L'invisible à l'affiche

Une exposition qui raconte l’esclavage domestique à travers les clichés du photographe Raphaël Dellaporta et les textes de la journaliste Ondine Millot, en collaboration avec le Comité contre l’esclavage moderne.

Actualité | 7 septembre 2010

Bertrand Tappolet

Paru dans le Courrier le Samedi 04 Septembre 2010 

A travers Genève, les clichés du photographe Raphaël Dellaporta et les textes de la journaliste Ondine Millot racontent l'esclavage domestique. Un fléau qui concerne aussi la ville du bout du lac.

Exposer sa série Esclavage domestique dans les rues de Genève: le photographe français Raphaël Dellaporta y songe depuis 2006. Dès lundi et jusqu'au 29 septembre, ce sera chose faite: quelque 1200 affiches de format A3 seront placardées dans l'anonymat de l'espace urbain, sur les façades et containers, dans les cafés et lieux culturels. Elles comporteront douze récits de drames invisibles, précédés par le prénom (fictif) d'une victime. L'ensemble du travail sera également visible à la galerie Imaginaid, à l'origine de l'exposition réalisée avec le soutien de la Ville de Genève.

En collaboration avec la journaliste Ondine Millot de Libération, Raphaël Dellaporta est parti de sources diverses: témoignages, jugements, etc. Ses photos dévoilent des façades d'immeubles, fenêtres d'habitats anonymes de banlieue ou du centre parisien. C'est là que des femmes ont vécu en privé un véritable calvaire émaillé d'exactions et d'humiliations quotidiennes. «C'est cette oscillation entre le détail narratif et le vide de l'image qui fonctionne de telle sorte que chaque personne lisant ces histoires soit confrontée à une image banale, quotidienne. Il pourra ainsi visualiser le récit et, partant, prendre position face à l'asservissement et à cette forme domestique d'esclavage moderne», explique le photographe.

Crainte de représailles

De mèche avec le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), en France, les auteurs ont choisi de donner accès à un univers cadenassé et caché, celui de cette violence privée, intime, souvent traversée de férocité envers les «employés de maison». L'expression «esclavage domestique» a été donnée par le CCEM pour désigner la condition des personnes placées en état de vulnérabilité physique ou morale; et qui se trouvent dans l'obligation de fournir un travail – taches ménagères, garde d'enfants – souvent sans rémunération réelle et dans un contexte de violence et de privation des libertés.

300 cas environ sont annuellement portés à la connaissance du CCEM. Il s'agit majoritairement de femmes très jeunes, parfois dans une situation irrégulière. Elles sont isolées du monde extérieur, conditionnées et continuellement rabaissées. Elles craignent souvent une procédure judiciaire longue, sans résultat assuré, mais susceptible de leur porter préjudice par les représailles menées sur leur famille ou leurs proches restés au pays.

Comme pour sa série sur les mines antipersonnel (Antipersonnel) et celle, plus récente, sur des organes de défunts (Fragile), toutes deux présentées cet été à l'Espace Arlaud de Lausanne par le Musée de l'Elysée, la force du travail de Dallaporta réside dans le dialogue entre le visible et l'invisible. Mais aussi entre des images neutres, frontales, et des écrits documentant la souffrance humaine. Ne tirant aucun profit pécuniaire de l'exposition, ce photographe engagé préserve une distance respectueuse avec les victimes, dont l'absence de portraits imagés renvoie à la vie mal connue de ces personnes maltraitées, nos possibles voisins.

Sans voyeurisme

C'est souvent une tierce personne qui donne aux exploités le courage de s'enfuir. Mais aussi leur permet de tenir les premiers mois. Pour Serge Macia d'Imaginaid, il s'agit, par cette «exposition de proximité», de faciliter une prise de conscience au sein de la population. L'important est aussi de favoriser une action concrète de la part des autorités communales, cantonales et fédérales pour informer les employeurs notamment. «L'approche de Dallaporta permet au citoyen spectateur d'entrer dans le sujet et d'entamer une réflexion, plutôt que d'être heurté par des images voyeuristes, explicites ou doloristes.»

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