamment celles qui concernent le salaire minimum, la lutte contre la discrimination (voir encadré 5), l'élimination du travail forcé, la liberté syndicale, la protection des salaires, la sécurité et la santé au travail et l'assurance contre les accidents du travail(9).

 

Encadré 5

Promouvoir la participation des femmes
aux programmes à haute intensité d'emploi

L'expérience a montré que les travaux à haute intensité d'emploi peuvent être un puissant moyen de briser les stéréotypes dans la mesure où ils permettent d'employer des femmes à des travaux généralement considérés comme masculins et de faire passer au premier plan les intérêts des femmes. Des mesures de discrimination positives ont été prises dans un certain nombre de projets en choisissant certaines catégories d'infrastructure telles que les installations d'adduction d'eau ou les installations sanitaires qui concernent directement les femmes, et en leur assurant une égalité d'accès aux possibilités d'emploi et de formation. Le principe du salaire égal pour un travail égal a fait l'objet d'une attention particulière en évitant ainsi de tomber dans le piège de l'inégalité de traitement des femmes. La nécessité de former les femmes à des postes de technicien et d'animateur a été soulignée car la pratique a montré que, chaque fois qu'une forte proportion de femmes travaillent à ces niveaux, on parvient à dépasser des obstacles culturels traditionnels et à faire accepter des attitudes plus favorables au recrutement de travailleuses pour des travaux semi-qualifiés et non qualifiés.

Dans les projets de construction routière à haute intensité d'emploi réalisés avec l'assistance de l'OIT, la participation des femmes a atteint 37 pour cent au Botswana, 25 pour cent à Madagascar et jusqu'à 60 pour cent au Lesotho. Dans un programme de réhabilitation et d'entretien de certains quartiers d'Antananarivo, à Madagascar, les femmes représentent 70 pour cent du total de la main-d'œuvre.

 

22. Du point de vue opérationnel, l'approche adoptée par le programme à haute intensité de main-d'œuvre est fondée par conséquent sur la création de capacités dans les secteurs privé et public et sur l'utilisation stratégique de l'investissement public dans les infrastructures pour le développement d'un système d'appels d'offres et de passation des marchés selon lequel:

23. Pour les entreprises intéressées, il y a plusieurs avantages majeurs à ce qu'elles participent aux projets à fort coefficient de main-d'œuvre et aux activités de formation qui leur sont associées. Tout d'abord, les systèmes d'appels d'offres qui ont été mis au point leur donnent accès aux marchés publics dans un secteur très important de l'investissement public dont elles auraient été normalement exclues. Un processus d'appels d'offres transparent, dans un secteur où le favoritisme et la corruption ne sont pas rares, contribue également à améliorer la gestion des fonds publics et le dialogue social. L'introduction de procédures efficaces de paiement assure aux petites entreprises l'apport rapide de liquidités qui est si important pour leur survie. Ces entreprises bénéficient également de la possibilité de recevoir une formation et d'acheter des équipements grâce aux systèmes de crédit associés à ces projets. Pour la construction de routes de desserte locales, l'équipement consiste en général en un tracteur et une remorque ainsi qu'un compacteur et un petit outillage manuel. Pour les petites entreprises qui opèrent à la limite du secteur informel, ce sont là des avantages considérables qu'elles conservent après avoir terminé les contrats pour lesquels elles ont été choisies à l'origine. De nombreux exemples montrent que ces entreprises réussissent à se maintenir sur le marché et à fournir un travail de très bonne qualité. Par exemple, dans le cadre d'un grand projet d'infrastructure entrepris à Madagascar avec l'aide de la Banque mondiale, six des sept entreprises ayant reçu des récompenses pour leur performance avaient été formées dans le cadre d'un programme pilote de l'OIT financé par la NORAD.

24. En ce qui concerne les travailleurs qui participent à ce type de projet, c'est évidemment l'emploi et les revenus qu'ils en tirent qui constituent leurs bénéfices essentiels. Pour ceux qui travaillent dans l'économie informelle, les conditions de travail qui leur sont garanties sont également très attrayantes. De plus, les travailleurs sont souvent les principaux bénéficiaires des infrastructures qui sont créées et dont il est probable qu'eux et leur famille et les communautés dont ils font partie tireront à long terme un plus grand avantage que les salaires perçus. C'est ce qui explique le vaste potentiel que recèlent les projets communautaires décrits ci-dessous.

25. Pour les gouvernements, il y a aussi de nombreux avantages à adopter des techniques à haute intensité d'emploi. Ces avantages sont notamment le fait qu'ils en tirent une production plus grande pour un même niveau d'investissement et un avantage certain du point de vue de leur balance des paiements, puisque la majorité de l'investissement est représentée par de la main-d'œuvre et des ressources locales. Une forte impulsion est donnée au secteur de la construction, ce qui à son tour contribue à développer les marchés intérieurs et à renforcer les relations intersectorielles. Les améliorations constatées sur le plan de la répartition du revenu, de la création d'emplois et de l'atténuation de la pauvreté ne sont pas moins importantes. C'est la raison pour laquelle, à l'issue des projets pilotes, beaucoup de gouvernements continuent à utiliser des méthodes à haute intensité de main-d'œuvre. Il en est ainsi par exemple de l'Ouganda où le ministère des Travaux, des Transports et des Communications a confié l'entretien de routine de près de 5 500 km de routes principales à des petits entrepreneurs locaux situés dans les villages proches de ces routes. C'est le cas également du Ghana où, bien que le projet à haute intensité d'emploi mis en œuvre avec l'aide de l'OIT soit arrivé à son terme, le système de passation des marchés a été maintenu et le nombre de petits entrepreneurs pratiquant les méthodes à coefficient élevé de main-d'œuvre a plus que doublé.

26. Des investissements bien ciblés dans les infrastructures peuvent aussi avoir un effet radical sur le développement des économies locales. Par exemple, une enquête réalisée sur une route construite en 1994 pour relier 20 villages isolés du district de Hune au nord de la République démocratique populaire lao a montré que cette route avait contribué à l'accroissement de la production des cultures vivrières, au développement des activités de tissage et autres activités génératrices de revenu pour les femmes, à l'ouverture de boutiques et de moulins pour le riz dans les villages ainsi qu'à la redistribution des activités d'enseignement, puisque davantage d'étudiants peuvent maintenant se rendre dans les collèges des villes avoisinantes pour y poursuivre leurs études.

27. De même, le gouvernement de l'Afrique du Sud teste actuellement un système d'attribution sélective de ses marchés pour les travaux publics dans le cadre de sa politique de promotion socio-économique et de l'emploi. Dans certaines limites, cette politique permet au gouvernement de faire participer des groupes cibles spécifiques de la population, en particulier ceux qui avaient auparavant été victimes de discrimination et s'étaient vus exclus du marché du travail ou ceux qui vivaient dans des agglomérations particulièrement pauvres et marginalisées.

De nouvelles possibilités de dialogue social
et de participation des mandants de l'OIT

28. L'un des principes de base de l'OIT est que les partenaires sociaux doivent être associés à la formulation des politiques. L'article 3 de la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964, déclare que «les représentants des personnes touchées par des mesures à prendre, et en particulier les représentants des employeurs et des travailleurs, seront consultés sur les politiques de l'emploi afin de prendre pleinement en considération leur expérience et leurs vues et de s'assurer de leur pleine coopération pour la formulation et l'obtention de leur appui à ces politiques». Avec l'application par l'OIT des approches fondées sur une forte utilisation de main-d'œuvre dans les programmes d'investissement public, de nouvelles opportunités se présentent pour le dialogue social et la participation de ses mandants.

29. Dès le départ, le succès des programmes à haute intensité d'emploi de l'OIT a été l'occasion pour ses mandants de nouer un dialogue avec les ministères de l'Economie ainsi que les institutions financières internationales. A mesure que s'institutionnalisaient davantage les méthodes à coefficient élevé de main-d'œuvre, l'OIT a cherché à accroître la participation de ses mandants (voir encadré 6). L'une des composantes essentielles des conseils de politique générale fournis aux pays qui adoptent ces approches est la création, au sein des ministères responsables des décisions d'investissement, d'unités chargées de promouvoir une politique basée sur l'utilisation de la main-d'œuvre, unités dont les comités directeurs comprennent des représentants des travailleurs et des employeurs. Une unité de ce genre, la LAPPCOM (Commission de promotion de la politique fondée sur l'utilisation de la main-d'œuvre), a été créée en Ouganda en 1997. Son comité directeur comprend des représentants du ministère du Travail et des partenaires sociaux. Il est envisagé de créer des unités du même genre en Guinée, à Madagascar, au Sénégal et au Togo.

30. Grâce à une unité de ce genre, les ministères du Travail, en liaison avec les organisations d'employeurs et de travailleurs, sont bien placés pour aboutir à des résultats concrets dans les domaines de l'emploi et de la politique de la main-d'œuvre; pour évaluer dans quelle mesure il leur est possible de mettre en application les règles et réglementations du travail; pour protéger le droit syndical; pour aider au développement de la documentation applicable aux marchés publics; et dispenser aux petits entrepreneurs et aux travailleurs une formation dans les disciplines liées à la législation du travail et aux conditions de travail. Un bon exemple de ce type de dialogue est celui de la Namibie, où l'implication du ministère du Travail dès le stade des programmes pilotes a permis aux inspecteurs du travail d'être directement impliqués dans le programme de formation de petits entrepreneurs sur le terrain. Un autre exemple est celui de la Sierra Leone, où les représentants du ministère du Travail, de la Fédération des employeurs et du Congrès du travail de la Sierra Leone ont participé à des cours de formation destinés à leur expliquer les normes du travail pertinentes. Ils ont également contribué dans une large mesure à l'élaboration d'un code de conduite sur les questions du travail qui a été compris par tous les organismes et praticiens concernés.

 

Encadré 6

Collaboration avec les organisations d'employeurs
et de travailleurs

La collaboration avec les organisations d'employeurs et de travailleurs à propos des programmes et des projets à haute intensité d'emploi a porté sur un certain nombre de questions de politique générale. La protection des droits des travailleurs a été au centre des débats d'une réunion régionale tripartite (Kampala, Ouganda, octobre 1997) consacrée à l'examen d'un guide intitulé Employment-intensive infrastructure programmes: Labour policies and practices(10). La réunion a reconnu le statut temporaire et occasionnel de bien des travailleurs employés dans ces programmes. Elle a évoqué la nécessité aussi bien pour les organisations professionnelles que communautaires de ce secteur de servir leurs objectifs distincts mais complémentaires.

La Confédération des syndicats d'Afrique du Sud a demandé l'aide de l'OIT sur la question de la politique de rémunération des travailleurs du secteur informel recrutés dans le cadre du Programme national de travaux publics. Les contacts noués avec la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et avec la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (FITBB) ont abouti à la création d'un partenariat pour l'élaboration et la diffusion de ces principes directeurs sur les politiques et les pratiques du travail et en faveur de l'introduction de clauses du travail dans les marchés publics, conformément à la convention (no 94) sur les clauses de travail (contrats publics), 1949. Par ailleurs, la FITBB a sollicité les conseils techniques du BIT dans ce domaine lors de plusieurs réunions récentes qu'elle a organisées sur le secteur informel, telles que l'Atelier panafricain sur le secteur non structuré qui a eu lieu à Harare en août 1997 et la Commission de la FITBB sur la construction organisée au BIT en mai dernier.

 

31. Pour ce qui est des organisations d'employeurs et de travailleurs, indépendamment de leur implication dans le dialogue social au niveau national, l'approche de l'OIT à l'égard des travaux à haute intensité de main-d'œuvre offre d'autres opportunités. La plus importante est sans doute la possibilité donnée aux organisations représentatives d'atteindre des secteurs non syndicalisés. Cette possibilité est renforcée par l'inclusion de clauses reconnaissant le droit syndical dans les arrangements contractuels. Les employeurs ont saisi cette opportunité par la création d'associations représentant les petits entrepreneurs dans plusieurs pays (voir encadré 7). Ces associations donnent à ces petits entrepreneurs une meilleure visibilité et un pouvoir de négociation vis-à-vis du gouvernement. Les organisations de travailleurs se montrent elles aussi très intéressées à collaborer avec les programmes d'infrastructure à haute intensité de main-d'œuvre en tant que moyen d'atteindre des travailleurs du secteur informel et de parvenir en un même effort à promouvoir la création d'emplois et les droits des travailleurs.

Les approches communautaires

32. A plus long terme, les plus grands bénéficiaires des programmes d'investissement dans des infrastructures locales sont les populations locales elles-mêmes. Néanmoins, la propriété des infrastructures qui sont créées grâce aux programmes de travaux publics et la responsabilité de leur entretien ultérieur demeurent généralement entre les mains de l'administration centrale, régionale ou locale. Sur les chantiers d'intérêt public, la motivation immédiate des travailleurs est le salaire qu'ils perçoivent pour le travail effectué.

 

Encadré 7

Les associations d'entrepreneurs de travaux
à coefficient élevé de main-d'œuvre

Les petits entrepreneurs de travaux à coefficient élevé de main-d'œuvre ont de nombreuses raisons de vouloir constituer des associations représentatives. Tous ont intérêt à mieux assurer leur accès aux marchés publics, tout particulièrement pour:

  • négocier des systèmes de paiement efficaces et en assurer le suivi;
  • s'assurer l'accès à des procédures d'appels d'offres équitables et transparentes;
  • renforcer leur pouvoir de négociation avec les gouvernements et les clients;
  • engager un dialogue social sur les priorités et sur les moyens d'améliorer la protection sociale.

Grâce à l'assistance fournie par les programmes pilotes mis sur pied avec l'aide de l'OIT, plusieurs associations de ce type ont été créées dans différents pays tels que le Ghana, le Lesotho, la République populaire démocratique lao, Madagascar et la Zambie. Les membres de ces associations ont reçu une formation technique et une formation à la gestion portant notamment sur des questions de gestion de la main-d'œuvre telles que le recrutement et les conditions de travail.

Cette formation peut contribuer à améliorer les relations professionnelles et à renforcer la position de ces petites entreprises lorsqu'elles doivent traiter avec les gouvernements. Ces associations peuvent par exemple faire pression sur les gouvernements pour obtenir que leurs membres soient payés dans les délais convenus, ce qui signifie que les salaires pourront également être versés dans les temps. C'est ainsi par exemple que l'Association des entrepreneurs du Ghana a réussi à défendre sa cause auprès du gouvernement, alors qu'individuellement ses membres n'y étaient pas parvenus.

 

33. C'est ce qui les différencie des investissements communautaires qui présentent un intérêt direct pour les bénéficiaires. La principale motivation n'est pas le paiement d'un salaire mais les avantages découlant des infrastructures nouvellement créées. Toutefois, ces projets d'investissement liés aux besoins des demandeurs ne présentent pas uniquement un intérêt local. Ils contribuent également à donner effet aux politiques nationales dans des domaines tels que la sécurité alimentaire, la conservation des sols et de l'eau, la protection de l'environnement et des ressources. Il est donc pleinement justifié que l'Etat en partage le coût. Dans un effort pour atteindre et aider plus efficacement le secteur informel urbain et rural, une plus grande attention a été portée récemment à l'exécution communautaire des projets d'infrastructure locale. C'est le cas par exemple du projet communautaire de sylviculture réalisé dans le district de Kita au Mali, du projet de développement du réseau d'irrigation de Dhaulagiri au Népal (voir encadré 8), du projet Hannah Nassif d'amélioration du réseau de routes et de canalisations dans une zone d'occupation sauvage à Dar es-Salaam et des programmes pilotes réalisés à l'intention de tribus et de groupes marginalisés des Etats du Bengale-Oriental et du Tamil Nadu en Inde. L'aspect le plus caractéristique de cette approche est à long terme la création d'organisations chargées de représenter le secteur rural et le secteur informel de régions, qui jusqu'à présent n'avaient jamais pu se faire entendre.

 

Encadré 8

Des systèmes d'irrigation villageois communautaires

Un bon exemple d'un projet d'irrigation communautaire est celui qui dessert aujourd'hui 350 familles du village de Dhairing au Népal. Ce projet d'irrigation, achevé en juillet 1997, est décrit dans une récente évaluation thématique en profondeur du programme à haute intensité d'emploi(11). Il a consisté à amener l'eau d'une rivière en creusant un canal dans un pan de rocher. Les paysans entretiennent cette infrastructure et versent une petite somme d'argent à un comité de l'eau. Les travaux ont été effectués à l'aide de matériaux disponibles localement, ce qui permet aux paysans de réparer les canalisations eux-mêmes sans avoir à importer du ciment qui leur coûterait trop cher. Les canalisations ont été construites par un système de paiement à la tâche, et dans certains cas par des petits entrepreneurs locaux choisis par l'association des paysans. Grâce à ce projet, les paysans peuvent faire deux récoltes de riz par an et une de blé. A ce projet est associé un petit système d'épargne-crédit à l'intention des femmes.

L'évaluateur de ce projet a été frappé par l'enthousiasme manifesté par les paysans, enthousiasme qu'il n'avait jamais rencontré auparavant au cours des visites à plus d'une centaine de microprojets qu'il avait effectués au Népal. Comparant ce projet à d'autres similaires créés à proximité grâce à des prêts d'autres bailleurs de fonds, il a estimé que l'avantage comparatif de l'OIT«résidait autant dans l'organisation et la participation au sens large des communautés que dans la construction du système d'irrigation proprement dit».

 

34. L'OIT a mis au point une approche contractuelle de la mise en œuvre des travaux d'infrastructure communautaires. Dans le cadre de ces projets, les contrats élaborés pour définir les droits et responsabilités de toutes les parties en présence se sont révélés plus efficaces que tout autre système conventionnel de salaire ou que les systèmes d'autoassistance prévoyant l'apport gratuit de main-d'œuvre. Il est important que les modalités d'exécution des projets et les systèmes de rémunération dans les projets communautaires soient conçus de façon à encourager les communautés intéressées à assumer une responsabilité clairement définie dans le fonctionnement, la réparation et l'entretien de ces projets.

35. En revanche, les systèmes d'autoassistance dans le cadre desquels la main-d'œuvre travaille gratuitement peuvent donner lieu dans certains cas à des abus tels que la mobilisation obligatoire de la main-d'œuvre par les pouvoirs publics. Les conventions nos 29 et 105 de l'OIT interdisent l'utilisation du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes, notamment «comme une méthode établie pour mobiliser et utiliser de la main-d'œuvre à des fins de développement économique». Des contrats communautaires librement négociés peuvent dans de tels cas être le moyen pour l'OIT de jouer un rôle constructif dans sa lutte contre ces formes de travail forcé.

36. Les systèmes de participation communautaire aux programmes d'investissement les plus courants sont notamment:

37. Les organisations communautaires ainsi créées ont montré qu'elles pouvaient s'adapter à d'autres activités collectives, telles que le microcrédit, la commercialisation des produits, l'acquisition des intrants, les négociations collectives sur d'autres questions ainsi que la création de mutuelles pour la protection sociale des travailleurs ruraux du secteur informel. C'est ainsi que des organisations communautaires créées à Dar es-Salaam, en Tanzanie, ont constitué le cadre nécessaire pour la création de caisses mutuelles pour la protection de la santé de travailleurs du secteur informel. Ce type d'associations représente manifestement un énorme potentiel pour l'amélioration des conditions de travail et de vie et l'organisation de ces groupes très vulnérables de la population.

III. Comment tirer tout le parti possible
des approches communautaires

38. L'avantage comparatif que détient l'OIT en ce qui concerne les programmes à haute intensité de main-d'œuvre est le fait que son approche lie la promotion de l'emploi, l'atténuation de la pauvreté et le développement du secteur privé, d'une part, au progrès social et à l'amélioration des processus démocratiques, de l'autre. Elle est par conséquent pleinement dans la ligne de la stratégie adoptée par le Conseil d'administration en novembre 1994 à l'égard du programme de coopération technique de l'OIT(12). L'expérience de la mise en œuvre de cette approche a montré qu'elle a le potentiel:

39. L'assistance apportée par l'OIT à ses mandants pour la mise en œuvre de méthodes fondées sur l'utilisation de la main-d'œuvre n'a pas été statique mais a évolué en fonction du changement des contextes politiques. Les changements d'orientation les plus marquants récemment intervenus à cet égard, tels qu'ils ont été approuvés par l'évaluation indépendante dont il a déjà été fait mention ci-dessus(13), sont notamment:

40. Ce changement d'optique va exiger que l'accent soit mis dans un proche avenir sur les domaines suivants:

41. Une grande leçon qui a été tirée à cet égard est que l'on obtient rarement de résultat sur ces divers points en limitant les discussions aux seuls principes sociaux. On y parvient beaucoup mieux en revanche lorsque la crédibilité technique des approches à coefficient élevé de main-d'œuvre est d'abord établie. Ceci implique la nécessité pour l'OIT d'intervenir aussi bien au stade du projet pilote qu'à celui des investissements publics de grande envergure. En d'autres termes, l'OIT ne doit pas se contenter de plaider en faveur des stratégies de création d'emplois mais elle doit également vouloir et pouvoir démontrer comment ces stratégies peuvent être mises en pratique. Ces démonstrations prennent généralement la forme de programmes de coopération technique dans le cadre desquels l'OIT aide les gouvernements à développer leur capacité d'action et qui leur permettent également d'inciter les bailleurs de fonds et les agences internationales de financement à appliquer plus largement les approches à coefficient élevé de main-d'œuvre dans leurs propres programmes d'investissement. L'expérience a également montré que les décisions portant sur les choix technologiques, la participation du secteur privé, les systèmes et procédures opérationnels, les conditions de travail et les pratiques de gestion de la main-d'œuvre sont prises la plupart du temps explicitement ou implicitement au stade de la conception du projet. Il faut donc que l'assistance technique de l'OIT soit intégrée dans les plans d'investissement à un stade très précoce, c'est-à-dire pendant les discussions de politique générale en amont.

42. L'appui qu'apporte l'OIT aux programmes à haute intensité de main-d'œuvre est un bon moyen d'engager avec les partenaires sociaux des discussions d'ordre plus général sur la politique sociale. Les effets tangibles et immédiats que ces programmes produisent sur l'emploi et sur les infrastructures de base constituent un préalable tout trouvé à l'introduction d'autres objectifs stratégiques dans les phases ultérieures des projets. Toutefois, cette approche pose un sérieux problème de temps. Pour réaliser une série complète d'objectifs de ce type, qui soient à la fois durables et reproductibles sur une plus vaste échelle, il est nécessaire que l'OIT soit associée de façon durable aux programmes de développement nationaux du pays.

43. La mise en œuvre de ces programmes doit donc prévoir toute une série d'instruments complémentaires allant des services de recherche et de conseil sur les politiques sectorielles d'investissement jusqu'à des projets de démonstration et de formation pour le personnel des administrations, les petits entrepreneurs privés et la main-d'œuvre. La promotion, étape par étape, des normes du travail pertinentes fait également partie de l'appui à fournir pour l'institutionnalisation des programmes à haute intensité d'emploi. Si l'on veut obtenir un effet plus large dans ce domaine et répondre aux requêtes formulées dans les déclarations d'objectifs par pays ainsi que par les pays victimes de conflits armés et de crises économiques, telles que la crise qui frappe actuellement l'Asie, il est nécessaire de développer et coordonner des approches pragmatiques avec les départements techniques concernés du BIT ainsi que les spécialistes des équipes multidisciplinaires, notamment dans les domaines de la politique de l'emploi et des activités des employeurs et des travailleurs.

44. Conformément à la stratégie de mobilisation des ressources approuvée par le Conseil d'administration en novembre 1997(14), une collaboration renforcée de l'OIT avec les agences de développement et de coopération technique, à savoir actuellement le PNUD, l'UNCDF, la Banque mondiale, l'Union européenne, le DANIDA, la NORAD, le SIDA, le SDC, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique et l'Italie, serait de nature à élargir la portée, l'application et l'effet des politiques et des programmes d'investissement à haute intensité d'emploi. Cela, à son tour, permettrait de donner une base plus solide à une collaboration renforcée dans ce domaine avec les organisations internationales et régionales d'employeurs et de travailleurs. En joignant ainsi ses forces à celles de ses partenaires, l'OIT serait en mesure de jouer un plus grand rôle dans l'action de soutien aux efforts déployés dans les Etats Membres en faveur de la croissance intensive en emploi considérée comme un moyen de parvenir à abaisser durablement les niveaux de la pauvreté.

L'orientation des programmes

45. Le défi de la création d'emplois auquel doivent faire face les mandants de l'OIT est plus actuel que jamais. La crise asiatique récente montre la fragilité de ce que l'on avait salué comme un miracle économique dans plusieurs pays de l'Est et du Sud-Est asiatique, pays qui, en l'espace de quelques mois, sont passés d'une situation de pénurie de main-d'œuvre à des niveaux de chômage sans précédent. Avec ou sans crise de ce genre, les niveaux de chômage structurel que connaissent les économies à tous les niveaux de développement, mais en particulier en développement, sont tels qu'il est probable que la demande des services consultatifs techniques du BIT dans le domaine des programmes à haute intensité de main-d'œuvre ne va cesser de croître lorsque nous franchirons le seuil du XXIe siècle. En bref, la question de la création d'emplois prend actuellement une plus grande urgence étant donné:

46. Dans de telles situations, la demande des services consultatifs techniques du BIT en matière de programmes à haute intensité de main-d'œuvre ne peut qu'augmenter à mesure que le monde entrera dans le XXIe siècle. Le Bureau devrait donc se préparer à faire face à cette demande croissante en renforçant ce programme et en lui donnant une nouvelle orientation. Tout en renforçant les capacités dont il dispose dans ce domaine au siège, il serait également nécessaire de créer un solide réseau d'expertise spécialisée dans les régions. Si cette capacité technique est essentielle pour répondre rapidement et avec efficacité aux demandes des Etats Membres, aussi bien dans des situations de crise que pour faire face au défi toujours plus urgent que représente la persistance du chômage et du sous-emploi, elle est plus indispensable encore si l'on veut assurer la crédibilité de ces services vis-à-vis des bailleurs de fonds bilatéraux et des agences internationales de financement.

47. Grâce à la haute qualité de son travail technique et à l'expérience qu'elle a accumulée au cours de ces vingt dernières années, l'OIT est parvenue à s'assurer une crédibilité internationale et à voir son autorité reconnue dans ce domaine. Pour faire face à une demande croissante, elle a déjà pris certaines mesures pour renforcer ses capacités. Elle a pris notamment l'initiative de créer, aux niveaux régional et sous-régional, grâce à un financement extrabudgétaire, une série de programmes d'appui consultatif technique connus sous le sigle de ASIST(15). Un programme est actuellement en cours qui remporte un grand succès dans les pays d'Afrique anglophone, et d'autres programmes pour l'exécution desquels un financement extrabudgétaire est demandé d'urgence sont soit en cours de démarrage, soit dans leur phase de planification en Asie, en Afrique francophone et en Amérique latine. Néanmoins, ces efforts ne pourront être véritablement efficaces et productifs que s'il existe au sein du Bureau un noyau solide à partir duquel ils puissent être développés.

48. Pour conclure, confrontée à la persistance opiniâtre du chômage, du sous-emploi et de la pauvreté, l'OIT se doit de renforcer ses moyens de réagir à ces problèmes pour fournir les avis et l'appui technique nécessaires dans ces domaines. Le développement des infrastructures à haute intensité d'emploi est un domaine dans lequel il est désormais prouvé qu'il existe des perspectives de création d'emplois durables et où elle a démontré qu'elle détient un avantage comparatif certain. Des efforts doivent donc être faits pour développer cet avantage et permettre ainsi à l'OIT de relever le défi de la création d'emplois.

Genève, le 15 octobre 1998.


1. Les estimations concernant la pauvreté diffèrent selon la définition utilisée. Selon l'estimation de la Banque mondiale qui fixe le seuil de la pauvreté à un dollar par jour, ce sont près de 1,3 milliard de personnes qui vivent aujourd'hui dans la pauvreté. Toutefois, de telles estimations n'ont de sens qu'au niveau national.

2. Hopkins, M.: An independent thematic evaluation: ILO's Employment Intensive Programme, BIT, Genève (à paraître).

3. Banque mondiale: World development report on infrastructure for development, Washington, DC, 1994, p. 1.

4. Ibid., p. 14.

5. Gaude et Watzlawich: «Création d'emplois et lutte contre la pauvreté par des travaux publics à haute intensité de main-d'œuvre dans les PMA», Revue internationale du Travail, vol. 131, no 1, 1992, p. 7.

6. BIT: The Social Impact of the Asian Financial Crisis, Bureau régional pour l'Asie et le Pacifique, Bangkok, avril 1998, p. 59 (Internet - http://www.ilo.org/public/english/ 60empfor/cdart/bangkok/index.htm). Pour le rapport de cette réunion, voir le document GB.272/4 (Internet - http://www.ilo.org/public/ french/20gb/docs/gb272/ gb-4.htm).

7. L'acronyme ASIST se réfère à toute une série de programmes désignés selon les termes anglais «Advisory Support, Information Services and Training for Labour-Based Programmes» que l'OIT s'efforce de mettre en œuvre aux niveaux régional et sous-régional en vue de répondre rapidement et avec efficacité aux demandes de conseils de politique générale et d'appui technique qui lui sont adressées par les Etats Membres de cette région.

8. Voir Hopkins, op. cit., et Gaude, Guichaoua, Martens et Miller: «Développement rural et l'investissement travail: études d'impact dans quelques programmes pilotes», Revue internationale du Travail. vol. 126, no 4, 1987. Ce chiffre est obtenu en divisant les coûts de l'investissement total des programmes d'infrastructure fondés sur l'utilisation de la main-d'œuvre, qui ont été mis en œuvre avec l'appui de l'OIT, par le nombre de journées de travail créées en partant d'une base de 200 journées de travail par an.

9. Par exemple, dans le cadre de certains programmes à coefficient élevé de main-d'œuvre exécutés au Népal, en Zambie et au Zimbabwe, ainsi que dans certains programmes de travaux publics en général en Afrique du Sud, des spécifications relatives à l'emploi et aux conditions de travail ont été insérées dans les contrats de façon à:

10. Tajgman, D. et de Veen, J.: Employment-intensive infrastructure programmes: Labour policies and practices, BIT, 1998.

11. Hopkins, op. cit.

12. Document GB.261/TC/2/5.

13. Hopkins, op. cit.

14. Document GB.270/TC/2.

15. Voir note 7.


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 16 février 2000.