La discrimination fondée sur l’âge: plus de 50 ans, et alors?

Les gouvernements s’efforcent de plus en plus d’augmenter la participation des travailleurs âgés au marché du travail, par exemple en révisant les dispositions relatives à l’âge de départ à la retraite, indique le nouveau rapport du BIT sur la discrimination au travail.

Les gouvernements s’efforcent de plus en plus d’augmenter la participation des travailleurs âgés au marché du travail, par exemple en révisant les dispositions relatives à l’âge de départ à la retraite, indique le nouveau rapport du BIT sur la discrimination au travail. D’un autre côté, les travailleurs âgés doivent souvent surmonter la réticence des employeurs à les garder en poste ou à les embaucher. Le journaliste Andrew Bibby, basé à Londres, nous envoie ce reportage du Royaume-Uni et d’autres pays où les statistiques font apparaître une hausse des réclamations liées à l’âge, mais aussi une meilleure sensibilisation à ces discriminations et aux droits des travailleurs.

La mort de Buster Martin en avril dernier a fait la une des journaux, pas seulement en raison de son âge (prétendant être né en septembre 1906, il aurait eu 104 ans au printemps), mais parce que la veille même de sa mort il était allé travailler. Pendant les cinq dernières années de sa vie, il était employé par une entreprise de plomberie de Londres pour nettoyer sa flotte de camionnettes. Il était, semble-t-il, très apprécié du personnel et finissait souvent sa journée de travail en allant boire une bière avec ses collègues.

Buster Martin avait de la chance: il était non seulement en forme pour travailler, mais il avait aussi trouvé un employeur prêt à embaucher un employé bientôt centenaire. Les stéréotypes sur les travailleurs âgés, qui pèsent sur la gestion et les comportements sociétaux, peuvent avoir des répercussions directes sur les perspectives d’emploi des individus. En effet, les travailleurs qui ont la moitié de l’âge de Buster Martin peuvent parfois se voir refuser un emploi ou une promotion au seul motif qu’on les juge trop âgés.

Le nouveau rapport du BIT est encourageant lorsqu’il suggère que la sensibilisation à la discrimination fondée sur l’âge progresse et que davantage est fait pour la combattre. Le principal auteur du rapport, Lisa Wong, souligne que les travailleurs âgés sont potentiellement très affectés par la crise économique actuelle, mais elle ajoute qu’au moins 29 pays disposent dorénavant d’une législation qui interdit explicitement la discrimination directe et indirecte fondée sur l’âge. «La législation, tout comme les politiques menées au niveau de l’entreprise ou à l’échelon national, peuvent jouer un rôle majeur pour surmonter les préjugés concernant les travailleurs âgés. Plusieurs pays ont mené des campagnes d’information à grande échelle sous l’égide des pouvoirs publics pour vaincre les réticences des employeurs à conserver ou embaucher des travailleurs âgés», explique-t-elle.

Une sensibilisation grandissante du public

Paradoxalement, la hausse du nombre de requêtes invoquant la discrimination fondée sur l’âge illustre peut-être la sensibilisation grandissante du public à la question et aux droits des personnes âgées. En France, la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), a été saisie de 599 plaintes pour discrimination fondée sur l’âge en 2009 contre seulement 78 en 2005. Au Royaume-Uni, les plaintes pour discrimination fondée sur l’âge devant les tribunaux du travail sont passées de 972 en 2006-07 à près de 4 000 en 2008-09. On constate le même phénomène, entre autres pays, en Australie, en Belgique et aux Etats-Unis.

Dès 1980, l’OIT s’est spécifiquement penchée sur la situation particulière des travailleurs âgés (il s’agit généralement de ceux qui ont 50 ans et au-delà), dans la recommandation (no 162) sur les travailleurs âgés. Elle fournit un cadre constructif pour offrir des conditions de travail décentes et productives aux travailleurs âgés qui choisissent ou ont un besoin d’avoir un travail rémunéré. La recommandation prône l’égalité de chances et de traitement pour les travailleurs âgés et notamment pour la formation professionnelle, la sécurité de l’emploi et le développement des carrières. La recommandation préconise des mesures afin «de garantir que, dans le cadre d’un système permettant une transition progressive entre la vie professionnelle et un régime de libre activité, le départ à la retraite s’effectue sur une base volontaire».

La recommandation a été complétée récemment par une brève note d’information du BIT prodiguant des conseils pour l’emploi de travailleurs âgés. (Conditions of Work and Employment: Issues for older workers) Elle souligne les bénéfices que les employeurs peuvent tirer de l’emploi concomitant de travailleurs âgés expérimentés et de jeunes travailleurs. La flexibilité des horaires de travail pour les travailleurs âgés peut être un moyen de garder ces employés expérimentés; la note suggère: «En offrant aux travailleurs âgés le choix de l’aménagement de leur temps de travail, les employeurs profitent à la fois de l’expérience et des compétences de ces travailleurs et du transfert de leurs connaissances organisationnelles à leurs jeunes collègues.»

Reconnaître les besoins des travailleurs âgés

La note d’information du BIT ajoute qu’il convient aussi de reconnaître les besoins spécifiques des travailleurs âgés. Certains ont besoin de continuer à travailler pour vivre, d’autres veulent simplement conserver un travail rémunéré, alors que d’autres encore ne peuvent plus travailler ou disposent d’une sécurité financière qui leur permet de prendre leur retraite et de profiter de leurs loisirs. Bien que la rupture traditionnelle entre vie professionnelle et retraite ait tendance à devenir de plus en plus floue, l’introduction de politiques plus favorables à l’emploi de travailleurs âgés doit aussi aller de pair avec des mesures appropriées pour les pensions de retraite.

L’appel des travailleurs âgés pour obtenir un travail approprié a été entendu, au moins par quelques employeurs, selon l’Association américaine des personnes retirées (AARP – American Association of Retired Persons), une association à but non lucratif qui représente les Américains de plus de 50 ans. L’AARP a été décisive en 2006 pour le lancement de l’Alliance pour une main-d’œuvre expérimentée (Alliance for an Experienced Workforce), une initiative qui réunissait aussi la Société américaine pour la gestion des ressources humaines (US Society for Human Resource Management) et plus de 20 associations professionnelles des Etats-Unis. Le cas échéant, l’AARP aide ses membres à exercer de nouveaux métiers; elle a notamment travaillé avec les associations de transport routier pour inciter les personnes âgées à envisager de devenir conducteurs de véhicules commerciaux.

L’AARP remet également chaque année le prix de l’employeur innovant (Innovative Employer Award), qui distingue parmi les employeurs du monde entier lesquels, selon l’AARP, utilisent de bonnes pratiques d’emploi. Parmi les lauréats du prix 2010 figurait, par exemple, le prestataire de soins Sozial-Holding de Mönchengladbach (Allemagne), où près de

30 pour cent des 800 employés ont plus de 50 ans. Sozial-Holding leur offre l’accès à une formation spécialisée baptisée «Älter als 50, na und?» (Plus de 50 ans, et alors?). Le directeur général de la Sozial-Holding parle de l’importance d’allier l’énergie des jeunes à la loyauté et l’expérience des travailleurs âgés.

Un autre lauréat du prix 2010 fut l’opérateur de services publics Salzburg AG für Energie, Verkehr und Telekommunikation dans la ville autrichienne de Salzbourg; il a été distingué par l’AARP pour son approche de la gestion des employés tout au long de la vie, GENERA, conçue pour accompagner les employés dans les différentes phases de leur vie professionnelle. Le grand distributeur allemand Galeria Kaufhof est l’une des autres sociétés récompensées pour la formation dispensée à ses travailleurs âgés.

Ailleurs, des distributeurs ont aussi pris des mesures pour attirer les travailleurs âgés. Au Royaume-Uni, plus du quart des 30 000 employés de la chaîne de magasins de matériel informatique B&Q ont plus de 50 ans, y compris Syd Prior, assistant au service clientèle, âgé de 96 ans. La chaîne de supermarchés J Sainsbury a également pris des mesures pour accueillir des travailleurs de plus de 50 ans dans ses magasins. Ces entreprises ont tout intérêt à agir ainsi: selon un rapport, dans les supermarchés britanniques, un travailleur âgé de 18 ans reste en moyenne six mois en poste, alors qu’un employé de 60 ans reste généralement plus de cinq ans.

A l’échelle internationale, plusieurs sociétés du secteur de la distribution ont fait preuve d’initiative dans leur approche des travailleurs âgés. En septembre prochain, le Forum de dialogue mondial de l’OIT sur les besoins des travailleurs âgés face aux changements des processus de travail et du milieu de travail dans le commerce de détail sera une excellente occasion de débattre de ces bonnes pratiques, selon John Sendanyoye, du Département des activités sectorielles du BIT. Un nouveau rapport du BIT est en cours de préparation pour être présenté au Forum.