Comité de la Liberté Syndicale : Entretien avec le Porte-parole Travailleur, Yves Veyrier

Le conseil d’administration a adopté lors de sa 313ème session, le rapport du comité de la liberté syndicale qui a examiné une quarantaine de cas de violations des droits relatifs à la liberté syndicale et la négociation collective.Explications, avec le porte-parole travailleur de ce comité, M.Yves Veyrier…

Communiqué de presse | Geneva,Switzerland | 31 mars 2012

ACTRAV INFO : Le conseil d’administration a adopté le rapport du comité de la liberté syndicale. Est ce qu’il y a des progrès enregistrés dans ce rapport 2012 dans le cadre de la protection des droits des travailleurs ?

Yves Veyrier : Oui, il y des progrès ! Mais malheureusement la plupart des cas soulèvent des plaintes qui sont d’une gravité plus ou moins importante. On a cette fois ci de nombreux assassinats en Colombie et au Guatemala. Nous suivons déjà un cas très ancien qui est lié à la situation de violence dans ce pays. Il faut noter quand même quelques progrès ; le gouvernement colombien est plus attentif aux demandes du comité pour qu’il y ait des enquêtes, des sanctions et que les auteurs de ces assassinats soient repérés et arrêtés .Ceci pour que le climat d’impunité disparaisse et qu’il y ait une prévention pour ceux qui voudraient atteindre l’intégrité physique des syndicalistes, qu’ils sachent qu’ils seront punis. Donc les progrès sont effacés par ces situations.

Sur d’autres cas, on a des progrès qui sont dus au fait que les gouvernements sont plus attentifs à répondre aux demandes d’informations du comité, sur les plaintes qui sont soulevées par les syndicalistes. Le seul fait qu’un gouvernement se sente dans l’obligation de répondre et apporte des éléments de réponse, est un progrès !Il y a quelques cas où les gouvernements ne répondent pas. C’est le cas au Cambodge, en République démocratique du Congo ; au Guatemala, on a que des réponses partielles. On a aussi des réponses insuffisantes à Djibouti. Ce sont des cas problématiques, parce que les gouvernements ont l’air de ne pas prendre sérieusement en considération l’Organisation internationale du travail (OIT) à travers le comité de la liberté syndicale. Il faut rappeler que ce comité ne traite que des cas relatifs aux conventions 87 et 98 qui relèvent de la liberté syndicale et de la négociation collective. Mais ce sont les deux piliers sans lesquels, il n’y a plus d’OIT ! Parce que ce sont ces deux piliers qui fondent le tripartisme au sens où les syndicats sont là, librement constitués et choisis par les travailleurs, et ont le droit de négocier d’égal à égal avec les employeurs, avec les gouvernements. Donc, quand un gouvernement ne répond pas aux demandes du comité de la liberté syndicale, c’est l’ensemble de l’Organisation qui est mal considérée, insuffisamment prise en considération par ce gouvernement. Il y a des cas où les conclusions du comité ont permit de résoudre des situations, parce qu’un accord a été finalement trouvé au niveau national ; ça veut dire que le rôle du comité, a incité les parties à négocier, à trouver un accord pour résoudre le problème. Nous avons aussi des cas où nous demandons des informations complémentaires et là, la durée de la procédure est très importante. Par exemple lorsqu’il s’agit de licenciement d’un syndicaliste, la question de la rapidité de la procédure est très importante, car une indemnisation du syndicaliste c’est une chose, mais sa réintégration dans le poste est essentielle. Il y a des cas également où on demande aux gouvernements de modifier leurs législations .On a par exemple un cas en Irlande avec la compagnie Ryannair qui, manifestement essaie de contourner la négociation collective avec les syndicats, préférant négocier d’individu à individu avec notamment les pilotes. Donc à l’évidence, la législation irlandaise comporte quelques failles pour empêcher cette attitude de la part de cette compagnie. On a un cas similaire au Canada où la Cour suprême a finalement reconnu le droit pour les travailleurs agricoles à être pris en considération par les employeurs, même si c’est insuffisant. Les législations ne doivent pas uniquement demander aux employeurs d’écouter les syndicats et les travailleurs, elles doivent prévoir l’obligation pour l’employeur d’ouvrir des négociations avec les syndicats.

ACTRAV INFO : D’une manière globale, le comité a examiné combien de cas ?

On avait examiné une quarantaine de cas, au départ. On a quelques cas qui ont été reportés parce que les informations envoyées par certains gouvernements ont été reçues au dernier moment. Donc, on a 38 cas qui ont été examinés dans leur totalité ainsi que les cas qui figurent dans l’introduction du rapport dans lesquels, le comité assure un suivi permanent.

ACTRAV INFO : L’adoption de ce rapport intervient dans un contexte économique difficile avec des mesures d’austérité qui touchent les travailleurs .D’une manière générale, est ce que les crises économiques et financières enregistrées depuis 2008 ont eu des incidences sur les violations des libertés syndicales en particulier dans les pays riches ?

On a vu effectivement quelques plaintes venues de pays comme la Grèce qui traverse actuellement d’énormes difficultés .Dans ce pays, les mesures prises par le FMI, la commission de l’Union européenne face à la crise, conduisent à remettre en cause le système de négociation collective. Des plaintes venant de ce pays ont donc été examinées lors de la session de novembre 2011.Mais sur la session de mars 2012, nous n’avons pas de plaintes qui étaient reliées directement aux impacts de la crise même si, la situation plus tendue en matière économique et sociale conduit à ce que les tensions s’exercent sur la négociation collective. On a des cas fréquents de non respect des dispositions liées aux conventions collectives.

ACTRAV INFO : Au niveau de ce comité, est ce qu’il y a des questions récurrentes qui sont soumises par les organisations des travailleurs ?

Oui. C’est par exemple le refus d’enregistrer un nouveau syndicat ou le temps mis pour enregistrer ce syndicat. Souvent pendant toute la période où le syndicat n’est pas enregistré, certains employeurs profitent pour licencier les initiateurs de la création de ce syndicat. Il y a aussi des cas de discrimination comme des mutations vers un autre secteur d’activité ou d’autres localités. Il y a des cas de menaces, d’arrestations, d’emprisonnements, des enlèvements et très malheureusement des cas d’assassinat. On a des plaintes aussi qui sont liées à l’exercice du droit de grève qui n’existe pas explicitement dans les conventions de l’OIT, mais qui est le produit de la jurisprudence du comité de la liberté syndicale .Il y a des cas où les gouvernements refusent l’exercice du droit de grève dans les services essentiels qui sont impératifs pour assurer la sécurité, la santé des populations. Mais dans ces cas, les travailleurs doivent avoir les moyens d’exprimer leurs revendications. Les gouvernements ont tendance à élargir la liste des services essentiels pour justifier les restrictions ou l’interdiction du droit de grève.

ACTRAV INFO : Parmi ces cas, est- ce qu’il y a un qui vous a particulièrement marqué ?

Je dois dire que les cas qui m’ont le plus marqués sont liés aux emprisonnement et assassinats des syndicalistes. Parfois il y a aussi des cas où la procédure est plus difficile, plus longue avec l’adoption par le comité des conclusions qui invitent des gouvernements à changer leurs législations. C’est plus facile évidemment avec des cas qui concernent une petite entreprise. Mais d’une manière générale, tout cas est important dès le moment où il y a une discrimination, parce qu’une petite discrimination, si elle n’est pas corrigée, peut devenir grave. Donc, au final tous les cas sont importants au niveau du comité.

ACTRAV INFO : La plupart des plaintes enregistrées au niveau du comité sont déposées par des organisations des travailleurs de l’Amérique latine. Selon vous, qu’est –ce qui explique cette disparité régionale ?

Peut être que dans certains pays malheureusement, le mouvement syndical n’est pas suffisamment informé, formé aux procédures de contrôle de respect des principes de la liberté syndicale. C’est le cas souvent dans certains pays plus pauvres où les syndicats n’ont pas les capacités suffisantes. Parfois, il y a des pressions importantes de la part des gouvernements qui font que les syndicalistes craignent de recourir à des procédures internationales. Les gouvernements d’Amérique latine se plaignent du très grand nombre de cas qui viennent de leurs pays, mais c’est peut être aussi la rançon d’un certain succès dans la mesure où ces pays, sont dans une transition économique et sociale avec un degré de démocratie relativement important aujourd’hui. Mais ces pays sont en transition et plus il y aura des progressions, plus on espère qu’il y aura moins de cas qui seront soumis au comité de la liberté syndicale.

ACTRAV INFO : Enfin, depuis sa création il y a une cinquantaine d’années, ce comité a examiné plus de 2300 cas. Selon vous, quelles sont les mesures à préconiser pour appliquer les décisions et recommandations du comité ?

Il faut d’abord connaître les décisions et recommandations de ce comité. Il faut connaître son existence, la procédure de ce comité. Ensuite, il faut être attentif au fait que lorsqu’on peut résoudre un cas au niveau national, il faut d’abord utiliser les procédures internes. Si le cas ne peut pas être résolu au plan national, alors on peut soumettre le cas au comité de la liberté syndicale. Parfois, il y a des cas qui peuvent être résolus rapidement au niveau des pays alors que la procédure au niveau du comité est plus longue, plus coûteuse. Mais nous ne rejetons jamais une plainte, même si on nous reproche une procédure trop lourde et trop coûteuse. Il faut également assurer le suivi des conclusions et recommandations qui sont prises par le comité. C’est très important que les syndicats qui ont déposé une plainte sachent utiliser les conclusions et recommandations, qu’ils le fassent et qu’ils nous le fassent savoir. Le comité doit être informé de la façon dont les choses ont évolué, ce qui nous permettrait d’affiner nos recommandations pour qu’elles soient plus efficaces dans le futur. Enfin, ça valorise le travail du comité en sachant que les choses ont évolué du fait de ses conclusions et recommandations.