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Allocution de M. Somavia Directeur général du BIT Prononcée lors de la séance inaugurale
de la conférence ayant pour thème
"Le combat contre le travail : Nouer des alliances
pour agir contre le travail dangereux" (La Haye, 25 février 2002)

Je vous remercie, Mme Roldan-Confesor.

Il m'est infiniment agréable d'être parmi vous aujourd'hui et je sais gré à votre ministre des affaires sociales, M. Vermeend, et à ses collègues, de leur invitation.

Mme Herfkens, ministre de la coopération pour le développement, ainsi que le ministre des affaires étrangères, sont eux aussi depuis longtemps acquis à la cause de l'OIT, ce qui me permet de dire que je me sens véritablement entouré de connaissances. J'ajouterai, particulièrement en ce qui concerne M. Albracht, que notre participation conjointe à cette manifestation est une grande satisfaction.

Paradoxalement, je serais encore plus heureux si cette réunion avait une autre raison que celle qu'elle a, c'est à dire si le travail des enfants, sous quelque forme que ce soit, était une chose du passé. Au contraire, tandis que je prononce ces mots, des millions d'enfants de part le monde risquent leur vie ou exposent leur santé à des situations de travail dangereuses. C'est à cause de cela que nous sommes réunis aujourd'hui.

Je tiens en premier lieu à rendre hommage au gouvernement néerlandais pour la constance dont il fait preuve dans son soutien à cette cause et dans le concours qu'il apporte à l'OIT sur ce plan. Le premier projet que nous ayons mis en oeuvre dans ce domaine, aux Philippines voici quinze ans, l'a été avec votre soutien. Il s'agissait de venir en aide à des enfants vivant de récupération d'ordures ménagères, dans une décharge de Manille au nom évocateur de Smokey Mountain. Cette initiative a permis de mieux comprendre quel était le lot quotidien de ces enfants, en appréhendant la situation telle qu'eux-mêmes la vivaient, et elle a été le révélateur du rôle que les différents partenaires pouvaient jouer.

En 1997, les Pays-Bas ont organisé une conférence internationale d'importance majeure, qui a permis d'explorer dans un cadre tripartite les contours de ce qui devait bientôt devenir la convention de l'OIT n° 182 sur les pires formes de travail des enfants, puisque cet instrument fut adopté à l'unanimité par la Conférence internationale du travail en juin 1999.

Ces dernières années, votre gouvernement a largement contribué au soutien des programmes de coopération technique de l'OIT concernant le travail des enfants. Et votre engagement trouve encore aujourd'hui son expression à travers cette conférence sur les formes les plus dangereuses du travail des enfants.

Vous savez montrer la voie au moment déterminant, vous savez relever le défi lorsqu'il se présente. Votre attachement à donner l'exemple en matière de solidarité transparaît constamment à travers les quelque cinquante années de coopération que votre pays a su mettre au service du développement et dont vous avez su, madame le ministre, perpétuer et renforcer la tradition tout au long de votre mandat.

Sûr de traduire le sentiment de tous, j'adresse au gouvernement l'expression ma plus chaleureuse reconnaissance pour l'organisation de cette conférence.

Ce que nous avons devant les yeux, c'est aussi un modèle de ce qui doit être fait pour nouer des alliances en vue de combattre le travail des enfants. L'engagement de l'Association internationale de l'inspection du travail dans ce combat est incarné par la manifestation organisée parallèlement à celle-ci, et je félicite M. Albracht de cette initiative. La synergie entre l'une et l'autre démontre quelle approche il faudra suivre pour faire disparaître les pires formes de travail des enfants. En jetant ainsi un pont avec l'inspection du travail, on met à contribution dans ce combat des compétences spécifiques et l'on signale simultanément la part que peuvent y prendre les inspecteurs du travail. Je tiens à saluer la contribution que chacun apporte ici à la défense des normes du travail, souvent avec des moyens trop limités, dans des circonstances difficiles et sans trop d'espoir.

Le travail dangereux a des visages angoissants, douloureux. Ce sont justement les visages de ces petits êtres au corps littéralement diminué par ce qu'ils font. Ce fléau est en soi un défi au développement. Nous le savons tous. C'est aussi un défi à nos consciences. Considérant que les adultes eux-mêmes ont besoin de protection par rapport aux travaux dangereux, c'est dire s'il est bien plus impératif de protéger les enfants dans cette situation. Pour eux, nous devons faire plus.

En fait les enfants peuvent être mis au travail prématurément pour des raisons diverses, la plus courante étant la pauvreté, mais il y a aussi la tradition, l'absence de moyens de scolarisation et, naturellement, le manque de travail pour les parents. Et le Nord, c'est à dire le monde développé, n'est pas à l'abri de ces formes les plus graves de travail des enfants. On y trouve en effet des enfants enlevés à leur pays d'origine et souvent victimes d'une exploitation sexuelle organisée par des circuits de prostitution et de pornographie.

Depuis des années on dit que cela ne devrait plus exister. C'est justement cet état des choses que les conventions n°138 et 182 ont vocation à faire disparaître. Malgré tout, une loi dans un code, une signature au bas d'un traité et même une ratification par un parlement sont peu de chose lorsqu'elles restent sans effets. Et les effets en question sont bien lents à venir, lorsqu'ils se produisent. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, d'ailleurs, cette conférence est bien venue. Il s'agit aujourd'hui de voir comment on peut aller de l'avant dans un domaine déterminant, celui de l'inspection du travail. Il s'agit aujourd'hui de faire le point en comparant nos expériences respectives, ainsi que les difficultés, et les obstacles, mais aussi les réussites que nous avons eues. Le savoir permet de prendre les bons tournants. En repartant d'ici, chacun rapportera chez lui les enseignements provenant de l'expérience des autres.

Le changement qui s'annonce est un changement qualitatif. C'est une disposition d'esprit nouvelle contre le travail des enfants, d'une manière générale et, d'abord et avant tout, contre les pires formes de ce travail.

Comment en sommes nous venus là ? En fait, pour l'OIT, c'est depuis sa création, en 1919, que le travail des enfants est un sujet de préoccupation. Cette démarche n'est donc pas récente. La question est au contraire la matière de l'une de nos plus anciennes conventions : la convention sur l'âge minimum. Pourtant, en 1995, alors que la convention sur les pires formes de travail des enfants n'existait pas encore, 45 pays seulement avaient ratifié cet instrument. Voilà où nous en étions il y a seulement six ans.

Le Sommet social a été un véritable réveil des consciences. A ce moment là, il est apparu que le noyau des normes internationales du travail était constitué d'un groupe de sept conventions, touchant aux domaines suivants : le travail des enfants, le travail forcé, la discrimination dans l'emploi et la profession, la liberté syndicale, le droit de négociation collective. Ces domaines ont été reconnus comme constituant le fondement social de l'économie mondiale. A Copenhague, la communauté internationale dans son ensemble s'est accordée sur ce point et cela a marqué une véritable avancée.

Mais il s'est passé autre chose de non moins important à Copenhague. Un lien a été établi entre ces conventions fondamentales et le recul de la pauvreté, entre la création d'emplois et la cohésion sociale. Il ne s'agissait pas simplement d'identifier les conventions fondamentales. Il était impératif qu'une vision équilibrée se dégage. Et cette recherche d'un équilibre a été, je le crois, la raison pour laquelle les chefs d'Etat et de gouvernement de non moins de 120 pays, du Nord comme du Sud, ont donné un appui si net. C'était un engagement politique majeur, auxquels pays développés et pays en développement ont souscrit unanimement et sans aucune arrière-pensée.

Au sein de l'OIT d'autres progrès ont été accomplis, avec la Déclaration relative aux principes et aux droits fondamentaux au travail. Avec l'adoption de cet instrument, les Etats Membres se sont engagés à défendre et faire respecter les principes qui s'attachent aux droits fondamentaux même lorsqu'ils n'ont pas ratifié les conventions correspondantes. Simultanément, le Bureau s'oblige à aider les pays, à travers des activités pratiques, à ratifier les conventions fondamentales et à les mettre en oeuvre. C'est donc un instrument promotionnel, qui repose autant sur la coopération internationale que sur le sentiment, pour chaque pays, d'être véritablement partie prenante dans l'évolution des choses.

Dès lors, l'organisation a intégré dans son programme d'activités en faveur d'un travail décent sa politique normative et ses principes et droits fondamentaux au travail. Elle y a également inclus plusieurs autres éléments qui en constituent les piliers : la promotion de l'emploi, notamment à travers le développement des entreprises, la protection sociale et le dialogue social. Et dans chacun de ces domaines sa démarche tient compte des problèmes d'inégalité entre hommes et femmes. Ce programme d'activités vise aussi bien les pays développés que les pays en développement. De même que le Sommet social avait abouti à faire des normes fondamentales un tout, nous-mêmes traitons les divers aspects du travail décent comme formant un tout car ils sont tous étroitement imbriqués et c'est leur intégration qui confère leur force à leur traduction dans les faits.

C'est principalement par l'emploi que les individus peuvent s'extraire de la misère. Or, il existe aujourd'hui plusieurs approches de l'emploi. La spécificité de l'OIT est de faire de l'emploi un objectif en soi, et non la résultante éventuelle d'autres choix. Ainsi, par exemple, l'OIT oeuvre en faveur d'un investissement à forte intensité d'emploi qui soit en même temps efficient sur le plan économique. Nous sommes convaincus qu'il est non moins important de promouvoir une politique axée sur la création d'emplois productifs et le développement de l'entreprise que de promouvoir une politique macro-économique saine.

Le programme d'action de l'OIT se conçoit comme un pont entre croissance économique et travail décent. C'est dans ce cadre que s'inscrit notre action concernant le travail des enfants.

Notre programme d'action a des échos un peu partout - récemment à Porto Alegre et lors du Forum économique mondial qui s'est tenu à Davos. En ma qualité de Directeur général du BIT, j'ai été appelé à m'exprimer à ce sujet devant l'une et l'autre instances puisque l'une et l'autre l'attendaient et j'ai pu mesurer le potentiel que ce programme présente si l'on veut jeter un pont entre ces deux visions du monde qu'incarnaient Porto Alegre et " Davos ". Et ce n'est pas si paradoxal, lorsqu'on y réfléchit, puisqu'une partie de nos mandants - le monde syndical - organisait Porto Alegre, tandis que l'autre - celui des employeurs - organisait "Davos". Force est de convenir en effet que les composantes du programme d'action de l'OIT concernent aussi bien les uns que les autres.

L'OIT est aujourd'hui une tribune où l'on parle de ce que sera la mondialisation et cela, parce que l'OIT est crédible lorsqu'elle parle de développement des entreprises et, dans le même temps, d'entreprises où il n'y a pas d'enfants au travail et où l'on respecte les principes et les droits fondamentaux, en bref, d'entreprises, grandes ou petites, où le travail est un travail décent.

Tandis que nous nous employons à cela, notre action apporte aux gens une réponse à leurs préoccupations premières concernant la stabilité et la sécurité de l'existence de leur famille. Nous proposons une réponse aux préoccupations des gens qui, en foules, protestent contre les formes que la mondialisation revêt pour l'heure.

En matière de travail des enfants, nous commençons aussi à entrevoir les fruits de nos efforts, si l'on se réfère au nombre de ratifications enregistrées pour les conventions touchant à ce domaine. Ainsi, la convention sur les pires formes de travail des enfants en a recueilli 116, ce qui est assez remarquable après seulement deux ans et demi, surtout si l'on veut bien tenir compte de la complexité de la procédure dans un certain nombre de pays. Non moins remarquable est l'accélération du rythme en ce qui concerne la convention n°138, puisque le nombre des ratifications enregistrées s'élève là aussi à 116, alors qu'il n'était que de 45 il y a six ans.

Ce constat me conduit à rendre un hommage particulier à la contribution apportée à ce titre par Assefa Bequele, ici présent, pour son rôle déterminant dans l'action pionnière de l'OIT contre le travail des enfants, de même qu'à Frans Röselaers, qui assure actuellement la direction de notre programme sur le travail des enfants, et enfin à son équipe.

Il y a un tel engagement dans ce mouvement contre le travail des enfants. Si, en la matière, les lois représentent incontestablement un pas en avant, l'engagement personnel est vraiment ce qui fait la différence. D'ailleurs c'est essentiellement pour cela que vous êtes ici. Vous croyez en votre mission.

Je pense que nous avons aujourd'hui devant nous les marques non équivoques d'une forte volonté politique d'aller de l'avant rapidement. Je crois que les pays sont prêts à souscrire à une approche qui ne se borne pas à accuser mais cherche à prendre appui sur plusieurs éléments et les aide à progresser.

Mais en même temps, nous avançons en terrain inexploré, surtout lorsque nous parlons de travail dangereux accompli par des enfants. Cette conférence peut faire beaucoup pour nous éclairer sur ce phénomène. Beaucoup de pays commencent à faire ce que la convention n°182 prescrit. Cette conférence leur apportera énormément, à eux comme aux autres, pour relever le défi.

L'action contre le travail des enfants et pour un développement reposant sur des fondements rationnels passe nécessairement par une démarche globale. Tant que la pauvreté poussera les familles à envoyer leurs enfants travailler, la génération suivante se retrouvera condamnée à la même situation. La relation de causalité entre travail des enfants et pauvreté est complexe, et il faudrait pouvoir bien mieux la comprendre. Néanmoins, nous savons que la pauvreté ne saurait être invoquée pour excuser les innombrables façons dont des adultes exploitent pour leur avantage personnel la vulnérabilité et l'innocence. Là où un enfant est au travail, un adulte en tire profit. La situation est tragique pour ses parents mais non pour celui qui en tire avantage. Ne l'oublions pas.

Les faits prouvent jusqu'à présent qu'en luttant contre le travail des enfants nous contribuons aussi aux progrès de l'économie et plus durablement au bien-être de tous, hommes et femmes.

Lutter contre la pauvreté veut dire que les décisions doivent désormais aller plus loin qu'elles ne l'ont fait jusqu'à présent. Elles doivent notamment atteindre l'économie informelle, secteur qui, dans certains pays, emploie jusqu'à 90 pour cent de la main d'oeuvre, laquelle inclut, naturellement, beaucoup d'enfants.

Par sa nature même, l'économie informelle est un domaine difficile à connaître, où les catégories sont difficiles à étiqueter. Mais l'OIT considère que les droits au travail sont universels et que l'objectif du travail décent englobe l'économie informelle dans son champ. Nous aborderons cet aspect lors de la Conférence internationale du travail, en juin.

Nous menons effectivement des études sur l'économie informelle. Nous cherchons également à comprendre comment les opérateurs de l'économie informelle peuvent s'organiser et faire entendre leur voix, comment ils peuvent parvenir à bénéficier des diverses formes de protection sociale, comment, enfin, les principes les plus élémentaires de la sécurité et de l'hygiène du travail pourraient être respecter même dans les situations les plus rudimentaires.

Naturellement notre champ d'action englobe le travail des enfants dans le secteur informel. Et c'est sans doute là que la tâche est la plus ardue. S'agissant du travail des enfants dans l'économie informelle nous faisons oeuvre pionnière, notamment avec la mise en oeuvre au Bangladesh d'un projet bénéficiant du soutien financier des Pays Bas. Les inspecteurs du travail présents parmi vous savent parfaitement à quel point il peut être compliqué d'exercer les prérogatives de l'inspection du travail dans le secteur informel.

Qu'il me soit permis de faire observer enfin que l'environnement politique propice à une action efficace contre le travail des enfants ne s'arrête pas vraiment aux frontières entre les pays. Nous devons en fait nous demander si les règles qui s'appliquent aujourd'hui au niveau international jouent véritablement en faveur ou au contraire contre les efforts que nous déployons pour lutter contre les diverses formes de travail des enfants. Si les différentes initiatives jouent les unes contre les autres, les meilleures intentions du monde ne nous mèneront pas très loin.

Soyons plus précis. Quand il est question de politiques d'ajustements structurels, pourquoi faut-il que ces ajustements s'opèrent sur le dos de ceux qui sont le moins aptes à en supporter les conséquences sur les plans social et professionnel ? Ne vous méprenez pas sur ce que je dis - je suis pleinement convaincu de la nécessité de la stabilité sur le plan macro-économique. Mais serions-nous si dépourvus de créativité et d'imagination que nous ne pourrions imaginer de moyens de concilier objectifs économiques et objectifs sociaux dans un seul et même cadre ? Surtout lorsque cette stabilité macro économique se trouve mise en péril par l'instabilité sociale. Je ne le crois pas. Cela est en notre pouvoir, j'en suis convaincu.

La Banque mondiale vient de faire un pas en avant en intégrant dans sa mission le recul de la pauvreté. Malgré tout, ses Dossiers de stratégie de réduction de la pauvreté comportent toujours une lacune majeure : on n'y parle toujours pas de ce qui est véritablement la clé pour sortir de la pauvreté : l'emploi. Nous avons abordé ce problème avec la Banque mondiale et nous collaborons désormais avec cette institution de telle sorte que nous avons introduit la perspective du travail décent dans cinq projets pilotes nationaux.

La contribution de l'OIT dans la lutte contre le travail des enfants intervient sur des terrains et à des niveaux divers. Ces dix dernières années, nous avons mis en place à cette fin un grand programme de coopération technique, le Programme international pour l'abolition du travail des enfants (IPEC ), qui était à l'origine un programme parrainé financièrement par un seul pays, l'Allemagne, et intéressait six pays, mais qui aujourd'hui porte sur 75 pays de toutes les régions du monde et bénéficie du soutien financier de 28 pays donateurs, principalement les Etats-Unis.

L'UNICEF est également un partenaire important, à quoi s'ajoute certaines institutions émanant de la société civile, comme la Marche mondiale contre le travail des enfants.

Tous les pays représentés ici sont aux côtés de l'OIT dans ce combat. L'OIT a d'ailleurs travaillé avec nombre d'entre eux pour mettre au point de nouvelles approches.

Je voudrais saisir cette occasion pour évoquer ici le concept de la démarche à terme déterminé, qui repose sur deux principes fondamentaux - l'engagement de la part du pays concerné et la viabilité. Selon ce concept, les pays s'engagent à agir contre l'affectation des enfants aux pires formes de travail, à retirer de ces formes d'emploi ceux qui s'y trouvent et procéder à leur réinsertion et à assurer la protection au travail des jeunes légalement en âge de travailler, tout cela devant se faire dans des délais spécifiques, qu'ils ont arrêtés eux-mêmes.

Il s'agit là d'un engagement majeur. Et cette façon de procéder met en relief une question cruciale : le travail des enfants ne disparaîtra pas par le simple effet de quelques projets. Les projets servent à montrer ce qui est possible. Le vrai changement, lui, est celui qui s'opère à travers un engagement national - c'est à dire un engagement de la société tout entière - lorsque les autorités publiques, les employeurs, les travailleurs et les personnalités les plus influentes viennent s'asseoir à la même table et s'attaquent à la question sans arrière-pensée politique. C'est à nous de mettre en oeuvre le processus par lequel toute une société se retrouve soudée par le même mot d'ordre. C'est de cette façon que nous parviendrons un jour à ce stade où le travail des enfants sera à la fois impensable, contraire à la rentabilité et dénué de toute raison d'être.

Pour conclure, permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions sur ce qui doit être notre objectif au cours de la prochaine phase :

  • Rechercher la ratification universelle de la convention n°182 dans les prochaines années, de même que la poursuite de l'expansion du nombre de ratifications de la convention n° 138. Une ratification universelle aurait une valeur symbolique extraordinaire.
  • Inciter les pays à prendre, pour un terme déterminé, l'engagement d'éradiquer les pires formes de travail des enfants et de faire véritablement de ce combat l'affaire de la nation.
  • La solidarité au niveau mondial qui doit s'exercer dans ce domaine devrait se traduire par une plus grande coopération pour le développement et à travers des politiques de financement dans les pays développés qui soutiennent effectivement l'engagement national, conformément à une approche intégrée de l'abolition du travail des enfants. Les Pays-Bas et l'Union européenne sont susceptibles de jouer un rôle prééminent dans ce sens - en s'appuyant sur l'expérience issue du modèle social européen.
  • Les institutions internationales, en particulier la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, doivent intégrer la lutte contre le travail des enfants à titre de composante majeure dans leur système de décision.
  • Nous devons développer et renforcer des réseaux et des partenariats contre le travail des enfants qui, comme la Conférence aujourd'hui, soient susceptibles de faciliter et seconder l'action au niveau national. De nombreuses autres initiatives seraient à promouvoir.
  • Certaines des pires formes de travail auxquelles les enfants peuvent être soumis - esclavage, exploitation sexuelle, activités illégales et enrôlement en cas de conflit armé - revêtent le caractère du crime absolu. Pourquoi ne pas commencer par les déclarer crimes contre l'humanité ? Il est indéniable, en effet, que faire subir ce genre de traitement à des enfants est un crime contre l'humanité. Par conséquent, cette décision serait une manière d'exprimer la solidarité entre les générations.

Nous nous devons d'aider tous les enfants d'aujourd'hui, qui sont les adultes de demain, à tirer pleinement parti de leurs potentialités, c'est à dire à développer pleinement leurs capacités naturelles en allant à l'école, plutôt que d'anéantir ce potentiel par un travail abrutissant.

Nous devons le faire aussi afin qu'ils puissent vivre l'enfance à laquelle ils ont droit.

Ce faisant, nous jetterons les fondements de leur vie d'adulte, nous assurerons qu'ils deviendront plus tard des citoyens à part entière, menant une existence digne et contribuant à l'épanouissement de leur société dans des conditions décentes de travail.

Mise à jour par SMP. Approuvé par CD. Dernier modification: 10 septembre 2002.