La classe moyenne est stable mais de plus en plus vulnérable en France

Une nouvelle étude de l’OIT met en lumière le rétrécissement des classes moyennes en Europe. En France la classe moyenne est stable mais de plus en plus vulnérable. L'ouvrage préconise des politiques ciblées pour mettre fin à l’érosion des classes moyennes. Un certain nombre de facteurs dans le monde du travail notamment les services publics doivent être aussi encouragés.

Actualité | 5 décembre 2016

Evidences en provenance du monde du travail


En Europe, la classe moyenne a diminué de 2,3 % entre 2004 et 2011 et, selon les dernières données disponibles, la chute s’est poursuivie au-delà, indique une nouvelle étude comparative de l’OIT. 

La classe moyenne en France a fait preuve de stabilité pendant cette période, mais connait malgré tout un fléchissement de -0.4%, avec un ralentissement encore plus prononcé depuis la crise, de près de 2% (-1.7% de 2008 à 2011).


Selon le nouveau volume « Europe’s Disappearing Middle Class? Evidence from the World of Work », le déclin est encore plus marqué dans des pays comme l’Allemagne et la Grèce. L’étude est coéditée par l’OIT et Edward Elgar Publishing dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne.

La classe moyenne de base – qui regroupe ceux qui ont un revenu situé entre 80 et 120 % du revenu médian – représente de 23 à 40 % des ménages dans l’Union européenne. En France, ce noyau de la classe moyenne représente 32 %.

La plus forte classe moyenne se trouve toujours au Danemark et en Suède (avec 40 % et 39 % respectivement), tandis que la Lettonie (23 pour cent) et la Lituanie (24 %) sont en bas de tableau.

«Les pays dotés d’une forte classe moyenne se caractérisent par un plus grand nombre d’adultes actifs au sein des ménages et par une augmentation du nombre de ménages à double revenu», explique Daniel Vaughan-Whitehead, économiste principal à l’OIT, qui a rédigé ce volume.

En France, l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail depuis le début des années 80, de 56,4 en 1983 à 66 % en 2012, explique l’essentiel de la croissance de la classe moyenne en France, autour du modèle d’un ménage à double revenu.
De même en Espagne, la croissance rapide de la classe moyenne depuis les années 1980 s’explique principalement par la hausse spectaculaire de la participation des femmes au marché du travail.

« Ce qui signifie aussi qu’un seul revenu ne suffit plus à se maintenir dans la classe moyenne. Dans certains cas, des professions comme celles d’enseignant et de médecin, que l’on associe habituellement à la classe moyenne et qui emploient généralement des femmes, ne font plus partie des catégories à revenu intermédiaire », ajoute M. Vaughan-Whitehead.

Relégués à des revenus plus faibles


L’étude montre aussi que le revenu médian autour duquel nous définissons la classe moyenne a diminué pendant la crise économique et financière, surtout entre 2008 et 2011. Toutefois, l’érosion de la classe moyenne était déjà visible avant la crise dans plusieurs pays, en particulier en Allemagne (-3 pour cent par an) mais aussi au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Grèce, au Royaume-Uni et même au Danemark. Les travailleurs de ces pays ont souvent été relégués dans les catégories à faible revenu.

Les catégories de la classe moyenne ont souffert des répercussions de la crise sur le monde du travail dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, l’Estonie, Chypre et le Portugal. Si la classe moyenne augmentait en Espagne avant la crise, elle s’est contractée depuis le début de la crise. De la même manière, la croissance de la classe moyenne que l’on observait dans les pays d’Europe centrale et orientale a été interrompue par la crise.

Sur la base des causes identifiées, des réponses politiques adaptées doivent être apportées

L’érosion des classes moyennes dans le monde du travail résulte d’un faisceau de facteurs dont l’importance relative varie en fonction des contextes nationaux. Dans certains pays, les bas revenus et la baisse de l’emploi dans le secteur public – qui touchent davantage l’activité des femmes dans ce secteur – ont abouti à un déclin de la classe moyenne. Dans d’autres pays, l’émigration de certaines catégories de travailleurs et de professions a joué un rôle majeur. La moindre qualité des emplois et la croissance des secteurs à bas salaires ont été des facteurs déterminants, tout comme l’affaiblissement progressif des mécanismes de négociation collective. A l’inverse, des relations professionnelles stables – que l’on peut observer aux Pays-Bas, en Suède, en Belgique et en France – ont permis de mieux préserver la classe moyenne dans ces pays.

En France, ceux qui appartiennent à la classe moyenne (surtout ceux situés dans son segment inférieur) sont aux prises avec une augmentation rapide des contrats à durée temporaire, au phénomène du temps partiel involontaire, ce qui diminue leur revenu et les rend plus vulnérables, avec un risque pour leur ménage de glisser encore plus vers le bas, nous indiquent les auteurs de l’étude sur la France, Christine Erhel et Pierre Cortioux du Centre d’Economie de la Sorbonne.

Au plan général, la classe moyenne semble aussi sensible à l’intensification et l’accélération des rythmes du travail, et au phénomène de stress. Elle peut aussi subir les effets indirects de l’affaiblissement de la négociation collective et d’une évolution des prestations sociales davantage ciblées sur les plus vulnérables.

Enfin, alors que le développement de la fonction publique a contribué à la croissance de la classe moyenne depuis la fin des années 1970 (notamment en France), les coupes opérées dans un certain nombre de pays contribuent à présent à son érosion.

L’ouvrage contient des chapitres consacrés à l’Allemagne, aux Etats baltes, à la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède.

 « L’érosion des classes moyennes est préoccupante – surtout parce qu’elle frappe les jeunes plus que tous les autres, creusant ainsi un fossé entre les générations en matière de revenu. L’aggravation des inégalités et l’érosion progressive de la classe moyenne exige par conséquent que l’on adopte des mesures stratégiques afin d’enrayer cette tendance. Cela permettrait non seulement d’améliorer le niveau de vie mais aussi de stimuler une croissance économique durable », conclut Heinz Koller, Sous-Directeur général de l’OIT et Directeur régional pour l’Europe et l’Asie centrale.