Q&R

Questions-Réponses sur la Convention concernant le travail décent pour travailleurs domestiques

Le traité historique qui fixe des normes pour le traitement des travailleurs domestiques, adopté au cours de la Conférence internationale du Travail à Genève, a été largement salué comme une étape marquante. La convention sur le travail décent pour les travailleurs domestiques et la recommandation qui l’accompagne ont pour but de protéger et d’améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs domestiques dans le monde – dont le nombre est évalué entre 53 et 100 millions. BIT en ligne s’est entretenu avec Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT.

Article | 21 juin 2011

En quoi cette convention était-elle nécessaire?

Le travail décent fait cruellement défaut dans le secteur du travail domestique. Pour plus de 56 pour cent des travailleurs domestiques, aucune loi ne vient encadrer la durée d’une semaine de travail. Environ 45 pour cent de l’ensemble des travailleurs domestiques n’ont pas droit ne serait-ce qu’à une journée de repos hebdomadaire. Quelque 36 pour cent des employées de maison n’ont pas droit au congé de maternité. Les travailleurs domestiques figurent parmi les catégories de main-d’œuvre les plus vulnérables, celles qui sont déjà marginalisées et les moins armées pour faire face aux conséquences des reprises économiques. Il s’agit essentiellement de femmes et de jeunes filles qui, dans une large mesure, travaillent au noir. Pour les travailleurs domestiques, le travail décent est synonyme de respect et de dignité, une contribution à leur passage du secteur informel au travail déclaré.

Quel est l’impact de la convention sur le statut des travailleurs domestiques?

Cet instrument envoie un signal politique très fort. Il représente un engagement international à œuvrer pour améliorer les conditions de vie et de travail d’une grande partie de la main-d’œuvre qui a de tout temps été exclue, soit totalement soit en partie, de la protection que confère le droit du travail. En ratifiant la convention, le pays s’ouvre de fait au contrôle international; les Etats Membres sont donc fortement incités à vérifier que leurs lois et leurs politiques sont en conformité avec la convention. La recommandation qui l’accompagne, qui est un instrument non contraignant, offre des orientations pratiques et utiles pour mettre en vigueur les obligations énoncées par la convention. Les nouvelles normes sur les travailleurs domestiques sont à la fois rigoureuses et souples. Elles garantissent une protection minimale aux travailleurs domestiques tout en permettant une souplesse considérable et une large ratification, ainsi qu’une progression continuelle de leurs conditions de vie et de travail.

Quels changements concrets cela va-t-il apporter aux travailleurs domestiques?

Le tout premier, c’est qu’ils sont enfin reconnus en tant que travailleurs et ont droit aux protections minimales dont jouissent toutes les autres catégories de travailleurs, au moins légalement. La convention établit le droit des travailleurs domestiques à être informés de leurs termes et conditions d’emploi, de manière facilement compréhensible: quel type de travail ils doivent effectuer, le nombre d’heures qu’ils sont supposés travailler, et leur rémunération, son mode de calcul et la périodicité des paiements. Elle établit aussi un plafond de la proportion de la rémunération qui peut leur être versée en nature et prévoit un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures consécutives. La convention prévoit aussi des mesures spéciales pour répondre à la vulnérabilité des groupes particuliers de travailleurs domestiques: les jeunes travailleurs domestiques – ceux qui ont un âge inférieur à 18 ans et supérieur à l’âge minimum d’admission à l’emploi, les employés de maison logés au sein des ménages, et les travailleurs domestiques migrants. Pour ce qui est des travailleurs domestiques hébergés chez l’employeur, la convention fixe des exigences minimales en termes d’hébergement et de respect de la vie privée. Elle appelle les Etats Membres à établir un âge minimum d’accès à l’emploi pour le travail domestique et à adopter des mesures afin que les enfants qui travaillent comme domestiques puissent terminer leur scolarité obligatoire, s’ils n’ont pas pu le faire parce qu’ils avaient été embauchés à un très jeune âge, et qu’ils puissent poursuivre leurs études ou suivre une formation professionnelle.

Pour les travailleurs domestiques immigrés, la convention demande à ce qu’ils reçoivent par écrit une offre d’emploi ou un contrat de travail avant de franchir les frontières pour se rendre dans le pays où ils devront exercer ce travail. Les Etats Membres sont aussi tenus de prendre des dispositions concourant à doter progressivement les travailleurs domestiques des protections minimales dans le domaine de la sécurité sociale, y compris les prestations liées à la maternité, à parité avec les autres catégories de travailleurs. Une autre disposition importante a trait aux agences d’emploi privées qui jouent un rôle primordial sur le marché du travail domestique. La convention demande aux Etats de se doter de règles et de procédures claires pour prévenir les pratiques frauduleuses ou abusives dans lesquelles sont malheureusement engagées des agences d’emploi privées. La convention reconnaît le contexte spécifique dans lequel se déroule le travail domestique, à savoir au domicile de l’employeur, et impose un équilibre entre le droit des travailleurs à une protection et le droit des membres du ménage qui les emploie au respect de leur vie privée.

Quel est l’impact sur l’égalité entre les sexes?

L’impact est énorme. Le simple fait d’affirmer sans ambiguïté que le travail domestique est un véritable travail est une avancée importante vers l’égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail, parce que le travail domestique emploie essentiellement des femmes. Partout dans le monde, quel que soit le degré de développement socioéconomique, l’immense majorité des travailleurs domestiques sont des femmes: 90 à 92 pour cent de la main-d’œuvre domestique sont des femmes et des jeunes filles. Les nouveaux instruments, en établissant le principe que les travailleurs domestiques comme tous les autres ont droit à un dispositif minimum de protection aux termes de la législation du travail, rectifient la sous-évaluation historique du travail domestique. Le simple fait de réguler cette forme de travail est une reconnaissance de la contribution essentielle des services à la personne dans le domaine économique et social.

Quelles sont les prochaines étapes avant que la convention entre en vigueur?

Il doit y avoir deux ratifications. Avant de pouvoir ratifier, les gouvernements doivent vérifier dans quelle mesure leur législation et leur pratique actuelles sont en conformité avec les obligations inscrites dans la convention et, si ce n’est pas le cas, œuvrer pour les mettre à niveau. Nous avons reçu des signaux encourageants de certains Etats Membres qui ont exprimé leur volonté d’étudier très attentivement la possibilité de ratifier. Le Brésil par exemple a indiqué qu’il souhaitait être le premier pays à ratifier cette importante convention.

Aura-t-elle des répercussions sur ceux qui ne la ratifient pas?

Je pense que la réponse est absolument oui. L’impact de n’importe quelle convention de l’OIT va bien au-delà de sa ratification. Elle devient un cadre de référence qui peut aider les Etats Membres à préparer le terrain pour une ratification ultérieure dans le cas où les conditions socioéconomiques et les réalités ne seraient pas mûres pour une ratification immédiate. L’impact sera d’autant plus grand que le processus normatif a été suivi de très près par les mandants de l’OIT. Il y a eu une très forte mobilisation de la part de militants des droits de l’homme, d’ONG, d’associations de travailleurs domestiques et de militantes féministes, si bien que ce document dynamique conférera de la légitimité aux revendications des travailleurs domestiques.

Comment l’OIT s’est-elle investie dans le processus qui a abouti à cette convention?

C’est l’OIT qui a initié ce projet normatif. Une importante recherche a été menée afin de tracer un portrait plus réaliste des nombres et des profils des travailleurs domestiques dans le monde, de l’étendue de la protection juridique dont ils bénéficiaient dans différents pays et du type de protection légale qui pourrait changer leur vie. Les collègues de l’OIT sur le terrain ont aussi joué un rôle très important pour porter ce processus normatif à l’attention des mandants de l’OIT et pour faciliter leur participation.

La préoccupation de l’OIT au sujet des travailleurs domestiques remonte au début des années 1930. Dans les années trente, on savait que les employés de maison formaient une catégorie sujette à des abus considérables, mais on pensait que cette catégorie d’employés était appelée à disparaître en raison du progrès socioéconomique et des innovations technologiques; que des aspirateurs et des machines à laver les remplaceraient. L’histoire a démenti cette assertion. Non seulement les travailleurs domestiques sont très nombreux par le monde, mais leur nombre a sensiblement augmenté ces dix dernières années.